Vies des peintres, sculpteurs et architectes/tome 9/Lione Lioni d’Arezzo et autres sculpteurs et architectes

LIONE LIONI D’AREZZO,
ET AUTRES SCULPTEURS ET ARCHITECTES.

Plusieurs fois déjà, mais seulement par incident, nous avons consacré quelques lignes au cavalier Lione, sculpteur arétin. Il nous semble bon maintenant de parler avec ordre de ses productions, qui sont vraiment dignes de mémoire.

Dans sa jeunesse, Lione s’appliqua à l’orfèvrerie, et fit de beaux ouvrages, et particulièrement des médailles. En peu d’années il devint si habile, qu’il obtint l’estime d’une foule de princes et de hauts personnages, entre autres de Charles-Quint, qui lui confia des travaux importants.

Peu de temps après s’être fait connaître à Charles-Quint, Lione jeta en bronze la statue de cet empereur, plus grande que nature ; il exécuta ensuite une armure qui s’adapte à la statue, et s’enlève à volonté avec une facilité merveilleuse. Charles-Quint tient sous son talon la Fureur renversée et chargée de chaînes. Le piédestal porte l’inscription suivante : Cæsaris virtute Furor domitus. Après avoir achevé ce groupe, qui est aujourd’hui à Madrid, Lione grava une médaille qui représente d’un

lione lioni.
côté Sa Majesté, et de l’autre côté les Géants foudroyés

par Jupiter. Charles-Quint récompensa Lione en lui donnant une pension de cent cinquante ducats sur la Monnaie de Milan, une maison dans la rue des Moroni, le titre de chevalier, et divers privilèges de noblesse pour ses descendants. Tout le temps que Lione passa à Bruxelles avec Sa Majesté, il habita le propre palais de l’empereur, qui parfois s’amusait à le regarder travailler.

Lione fit encore, d’après l’empereur, une statue en marbre et un buste destiné à être placé entre deux bas-reliefs de bronze. Il sculpta aussi la statue de l’impératrice et celle du roi Philippe. On lui doit également les portraits en bronze de la reine Marie, de Ferdinand, roi des Romains, de Maximilien, maintenant empereur, de la reine Eléonore, et beaucoup d’autres. Ces portraits, que la reine Marie avait commandés à Lione, allèrent d’abord orner la galerie du palais de Brindisi ; mais ils n’y restèrent pas longtemps, parce que Henri, roi de France, mit le feu par représailles à ce palais, en y laissant cette inscription : Vela fole Maria (1). Aujourd’hui ces portraits sont partie dans le palais du roi catholique, à Madrid, partie à Alicante. Sa Majesté voulait les faire transporter de ce port de mer à Grenade, où se trouvent les sépultures de tous les rois d’Espagne.

Lione revint d’Espagne avec deux mille écus comptants, et une foule de présents qu’il avait reçus pendant son séjour à la cour.

Pour le duc d’Albe, il fit le portrait de ce seigneur, et de plus celui de Charles-Quint et celui du roi Philippe.

Pour le cardinal de Grandvelle, il jeta en bronze trois ovales, chacun de la dimension de deux brasses, et dont Fun renferme Charles-Quint, l’autre le roi Philippe, et le troisième le cardinal lui-même. Ces ovales sont posés sur des socles couverts de figurines fort gracieuses.

Pour le signor Vespasiano Gonzaga, Lione exécuta en bronze le buste du duc d’Albe. Ce morceau est dans le palais du signor Gonzaga, à Sabbioneto.

Pour le signor Cesare Gonzaga, il coula également en bronze un groupe représentant don Ferrante armé moitié à l’antique, moitié à la moderne, et foulant aux pieds le Vice et l’Envie, par allusion aux ennemis qui avaient vainement essayé de lui nuire auprès de Charles-Quint au sujet du gouvernement de Milan. Ce groupe doit être porté à Guastalla.

Comme nous l’avons déjà dit ailleurs, Lione sculpta le tombeau du signor Giovan-Iacopo Medici, marquis de Marignano, et frère du pape Pie IV. Ce tombeau, entièrement en marbre de Carrare, est dans la cathédrale de Milan. Il a environ vingt-huit palmes de longueur et quarante de hauteur. Il est orné de quatre colonnes, réunies par un admirable entablement. Deux de ces colonnes sont d’une pierre semblable au jaspe ; les deux autres, qui sont blanches et noires, furent envoyées, comme des morceaux précieux, de Rome à Milan par Sa Sainteté. Ce tombeau fut exécuté par l’ordre de Pie IV, d’après les dessins de Michel-Ange, à l’exception cependant des cinq figures de bronze, qui appartiennent à Lione. La première et la plus grande de ces statues est celle du marquis de Marignano, qui, de la main droite, tient un bâton de général, et dont la main gauche est appuyée sur un tronc d’arbre. Aux côtés du marquis sont assises la Paix et la Vertu militaire ; au-dessus on voit, entre la statue de la Providence et celle de la Renommée, une magnifique Nativité du Christ, en bronze et en basrelief. Le couronnement du mausolée se compose de deux figures qui portent les armoiries du marquis. Ce monument fut payé sept mille huit cents écus, suivant l’accord conclu à Rome par l’illustrissime cardinal Moroni et le signor Agabrio Serbelloni.

Lione a encore fait, pour le signor Giovan-Battista Castaldo, une statue en bronze, qui doit être placée dans je ne sais quel monastère, avec divers ornements.

