Vies des peintres, sculpteurs et architectes/tome 6/Polidoro de Caravaggio et Maturino de Florence


POLIDORO DE CARAVAGGIO

ET

MATURINO DE FLORENCE,

PEINTRES

Le siècle de Léon X, qui fut vraiment l’âge d’or pour les hommes de mérite, vit Polidoro de Garavaggio, Créé peintre par la nature et non par l’étude, occuper une place distinguée parmi les plus illustres maîtres (1). Arrivé à Rome, dans le temps où l’on bâtissait les loges du Vatican, sous la direction de Raphaël d’Urbin, Polidoro servit le mortier aux maçons jusqu’à l’âge de dix-huit ans. Mais les fresques de Giovanni d’Udine aiguillonnèrent si vivement son goût inné pour la peinture, qu’il ne tarda pas à se lier avec tous les jeunes et habiles artistes d’alors, afin de s’initier aux secrets du métier. Il s’attacha surtout à Maturino de Florence qui travaillait dans la chapelle du pape, et avait la réputation de très-bien dessiner d’après l’antique. Dans la société de Maturino, Polidoro conçut pour l’art une si ardente passion, que peu de mois lui suffirent pour donner des preuves de talent qui émerveillèrent tous ceux qui l’avaient connu sous l’habit de manœuvre ; et bientôt après, ses efforts produisirent de tels fruits, que l’on s’accorda à lui reconnaître le plus beau et le plus noble génie, entre tous les jeunes et savants peintres qui l’entouraient. La haute estime que rencontra Polidoro resserra si bien l’amitié qui l’unissait déjà à Maturino, qu’ils résolurent de vivre ensemble jusqu’à leur dernier jour en véritables frères. Ils mirent donc en commun leurs volontés, leur argent et leur travail. Comme il y avait alors à Rome une foule d’artistes qui jouissaient d’une position, d’une renommée et d’une vogue que leur avaient méritées une vivacité et une fraîcheur de coloris que l’on ne trouvait point dans les tableaux de nos deux associés, ces derniers imaginèrent d’imiter Baldassare Peruzzi de Sienne, qui venait de consacrer l’usage de peindre les façades des maisons en clair-obscur. Ils commencèrent par en décorer une en compagnie de Pellegrino de Modène, à Montecavallo, vis-à-vis de San-Salvestro  (2). Puis ils tentèrent d’autres semblables essais près des portes latérales de San-Salvatore-del-Lauro et de la Minerva, et au-dessus de San-Rocco-a-Ripetta ils laissèrent une frise de monstres marins. Mais nous ne nous arrêterons point à énumérer ici tous les ouvrages en ce genre, dont ils remplirent Rome à leur début, parce que ceux qu’ils exécutèrent dans la suite sont infiniment supérieurs. Quoi qu’il en soit, ils s’encouragèrent à marcher dans cette voie, et se mirent à étudier les antiquités de Rome, de telle sorte qu’il n’y eut pas de vases, de statues, de colonnes, de bas-reliefs et de fragments qu’ils ne dessinassent et n’introduisissent dans leurs clairs-obscurs (3). À force de volonté et d’application, ils s’approprièrent le goût antique avec un si égal succès, qu’il était impossible de distinguer les productions de l’un de celles de l’autre, bien que Maturino eût moins de facilité naturelle que Polidoro.

Sur une façade de la place de Capranica, ils peignirent les Vertus théologales, et au-dessous des fenêtres, une frise où l’on voyait Rome sous la figure de la Foi, armée du calice et de l’hostie, et recevant les tributs de tous les peuples, tandis que les Turcs, convertis, détruisent le tombeau de Mahomet, conformément aux paroles de l’Écriture qui annoncent qu’au jour suprême il y aura un seul troupeau et un seul pasteur  (4).

Personne n’égala jamais la richesse d’invention que Polidoro et Maturino déployèrent dans leurs compositions, comme le témoignent l’empressement avec lequel les peintres étrangers viennent les étudier, et la préférence que les dessinateurs leur accordent à Rome sur les autres peintures ; aussi peut-on dire qu’ils ont été plus utiles à l’art, que tous les maîtres qui se sont succédé jusqu’à eux depuis Cimabue.

