Ls.-A. Proulx (p. Image-x).

COMMISSION
DES
MONUMENTS HISTORIQUES
DE LA
PROVINCE DE QUÉBEC

PRÉSIDENT

L’honorable M. Adélard Turgeon, C.V.O., C.M.G., docteur ès lettres, conseil du Roi, chevalier de la Légion d’Honneur, président du Conseil législatif, Hôtel du Gouvernement, à Québec.

REPRÉSENTANT DU SECRÉTAIRE DE LA PROVINCE

C.-J. Simard, avocat, conseil du Roi, officier de l’Instruction publique de France, sous-secrétaire de la Province, Hôtel du Gouvernement, à Québec.

MEMBRES

W.-D. Lighthall, conseil du Roi, docteur en droit, ancien président de la Société Royale du Canada, président de la Société d’Archéologie et de Numismatique de Montréal, 2 Place d’Armes, à Montréal.

E.-Z. Massicotte, avocat, membre de la Société Royale du Canada, président de la Société de folklore, archiviste du palais de justice, à Montréal.

Victor Morin, notaire, docteur en droit, membre de la Société Royale du Canada, officier de l’Instruction publique de France, président de la Société Historique de Montréal, 97, rue Saint-Jacques, à Montréal.

Pierre-Georges Roy docteur ès lettres et en droit, officier de l’Instruction publique de France, membre de la Société Royale du Canada, archiviste de la Province, Hôtel du Gouvernement, à Québec.

SECRÉTAIRE

Pierre-Georges Roy, Hôtel du Gouvernement, à Québec.



Transmettre à sa famille la maison paternelle, la terre reçue des ancêtres, devrait être un sentiment aussi fort, aussi étroitement attaché au cœur, aussi sacré que les liens du sang.
Chanoine H.-A. Scott


Cette épigraphe nous fait saisir immédiatement le but que se propose la Commission des Monuments Historiques, en publiant le présent volume. Elle veut inspirer le respect de la vieille maison, l’amour de l’humble demeure que se sont transmis, de père en fils, les ancêtres, le culte du rustique foyer où se sont écoulés les plus beaux jours de notre enfance.

C’est ici que mes aïeux ont vécu.
Qu’ils ont souffert, qu’ils ont aimé, que la jeunesse
Dans sa coupe d’amour leur a versé l’ivresse
Et qu’ils sont morts, tombant comme tombe un vaincu[1].

Hélas ! ces témoins du passé, ces vieilles maisons de chez nous, elles s’en vont comme beaucoup d’autres choses. Usées par les ans, elles tombent sous le pic des démolisseurs. Pour beaucoup, la destruction s’imposait ; elles menaçaient ruine. Mais, combien auraient pu être sauvées, combien auraient pu être réédifiées dans leurs lignes primitives. Au moins, conservons celles qui existent encore, et n’allons pas les remplacer par des maisons de ville, des cottages, des bungalows insignifiants.

Je n’aime pas les maisons neuves
Leur visage est indifférent.

a dit Sully Prudhomme. Elles peuvent avoir une belle apparence extérieure ; elles ne disent rien au cœur. Au contraire, ces manoirs, ces vieilles habitations dont nous reproduisons le gracieux profil, avaient de l’originalité et symbolisaient justement l’âme de tout un peuple.

