Vies des peintres, sculpteurs et architectes/tome 2/Donato

DONATO,
sculpteur florentin.

Donato, connu aussi sous le nom de Donatello que lui donnèrent ses parents et ses amis, et qu’il grava sur plusieurs de ses ouvrages, naquit à Florence, l’an 1383. Il se consacra à l’art du dessin, et il devint non-seulement sculpteur prodigieux, mais encore habile stucateur, savant perspectiviste et architecte de mérite. Plus que tout autre, il se rapprocha des antiques grecs et romains, par la correction, la grâce et la beauté de ses productions. Il est regardé, ajuste titre, comme le premier qui sut réunir dans les bas-reliefs le bon goût à la richesse de l’invention. On reconnaît à la pureté, à la facilité et à la hardiesse de son exécution, qu’il possédait la véritable intelligence du bas-relief. Personne ne l’a surpassé, je dirai même, ne l’a égalé dans cette branche de l’art.

Dès son enfance, il fut recueilli chez Ruberto Martelli. Par ses bonnes qualités et par son ardeur au travail, il mérita l’amitié de ce généreux citoyen et de toute sa noble famille.

Dans sa jeunesse, il exécuta un grand nombre de

donato
travaux que nous pouvons nous permettre de passer sous silence.

La première sculpture qui le fit connaître fut une Annonciation en pierre de macigno, accompagnée de six petits Enfants qui tiennent des guirlandes, et supportée par un piédestal orné de grotesques. Ce précieux morceau est placé sur l’autel de la chapelle des Cavalcanti, à Santa-Croce de Florence. Donato déploya un art étonnant dans la figure de la Vierge. Saisie de crainte à l’apparition imprévue de l’ange, Marie reçoit avec une gracieuse timidité et l’expression d’une humble reconnaissance la nouvelle de sa mission divine. Les draperies qui couvrent la Vierge et l’ange Gabriel sont traitées avec une égale perfection. On sent que Donato s’efforcait d’arriver à la beauté antique, oubliée depuis tant d’années. Enfin, cet ouvrage se distingue par une entente si judicieuse de la composition, par un dessin si correct, et par une facilité d’exécution si heureuse, que l’on ne saurait désirer rien de mieux.

Dans la même église, près du tableau de Taddeo Gaddi, Donato laissa un Crucifix en bois qui lui avait coûté beaucoup de peine et de travail. Lorsqu’il l’eut achevé, croyant avoir enfanté un chef-d’œuvre, il le montra à son ami Filippo Brunelleschi, en le priant de dire ce qu’il en pensait. Filippo, qui, sur les paroles de Donato, s’attendait à trouver quelque chose de mieux, ne put s’empêcher de sourire. Donato s’en aperçut et le somma, au nom de l’amitié, de s’expliquer. Brunelleschi lui dit alors avec franchise qu’il avait mis en croix un paysan, et non le Christ, dont le corps fut le plus parfait que l’on vit jamais. Donato, qui espérait recevoir des éloges, fut piqué de la vivacité de cette critique, et s’écria : « Si tu savais qu’il est plus difficile d’agir que de parler, tu ne dirais point que mon Christ ressemble à un paysan. Du reste, prends un bloc de bois, et tâche d’en faire un qui soit mieux. » Filippo, sans rien répliquer, se retira, et, pour justifier sa critique, entreprit aussitôt un Crucifix qu’il termina au bout de plusieurs mois. Alors, un matin, il va inviter Donato à déjeuner. Nos deux amis partent ensemble ; arrivés sur la place du Marché-Vieux, Filippo achète quelques vivres et les remet à Donato, en lui disant : « Porte cela à la maison, et attends-moi : je te rejoindrai dans un instant. » À peine entré dans l’atelier, Donato aperçoit sous un beau jour le Crucifix de Filippo. Frappé d’admiration, et comme hors de lui-même, il ouvre les mains : le déjeuner lui échappe, le fromage tombe dans la poussière, les œufs se brisent ; mais rien n’est capable de le distraire de son étonnement. Sur ces entrefaites, arrive Filippo qui lui dit en riant : « Que diable as-tu, Donato ? Et nos œufs ? et notre fromage ? Comment déjeunerons-nous ? — J’ai mangé ma part, répondit Donato ; si tu veux la tienne, ramasse-la. C’est bien ! c’est bien ! tu fais des Christ, et moi, je fais des paysans. »

Donato sculpta, par l’ordre de Cosme de Médicis, dans le temple de San-Giovanni de Florence, le tombeau du pape Jean Coscia, qui fut déposé par le concile de Constance  (1). Donato accompagna la figure en bronze doré de Jean Coscia, des statues en marbre de l’Espérance et de la Charité : celle de la Foi est due au ciseau de son élève Michelozzo.

En face de ce tombeau, Donato plaça une Madeleine en bois. Le corps de cette sainte, amaigri par le jeûne et la pénitence, montre que notre sculpteur entendait parfaitement l’anatomie  (2).

Il décora ensuite la place du Marché-Vieux d’une statue de l’Abondance en pierre de macigno, qui lui valut les éloges de tous les artistes et de tous les connaisseurs  (3). Cette statue est supportée par une colonne de granit qui était auparavant dans le temple de San-Giovanni, où elle fut remplacée par une colonne cannelée, sur laquelle était autrefois un Dieu Mars que l’on enleva lorsque les Florentins se convertirent à la religion du Christ  (4).

