Vies des peintres, sculpteurs et architectes/tome 2/Fra Giovanni da Fiesole

fra giovanni da fiesole
FRA GIOVANNI DA FIESOLE,
PEINTRE.

Fra Giovanni Angelico de Fiesole, connu sous le nom de Guido, ne se distingua pas moins par son talent de peintre que par ses vertus de religieux. Il lui eût été facile de figurer largement dans le monde, car, outre ses biens de famille, il pouvait gagner tout ce qu’il voulait avec son pinceau, que dès sa jeunesse il maniait habilement. Mais, d’un caractère doux et modeste, il préféra, pour son repos et pour son salut, entrer dans l’ordre des frères prédicateurs (1). On peut servir Dieu dans tous les états ; quelques personnes néanmoins pensent qu’il est plus aisé de se sauver dans les monastères que dans le monde. Autant ce parti réussit aux bons, autant il procure une vie misérable à ceux qui l’embrassent dans un tout autre but que celui de travailler au salut de leur âme.

Fra Giovanni laissa dans son couvent de San Marco de Florence et à San-Domenico de Fiesole plusieurs livres d’église, ornés de miniatures d’une beauté merveilleuse, exécutées avec un soin incroyable. Il est vrai qu’il fut aidé par un frère plus âgé que lui, et qui était à la fois miniaturiste et peintre.

Un des premiers tableaux qui sortirent des mains de Fra Giovanni fut placé à la Chartreuse de Florence, dans la grande chapelle du cardinal degli Acciaiuoli. Il représente la Vierge tenant l’enfant Jésus sur son bras. À ses pieds, des anges chantent et jouent de divers instruments. À ses côtés, on voit saint Laurent, sainte Marie-Madeleine, saint Zanobi et saint Benoît. Des histoires, en petite proportion, tirées de la vie de ces saints, couvrent le gradin. La même chapelle possède deux autres tableaux de notre artiste : l’un renferme le Couronnement de la Vierge ; l’autre, la Vierge et deux saints.

Fra Giovanni peignit ensuite à fresque à Santa-Maria-Novella, près de la porte qui se trouve vis-à-vis du chœur, saint Dominique, sainte Catherine de Sienne et saint Pierre martyr ; et dans la chapelle dell’Incarnazione-di-nostra-Donna, quelques petits sujets (2). Il fit aussi, sur toile, pour les volets du vieil orgue, une Annonciation qui est aujourd’hui dans le couvent, en face de la porte du dortoir.

Ce bon père était fort aimé de Cosme de Médicis qui, après avoir fait construire l’église et le couvent de San-Marco, le chargea de peindre, sur une des parois du chapitre, la Passion de Jésus-Christ. Au pied de la croix, d’un côté, tous les saints qui ont été chefs et fondateurs d’ordres religieux pleurent amèrement la mort du Sauveur ; de l’autre côté, saint Marc l’Évangéliste, saint Cosme, saint Damien et les Maries désolées secourent la Vierge qui s’est évanouie à la vue de son fils crucifié. On dit que, sous la figure de saint Cosme, Fra Giovanni représenta, d’après nature, son ami Nanni d’Antonio di Banco, sculpteur. Au-dessous de ce tableau et au-dessus des dossiers d’appui du pourtour de la salle, il peignit saint Dominique au bas d’un arbre dont les branches sont accompagnées de médaillons renfermant les portraits des papes, des cardinaux, des évêques, des saints et des maîtres en théologie qui ont appartenu à l’ordre des prédicateurs. Grâce à l’aide que Fra Giovanni trouva chez les moines de son couvent qui firent des recherches en divers lieux, il introduisit dans cet ouvrage des portraits d’une authenticité incontestable, tels que ceux de saint Dominique, du pape François Innocent V, du bienheureux Ugone premier cardinal de l’ordre, du bienheureux patriarche Paolo de Florence, de saint Antoine archevêque florentin, de l’allemand Giordano second général de l’ordre, du bienheureux Niccola, du bienheureux Remigio de Florence, de Boninsegno martyr florentin, de Benoît XI de Trévise, de Giandomenico cardinal florentin, de Pietro da Palude patriarche Ierosolimitanite, de l’allemand Albert-le-Grand, du bienheureux Raimondo de Catalogne troisième général de l’ordre, du bienheureux Chiaro provincial romain, de saint Vincent de Valence et du bienheureux Bernardo de Florence. Toutes ces têtes sont d’une beauté et d’une grâce remarquables.