Nos anciens seigneurs n’étaient pas riches ; ils aimaient, cependant, à se bien loger en se construisant de petits châteaux dans leur domaine rural. Certes, leurs manoirs n’avaient pas l’aspect guerrier des forteresses du moyen âge. On n’y voyait ni donjons, ni machicoulis, ni pont-lévis, ni fossés. C’étaient, tout simplement, de grandes maisons en pierres des champs unies les unes aux autres par du bon mortier. Une longue bâtisse rectangulaire formait le corps principal du logis ; on ajoutait, aux deux extrémités, des ailes ornées, quelquefois, de tourelles. Aucune décoration extérieure, rien ne tempérait l’aspect sévère de nos manoirs seigneuriaux. L’acte d’érection en baronnie de la seigneurie de Portneuf (1681) nous apprend, cependant, que le sieur de Bécancour avait décoré son manoir « de toutes les marques de noblesse et seigneurie ». De même, nous lisons dans l’acte d’érection en baronnie de la seigneurie de Longueuil (1700) que Charles Lemoyne, fils aîné, avait fait « bastir à ses frais un fort flanqué de quatre bonnes tours, le tout de pierre et de maçonnerie avec un corps de garde, plusieurs corps de logis et une très belle église, le tout décoré de toutes les marques de noblesse… »

Presque tous ces manoirs ont subi des modifications importantes. Plusieurs ont été restaurés avec goût et leur apparence archaïque nous reporte, malgré nous, aux premiers âges de la colonie. Leurs possesseurs actuels pourraient poser au châtelain, et nous n’en serions pas surpris, tant le décor qui les entoure correspondrait à la réalité des choses. Comme « M. de la Bouteillerie, assis dans son fauteuil, au fond de la grande salle du manoir, et ayant devant lui une table recouverte d’un tapis, sur laquelle était ouvert le censier » [2], ils pourraient donner audience à leurs co-paroissiens et recevoir leurs hommages et leurs redevances. L’illusion serait complète, et toute une époque glorieuse revivrait à nos yeux.

Nos vieilles maisons pourraient être divisées en deux catégories : celles qui ont à la fois un caractère historique et d’ancienneté et celles dont tout le mérite est d’être d’un autre âge[3].

Dans la première catégorie nous pourrions classer tous nos établissements religieux dont la construction remonte, pour la plupart, au dix-septième siècle ; le séminaire de Québec, le vieux séminaire de Montréal, l’Hôtel-Dieu de Québec, l’Hôpital général de Québec, le monastère des Ursulines de Québec, celui des Trois-Rivières, quelques vieilles maisons du dix-huitième siècle que l’on rencontre à Québec, à Montréal et dans quelques anciennes paroisses.

Ces vieilles constructions ont leur caractère propre ; elles sont spacieuses et d’une solidité à toute épreuve. Elles n’ont pas le charme de l’ancienne maison de l’habitant dont les beaux types existent encore dans les vieilles paroisses, et que nous rangeons dans la seconde catégorie. Nos ancêtres avaient apporté de la Normandie le modèle de ces vieilles maisons. Leur toit pointu, descendant à pic sur l’unique étage, leurs fausses cheminées en bois, leurs lucarnes en accent circonflexe, leurs fenêtres fermées par des contrevents, leur donnaient une apparence pittoresque et d’une belle originalité.

Lucien Romier a écrit quelque part dans son beau livre Explication de notre temps : « La demeure primitive atteste le lien qui unit l’homme à ces nourrices naturelles, l’eau, la terre et la forêt. Elle ne se dresse pas contre la nature, elle s’y adapte et tranche à peine sur ce que nous appelons le paysage. Elle appartient autant au sol qu’à l’homme. » On ne pourrait mieux peindre le caractère de nos vieilles maisons de campagne. Elles étaient faites pour notre climat et nos mœurs ; elles protégeaient contre les grands froids de l’hiver les êtres qu’elles abritaient, et, durant la saison des chaleurs, grâce à l’épaisseur de leurs murs, elles gardaient une fraîcheur reposante. Leurs divisions intérieures, avec la grande pièce du centre qui servait à la fois de cuisine et de salle, étaient bien faites pour donner asile à la famille toujours nombreuse.

un intérieur canadien
D’après la peinture de Horatio Walker

Les exigences de la vie moderne ont tout bouleversé. Les maisons d’aujourd’hui ont de l’élégance, du clinquant ; elles sont attrayantes. Mais ont-elles le confort des maisons d’autrefois ? S’adaptent-elles à notre climat, à nos paysages canadiens ? Sont-elles réellement dans nos traditions ? En un mot, sommes-nous chez nous dans nos maisons modernes comme nos ancêtres étaient chez eux dans leurs vieux logis aux divisions si simples et si familiales ?