Ils firent deux façades en sgraffito, l’une dans le Borgo-Nuovo, l’autre au coin de la Pace. Sur la maison des Spinoli ils représentèrent la mort de Tarpeïa, des sacrifices et des combats de lutteurs, et près de la Torre-di-Nona, vers le pont de Sant’-Angelo, le Triomphe de Camille  (5) et un sacrifice antique. Dans la rue qui conduit à l’Imagine-di-Ponte, ils figurèrent le supplice de Perillus. La force qu’emploient les bourreaux pour jeter Perillus dans le fatal taureau d’airain qu’il a lui-même fabriqué est admirablement rendue, ainsi que la terreur dont est frappé le condamné. Phalaris, assis sur un trône, préside au châtiment du sculpteur dont le génie cruellement industrieux avait produit un nouvel et affreux instrument de torture (6). La même maison est ornée d’une belle frise composée d’enfants et de divers personnages coloriés en bronze.

Polidoro et Maturino exécutèrent, sur la place de la Douane, des batailles, et sur la façade de la propre maison où est l’Imagine-di-Ponte, plusieurs sujets dans lesquels le sénat romain joue le principal rôle.

En entrant, à droite, dans l’église de Sant’-Eustachio, on rencontre une petite chapelle où l’on reconnaît des figures dues au pinceau de Polidoro (7). Les deux associés peignirent encore la façade des Cepperelli, et derrière la Minerva, dans la rue qui mène aux Maddaleni, plusieurs sujets romains parmi lesquels on admire surtout un triomphe d’enfants merveilleusement beau et gracieux. Sur la façade des Buoni-Augurj, près de la Minerva, ils représentèrent Romulus traçant avec la charrue l’enceinte de Rome. Ils jetèrent dans cette composition un tel parfum d’antiquité, que l’on croit voir revivre les fondateurs de la ville éternelle. En effet, jamais personne ne se montra plus habile qu’eux en ce genre, et, chaque fois que l’on regarde leurs ouvrages, on ne peut se défendre d’un profond étonnement en songeant qu’il a été permis à la nature de doter notre siècle d’hommes capables de produire de tels miracles.

Au-dessous de Corte-Savella, dans la maison de la signora Costanza, ils peignirent l’Enlèvement des Sabines. La frénésie des ravisseurs est non moins énergiquement exprimée que la désolation des malheureuses femmes qui essaient d’échapper aux fantassins et aux cavaliers. Polidoro et Maturino réussirent encore bien mieux à exprimer les affections de l’âme dans les tableaux de Mutius Scevola, d’Horatius Coclès, et dans celui de la fuite de Porsenna, roi de Toscane.

Dans le jardin de Messer Stefano dal Bufalo, près de la fontaine de Trevi, ils firent des sujets relatifs à la fontaine du Parnasse, avec des grotesques et de charmantes figurines ; puis, dans la maison du Baldassino da San-Agostino, des sgraffiti avec quelques bustes d’empereur au-dessus des fenêtres de la cour (8).

À Montecavallo, non loin de Sant’-Agata, ils couvrirent une façade d’une multitude d’épisodes historiques parmi lesquels nous citerons celui de l’eau du Tibre portée au temple dans un crible par la vestale Tuzia, celui du navire que Claudia amène sur le rivage à l’aide de sa ceinture, et celui de Brennus attaqué par Camille (9). Sur une autre façade de la même maison, ils placèrent Romulus et Remus attachés aux mamelles de la louve, Horatius Coclès défendant contre mille ennemis l’entrée du pont que les pionniers romains coupent derrière lui, et Mutius Scevola se brûlant la main devant le roi Porsenna. Dans l’intérieur de la même maison ils laissèrent plusieurs paysages. Ils enrichirent ensuite la façade de San-Pietro-in-Vincola de quelques prophètes de dimension colossale, et de sujets tirés de l’histoire de saint Pierre.

L’abondance et la beauté de ces travaux valurent à nos deux artistes une immense renommée pendant leur vie, et leur assurèrent une gloire éternelle après leur mort.