Fra Giovanni exécuta ensuite à fresque, dans le premier cloître, outre un grand nombre de figures, un saint Dominique au pied d’un Crucifix, et dans le dortoir, un sujet du Nouveau-Testament qu’il traita d’une manière merveilleuse, ainsi que divers ornements dont il couvrit les cellules. On admire encore davantage le tableau du maître-autel de l’église du couvent. On ne peut se défendre d’un sentiment profond de dévotion en voyant cette Vierge et ces saints qui respirent la candeur et la bonté. Le gradin représente le supplice de saint Cosme, de saint Damien et de plusieurs autres martyrs. On ne saurait rien imaginer de plus soigné, de plus fin et de mieux entendu que ces ravissantes figurines. Fra Giovanni fit également à San-Domenico de Fiesole le tableau du maître-autel qui a été restauré, ou, pour mieux dire, gâté par des maîtres maladroits. Le gradin et le tabernacle du saint sacrement se sont mieux conservés. La multitude de figurines que l’on y voit au milieu d’une gloire céleste sont si belles, qu’elles paraissent tombées du paradis. On ne peut se rassasier de les contempler. Notre artiste laissa encore une Annonciation dans une chapelle de la même église. Les traits de l’ange Gabriel sont vraiment divins. Dans le fond du paysage, on aperçoit Adam et Ève. Le gradin est orné de plusieurs charmants petits sujets. Fra Giovanni se surpassa lui-même, et déploya tout son talent dans un tableau placé à gauche de la porte de la même église et représentant la Vierge couronnée par Jésus-Christ, et environnée d’une foule innombrable d’anges, de saints et de saintes. Les attitudes et les physionomies de tous ces personnages sont si habilement variées, que l’on éprouve un plaisir incroyable à les regarder. Il semble que ces bienheureux esprits ne pourraient être autrement dans le ciel, s’ils avaient un corps. En un mot, on croit voir l’œuvre, non d’un homme, mais d’un ange : aussi notre bon religieux fut-il toujours bien justement appelé Fra Giovanni Angelico. Le gradin est occupé par divers traits de la vie de la Vierge et de saint Dominique. Chaque fois que je vois cet ouvrage, j’y découvre de nouvelles perfections, et ce n’est jamais sans peine que je m’en éloigne.

Dans la chapelle de la Nunziata que fit construire Pierre de Médicis, Fra Giovanni décora de figures en petite proportion les volets de l’armoire où l’on serre les vases et les autres ustensiles d’argent de l’église. On trouve encore aujourd’hui une si grande quantité d’ouvrages de la main de notre religieux chez les citoyens de Florence, que parfois je m’étonne qu’il ait pu les produire, même en un bon nombre d’années. Le révérend Don Vincenzio Borghini, directeur de l’hôpital degl’Innocenti, possède de lui une belle petite Madone, et Bartolommeo Gondi, amateur distingué, un grand et un petit tableau ainsi qu’un Crucifix. On lui doit aussi une partie des ornements de la porte de San-Domenico, et une Déposition de croix qui se trouve dans la sacristie de la Santa-Trinità, et que l’on peut compter parmi ses meilleures productions.

À San-Francesco, hors de la porte de San-Miniato, il laissa une Annonciation, et à Santa-MariaNovella, outre les choses dont nous avons déjà parlé, il enrichit de petites peintures le cierge pascal et plusieurs reliquaires que l’on met sur l’autel, aux jours de grande solennité.

Dans l’abbaye de la même ville, il fit, au-dessus d’une porte du cloître, un saint Benoît qui recommande le silence, et, à Cortona, le tableau du maître-autel de l’église des Dominicains.

À Orvietto, il commença, sur la voûte de la chapelle de la Madonna, dans la cathédrale, quelques prophètes qui furent achevés par Luca da Cortona (3).

Pour la compagnie du Temple à Florence, il peignit un Christ mort et, dans l’église des moines degli Angeli, un Paradis et un enfer, dont les figures sont en petite proportion. Les bienheureux brillent d’une joie céleste ; les damnés portent sur leurs visages l’empreinte de leurs péchés et de leurs crimes. Les élus franchissent en dansant la porte du paradis, et les réprouvés sont entraînés par les démons dans l’enfer pour être livrés à des tourments éternels. Ce tableau se trouve à droite en entrant dans l’église.