Pour le roi catholique il a sculpté en marbre un beau Christ, haut de plus de trois brasses. Enfin il travaille en ce moment à la statue du senor Alfonso Davalos, marquis del Vasto, qui lui a été commandée par le marquis de Pescara. Cette figure, haute de quatre brasses, destinée à être jetée en bronze, arrivera à bonne fin ; car Lione y consacre un soin particulier, et il est à remarquer que ses fontes ont toujours très-bien réussi.

Lione, afin de laisser un éclatant témoignage de la grandeur de son génie et des faveurs dont la fortune l’a comblé, s’est construit à grands frais, dans la rue des Moroni, une vaste et magnifique maison, qu’il a enrichie de tant de capricieuses inventions, qu’il est peut-être impossible d’en trouver une autre semblable dans toute la ville de Milan. La façade est ornée de pilastres surmontés de six captifs en pierre de taille et hauts de six brasses. Entre ces captifs sont des niches dans le genre antique, occupées par de petits Termes et par des fenêtres d’une forme aussi originale que gracieuse. Tous les détails des divers étages s’accordent parfaitement. Les frises sont couvertes d’instruments de peinture, de sculpture et d’architecture. La porte principale conduit à une cour au milieu de laquelle s’élèvent quatre colonnes qui supportent la statue équestre de Marc-Aurèle, moulée en plâtre sur celle qui est au Capitole. À cause de cette statue, Lione a dédié sa maison à Marc-Aurèle. Quant aux effigies de captifs, elles ont donné lieu à différentes interprétations. Outre la statue équestre de Marc-Aurèle, Lione a rassemblé dans sa belle et commode habitation tous les plâtres moulés sur les meilleurs ouvrages de sculpture antique ou moderne qu’il a pu se procurer.

Notre artiste a un fils nommé Pompeo, qui est aujourd’hui au service de Philippe, roi d’Espagne. Pompeo n’est point inférieur à son père dans la gravure des médailles, et dans l’art de jeter en bronze les figures. Il a pour concurrent, à la cour du roi Philippe, le Florentin Giovampaolo Poggini, auteur d’admirables médailles. Comme Pompeo est depuis longtemps en Espagne, il a dessein de revenir à Milan jouir de sa maison aurélienne et des autres biens acquis par son excellent père.

Maintenant disons quelque chose des médailles. Nous croyons que l’on est en droit d’affirmer que les modernes ont traité les figures avec non moins de talent que les anciens Romains, et qu’ils les ont surpassés dans la gravure des lettres et des autres accessoires. Il est facile du reste de s’en convaincre en examinant, par exemple, les douze revers que Pietro Paolo Galeotti a gravés, il y a peu de temps, pour les médailles du duc Cosme. Ces revers représentent : Pise restaurée par les soins du duc ; les Eaux amenées à Florence de divers endroits ; l’Embellissement du palais des Magistrats ; l’Union des états de Florence et de Sienne ; l’Édification d’une ville et de deux forteresses dans l’île d’Elbe ; la Colonne élevée à Florence sur la place de la Santa-Trinità ; la Conservation, l’agrandissement et l’achèvement de la bibliothèque de San-Lorenzo ; la Fondation de l’ordre des chevaliers de Santo-Stefano ; la Remise du gouvernement au prince ; la Fortification de l’état ; la Milice de l’état ; et le magnifique et royal Palais des Pitti, avec ses jardins et ses fontaines. Nous ne rapporterons ici ni les légendes ni les inscriptions de ces médailles, parce que nous aurons à nous en occuper ailleurs. Ces douze revers ne laissent rien à désirer, et sont gravés avec un soin et une facilité extraordinaires, ainsi que la tête du duc qui est de toute beauté.

Aujourd’hui on travaille également les stucs dans la perfection. Dernièrement, Mario Capocaccia, d’Ancône, a modelé en stuc colorié de superbes portraits, parmi lesquels je citerai celui du pape Pie V que j’ai vu, et celui du cardinal Alessandrino. Je mentionnerai encore de magnifiques portraits exécutés dans le même genre, par les fils du peintre Pulidoro, de Pérouse.

Retournons à Milan. J’eus occasion d’y revoir, il y a un an, les productions du sculpteur Gobbo ; mais, au milieu de tous ces ouvrages, je ne trouvai de remarquable qu’un Adam, une Ève, une Judith, une sainte Hélène, qui sont autour de la cathédrale, et les statues de Ludovic le More et de sa femme Béatrix, qui devaient être placées sur un tombeau dont l’auteur est Giovan-Iacomo dalla Porta, sculpteur et architecte de la cathédrale de Milan. Dans sa jeunesse, Giovan-Iacomo conduisit à fin de nombreux travaux sous la direction du Gobbo. À la Chartreuse de Pavie, il a laissé plusieurs beaux morceaux parmi lesquels on distingue ceux qui se trouvent sur le tombeau du comte di Virtù, et ceux qui embellissent la façade de l’église.