Ils figurèrent encore, sur une façade de la place où est le palais Médicis, derrière Naona, les Triomphes de Paul Émile et une foule d’autres sujets romains.

À San-Silvestro-di-Montecavallo, ils firent quelques décorations dans la maison et les jardins de Fra Mariano, pour lequel ils peignirent en outre une chapelle et deux tableaux de sainte Marie-Madeleine, qui renferment des masses d’arbres et de rochers admirablement traitées ; car Polidoro entendait ces détails mieux qu’aucun autre maître, et l’on peut affirmer que les artistes d’aujourd’hui lui sont redevables de leur facilité.

Polidoro et Maturino ornèrent aussi plusieurs habitations de Rome de peintures à fresque et en détrempe ; mais ce ne furent pour ainsi dire que des essais, parce qu’ils ne surent jamais donner aux couleurs cette beauté qu’ils imprimèrent constamment à leurs clairs-obscurs. On se convaincra de la vérité de cette assertion, en visitant la maison qui appartenait autrefois au cardinal di Volterra da Torre Sanguigna, où ils exécutèrent si pitoyablement quelques figures coloriées, qu’ils allèrent jusqu’à s’écarter des traits de leur premier dessin. Cela parut d’autant plus choquant, que tout à côté se trouvaient des armoiries du pape Léon, accompagnées de personnages nus supérieurement peints par Gio. Francesco Vetrajo, homme de talent, qui aurait produit de très-grandes choses si la mort ne l’eût point frappé prématurément. Aveuglés par leurs folles illusions, Polidoro et Maturino firent encore certains enfants coloriés qui semblent l’œuvre non de maîtres illustres, mais d’ignorants qui ont besoin d’apprendre les premiers éléments du métier. Ce lamentable morceau est à Sant’-Agostino de Rome, sur l’autel des Martelli, où Jacopo Sansovino sculpta en marbre une Madone. Pour racheter cette faute, nos artistes représentèrent, en clair-obscur, sur le pan de l’autel que couvre la nappe, un Christ mort avec les Maries. Cet ouvrage, qui est très-beau, montre quelle était leur véritable vocation. Étant donc ainsi rentrés dans leur voie accoutumée, ils peignirent, sur deux façades du Campo-Marzio, d’abord l’histoire d’Ancus Martius, puis les fêtes des saturnales que l’on célébrait jadis dans cet endroit. Les biges et les quadriges qui tournent autour des obélisques sont d’une telle perfection, que l’on croit assister en réalité à ces anciens spectacles. Au coin de la Chiavica, en allant vers Corte-Savella, on rencontre une des plus admirables façades que Polidoro et Maturino aient jamais exécutées ; car, sans parler des jeunes filles qui passent le Tibre, il y a en bas, près de la porte, un sacrifice où tout ce qui caractérise cette cérémonie est retracé avec un art merveilleux. Au-dessous de San-Jacopo-degli-Incurabili, ils firent sur une façade un sujet tiré de l’histoire d’Alexandre le Grand dans lequel ils introduisirent le Nil et le Tibre qu’ils imitèrent des antiques du Belvédère. À San-Simeone, ils décorèrent la façade des Gaddi où l’on voit autant de costumes, de casques, de chaussures, de navires et d’instruments de tout genre, que l’imagination la plus fertile peut en imaginer (10). Vis-à-vis de cette façade on en trouve une autre de moindre dimension, mais que l’on ne saurait désirer ni plus belle ni plus riche. Elle représente Niobé recevant les adorations et les tributs des peuples. Dire combien il y a d’originalité, de grâce, de vigueur et de science, dans cette composition serait une entreprise vraiment au-dessus de nos forces. Viennent ensuite la colère de Latone et l’impitoyable vengeance que Diane et Apollon exercent contre l’orgueilleuse Niobé, en frappant de mort ses sept fils et ses sept filles. Ces figures, et toutes celles qui les accompagnent, paraissent plutôt formées en métal que simplement peintes en couleur de bronze (11). Polidoro et Maturino couvrirent en outre la cour et la galerie de la même maison d’une multitude de petits grotesques d’une beauté divine. En somme, tout ce qui sortit de leurs mains brille d’une grâce et d’une beauté accomplies. Mais si je voulais énumérer toutes leurs productions, il me faudrait un volume entier, car il n’y a pas de stanze, de palais, de jardin, de villa, où l’on n’en rencontre.