Pour les religieuses de San-Piero-Martire qui habitent aujourd’hui le monastère de San-Felice, Fra Giovanni peignit un tableau renfermant la Vierge, saint Jean-Baptiste, saint Dominique, saint Thomas, saint Pierre martyr et une foule de petites figures. On voit encore un autre tableau de sa main à Santa-Maria-Nuova (4).

Tous ces travaux ayant rendu célèbre en Italie notre religieux, le pape Nicolas V l’appela près de lui et le chargea d’orner de miniatures plusieurs livres, et de représenter dans la chapelle de son palais, où il assiste ordinairement à la messe, une Déposition de croix et divers traits de la vie de saint Laurent. À la Minerva, il peignit le tableau du maître-autel, et une Annonciation qui est maintenant appuyée contre un mur près de la grande chapelle  (5). Il décora, en outre, pour le même pape, dans le Vatican, la chapelle del Sagramento qui plus tard fut détruite par Paul  III. Il y exécuta à fresque quelques sujets tirés de la vie de Jésus-Christ. Il introduisit dans ces compositions quantité de portraits de hauts personnages de son temps qui seraient tous perdus aujourd’hui, si le Giovio n’eût eu soin de recueillir dans son musée ceux du pape Nicolas  V, de l’empereur Frédéric qui vint à cette époque en Italie, de Frate Antonino qui fut ensuite archevêque de Florence, de Biondo de Forli, et de Ferdinand d’Aragon.

Le pape, frappé de la modestie et de la sainteté de Fra Giovanni, voulut le nommer à l’archevêché de Florence ; mais notre bon religieux le supplia de renoncer à ce projet, parce que, disait-il, il ne se sentait pas propre à gouverner les hommes ; et il ajoutait que cette dignité convenait bien mieux à un religieux de son couvent, ami des pauvres, plein de science et de crainte de Dieu. Le pape se laissa persuader, et livra le siège de Florence à Frate Antonino, qui était vraiment digne de ce choix ; car il mérita d’être canonisé de notre temps par Adrien VI. Ne doit-on pas admirer le rare désintéressement et la vertu dont Fra Giovanni donna une preuve si éclatante en refusant ce glorieux poste offert par un souverain pontife, et en désignant avec candeur celui qu’il en croyait justement le plus digne ? Que l’exemple de ce saint homme apprenne aux religieux de nos jours à ne point accepter de charges au-dessus de leurs forces, et à les céder à ceux qui sont capables de les porter. Plût à Dieu que tous les religieux consacrassent leur vie, comme cet homme vraiment angélique, au service de Dieu et du prochain ! Que peut-on ou que doit-on plus désirer que d’acquérir le royaume du ciel en vivant saintement, et une renommée éternelle sur la terre en produisant des chefs-d’œuvre ? Du reste, un talent comme celui de Fra Giovanni ne pouvait et ne devait appartenir qu’à un homme de sainte vie. Les peintres qui traitent des sujets pieux doivent être pieux eux-mêmes. Les peintres qui accordent peu de foi et peu d’estime à la religion font souvent naître par leurs ouvrages des désirs déshonnêtes et des pensées lascives[1]. Je ne voudrais pas cependant que l’on arrivât à trouver pieux ce qui n’est que fade, et lascif ce qui n’est que beau. Que de gens crient au scandale dès qu’ils aperçoivent une figure d’homme ou de femme un peu plus belle et agréable que d’ordinaire ! Comment ne comprennent-ils pas qu’ils condamnent à tort l’artiste qui a judicieusement pensé que les saints et les saintes qui ont une essence céleste doivent autant l’emporter sur les êtres de nature mortelle, que le ciel sur la terre ? Mais, disons-le franchement, ces gens-là ont une âme abjecte et corrompue. S’ils étaient chastes, comme ils tâchent de le persuader par leurs déclamations stupides, au lieu d’accuser ces choses d’impureté, ils n’y verraient qu’un hommage rendu au Créateur duquel émanent toute perfection et toute beauté. Que feraient donc ces gens-là qui se laissent si facilement émouvoir par une image, par une ombre, que feraient-ils donc s’ils se trouvaient en présence d’une beauté vivante, au costume voluptueux, aux douces paroles, aux mouvements gracieux, aux œillades brûlantes ? Que l’on ne croie pas néanmoins que j’approuve ces figures presque entièrement nues que l’on rencontre dans nos églises, et qui montrent le peu de respect du peintre pour la sainteté du sanctuaire. Tout en voulant déployer son talent, il faut savoir se plier aux circonstances, et avoir égard aux personnes, aux temps et aux lieux.

