Vies des peintres, sculpteurs et architectes/tome 3/19


GHERARDO,

MINIATURISTE FLORENTIN.

De tous les genres de peinture, aucun n’est plus propre que la mosaïque à résister au vent et à la pluie. Le vieux Laurent de Médicis reconnut bien cette vérité. Désireux de remettre en lumière ce qui était caché depuis longues années, et grand amateur de la peinture et de la sculpture, il ne pouvait oublier la mosaïque. Ayant remarqué que le miniaturiste Gherardo cherchait à vaincre les difficultés de cet art, il lui prêta généreusement son aide, qu’il ne refusa jamais à aucun homme qui annonçait quelque génie. Il le plaça en compagnie de Domenico Ghirlandaio, et, par sa protection, le fit charger par les intendants de Santa-Maria-del-Fiore du soin de décorer les chapelles qui se trouvent dans la croisée de l’église. Gherardo commença celle del Sagramento, où repose le corps de saint Zanobi. Si la mort ne fut venue l’arrêter, il aurait produit des chefs-d’œuvre avec Domenico, comme l’on peut en juger par les fragments qui subsistent encore dans cette chapelle.

Gherardo n’était pas seulement mosaïste et miniaturiste, il abordait avec un égal bonheur les grandes figures. Hors de la porte alla Croce, il peignit à fresque un tabernacle ; il en laissa encore un autre fort estimé, à Florence, au haut de la Via-Larga. Sur la façade de l’église de San-Gilio, à Santa-Maria-Nuova, au-dessous du tableau de la Consécration de cette église par Martin V, dû au pinceau de Lorenzo di Bicci, il représenta le même pape donnant l’habit et de nombreux priviléges au directeur de l’hôpital (1). Cette composition, coupée par un tabernacle renfermant une Madone, semblait manquer de figures ; mais dernièrement don Isidoro Montaguto, nouveau directeur de l’hôpital, a enlevé ce tabernacle pour percer une porte, et a fait achever le tableau de Gherardo par un jeune peintre florentin, nommé Francesco Brini. Nous devons dire que le maître le plus habile aurait eu besoin de réunir tous ses efforts pour égaler le talent que notre artiste déploya dans cette fresque.

Pour l’église du même hôpital, pour celle de Santa-Maria-del-Fiore de Florence, et pour Mathias Corvin, roi de Hongrie, Gherardo enrichit de miniatures une multitude de livres. Ceux de notre artiste, d’Attavante et d’autres maîtres, que possédait Mathias Corvin, furent achetés, après la mort de ce prince, par le magnifique Laurent de Médicis, et augmentèrent la célèbre collection destinée à la bibliothèque que l’on doit au pape Clément VII. Mais Gherardo, comme nous l’avons dit, ayant quitté la miniature pour la peinture, composa un immense carton pour les évangélistes qu’il avait à exécuter en mosaïque dans la chapelle de San-Zanobi. Avant que le magnifique Laurent de Médicis lui eût procuré ce travail, pour prouver qu’il entendait la mosaïque et qu’il était capable de marcher sans être aidé, il fit une tête de saint Zanobi, grande comme nature, qui est restée à Santa-Maria-del-Fiore, et que l’on expose comme une chose précieuse les jours de solennité.

Pendant ce temps, arrivèrent à Florence quelques gravures de Martino et d’Albert Durer. Gherardo se mit aussitôt à en copier plusieurs au burin avec beaucoup de succès, comme le prouvent certains morceaux que nous conservons dans notre recueil, avec divers dessins de sa main.

Il peignit aussi quantité de tableaux qu’il expédia hors de Florence. Ainsi on trouve de lui, à Bologne, une sainte Catherine de Sienne, qui orne la chapelle dédiée à cette sainte dans l’église de San-Domenico (2). À San-Marco, de Florence, il remplit de figures très-gracieuses un espace demi-circulaire placé au-dessus du tableau del Perdono (3).

Autant tout le monde était satisfait des ouvrages de notre artiste, autant il en était mécontent lui-même. Ses mosaïques seules avaient le don de lui plaire. Dans ce genre de peinture, il fut plutôt le rival que le second de Domenico Ghirlandaio. Certes, s’il eût vécu plus longtemps, il aurait atteint la perfection dans cet art dont il avait trouvé presque tous les secrets, et pour lequel il se sentait un goût tout particulier. Plusieurs personnes veulent qu’Attavante, ou Vante, miniaturiste florentin dont nous avons déjà parlé plus d’une fois, ait été disciple de Gherardo, comme Stefano, autre miniaturiste florentin. Mais, moi, je suis certain qu’Attavante fut seulement l’ami, le compagnon, le contemporain de Gherardo, et non son disciple.

Gherardo mourut à l’âge de soixante-trois ans. Il laissa tous ses ustensiles à son élève Stefano, qui les transmit bientôt après au vieux Boccardino, lorsqu’il se livra exclusivement à l’architecture. Le Boccardino orna de miniatures la plupart des livres de l’abbaye de Florence (4).

Les œuvres de Gherardo datent de l’an 1470 environ.


Après une étude sérieuse et complète des nombreux documents que nous avons rassemblés sur les miniaturistes italiens, nous avons reconnu que nous commettrions une faute en plaçant leur histoire à la suite de la biographie de Gherardo, comme nous l’avons annoncé dans notre premier volume.