Tandis que nos deux artistes attendaient le prix des travaux dont ils avaient embelli Rome, la fortune envieuse envoya, l’an 1527, le cruel Bourbon mettre à feu et à sang cette ville infortunée. Polidoro et Maturino furent donc contraints de se séparer, comme tant de milliers d’amis et de parents qui ne s’étaient jamais quittés. Maturino s’enfuit, et peu de temps après mourut de la peste, à ce qu’on croit. Il fut enseveli à Sant’-Eustachio. Polidoro se réfugia à Naples, où les gentilshommes sont si peu amateurs de bonnes peintures, qu’il manqua d’y mourir de faim. Alors, afin de gagner sa vie plus que pour toute autre chose, il se mit à travailler au compte de plusieurs peintres, qu’il aida dans diverses entreprises. C’est ainsi qu’il fit un saint Pierre dans la grande chapelle de Santa-Maria-della-Grazia. Bientôt, son mérite ayant été vanté, il peignit en détrempe, pour le comte de…, une voûte et quelques façades, et pour le signore…, il décora en clair-obscur une cour et quelques loges. Il exécuta encore à Sant’-Angelo, non loin de la poissonnerie de Naples, plusieurs tableaux à l’huile, meilleurs de dessin que de coloris. Mais il ne se trouva pas convenablement apprécié, et il résolut d’abandonner ces nobles, qui estimaient plus un cheval qu’un peintre. Il s’embarqua sur une galère, qui le transporta à Messine. L’honorable accueil qu’il reçut dans cette ville l’engagea à se livrer à de sérieuses études pour améliorer son coloris. Le résultat ayant répondu à ses espérances, il fit un grand nombre d’ouvrages, qui maintenant sont dispersés en différents endroits. Il s’appliqua aussi à l’architecture, et donna des preuves de son talent en ce genre. Lorsque Charles-Quint passa par Messine, après la victoire de Turin, il éleva, en l’honneur de ce prince, de magnifiques arcs de triomphe, qui lui valurent de l’honneur et de riches récompenses. Cependant, brûlant du désir de revoir cette Rome dont le souvenir poursuit sans cesse tous ceux qui, après l’avoir habitée long-temps, vivent sur une autre terre, il peignit à l’huile un dernier tableau d’un excellent coloris, représentant le Christ marchant au Calvaire en compagnie des larrons, et au milieu d’une immense affluence de soldats, de Pharisiens, de cavaliers, de femmes et d’enfants. Cette composition est si admirablement ordonnée, que l’on dirait que la nature elle-même y a présidé.

Après avoir achevé ce tableau, Polidoro tenta à plusieurs reprises de partir de Messine ; mais chaque fois il se laissa retenir par les caresses et les douces paroles d’une femme qu’il aimait depuis plusieurs années. Néanmoins, l’impatience de revoir Rome et ses amis fut si forte, qu’un beau jour il alla chercher à la banque une grosse somme qu’il y avait déposée, et prépara tout pour son prochain départ. Il avait depuis long-temps un valet messinois qui songeait moins à le bien servir qu’à le voler. Dès que le bandit eut vu l’argent retiré de la banque, il résolut de s’en emparer la nuit suivante, en assassinant son maître avec l’aide de quelques complices. Ces scélérats l’assaillirent donc pendant son sommeil, l’étranglèrent, et le percèrent de coups de poignard.

