Ls.-A. Proulx (p. 327-332).

LE CHÂTEAU BIGOT À CHARLESBOURG



L E château Bigot, à Charlesbourg, a été créé de toutes pièces par l’imagination populaire. Les romanciers Marmette et Kirby ont amplifié la légende et la plupart de ceux qui ont lu l’Intendant Bigot de Marmette et le Chien d’or de Kirby sont convaincus que l’infâme Bigot avait choisi ce coin isolé de la montagne de Charlesbourg pour y commettre ses crimes. Bigot n’a peut-être jamais mis les pieds dans ce prétendu château. En tout cas, il est absolument certain qu’il n’a jamais été propriétaire ni même locataire du château qui porte son nom et du terrain qui l’entoure. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les titres de la propriété en question pour s’en convaincre.

Le château Bigot se trouve dans les limites de la paroisse de Charlesbourg qui fait partie de l’ancienne seigneurie de Notre-Dame-des-Anges concédée aux Pères Jésuites par le duc de Ventadour le 10 mars 1626.

Le 28 avril 1659, le Père Ragueneau, en sa qualité de procureur des Pères Jésuites, concédait à Françoise Duquet, femme de Jean Madry, sept arpents et demi de terre de front sur quatre lieues de profondeur dans la seigneurie de Notre-Dame-des-Anges. Cette concession était faite à titre d’arrière-fief.

Jean Madry se noya en se rendant aux Trois-Rivières, le 26 juillet 1669. Françoise Duquet se remaria un an plus tard, le 14 septembre 1670, avec Olivier Morel de la Durantaye, capitaine au régiment de Carignan.

Le 29 octobre 1672, l’intendant Talon accordait à M. Morel de la Durantaye une seigneurie de deux lieues de front sur autant de profondeur. C’est la seigneurie de la Durantaye. Le 15 juillet 1674, M. Morel de la Durantaye recevait une autre seigneurie de trois lieues de front sur deux lieues de profondeur. C’est la seigneurie de Kamouraska. M. Morel de la Durantaye s’occupa de coloniser ses deux seigneuries et ne fit jamais de culture sur l’arrière-fief de sa femme dans la seigneurie de Notre-Dame-des-Anges. Aussi lorsque le 28 octobre 1718, Françoise Duquet, veuve pour la seconde fois, vendit son arrière-fief de Grandpré à Guillaume Gaillard, il n’y avait encore aucune maison d’érigée dessus.

Le château Bigot à Charlesbourg

Gaillard, dans son achat, servait de prête-nom à Michel Bégon, intendant de la Nouvelle-France. Celui-ci bâtit une maison, planta des arbres fruitiers, etc., etc. Lorsque, le 12 octobre 1753, la succession de M. Bégon vendit l’arrière-fief de Grandpré à Guillaume Estèbe, le notaire Saillant donnait la description suivante de la maison construite par l’intendant :

« Une maison sise sur le dit arrière-fief au lieu appelé la Montagne de la paroisse de Charlesbourg, bâtie en pierre à deux étages et en mansarde, de cinquante pieds de front sur trente de profondeur ou environ, consistant en une cuisine où il y a une potence de fer à la cheminée, un four à côté ceinturé d’une barre de fer et un mauvais bluteau en une salle, cabinets, greniers et caves, le tout garni de chassis et de portes fermant à clefs ; derrière la maison est un petit jardin potager, et plus loin un grand verger planté de plusieurs arbres fruitiers, entouré de piquets. Item au côté sud-ouest de la dite maison est une grange de cinquante pieds de front sur trente de profondeur ou environ et une étable de pareille grandeur, le tout bâti sur solage de pierre. »

Voilà le fameux château Bigot !

Mais continuons son histoire jusqu’à la conquête.

Guillaume Estèbe conserva le château Bigot quatre ans. Le 8 septembre 1757, il le vendait à François-Joseph de Vienne, garde-magasin du Roi à Québec. Celui-ci le garda à son tour pendant sept ans. Le 8 septembre 1764, son procureur, l’abbé Pressart, le vendait à William Grant, négociant de Québec.

Comme on le voit, le nom de Bigot n’apparaît sur aucune des pièces que nous venons de citer. Nous le répétons : Bigot n’a jamais eu aucun rapport avec le prétendu château de Charlesbourg. L’intendant Bégon fut propriétaire de l’arrière-fief Grandpré pendant trente-cinq ans. Le peuple transforme vite les noms. Il n’y a pas loin de Bégon à Bigot. C’est là, croyons-nous, l’origine de la tradition qui veut que Bigot ait été propriétaire du château qui porte son nom[1].

Le Moulin banal des Jésuites à Charlesbourg

Ce moulin remonte sûrement au régime français car les Jésuites, propriétaires de la seigneurie de Notre-Dame-des-Anges, dans laquelle se trouve la paroisse de Charlesbourg, n’ont pas bâti de moulins dans aucune de leurs seigneuries après 1759.

La maison Villeneuve à Charlesbourg

En 1908, M. Louis Villeneuve obtenait la médaille dite des « anciennes familles » en établissant que sa famille vivait sur la même terre, à Charlesbourg, depuis 1684. Jusqu’à date, huit générations de Villeneuve se sont succédé sur ce bien. Bel exemple de fidélité à la terre des ancêtres !

La maison Villeneuve à Charlesbourg
Façade sud-est.
  1. À consulter sur le château Bigot une étude de M. F.-X. Maheux dans le Bulletin des Recherches Historiques, vol. IX, p. 194.