Fra Giovanni était d’une simplicité de mœurs et d’une naïveté extraordinaires. Un jour le pape Nicolas V l’ayant invité à manger de la viande, il s’en fit conscience parce qu’il n’avait pas la permission de son prieur, oubliant ainsi l’autorité du souverain pontife. Il évitait avec soin toutes les intrigues du monde, et se montra toujours tellement l’ami des pauvres, que, selon moi, son âme doit maintenant habiter le ciel. Sans cesse occupé de peinture, il ne voulut jamais employer son pinceau qu’à représenter des sujets pieux. Il aurait pu facilement acquérir des richesses ; mais il n’en faisait aucun cas, et disait qu’elles consistent à se contenter de peu. Il aurait pu commander ; mais il s’y refusa constamment, prétendant qu’il est plus aisé d’obéir. Il aurait pu obtenir de hautes dignités ; mais il les dédaigna, affirmant qu’il ne cherchait qu’à éviter l’enfer et à gagner le paradis. Plût à Dieu que les hommes n’eussent jamais que cette sainte ambition ! D’une sobriété et d’une chasteté extrêmes, il sut éviter les pièges du monde, répétant souvent que le repos et la tranquillité sont nécessaires à un artiste, et que celui qui peint l’histoire du Christ ne doit penser qu’au Christ. On ne le vit jamais se mettre en colère, ce qui me paraît presque incroyable. Il se bornait à reprendre ses amis avec douceur et en riant. Il n’accepta aucun travail sans avoir d’abord demandé l’agrément de son prieur. Enfin, toutes les actions de ce bon père sont empreintes d’humilité et de modestie. Ses tableaux, pleins de facilité, respirent la dévotion la plus profonde. Les saints qu’il peignit se distinguent par un aspect divin que l’on ne rencontre chez aucun autre artiste. Il avait coutume de ne jamais retoucher ni rarranger ses ouvrages ; il les laissait tels qu’ils venaient au premier coup, croyant, disait-il, que Dieu les voulait ainsi. On assure qu’il n’aurait pas touché à ses pinceaux avant d’avoir fait sa prière. Il ne représenta jamais le Sauveur sur la croix, sans que ses joues fussent baignées de larmes ; aussi les visages et les attitudes de ses personnages laissent-ils deviner toute la sincérité de sa foi dans la religion chrétienne. Il mourut en 1455, à l’âge de soixante-huit ans (6). Il compta parmi ses élèves Benozzo, florentin, qui imita toujours sa manière, et Zanobi Strozzi, qui exécuta, à Florence, un grand nombre de peintures pour divers citoyens (7). Ce Strozzi est l’auteur d’un tableau qui est placé à côté de celui de Fra Giovanni dans l’église de Santa-Maria-Novella. Pour San-Benedetto, couvent des camaldules, hors de la porte Pinti, à présent détruit, il en peignit un autre que l’on trouve aujourd’hui dans la petite église de San-Michele du monastère degli Angeli. On voit encore de lui deux tableaux : le premier à Santa-Lucia, dans la chapelle des Nasi ; le second à San-Borneo, et dans la galerie du duc le portrait de Giovanni di Bicci de Médicis, et celui de Bartolommeo Valori, enfermés dans un même cadre.

Fra Giovanni eut aussi pour élèves Gentile da Fabriano et Domenico di Michelino. Ce dernier fit à Sant’-Apollinare de Florence le tableau de l’autel de San-Zanobi et beaucoup d’autres peintures.

Fra Giovanni fut enterré à la Minerva, près de la sacristie, par ses frères, qui lui élevèrent un tombeau en marbre orné de son portrait, et sur lequel on lit cette épitaphe :

Non mihi sit laudi, quod eram velut alter Apelles,
Sed quod lucra tuis omnia, Christe, dabam :
Altera nam terris opera extant, altera cœlo (8)
Urbs me Joannem flos tulit Etruriæ.

