VII

GRENADE, L’ALHAMBRA, L’ABAYCIN


Pour aller de Séville à Grenade il y a maintenant un chemin de fer. On part à sept heures du matin, on arrive à huit ou à neuf heures du soir. C’est long, eu égard à la distance ; mais c’est déjà un grand progrès sur le passé. Le voyage, d’ailleurs, n’a rien de pénible ; il y a même des buffets le long du chemin. Mais, par exemple, il n’y a rien dans les buffets ; oh ! rien du tout. Pour moi, j’avais pris quelques provisions, ce qui n’est jamais de trop en Espagne ; mais deux de mes compatriotes moins avisés sont demeurés à jeun jusqu’au soir. Entre Séville et Grenade ils n’ont pu se procurer que quelques grenades et… des cœurs de palmier. Or, le cœur de palmier est une triste provende. Cela ressemble à des tiges de salsifis. Par exemple, pour les arroser, l’eau ne manquait pas.

« Agua ! agua ! » crient à chaque instant de pauvres hères drapés dans des guenilles, qui présentent aux voyageurs des verres et une cruche de terre poreuse, pleine de bonne eau fraîche.

« Agua ! » et maiiana ! » me disait l’un de mes compagnons, sont les deux mots fondamentaux de la langue espagnole. De l’eau ? On vous en offre partout et avec tout ; quelPage:Cadiot - Vingt jours en Espagne.pdf/52 Page:Cadiot - Vingt jours en Espagne.pdf/53

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Page:Cadiot - Vingt jours en Espagne.pdf/63 ce qu’on pourrait acheter dans le Zacatin. Quant au bazar

moresque, s’il est entier et très intéressant par sa conservation, il est par son abandon et sa solitude, plus triste qu’un cimetière.

Et à ce propos, ai-je parlé des cimetières espagnols, au cours de cette rapide excursion dans la péninsule ? Non pas ; ils ont pourtant leur caractère… Et fasse le ciel qu’ils ne reçoivent point ma dépouille !

Tout autour du champ des morts, dans les murs, sont pratiquées des alvéoles longues et profondes ; c’est là-dedans qu’on range les cercueils, comme dans le columbarium antique on rangeait les urnes. Chaque famille a son casier, son tiroir, son alvéole, comme on voudra ; cela s’appelle, je crois, le putridero.

Là, les morts sont enfournés à mesure qu’ils arrivent : après chaque enfournement on bouche l’alvéole avec du plâtre ; à chaque nouvel arrivant on brise le plâtre pour dégager l’issue et laisser passer le cercueil neuf…

Cercueil superbe d’ailleurs ! peint, doré, capitonné, si le mort est riche ou adoré des siens. Voir à Madrid, dans toutes les rues commerçantes, les boutiques où l’on vend ces jolis cercueils, comme chez nous on vend des modes ou de la tabletterie !

Mais laissons les cimetières et les cercueils, et retournons à l’Alhambra pour le voir la nuit par un beau clair de lune — et le revoir le jour par un beau soleil !

Puis repartons, le temps presse et nous avons encore à voir Cordoue.