Giovan-Iacomo enseigna son art à un de ses neveux nommé Guglielmo, qui, vers l’année 1530, copia à Milan, avec application et à son grand profit, les chefs-d’œuvre du Vinci. Guglielmo suivit son oncle à Gênes, quand celui-ci fut appelé dans cette ville, l’an 1531, pour y construire la chapelle qui renferme les cendres de saint Jean-Baptiste. Guglielmo entra alors dans l’atelier de Perino del Vaga pour étudier le dessin. Néanmoins il n’abandonna pas le ciseau : il sculpta un des seize piédestaux de la chapelle de saint Jean-Baptiste, et il s’en tira si bien qu’on lui confia le soin d’exécuter les quinze autres. Il fit ensuite, pour la confrérie de San-Giovanni, deux anges de marbre, et pour l’évêque de Servega, deux portraits en marbre et un Moïse plus grand que nature, lequel fut placé dans l’église de San-Lorenzo. Puis il orna d’une Cérès en marbre la porte de la maison d’Ansaldo Grimaldi, et d’une statue de sainte Catherine la porte de la ville, connue sous le nom della Cazzuola. À peu de temps de là, il envoya en Flandre, au grand-écuyer de l’empereur Charles-Quint, une autre Cérès, grande comme nature, les trois Grâces et quatre enfants en marbre.

Après avoir achevé ces travaux auxquels il employa six années, Guglielmo se rendit, l’année 1537, à Rome, où il fut vivement recommandé par son oncle à Fra Sebastiano del Piombo, afin que ce peintre le présentât à Michel-Ange. Par son assiduité et son ardeur, Guglielmo gagna l’amitié du Buonarroti, qui le chargea d’abord de restaurer des antiques dans le palais Farnèse. Le talent avec lequel Guglielmo s’acquitta de cette tâche fut cause que le Buonarroti le fit entrer au service du pape. Notre artiste avait, du reste, déjà donné des preuves de son mérite en exécutant, pour l’évêque Sulisse, un tombeau enrichi de bas-reliefs, pour la plupart en bronze et où l’on remarquait les Vertus cardinales. Guglielmo fit également la statue de l’évêque Sulisse qui alla ensuite à Salamanque, en Espagne.

L’an 1547, occupé à restaurer les antiques qui sont aujourd’hui dans le palais Farnèse, lorsque la mort de Fra Sebastiano, de Venise, laissa vacant l’office del Piombo. Par la protection de Michel-Ange et de plusieurs autres personnages, Guglielmo obtint du pape cet office et la commission de faire le tombeau de Paul III. Il introduisit dans ce monument les Vertus théologales et les Vertus cardinales, qu’il avait préparées pour le mausolée de l’évéque Sulisse, et il accompagna de quatre figures d’enfants celle de Paul III, qu’il représenta assis. Cette statue est en bronze et haute de dix-sept palmes. Guglielmo craignait que la dimension de ce colosse ne s’opposât à la réussite de l’opération de la fonte. Il appréhendait le refroidissement du métal. Pour obvier à ce danger, il eut recours à un moyen inusité, grâce auquel sa statue sortit du moule si nette, qu’elle n’eut pas besoin d’étre réparée, comme l’on peut s’en convaincre en allant la voir sous le premier arc de la coupole du nouveau Saint-Pierre. Guglielmo, sous la direction de Messer Annibale Caro, chargé des pouvoirs du pape, et du cardinal Farnèse (2), sculpta, pour ce tombeau qui devait être isolé, quatre belles figures représentant la Justice, la Prudence, l’Abondance et la Paix. — La Justice est nue et couchée sur une draperie. Le ceinturon de son épée pend sur sa poitrine. D’une main elle tient les faisceaux consulaires et de l’autre main une flamme. Son visage brille de jeunesse et d’intelligence. La Prudence, nue en partie, a l’aspect d’une jeune matronne. Elle tient un miroir et un livre fermé. L’Abondance est une jeune femme couronnée d’épis, tenant d’une main la corne d’Amalthée, et de l’autre main une mesure antique. Ses vêtements sont disposés de façon qu’ils laissent deviner le nu. La Paix est une matrone armée d’un caducée et accompagnée d’un enfant. Guglieimo fit encore, par l’ordre d’Annibale Caro, un bas-relief en bronze renfermant les effigies d’un lac et d’un fleuve des États des Farnèse ; une montagne couverte de lis et surmontée d’un arc-en-ciel complétait la décoration du mausolée, qui malheureusement resta inachevé pour les raisons que nous avons exposées dans la vie de Michel-Ange. Il est à croire que la beauté de l’ensemble de ce monument aurait égalé celle de ses diverses parties ; mais, pour juger sainement un semblable ouvrage, il est de toute nécessité de l’avoir vu terminé.

Dans l’espace de plusieurs années, Guglielmo modela quatorze bas-reliefs destinés à être jetés en bronze. Chacun de ces bas-reliefs a quatre brasses de largeur et six de hauteur, à l’exception d’un seul qui a douze palmes de hauteur et six de largeur, et qui contient la Nativité du Christ. Les autres bas-reliefs ont pour sujets l’Entrée de Marie et du Christ enfant à Jérusalem ; la Cène du Christ avec les apôtres ; le Lavement des pieds ; la Prière dans le Jardin des Oliviers ; le Christ mené devant Anne ; la Flagellation ; le Couronnement d’épines ; l’Ecce Homo ; Pilate se lavant les mains ; le Portement de croix ; le Crucifiement ; la Descente de croix. Pie IV voulait faire jeter en bronze ces bas-reliefs pour une des portes de l’église de Saint-Pierre, mais la mort l’empécha de réaliser ce projet. Dernièrement Fra Guglielmo a modelé en cire, pour trois autels de Saint-Pierre, une Déposition de croix, un saint Pierre recevant les clefs de l’Église, et une Descente du Saint-Esprit sur les apôtres.