Le Florentin Gherardo nous mène seulement à la fin du quinzième siècle. Or, Vasari, en nous introduisant fort avant dans le seizième, nous présentera plusieurs artistes qui ont cultivé l’art de la miniature avec un remarquable succès, et que, par conséquent, il est important de ne point séparer de ceux que nous avons déjà trouvés dans la même voie.

En rejetant à la vie de Don Giulio Clovio le travail que nous avons promis, nous traversons la plus grande partie du seizième siècle, et nous pouvons alors observer comment l’art de la miniature a procédé dans ses développements, quels mobiles l’ont dirigé à des époques entièrement diverses, et quelles formules il a acceptées ou repoussées à chaque période. Nous passons alors sur chaque point de la route qu’il a parcourue, et nous suivons de progrès en progrès les idées qui, successivement élaborées, lui ont donné pour résultat final les productions d’un imitateur de Michel-Ange.

On comprendra facilement que si nous conduisions ici l’histoire des miniaturistes jusqu’à Gherardo, pour l’abandonner ensuite et ne la reprendre que lorsque nous aurions rencontré don Giulio Clovio, un des inconvénients de cette méthode serait d’éparpiller le récit et les réflexions qui doivent en découler et s’y rattacher ; en un mot, de briser l’unité d’ensemble. Et c’est ce que nous avons voulu éviter.


NOTES.

(1) Cette peinture n’existe plus.

(2) Un tableau de Francesco Brizio, élève de Louis Carrache, a remplacé celui de Gherardo.

(3) Cette peinture a été enlevée de l’église ainsi que plusieurs autres, mentionnées par le Bocchi et le Cellini dans les Bellezze di Firenze.

(4) La bibliothèque de Modène possède une bible, couverte d’admirables miniatures, à laquelle est joint le curieux document que nous allons rapporter textuellement. On y trouvera les noms de deux miniaturistes qui doivent marcher de pair avec les Gherardo et les Attavante.

BORSIUS DUX

Conventioni et pacti firmati per Galeotto de l’Assassino M. Camerlingo de lo Illustriss. N. S. Duca ec. per nome de la Illustriss. SS. cum Tadeo de Crivelli et Francho de Ms. Zohanne de Russi da Mantua adminiatori in questa forma, che li dicti siano tenuti, et cussi hanno promesso, de adminiare la Bibia del Nostro Signore per lo modo et forma, che è il terzo quinterno nel libro Exodi segnato D.

Item che a ogni libro si faccia uno principio magnifico, segondo che merita questa Bibia. Et questo fra il termine de anni sei proximi che hanno havenir, comenzando questo dì octo de Luglio dell’anno 1455 ad tuta lora spesa de oro et azuro fino et de altri colori. Et debiano avere li dicti Adminiatori per la dicta cagione dal S. libre septanta cinque de Marchesini per ciascheduno quinterno, et tanto più, quanto fosser li principij cento o circa che serano in lo Adminio de la dicta Bibia, segondo la taxa che ne facesse el dicto Galeotto, o altra che apparesse al nostro S. Et lo quale pagamento se debia fare in questa forma, cioè al presente libre dugento de ms., le quale se debiano scontare a li dicti Adminiatori in li primi quinterni che loro faranno, ad lib. quindese ms. per quinterno, in fino che siano scontate le dicte lib. dugento. Et lo resto debiano havere ad contanti. Et facto el quinterno debiano essere satisfacti incontinenter. Et se fossino indugiati del pagamento, habiano li dicti tanto più termine de dicti anni sei. Quanto sera tardato a darge li suoi denari dì per dì et ogni volta.

Anchora debia el nostro S. darge la casa comoda, che sia sufficiente, come è la casa che hano al presente per tuto el tempo che durerà el dicto Adminio, overo darge lib. cinquanta de ms. per ciascheduno anno, et ad ragione de anno.


Galeotus Assass., etc.
Illustriss. D. N. dux, etc., mandat firmari hujus modi pacta et
Capitula et Conventa, prout et sicut adnotatum est superius.

Lud. Casolla Vef., die II julii 1455.

En marge : « Ricordo che a dì 5 de octobre 1458 la convenzione facta con Tadeo et Franco Adminiatori de la Bibia scripta in la facciata seguente dicto dì fu confirmata per lo Illustriss. N. S. con loro per omnia come la sta. Ma novamente se sono convenuti in la incla parte d’accordo l’uno con l’altro. Vidt. che el dicto Franco ogni mese debia dare al S. uno quinterno miniato, et compito. Et non lo dando, sia lecito a sua S. condennare dicto Franco in quella pena che piacerà a la E. S., sì veramente che se in capo de l’anno dicto Franco haverà dato dodese quinterni sia libero, et absoluto de dicta pena. Et dando lo dicto Franco ogni mese uno quinterno vidt. XII in capo de l’anno, Tadeo simili modo sia tenuto et debia fare et dare. Non tamen sia lui tenuto ad alcuna pena, ne debbia essere condennato in quanto Ello non li dasse. Item debiano avere li dicti Franco et Tadeo dal prelibato S. N. lib. dodese ogni septimana. Et dato el quinterno, debiano essere pagati del suo resto. Tutti li altri pacti rimangono fermi. Dacordo come dixono dicti Tadeo et Franco et Marco de Galeotto. »