Afin de détourner les soupçons, ils portèrent le cadavre devant la porte de la maîtresse du pauvre Polidoro, comme s’il eût été tué par les parents ou les amis de cette femme. Le valet distribua une bonne partie des écus aux brigands qui avaient coopéré au crime, et les congédia ; puis, le matin arrivé, il courut chez un comte, ami de son maître, annoncer en pleurant la triste nouvelle. On se livra pendant plusieurs jours à des recherches qui auraient assurément continué de rester infructueuses, si Dieu n’eût voulu qu’une personne, complètement désintéressée dans l’affaire, ne se fût écriée qu’il était impossible que l’assassinat eût été commis par un autre que par le valet. Le misérable fut garrotté, et, sans attendre la torture, s’avoua coupable. Il fut condamné à être tourmenté avec des tenailles rougies au feu, avant d’être pendu et écartelé. Mais cela ne rendit pas la vie à Polidoro, et la peinture n’en demeura pas moins privée du génie le plus rare qui eût existé depuis des siècles. L’invention, la grâce et la hardiesse dans les productions de l’art seraient mortes avec lui, si elles avaient pu mourir. Bénie soit la nature pour avoir formé un si noble esprit ! Maudite soit la fortune pour avoir permis une si épouvantable mort ! Mais si Polidoro dut tomber sous les coups de cette cruelle ennemie, son nom échappera aux atteintes du temps.

Regretté de Messine tout entière, Polidoro fut enseveli avec pompe dans l’église cathédrale, l’an 1543.

Il accrut grandement les ressources de l’art en introduisant une foule de costumes et d’ornements variés dans ses tableaux, et en peignant toutes sortes de figures, d’animaux, de fabriques, de grotesques et de paysages, si beaux qu’après sa mort il fut imité par tous ceux qui ambitionnèrent un talent universel : aussi les artistes lui doivent-ils une profonde reconnaissance.

Sa vie nous offre cet effrayant exemple de l’instabilité de la fortune, qui, après avoir poussé un homme au plus haut degré de talent dans un art, le condamne à finir misérablement à l’instant même où il s’attendait à jouir du prix de ses travaux. Ainsi, autant la peinture peut se louer de Polidoro, autant il peut se plaindre de la fortune, qui lui sourit un moment pour le conduire ensuite, de la manière la plus imprévue, à une mort douloureuse (12).



Polydore de Caravage, manœuvre sans ressources et sans instruction première, n’eut besoin que de son génie, et des regards que l’affable Raphaël lui permettait de jeter dans son atelier, pour monter au premier rang. Fortuite éducation, qui, si merveilleuse qu’elle nous paraisse, n’en a pas moins été celle d’un grand nombre d’artistes justement célèbres en Italie. Qu’on s’informe s’il se produit et peut se produire aujourd’hui de tels miracles dans aucune de nos académies, dans aucun de nos ateliers. Cette remarque, comme tant d’autres qu’on a pu faire déjà, appuiera ce que nous proposons d’établir, touchant l’organisation des ateliers anciens et les incomparables avantages de leur enseignement. — Polydore de Caravage est un grand maître. L’admiration que le vasari professe pour ses œuvres n’a rien d’exagéré, si l’on consent à ne pas prendre au pied de la lettre l’exclamation hyperbolique que lui arrache l’empressement avec lequel les artistes de son temps copiaient à l’envi les inventions décoratives. Cet immense concours de reproducteurs studieux qui égare ici la bonne foi de notre auteur s’explique facilement. Polidore et Mathurin doivent être comptés parmi les premiers et les plus actifs promulgateurs des combinaisons décoratives dans les travaux de Léon X, combinaisons si riches et si heureuses, que les praticiens de toute l’Europe accoururent à Rome pour s’en approprier le caractère, les motifs et les moyens. Ces combinaisons sont encore en grand crédit. On n’a point cessé de les exploiter à des degrés différents, avec plus ou moins de convenance et de succès. Mais, comme elles sont répandues dans tous les pays par une foule d’imitations, par les dessins et par les gravures ; comme une notable partie des œuvres primitives a été abolie ; comme les décorateurs, d’ailleurs, voyagent peu aujourd’hui, et ne sont pas tous versés dans les documents de l’histoire de leur art, Polidore et Mathurin ont beaucoup perdu de leur influence nominale. Quant à leur influence effective, même sur les travaux actuels dans leur genre, elle est énorme et incontestable.