Fra Guglielmo a eu et a encore toutes les facilités imaginables pour exercer largement son talent ; car l’office del Piombo lui donne de si gros revenus, qu’il peut ne travailler que pour la gloire ; néanmoins, depuis l’an 1547 jusqu’à cette présente année 1667, il n’a conduit aucun ouvrage à fin. Je crois vraiment que l’office del Piombo entraîne irrésistiblement à la paresse. En effet, avant de le posséder, Fra Guglielmo était un rude travailleur. Reconnaissons cependant qu’il a fait les quatre Prophètes en stuc (3) qui occupent les niches placées entre les pilastres du premier grand arc de l’église de Saint-Pierre, et qu’il a fourni des dessins pour la fête de Testaccio et pour d’autres mascarades qui eurent lieu à Rome.

Notre artiste a eu pour élève un certain Guglielmo Tedesco qui a magnifiquement orné de petites figurines en bronze, copiées d’après les meilleurs antiques, un étudiole en bois donné par le comte di Pitigliano au seigneur duc Cosme. Guglielmo introduisit dans cet étudiole les chevaux de Montecavallo, les Hercule Farnèse, l’Antinoüs, le cheval du Capitole, l’Apollon du belvédère, les têtes des douze empereurs, et d’autres morceaux qui sont autant de belles et fidèles reproductions des originaux.

Milan a vu mourir cette année un de ses sculpteurs, nommé Tommaso Porta. Cet artiste travaillait le marbre avec une rare habileté, et réussissait à contrefaire les bustes antiques au point que les acheteurs s’y trompaient facilement. Il sculptait les mascarons avec une perfection que personne n’a jamais égalée : j’en ai un de sa main qui orne la cheminée de ma maison d’Arezzo, et que tout le monde croit antique. Tommaso exécuta en marbre, et de dimension naturelle, les têtes des douze empereurs. Le pape Jules III les lui prit, et lui donna en récompense un office qui rapportait cent écus par an. Mais Fra Guglielmo et d’autres envieux intriguèrent de telle sorte, que Sa Sainteté, après avoir longtemps gardé ces têtes dans sa chambre, les renvoya à Tommasso qui, du reste, ne tarda pas à en trouver un meilleur prix. Il les vendit à des marchands qui les expédièrent en Espagne. Parmi tous les artistes qui se sont appliqués à contrefaire l’antique, aucun n’a surpassé Tommaso. Il m’a donc semblé juste de le mentionner ici d’autant plus qu’il a quitté ce monde en laissant une réputation grande et méritée.

Un autre Milanais, nommé Lionardo, a exécuté de nombreux travaux à Rome. Dernièrement il a terminé, pour la chapelle du cardinal Giovanni Riccio de Montepulciano, un saint Pierre et un saint Paul en marbre qui sont fort admirés.

Jacopo et Tommaso Casignuola, également sculpteurs, ont fait dans la chapelle des Caraffi, à la Minerva, le tombeau de Paul IV, surmonté d’une merveilleuse statue formée de différents marbres de rapport et représentant le pape revêtu d’un manteau en brocatelle[1] À l’aide de ce nouveau procédé, la sculpture essaie de rivaliser avec la peinture. Le tombeau de Paul IV a été construit par l’ordre du très-heureux et très-saint pontife Pie V.

À ce que nous avons déjà dit en plusieurs endroits sur le Florentin Nanni di Baccio Bigio (4), nous ajouterons que dans sa jeunesse il produisit, sous la direction de Raffaello da Montelupo, de petits ouvrages en marbre qui annonçaient un haut talent. De Florence il alla à Rome où Lorenzetto lui donna des leçons d’architecture. À cette époque, Nanni fit la statue du pape Clément VII qui est dans le chœur de la Minerva, et deux belles copies de la Piété de Michel-Ange, dont l’une fut placée à Santa-Maria-de-Anima et l’autre à Santo-Spirito de Florence, dans la chapelle de Luigi del Riccio qui la lui avait commandée. Nanni étudia ensuite l’architecture plus sérieusement à l’école d’Antonio da San-Gallo qui l’employa aux travaux de la basilique de Saint-Pierre. Un jour Nanni tomba dans cette église du haut d’un échafaudage qui était à soixante brasses de terre. Comme on le conçoit, il se fracassa le corps ; mais, par un véritable miracle, il ne mourut pas de cette terrible chute. Nanni a bâti maints édifices à Rome et ailleurs, et n’a rien épargné pour obtenir les plus grandes entreprises, ainsi que nous l’avons noté dans la vie de Michel-Ange. Il est l’auteur du palais du cardinal Montepulciano dans la strada Giulia, d’une porte du Monte-Sansovino et d’une loge et de quelques stanzes du palais construit jadis par le vieux cardinal di Monte. Le palais des Mattei (5) et plusieurs autres édifices de Rome sont pareillement son ouvrage.