On conserve à Santa-Maria-del-Fiore deux énormes livres ornés par Fra Giovanni de miniatures vraiment divines qu’on ne montre que les jours de grande solennité.

Du temps de Fra Giovanni vivait un fameux miniaturiste florentin que je ne connais que sous le nom d’Attavante. Il enrichit de miniatures un Silius Italicus qui est maintenant à S.  Giovanni-e-Paolo de Venise. Comme on ne trouve, que je sache, aucun autre ouvrage de cet artiste, je donnerai sur ses peintures du Silius quelques détails intéressants que je dois à l’amitié du révérend Messer Cosimo Bartoli, gentilhomme florentin. On voit dans ce livre Silius Italicus, la tête couverte d’un casque avec un cimier d’or entouré d’une couronne de laurier. Il est revêtu d’une cuirasse bleue rehaussée d’or. De la main gauche il tient un livre, et de la droite une épée. Sur ses épaules pend une chlamyde rouge frangée d’or, fermée par devant avec un nœud et doublée d’une étoffe de couleur changeante parsemée de rosettes d’or. Ses brodequins sont jaunes. Après cette figure, qui est placée dans une niche, Attavante représenta Scipion l’Africain revêtu d’une cuirasse jaune. Son ceinturon et ses manches sont bleus et brodés en or. Sa tête est armée d’un casque orné de deux petites ailes et surmonté d’un cimier en forme de poisson. Les cheveux de Scipion sont blonds et ses traits d’une beauté remarquable. De la main droite il brandit fièrement une épée nue, et de la gauche il tient un fourreau rouge brodé en or. Sa chlamyde bleue frangée d’or, doublée en rouge et bouclée sous le menton, tombe gracieusement et laisse apercevoir toute sa poitrine. Ses brodequins sont bleus et brodés en or. Ce jeune homme, placé dans une niche de marbre vert, menace des yeux Annibal, qui lui fait face de l’autre côté du livre. Annibal paraît âgé de trente-six ans environ. Il fronce les sourcils comme un homme irrité et regarde fixement Scipion. Il a en tête un casque jaune, pour cimier un dragon vert et jaune, et pour guirlande un serpent. Il est appuyé sur la jambe gauche. De la main droite il tient une pertuisane antique, et il porte la main gauche sur son épée. Sa cuirasse est bleue, et son ceinturon partie bleu, partie jaune. Ses brodequins sont jaunes et ses manches de couleur changeante bleue et rouge. Sa chlamyde, de couleur changeante bleue et rouge, est fixée sur l’épaule droite et doublée de vert. Cette figure est renfermée dans une niche de marbre jaune et blanc. De l’autre côté, Attavante peignit d’après nature le pape Nicolas V. Son manteau tout brodé en or est de couleur changeante rouge et violette. Il est sans barbe et de profil, et indique de la main droite le commencement du livre. Sa niche est verte, blanche et rouge. La bordure est formée d’ovales et de ronds entremêlés de demi-figures et d’une infinité d’oiseaux et de petits enfants si bien faits, que l’on ne peut désirer rien de mieux. Viennent ensuite Hannon le Carthaginois, Asdrubal, Lelius, Massinissa, C. Salinator, Néron, Sempronius, M. Marcellus, Q. Fabius, l’autre Scipion et Vibius. À la fin du livre, on rencontre le dieu Mars sur un char antique tiré par deux chevaux roux. Sa tête est armée d’un casque rouge et or, flanqué de deux petites ailes. Du bras gauche il soutient un bouclier antique, et de la main droite une épée nue. Ses chausses et ses brodequins sont rouges et or, ainsi que sa cuirasse ; sa chlamyde est bleue et la doublure verte et brodée en or ; son char est recouvert de drap rouge, brodé en or et entouré d’une bande d’hermine. Le paysage est émaillé de fleurs, mais à travers les rochers on découvre dans le lointain une ville et un beau ciel bleu. Vis-à-vis de Mars est un Neptune dont la longue tunique est bordée de vert. De la main droite il tient un petit trident, et de la gauche il relève sa robe. Il est monté sur un char doublé d’une étoffe rouge, rehaussée d’or et bordée de martre zibeline. Ce char a quatre roues, comme celui de Mars, et est attelé de quatre dauphins. À l’entour jouent trois nymphes, deux enfants, et une foule de poissons de couleur verte. On voit ensuite Carthage sous la figure d’une femme irritée et échevelée. Sous sa robe doublée d’une étoffe rouge, brodée en or et ouverte sur le côté, est une légère tunique de couleur changeante violette et blanche. Ses manches flottantes sont rouges et or. D’une main elle provoque Rome, qui est en face d’elle, et semble lui crier : « Que veux-tu ? je te répondrai ! » Ses brodequins sont bleus. De la main droite elle tient une épée nue. Elle occupe un rocher battu par les flots. Rome est représentée sous les traits d’une jeune femme aussi belle qu’on peut l’imaginer. Ses cheveux sont gracieusement tressés. Sa robe rouge, doublée en jaune et simplement brodée au bas, laisse deviner par une ouverture une tunique de couleur changeante violette et blanche. Ses brodequins sont verts. De la main droite elle tient un sceptre, et de la gauche un globe. Elle est placée sur un rocher qui se découpe sur un ciel d’une pureté merveilleuse.