Maintenant, il nous reste, pour ne commettre ici ni injustice ni oubli, à faire remarquer qu’on aurait tort de reporter entièrement à Raphaël la fécondité des exemples et l’efficacité des inspirations, qui formèrent si rapidement et portèrent si haut le talent de Polydore. Tout en devant être compté parmi les élèves de Raphaël, qui l’initia, le dirigea et l’occupa, Polydore procède surtout de Baldassare Peruzzi, de cet homme de science, de génie et de caprice, pour le talent et les infortunes duquel nous avons témoigné, si on se le rappelle, toute notre admiration et toute notre sympathie. Baldassare Peruzzi est l’homme qui mit en œuvre le plus fortement et le plus heureusement, dans les temps modernes, les puissances réunies des trois arts du dessin. Dans cette forte combinaison, sans blesser aucune utilité ni aucune convenance, il sut faire valoir les affections de nos trois arts à la fois. Baldassare créa comme un art nouveau l’art de la décoration, art auquel l’architecture donne les précieux rapports de la science et de l’ordre, auquel la sculpture fournit les grands et lisibles caractères de la beauté et de la pureté des formes, et auquel la peinture prodigue tous les trésors de vie, d’impulsion, de mouvement, de richesse, de variété. Cette combinaison, si intelligemment élaborée, si puissamment cimentée, du Peruzzi, servit de champ aux plus beaux talents dans tout le cours du seizième siècle.

Polydore de Caravage et Mathurin de Florence, avec une exécution plus spéciale, mais aussi avec une intelligence moins générale, ne furent que d’heureux manipulateurs. Si l’on veut comprendre combien le beau thème posé à l’instinct et au talent décoratif, par le Peruzzi, a été paresseusement et arrogamment négligé et mal entendu, il suffit de considérer la maigreur et la dislocation de nos dernières distributions dans nos palais et dans nos places, et surtout de nous rappeler l’ignorance, le désordre, le manque de caractère, et l’absence de toute vraie richesse dans nos coûteuses et pauvres solennités de ces derniers temps.

NOTES.

(1) Polidoro de Caravaggio est nommé Caldara par Lomazzo, Tratt., I. 1, cap. 29.

(2) Cette façade a été détruite.

(3) On comptait deux cent quatre-vingt-trois dessins de Polidoro, dans la collection Crozat.

(4) Cette composition a été gravée en 1581, par Giovanni Battista Cavalieri.

(5) Ce triomphe a été gravé par Cherubino Alberti, ou du moins par un de ses élèves.

(6) Cette scène a été gravée par Giovanni Battista Galestruzzi, par Laurenziani et par Stefano della Bella.

(7) Ces figures ont disparu.

(8) La plupart des sujets que Vasari vient d’énumérer ont été gravés.

(9) Au bas de la gravure de ce dernier tableau, publiée par Goltzius, on lit : Postquam communis omnium artificum opinio est, ut pictorum tyrones eximium atque singularem facilemque Polidori Caravaggiensis in pingendo modum atque industriam Omni diligentia imitentur, hoc qualecumque est inventum atque evulgatum amorLs ergo iis dedicare voluit H. Goltius.

(10) La façade des Gaddi représentait un pèlerinage d’Égyptiens ou d’Africains. Elle a été gravée en quatre morceaux par Pietro Santi Bartoli, et dédiée par Giovanni Jacopo de’Rossi à Giovanni Pietro Bellori, célèbre antiquaire.

(11) La fable de Niobé a été gravée par Hans Saenradam, d’après les dessins de son maître Goltzius et par Galestruzzi.

(12) Le Musée du Louvre possède de Polidoro un tableau où il figura l’assemblée des Dieux dans l’Olympe, et des dessins représentant : — La célébration de la Messe. — Les Malheurs de Niobé. — Un Embarquement. — Un Sacrifice. — Une Mère portant son enfant, accompagnée d’une jeune fille. — Des Transports d’armes et de vases, sur des chars traînés par des chevaux et des bœufs. — Une barque remplie de pêcheurs. — Un Combat et des trophées. — Des vaincus implorant la clémence du vainqueur. — Des trophées et des récompenses décernés à des soldats.

On trouve, dans les galeries du même Musée, cinq dessins de Maturino représentant : — l’Enlèvement des Sabines. — Une attaque de cavalerie et d’infanterie. — Un assaut. — Un sujet inconnu sur le premier plan duquel le Tibre est personnifié. — Le Sanglier de la forêt de Calydon atteint par la flèche d’Atalante.