Parmi les fameux architectes d’aujourd’hui il faut ranger Galeazzo Alessi, de Pérouse. Dans sa jeunesse, il fut camérier du cardinal de Rimini qui, entre autres entreprises, lui confia la réédification de la forteresse de Pérouse. Alessi s’acquitta de cette tâche avec un merveilleux succès. Les appartements qu’il pratiqua dans l’intérieur de la forteresse furent dignes de recevoir plus d’une fois le pape et toute sa cour. Par d’autres travaux encore, Galeazzo acquit une telle renommée, qu’il fut appelé au service des Génois, qui le chargèrent de restaurer et de fortifier le port et le môle de leur ville, et même d’y opérer d’immenses changements. Il prolongea le môle dans la mer, et il construisit une superbe entrée qui se présente sous la forme d’une demi-lune, ornée de colonnes rustiques et de niches, et qui s’appuie à chaque extrémité sur un bastion. Du côté de la ville, il éleva ensuite un vaste portique, d’ordre dorique, derrière lequel il mit un corps-degarde ; puis il établit au-dessus de ce corps-de-garde, des deux bastions et de la porte d’entrée, une place avec embrasures pour l’artillerie, ce qui tient lieu de cavalier, et sert à la fois à la défense intérieure et extérieure du port. Outre ces ouvrages qui sont maintenant achevés, Galeazzo a fait, pour l’agrandissement de Gênes, un admirable plan que la Seigneurie a déjà approuvé. C’est à lui qu’on doit la strada Nuova, où l’on édifia, d’après ses dessins, tant de somptueux palais, que beaucoup de personnes affirment qu’aucune autre ville d’Italie ne possède une rue plus magnifique. Tout le monde, du reste, s’accorde pour lui payer un large tribut d’éloges comme au véritable moteur du renouvellement de Gênes. Il ouvrit, hors de Gênes, entre autres routes, celle qui part de Ponte-Decimo pour aller en Lombardie. Il restaura aussi les murs de Gênes du côté de la mer, et rebâtit la tribune et la coupole de la cathédrale. Parmi les palais dont il enrichit la ville, on remarque ceux de Luca Giustiniano, d’Ottaviano Grimaldi, de Battista Grimaldi, et une infinité d’autres que nous jugeons à propos de passer sous silence.

Galeazzo est l’auteur de la fontaine du capitaine Learco et des embellissements du lac et de l’île du signor Adamo Centurioni, où l’on admire l’habile parti qu’il a su tirer des eaux abondantes qu’il avait à sa disposition.

Mais de toutes les fontaines de notre artiste, la plus belle, sans contredit, est celle qu’il construisit dans le palais du signor Gio.-Battista Grimaldi, à Bisagno. Cette fontaine, ou pour parler plus exactement, cette salle de bains, est circulaire. Au milieu est un bassin dans lequel peuvent se baigner facilement huit ou dix personnes. L’eau froide est fournie par quatre grenouilles, placées sur autant de têtes de monstres qui sortent du bassin, et qui donnent l’eau chaude. Trois degrés conduisent au bassin, autour duquel est un espace suffisant pour que deux personnes s’y promènent aisément de front. La muraille circulaire est divisée en huit compartiments. Dans quatre de ces compartiments sont des niches dont chacune contient un vaisseau rond, un peu élevé au-dessus du sol, et dans lequel un homme peut se baigner. L’eau chaude et l’eau froide jaillissent des cornes d’un mascaron, et retombent au besoin dans sa bouche. Le cinquième compartiment est percé d’une porte, et les trois autres sont occupés par des fenêtres et des sièges. Les huit compartiments sont séparés par des Termes servant de support à l’entablement de la voûte. Du point central de cette voûte descend une sphère céleste, peinte sur une immense boule de cristal, qui renferme un globe terrestre d’oû s’échappe une ravissante lumière, quand on se baigne de nuit. Pour être bref, je me tais sur les agréments qu’offrent l’anti-salle, la garde-robe et le petit cabinet de bains ; me bornant à dire que toutes ces pièces, couvertes de stucs et de peintures, ne déparent point ce magnifique ouvrage.

À Milan on a construit ou commencé, d’après les dessins de Galeazzo, le palais du signor Tommaso Marini, duc de Terra-Nuova ; la façade de l’église de San-Celso ; la salle de l’auditorio del Cambio ; l’église de San-Vittore, et plusieurs autres édifices.

Dans les pays où Galeazzo ne put se transporter en personne, tant en Italie qu’à l’étranger, il envoya des dessins de palais, de temples et de divers monuments, sur lesquels je ne m’arrêterai pas davantage ; car ce que j’ai relaté suffit amplement pour constater le haut mérite de notre artiste.

Bien que je ne sache rien de particulier sur les travaux de Rocco Guerrini de Marradi, je ne puis me dispenser de le mentionner ; car cet architecte est Italien, et de plus, l’on m’assure qu’il est très-habile, surtout dans l’art des fortifications. Il habite la France, et pendant les dernières guerres de ce royaume, il y a, dit-on, déployé son talent à son honneur et à son grand profit.

Ainsi se termine ce que, dans mon désir de ne priver personne des louanges qui sont dues au talent, j’avais à dire sur quelques sculpteurs et architectes vivants, dont jusqu’à présent je n’avais pas trouvé occasion de parler à mon aise.



Parmi les artistes que Vasari a groupés dans cette biographie, il en est un qui sollicite particulièrement l’attention et auquel il n’a cependant consacré que quelques lignes. Nous voulons parler de Galeazzo Alessi, de Pérouse. L’appréciation et même la simple énumération de tous les travaux de cet éminent architecte exigerait un espace que nous refusent les étroites limites de notre cadre. Pour le faire connaître à nos lecteurs, nous nous contenterons donc de leur présenter une esquisse, trop rapide peut-être, mais dont nous emprunterons les principaux traits à un historien plein d’érudition, de tact et de jugement, qui, plus d’une fois déjà, nous a servi de guide dans le cours de cet ouvrage.