J’ai fait tous mes efforts pour montrer avec quel art sont exécutées ces miniatures d’Attavante ; mais j’avoue que je n’ai su donner qu’une bien faible idée de leur beauté, car on ne peut rien désirer de plus parfait dans ce genre pour l’invention, la composition et le dessin. En outre, les couleurs ont un éclat incroyable et sont employées avec une délicatesse ravissante (9).



Maintes fois déjà nous avons payé un juste tribut d’admiration à Fra Giovanni de Fiesole, nous pouvons donc nous abstenir de témoigner de nouveau de notre sympathie pour son caractère et pour son talent. Maintes fois déjà nous avons franchement attaqué les doctrines de l’école qui l’a choisi pour chef, et qui a écrit sur son drapeau : Mysticisme. Mais nous ne saurions trop répéter que tous les efforts des prédicateurs de cette secte tendent à substituer l’immobilité au progrès, les ténèbres à la lumière, la mort à la vie, en voulant ramener et renfermer l’art dans le cycle mystérieux parcouru avec Angelico par les Guido, les Ambrogio, les Memmi, les Gozzoli. Hors de là, disent-ils, il n’y a que maligne et pernicieuse influence, que débauche et dépravation. Ainsi, à les croire, les Masaccio, les Ghiberti, les Brunelleschi, les Léonard de Vinci, les Corrège, les Giorgione, les Raphaël, les MichelAnge, devraient venir à genoux confesser leurs erreurs et faire amende honorable. Heureusement on sait maintenant à quoi s’en tenir sur la religion de ces apôtres fanatiques ou lunatiques. Elle peut encore un moment séduire les forts par l’orgueil, les faibles par la vanité, les uns et les autres par les ravissements qu’elle promet ; mais un éclair de bon sens suffit pour en obtenir justice. — Du reste nous traiterons à fond la question du mysticisme dans les arts, à la suite de biographie de Lorenzo di Credi.

NOTES.

(1) Fra Giovanni prit l’habit en 1407.

(2) Ces peintures ont péri.

(3) On peut voir quelques parties de ces compositions gravées dans la Storia del Duomo d’Orvieto.

(4) La plupart de ces peintures sont détruites.

(5) Le tableau du maître-autel de la Minerve a disparu. On croit que celui de la Nunziata a été transporté dans la chapelle des Caraffi ; mais on ne sait ce qu’il est devenu ensuite.

(6) Dans l’édition des Giunti, p. 258, Vasari dit qu’il était âgé de soixante-neuf ans quand il mourut. Voyez le Baldinucci, sec. iv, p. 96.

(7) Le Baldinucci, Dec. IV, sec. vi, p. 96, donne de nombreux détails sur Zanobi Strozzi. Il dit qu’il naquit en 1412, et qu’il était fils de Benedetto di Caroccio di Lionardo.

(8) Au-dessus de ces vers est une autre inscription ainsi conçue : Hic jacet ven. pictor fr. Jo. de Flo. Ord. P. i4lv.

(9) On a découvert que ces miniatures n’étaient pas d’Attavante, et que Vasari avait été induit en erreur par son correspondant Bartoli. Voyez Morelli, Notizia d’opere di disegno, p. 171.

  1. Nous engageons la critique catholique à réfléchir sur la fin de ce paragraphe, qui peut lui être très-profitable.