Vies imaginaires/William Phips

Bibliothèque-Charpentier (p. 217-226).


WILLIAM PHIPS

PÊCHEUR DE TRÉSORS

William Phips naquit en 1651 près de l’embouchure de la rivière Kennebec, parmi les forêts fluviales où les constructeurs de navires venaient abattre leur bois. Dans un pauvre village du Maine il rêva, pour la première fois, une aventureuse fortune, à l’aspect du façonnage de planches marines. L’incertaine lueur de l’Océan qui bat la Nouvelle-Angleterre lui apporta le scintillement de l’or noyé et de l’argent étouffé sous les sables. Il crut à la richesse de la mer et désira l’obtenir. Il apprit à construire des bateaux, gagna une petite aisance et vint à Boston. Sa foi était si forte qu’il répétait : « Un jour, je commanderai un vaisseau du Roi et j’aurai une belle maison de briques à Boston, dans l’Avenue Verte. »

En ce temps gisaient au fond de l’Atlantique beaucoup de galions espagnols chargés d’or. Cette rumeur emplissait l’âme de William Phips. Il sut qu’un gros vaisseau avait coulé près de Port de la Plata ; il réunit tout ce qu’il possédait et partit pour Londres, afin d’équiper un navire. Il assiégea l’Amirauté de pétitions et de placets. On lui donna la Rose-d’Alger, qui portait dix-huit canons, et, en 1687, il fit voile vers l’inconnu. Il avait trente-six ans.

Quatre-vingt-quinze hommes partaient à bord de la Rose-d’Alger, parmi lesquels un premier maître, Adderley, de Providence. Lorsqu’ils surent que Phips se dirigeait vers Hispaniola, ils ne se tinrent pas de joie. Car Hispaniola était l’île des pirates, et la Rose-d’Alger leur semblait un bon navire. Et d’abord, sur une petite terre sablonneuse de l’archipel, ils s’assemblèrent en conseil pour se faire gentilshommes de fortune. Phips, à l’avant de la Rose-d’Alger, épiait la mer. Cependant il y avait une avarie à la carène. Pendant que le charpentier la réparait, il entendit le complot. Il courut à la cabine du capitaine. Phips lui ordonna de charger les canons, les braqua sur l’équipage révolté à terre, laissa tous ses hommes « marrons » dans ce repaire désert, et repartit avec quelques matelots dévoués. Le maître de Providence, Adderley, regagna la Rose-d’Alger à la nage.

On toucha Hispaniola par une mer calme, sous un soleil brûlant. Phips s’enquit sur toutes les grèves du vaisseau qui avait sombré plus d’un demi-siècle auparavant, en vue de Port de la Plata. Un vieil Espagnol s’en souvenait et lui désigna le récif. C’était un écueil allongé, arrondi, dont les pentes disparaissaient dans l’eau claire jusqu’au tremblement le plus profond. Adderley, penché sur le bastingage, riait en regardant les petits remous des vagues. La Rose-d’Alger fit lentement le tour du récif, et tous les hommes examinaient en vain la mer transparente. Phips frappait du pied sur le gaillard d’avant, parmi les dragues et les crochets. Encore une fois, la Rose-d’Alger fit le tour du récif, et partout le sol paraissait semblable, avec ses sillons concentriques de sable humide et les bouquets d’algues inclinées qui frémissaient sous les courants. Quand la Rose-d’Alger commença son troisième tour le soleil s’enfonça et la mer devint noire.

Puis elle fut phosphorescente. « Voilà les trésors ! » criait Adderley dans la nuit, le doigt tendu vers l’or fumeux des vagues. Mais l’aurore chaude se leva sur l’Océan tranquille et clair, tandis que la Rose-d’Alger parcourait toujours le même orbe. Et durant huit jours, elle croisa ainsi. Les yeux des hommes étaient brouillés à force de scruter la limpidité de la mer. Phips n’avait plus de provisions. Il fallait partir. L’ordre fut donné, et la Rose-d’Alger se mit à virer. Alors Adderley aperçut à un flanc du récif une belle algue blanche qui vacillait, et en eut envie. Un Indien plongea et l’arracha. Il la rapporta, pendant toute droite. Elle était très lourde, et ses racines entortillées paraissaient étreindre un galet. Adderley la soupesa, et frappa les racines sur le pont pour la débarrasser de son poids. Quelque chose d’étincelant roula sous le soleil. Phips poussa un cri. C’était un lingot d’argent qui valait bien 300 livres. Adderley balançait stupidement l’algue blanche. Tous les Indiens plongèrent aussitôt. En quelques heures, le tillac fut couvert de sacs durs, pétrifiés, incrustés de calcaire et revêtus de petits coquillages. On les éventra avec des ciseaux à froid et des marteaux ; et hors des trous s’échappèrent des lingots d’or et d’argent, et des pièces de huit. « Dieu soit loué ! s’écria Phips, notre fortune est faite ! » Le trésor valait trois cent mille livres sterling. Adderley répétait : « Et tout cela est sorti de la racine d’une petite algue blanche ! » Il mourut fou, aux Bermudes, quelques jours après, en balbutiant ces mots.

Phips convoya son trésor. Le roi d’Angleterre fit de lui sir William Phips, et le nomma High Sheriff à Boston. Là il tint sa chimère et se fit bâtir une belle maison de briques rouges dans l’Avenue Verte. Il devint un homme considérable. Ce fut lui qui commanda la campagne contre les possessions françaises, et il prit l’Acadie sur M. de Meneval et le chevalier de Villebon. Le roi le nomma gouverneur de Massachussetts, capitaine général du Maine et de la Nouvelle-Écosse. Ses coffres étaient remplis d’or. Il entreprit l’attaque de Québec, après avoir levé tout l’argent disponible à Boston. L’entreprise manqua et la colonie fut ruinée. Alors Phips émit du papier-monnaie. Afin de hausser sa valeur, il échangea contre ce papier tout son or liquide. Mais la fortune avait tourné. Le cours du papier baissa. Phips perdit tout, demeura pauvre, endetté, et ses ennemis le guettaient. Sa prospérité n’avait duré que huit ans. Il partit pour Londres, misérable, et, comme il débarquait, il fut arrêté pour 20.000 livres, à la requête de Dudley et Brenton. Les sergents le transportèrent à la prison de Fleet.

Sir William Phips fut enfermé dans une cellule nue. Il n’avait gardé que le lingot d’argent qui lui avait donné sa gloire, le lingot de l’algue blanche. Il était harassé de fièvre et de désespoir. La mort le prit à la gorge. Il se débattit. Même là, il fut hanté par son rêve de trésors. Le galion du gouverneur espagnol Bobadilla, chargé d’or et d’argent, avait sombré près de Bahamas. Phips envoya chercher le maître de la prison. La fièvre et l’espoir furieux l’avaient décharné. Il présenta au maître le lingot d’argent dans sa main sèche, et murmura dans son râle :

— Laissez-moi plonger ; voici un des lingots de Bo-ba-dil-la.

Puis il expira. Le lingot de l’algue blanche paya son cercueil.