« Les principales villes de l’Italie, dit l’écrivain sur lequel nous nous appuyons en ce moment, ont eu cela de favorable pour l’architecture, que chacune, par ses localités, par la diversité de ses sites et des causes qui ont modifié ses besoins, offrit à l’art de bâtir et au génie de l’architecte des développements particuliers. En effet, l’Italie présente aujourd’hui au curieux comme à l’artiste une collection, un cours complet de toutes les variétés de goût, de toutes les inspirations que l’art peut désirer pour tous les emplois possibles, depuis ce qu’il y a de plus solide, de plus massif et de plus grandement simple en construction, jusqu’à ce qu’on peut concevoir de plus varié, de plus riche, de plus pompeusement théâtral en décoration. La ville de Gênes était préparée, par la nature de sa position et de ses matériaux, à devenir le plus rare modèle de ce que la réalité peut faire en ce dernier genre. De tout temps, sa situation, singulièrement pittoresque, au fond d’un golfe, d’où elle domine la mer, et sur le penchant de la montagne qui en fait un amphithéâtre naturel, avait donné à la position de ses masses de bâtiments une richesse d’aspect qui appelait celle de l’art.

Ce fut vers le commencement du XVIe siècle que Gênes commença à prendre une face nouvelle. Cette ville, resserrée comme elle l’est, ne pouvant s’étendre par des quartiers nouveaux, se trouva forcée de se renouveler sur le meme sol, et pour ainsi dire de se métamorphoser. C’est ce qu’elle obtint par une sorte de concours de toutes les volontés, par l’appel qu’elle adressa aux talents des artistes les plus distingués, et surtout par le génie d’un homme qui sembla être né tout exprès pour cette grande entreprise. Cet homme fut Galeazzo Alessi.

Il étudia d’abord l’architecture à Pérouse, sa patrie, dans l’atelier de Giovan-Battista Caporali, qui, selon l’usage d’alors, était à la fois peintre et architecte. Bientôt l’élève fut en état d’aider et de remplacer son maître, et meme de diriger en chef quelques-unes de ses constructions.

Mais il y avait, chez Alessi, un certain pressentiment de sa destinée future qui lui faisait regarder comme trop bornées pour ses progrès et pour son ambition l’école de Caporali et la ville de Pérouse. Il se rendit à Rome, où il se lia d’une étroite amitié avec Michel-Ange, qu’il adopta pour maître. Le cardinal Parisani, ayant eu occasion d’apprécier son mérite, l’emmena avec lui à Pérouse pour achever la construction de la forteresse de cette ville, commencée par San-Gallo.

Alessi s’acquitta, avec autant de zèle que de succès, d’une aussi importante mission, et dans le même temps éleva, pour plusieurs de ses concitoyens, de fort beaux palais, qui font encore aujourd’hui la décoration principale de Pérouse.

La renommée de ces ouvrages répandit dans toute l’Italie le nom de Galeazzo Alessi, précisément à l’époque où la ville de Gênes voulut donner l’exemple, peut-être unique dans l’histoire moderne, d’une grande ville qui se rebâtit en entier.

« Jalouse de la gloire qu’elle s’était acquise (dit M. Gauthier, dans son introduction à l’ouvrage des principaux édifices de Gênes), cette ville voulut confier aux beaux-arts le soin de la transmettre à la postérité. Elle attira dans ses murs les artistes de tous les pays que la renommée lui désignait. Ce fut alors que s’établit cette belle rivalité de talents, auxquels la ville de Gênes dut sa splendeur. C’est là que les architectes ont pu donner un libre essor à leur génie. Aussi, presque partout ils ont fait preuve de la plus rare intelligence, et ils sont parce venus à faire oublier jusqu’aux difficultés quel’irrégularité des terrains leur donnait à combattre. » L’époque de ce changement fut heureusement celle où chaque ville voyait, sous la direction des plus grands maîtres, se renouveler le goût et les conceptions de l’art des anciens. Tout le monde connaît les noms de ces rénovateurs de l’architecture à Rome, à Florence, à Vérone, à Venise. Ce furent les chefs d’école, et c’est sur eux que la postérité a concentré son admiration. Cependant ils eurent de nombreux élèves, et parmi eux des rivaux, dont on a depuis confondu les ouvrages avec ceux de leurs maîtres. Beaucoup de ceux-ci se trouvèrent appelés à Gênes, et l’on compte parmi eux, quoique dans le second ordre, des hommes d’un très-grand mérite, tels qu’Andrea Vannone, Bartolomeo Bianco, Rocco Pennone, Pellegrino Tibaldi, etc.

Mais Galeazzo Alessi fut pour Gênes ce que Bramante et San-Gallo avaient été à Rome ; Buontalenti et Ammanati à Florence ; Palladio et Sansovino à Venise. Il fut le moteur de toutes les entreprises, et le modèle sur lequel se réglèrent tous ceux qui concoururent au renouvellement matériel de cette grande cité. Il lui fallut d’abord aplanir plus d’une superficie, redresser un grand nombre de rues, en ouvrir de nouvelles, et c’est à lui qu’est due l’ouverture, et on peut dire la construction de la strada Nuova, assemblage unique des plus somptueuses masses de palais, et aussi recommandable par la beauté de l’art que par celle de la matière.