Nous n’osons demander que l’on revienne aux anciens modèles. On nous permettra, du moins, de faire appel à toutes les bonnes volontés pour garder ce qui nous reste de l’héritage de nos ancêtres.

En effet, à ces vieilles demeures dont nous prenons la défense « s’accroche un lambeau de notre histoire… Elles ont cheminé pour ainsi dire en même temps que nos pères à travers les siècles, abritant des générations, amalgamant sans cesse hier et demain et présentant à chaque instant ce caractère de continuité qui les rend sensibles à notre entendement. Elles ont beau dater d’une époque lointaine, cet anachronisme ne gêne pas notre esprit, parce que s’étant associées à tous les événements de notre histoire, elles arrivent jusqu’à nos jours, en les reliant les uns aux autres, pour démontrer l’imprégnation constante du passé sur le présent. Elles nous aident aussi à nous reconnaître d’une façon tangible dans la marche de la tradition, qui n’est autre que la fécondation ininterrompue des minutes à venir par celles qui viennent de s’éteindre[4] ».

Les vieilles demeures sont les gardiennes du passé. Entre elles et les personnes qui les habitent s’établit comme une communion d’idées, de sentiments qui se perpétuent d’une génération à l’autre et forment la base des traditions familiales :


Bienheureux qui possède encore l’humble maison
Construite par l’aïeul, en bonne pierre grise,
Dans les arbres, au bord de l’eau, près de l’église
Qui contente à la fois son cœur et sa raison.

Heureux qui de son seuil voit passer la saison,
Qui s’assied où sa mère autrefois s’est assise,
Qui dort dans le vieux lit de son père, à sa guise,
Qui garde la coutume et l’ancienne façon.

Sous le toit paternel le souvenir habite,
L’âme des parents morts dans les chambres palpite,
Des générations y viennent s’émouvoir ;

Le cortège infini des ancêtres défile
En silence de pièce en pièce chaque soir.
Il n’est point de passé dans les maisons de ville[5].


La Commission des Monuments Historiques offre ses remerciements à MM. Horatio Walker, Henry Carter et Charles Maillard qui ont bien voulu lui permettre de reproduire dans ce volume leurs délicieux tableaux de vieilles maisons canadiennes. Sa gratitude va aussi à MM. Carless, professeur d’architecture à l’université McGill, et Marius Barbeau, de la section d’anthropologie du Musée national du Canada, pour leurs précieuses indications.

UN MOT DE L’HONORABLE M. TASCHEREAU
PREMIER MINISTRE DE LA PROVINCE DE QUÉBEC


CABINET DU PREMIER MINISTRE
PROVINCE DE QUÉBEC


La maison ! Ce mot n’évoque-t-il pas le foyer le vieux pignon gris, ses charmes et sa douceur ? La maison ! C’est là qu’on a fait ses premier pas, balbutié ses premières paroles, connu les caresses maternelles, reçu les leçon de son père. La maison ! C’était la vie heureuse à son début, avant ses luttes et ses deuils. La maison ! Elle ne se remplace pas ; mais il est permis de la rappeler et de faire revivre un peu son souvenir.

L. A. Taschereau
  1. Blanche Lamontagne, La vieille maison, p. 7.
  2. L’abbé H.-R. Casgrain, Une paroisse canadienne, la Rivière-Ouelle, p. 174.
  3. Ajoutons, pour être plus vrai, une troisième catégorie : celles qui caractérisent l’architecture canadienne. Voir, à ce sujet, le beau travail de M. Carless, publié en appendice.
  4. Raymond de Passilé, le Gaulois, 6 mars 1926
  5. Albert Lozeau.