Cependant nous devons mentionner, avant tous ses autres ouvrages, la belle église de l’Assomption. Quoique la critique ait plus d’une observation de détail à y faire, on est toutefois obligé de convenir que c’est un morceau des plus complets, des plus achevés qu’il y ait, et d’une parfaite unité dans tous ses rapports.

Galeazzo Alessi ne donna point une moindre preuve de talent dans les travaux de restauration de l’église métropolitaine, une des plus belles de l’Italie. Ce fut sur ses dessins que l’on reconstruisit le chœur, l’hémicycle et la coupole de cette basilique. Il fit encore plus admirer son habileté par les grands et magnifiques changements qu’il opéra dans le port de Gênes, et que Vasari a suffisamment décrits. Comme masse de construction simple et grandiose, on doit vanter sa porte du vieux môle, ouvrage de fortification et d’architecture tout ensemble, qui soutient le parallèle avec ce que San-Micheli a produit de plus beau en ce genre.

Lorsque l’art de l’architecture et le savoir de la construction sont réunis, comme ils l’étaient au XVIe siècle, on ne s’étonne point que des édifices de simple nécessité concourent à l’embellissement comme aux besoins des villes. Galeazzo Alessi nous en a fourni un exemple dans les greniers publics qu’il construisit à Gênes. On le donne pour l’auteur du plan de ce grand ensemble, qui se compose de quatre corps de bâtiments isolés, mais qui se joignent par un vestibule commun et central, assez spacieux pour que les voitures puissent s’y rencontrer de toutes parts sans aucun embarras. On trouve à louer ici, outre les dispositions ingénieuses de l’intérieur, et les soins pris pour la conservation des grains, l’ordonnance dorique appliquée à décorer un édifice que partout ailleurs on croirait devoir abandonner aux pratiques routinières d’un entrepreneur de bâtiments.

Si l’on se proposait de donner meme une courte notice de chacun des édifices, des palais de ville et de campagne dont Galeazzo Aiessi a embelli Gênes et ses environs, il faudrait faire d’un simple article biographique un long ouvrage. Nous choisirons, pour donner l’idée de son talent, ou pour mieux dire, car il n’y a point de choix à faire, nous prendrons au hasard parmi ses édifices ceux qui se prêteront à une plus courte description.

La strada Nuova, comme on l’a déjà dit, pourrait passer pour être, dans la magnifique série des vastes palais de Gênes, l’œuvre de Galeazzo Alessi. On y admire le palais Grimaldi, remarquable à l’extérieur par le caractère de grandeur et de simplicité qui distingue les palais de Rome. Mais la position de la ville devait inspirer à l’architecte des parties extérieures plus variées, plus pittoresques, et d’une composition plus originale qu’on n’en retrouve ailleurs. L’emploi aussi qu’il pouvait faire du marbre dans ses constructions favorisa ces brillantes inventions d’escaliers, de portiques, de galeries, où le luxe de la matière vient ajouter sa valeur à celle de l’art. Telle est, au palais Grimaldi, la magnifique galerie qui donne entrée à la cour et conduit à l’escalier. Galeazzo Alessi savait aussi proportionner avec beaucoup de mesure les richesses de son art et les ressources de son génie à la grandeur et à l’importance de ses édifices, ainsi que l’atteste le petit palais Brignola, qui n’offre d’autres beautés que celles qui dépendent d’un juste accord entre toutes les dimensions, entre l’ensemble et ses détails.

La plupart des architectes célèbres du XVIe siècle, comme leur histoire le témoigne, en multipliant les grands palais qui font l’ornement de l’Italie, ont donné des preuves d’une fécondité très-remarquable, et on est contraint d’y admirer l’esprit et le goût avec lesquels ils surent, en respectant certains types naturellement uniformes, y introduire les plus nombreuses variétés. Mais nul n’eut plus besoin de cet art que Galeazzo Alessi ; car, lorsque les autres étaient appelés à bâtir dans plusieurs villes, ou dans les quartiers divers des plus grandes cités, lui, étant borné dans l’enceinte d’une seule, et dans l’espace donné de deux rues principales, il lui devint encore plus nécessaire d’éviter des répétitions, que leur proximité aurait rendues plus fastidieuses, particulièrement pour les masses extérieures des palais, c’est-à-dire leurs élévations.

Aussi, la strada Nuova, presque toute bordée de palais, productions du génie de Galeazzo Alessi, se recommande-t-elle encore à notre admiration par l’heureuse variété de leurs dessins. Les plus célèbres sont les palais Carega, Lescari et Justiniani. Mais le palais Sauli (strada di Porta Romana) est sans contredit l’un des plus magnifiques, non-seulement de la ville de Gênes, mais de toute l’Italie.

On convient que Galeazzo Alessi a généralement opéré la réunion de ce qui peut composer ce qu’on appelle un ensemble parfait : on veut dire une heureuse disposition dans le plan, une belle proportion dans les élévations, le bon goût dans la décoration et les ornements, l’excellent choix et la richesse des matériaux, une bonne et précieuse exécution.

Nous pourrions citer un beaucoup plus grand nombre de palais, soit construits à Gênes par Galeazzo Alessi, soit faits par ses élèves, et sous son inspiration, soit imités d’après ses modèles, si cette énumération devait ou mieux faire connaître son génie, ou ajouter à sa gloire.

Mais l’édifice de la Banque est un ouvrage plus propre à donner l’idée de son savoir, comme architecte de goût et habile constructeur. Les Génois appellent la loge des banquiers un bel azardo, comme si la hardiesse de sa couverture eût été due à un heureux coup du sort. Il n’y eut pourtant rien de semblable, et la seule part que la fortune ait eue dans de tels travaux fut la rencontre d’un homme capable de les entreprendre et d’y réussir. Galeazzo Alessi prouva, dans cette construction hardie, qu’il possédait au plus haut degré l’art de faire du grand, avec la plus grande économie de moyens.

Le plus long article n’épuiserait pas, s’il fallait n’en omettre aucune, les notions de tous les travaux d’Alessi, et de tous les monuments dont il enrichit Gênes et ses environs. Nous nous bornerons donc à citer la villa Pallavicini et la villa Giustiniani comme les plus remarquables compositions de notre architecte, en fait de maisons de plaisance.

Les chefs-d’œuvre dont Gaieazzo avait rempli la ville de Gênes attirèrent sur elle l’attention, et l’on pourrait dire l’envie des autres grandes villes d’Italie. Ferrare, Bologne, Pérouse, Milan, se disputèrent le droit de posséder le célèbre artiste et l’honneur de montrer quelques productions de son talent.

Sa réputation était arrivée au point que, de tous les pays, on lui demandait des projets et des dessins de monuments. Il en fit pour Naples et pour la Sicile. Il en envoya en Flandre et en Allemagne.

Mais Pérouse, sa patrie, devait avoir quelque témoignage de sa prédilection. D’après l’invitation du duc della Corgna, il construisit pour ce seigneur, sur le lac de Trasimène, un des plus vastes palais qu’on connaisse, et qui pourrait prendre rang parmi ceux qû’on destine à être des habitations royales. Le cardinal, frère de ce duc, lui en fit élever un autre dans une charmante exposition à peu de distance de la ville.

Si aucun architecte, en étendant à ce point sa réputation, ne multiplia autant les productions de son génie, il faut dire que réciproquement les horineurs dont il fut comblé semblèrent égaler la célébrité de son talent et la diversité de ses mérites. Créé chevalier par le roi de Portugal, il reçut encore de nouvelles distinctions à la cour du roi d’Espagne, qui l’employa à plus d’une sorte de projets pour l’Escurial. À Pérouse, il fut admis avec applaudissement de ses concitoyens dans le collège noble de la Mercanzia. Envoyé avec une mission spéciale auprès du pape Paul V, il en fut reçu avec une distinction particulière. Ce fut probablement pendant ce nouveau séjour à Rome, que le cardinal Odoardo Farnese obtint de lui le dessin d’un frontispice pour l’église de Jésus ; mais le projet fut trouvé trop dispendieux.

De retour à Pérouse et toujours sollicité d’accepter les plus grandes entreprises, Galeazzo sentait qu’une grande réputation peut devenir un pénible fardeau. Effectivement, son poids augmente de plus en plus à mesure que les forces diminuent. C’est ce qu’éprouvait cet artiste jusqu’alors infatigable. La force de son esprit survivant à celle du corps, il n’eùt pas trouvé de repos si la mort ne fût venue mettre un terme à ses longs travaux.

Il mourut le dernier jour de décembre 1572. On lui fit de magnifiques funérailles à l’église de San-Fiorenzo de Pérouse, et son corps fut déposé dans la sépulture de sa famille.

Aucune épitaphe ne rappelle aujourd’hui le lieu où il repose, et il paraît certain qu’on ne lui éleva aucun monument.

Les monuments qu’on destine à perpétuer la mémoire des morts n’étant jamais que des compositions d’une matière fragile et périssable, tous les arts auraient en vain tenté d’en consacrer un à Galeazzo qui ne fût en grandeur et en durée fort inférieur à celui qu’il s’était construit lui-même et qui peut défier plus qu’aucun autre les efforts du temps. Ce monument est la ville de Gênes elle-même, qui lui doit comme une seconde existence par la magnificence, la splendeur et la solidité de ses édifices, et qui, après que les années auront effacé jusqu’aux dernières traces de tant de pierres sépulcrales, redira encore le nom de Galeazzo Alessi. »



NOTES.

(1) Mariette explique cette inscription de la manière suivante : La reine Marie ayant livré aux flammes, en 1533, le château de Folembrai, l’année suivante le roi Henri, pour se venger, assiégea, prit et incendia la forteresse de Pinch, sur les ruines de laquelle il laissa un immense écriteau où on lisait ; Voilà Folembrai ; mots que Vasari ou son imprimeur transforme en vela fole Maria.

(2) Voyez le no 97 du tome III des Lettere Pittoriche.

(4) Ces Prophètes ont été détruits.

(5) Ce Nanni di Baccio Bigio est cet architecte dont l’ignorance causa la ruine du pont Santa-Maria, et avec lequel Michel-Ange eut de si nombreux et si violents démêlés.

(6) La partie du palais Mattei qui est du côté de Santa-Caterina de’ Funari a été construite d’après les plans de l’Ammannato.

  1. Brocatelle sorte de marbre dont les taches ressemblent aux étoffes nommées brocarts.