Donato fit encore, dans sa jeunesse, pour la façade de Santa-Maria-del-Fiore, un Daniel en marbre et un saint Jean Évangéliste, assis, simplement vêtu, et haut de quatre brasses. On voit, également de lui, entre deux colonnes, du côté de la rue del Cocomero, un Vieillard au front pensif, qui, plus qu’aucune autre de ses productions, se rapproche de la manière antique. Il sculpta aussi l’ornement de l’orgue qui est au-dessus de la porte de l’ancienne sacristie, et les figures, qui semblent douées de vie et de mouvement.

On peut dire que Donato travailla autant avec la tête qu’avec les mains. Que d’ouvrages, admirables dans l’atelier, produisent un effet pitoyable dès qu’on les change de place, et même dès qu’on les soumet à un autre jour ! Donato, au contraire, préparait toujours ses figures de telle sorte qu’elles gagnaient à sortir de l’atelier.

Il dessina ces Enfants qui tiennent des festons, dans la sacristie neuve, et le Couronnement de la Vierge, que l’on reproduisit sur les vitraux de l’œil-de-bœuf qui est au-dessous de la coupole, et dont il est facile de remarquer la supériorité sur tous ceux qui l’entourent.

À San-Michele-in-Orto, il exécuta en marbre, pour la corporation des bouchers, un saint Pierre, et, pour la corporation des menuisiers, un saint Marc, Evangéliste  (5). Il avait entrepris cette dernière statue avec Filippo Brunelleschi ; mais celui-ci lui permit de l’achever sans son concours. Lorsqu’il eut modelé en terre son saint Marc, les consuls de la corporation, incapables d’en comprendre les beautés, voulaient qu’il l’abandonnât ; mais il insista pour le mettre en place, disant qu’ils ne le reconnaîtraient plus lorsqu’il l’aurait retouché. Ainsi fut fait : il déroba à tous les yeux sa statue pendant quinze jours, n’y changea rien ; et, dès qu’il la découvrit, chacun de crier merveille.

Pour la corporation des armuriers, Donato sculpta un saint Georges brillant de jeunesse, d’ardeur et de fierté. Jamais aucun artiste n’avait su donner au marbre autant de mouvement et d’animation. Le soubassement de la niche qui renferme cette figure est orné d’un saint Georges à cheval, combattant le serpent. Le fronton représente le Père éternel à mi-corps et en bas-relief. En face, Donato éleva, pour le consulat des commerçants, un tabernacle d’ordre corinthien, destiné à recevoir deux statues dont il refusa de se charger, parce qu’on ne lui accorda pas le prix qu’il demandait. Elles furent jetées en bronze, après sa mort, par Andrea Verrocchio, comme nous le dirons en son lieu.

Donato fit ensuite, pour la façade du campanile de Santa-Maria-del-Fiore, quatre statues en marbre de cinq brasses de hauteur. L’une offre le portrait du jeune Francesco Soderini, et une autre celui de Giovanni, fils de Carduccio Cherichini. Cette dernière, qui est la plus estimée, a été surnommée le Zuccone (tête chauve). Donato, qui la regardait comme son chef-d’œuvre, avait coutume de jurer par elle, en disant : « Par la foi que j’ai en mon Zuccone ! » Pendant qu’il la sculptait, il se prit plusieurs fois à lui crier : « Allons ! allons ! parle, parle donc ! » Du côté de la maison canoniale, au-dessus de la porte du campanile, il laissa, entre deux statues, un Prophète et le Sacrifice d’Abraham.

Pour la seigneurie de Florence, il jeta en bronze le groupe de Judith et d’Holopherne, qui fut placé sous une arcade de la galerie de la place. Le courage et la confiance dans le secours du Tout-Puissant, qui animent Judith, contrastent avec le froid de la mort qui saisit les membres d’Holopherne alourdis par l’ivresse et le sommeil. Ce groupe réussit parfaitement à la fonte, et fut réparé avec un art merveilleux. Le soubassement est formé d’un balustre de granit d’une grâce et d’une simplicité ravissantes. Donato, qui jusqu’alors n’avait mis son nom à aucun de ses ouvrages, grava au bas de celui-ci les mots suivants : Donatelli opus, afin de marquer le cas particulier qu’il en faisait.

Ensuite il jeta en bronze un groupe représentant David, l’épée en main, et la tête de Goliath sous ses pieds. La figure de David semble avoir été moulée sur nature, tant elle est pleine de vie et de souplesse. Ce groupe, après avoir occupé la cour du palais Médicis, fut transporté, pendant l’exil de Cosme, dans la cour du palais des Signori. Aujourd’hui le duc Cosme l’a remplacé par une fontaine, et le réserve pour une autre vaste cour qu’il a dessein de construire derrière le palais, c’est-à-dire à l’endroit où étaient autrefois les lions.

On voit encore de notre artiste, dans la salle de l'Horloge de Lorenzo della Volpaia, un beau David en marbre, armé de sa fronde, et foulant aux pieds la tête de Goliath.

Dans la première cour du palais Médicis, au-dessus des loges, entre les fenêtres et l’architrave, Donato enrichit de camées et de revers de médailles, imités de l’antique, et de différents sujets de son invention, huit cadres circulaires en marbre. Puis il restaura le Marsyas en marbre blanc, placé à l’entrée du jardin, et une foule de bustes antiques que l’on trouve au-dessus des portes qu’il répara également, et qu’il décora des armoiries de Cosme, modelées en stuc. On lui doit aussi deux magnifiques bassins en granit, dont l’un appartient au jardin des Pazzi, à Florence. L’énumération de toutes les Madones et de tous les bas-reliefs en marbre et en bronze, dont il enrichit le palais Médicis, nous entraînerait trop loin. Cosme affectionnait tellement Donato, qu’il ne le laissait jamais manquer de travail. De son côté, Donato était si dévoué à Cosme, qu’il savait deviner et satisfaire ses moindres fantaisies.

Un marchand génois commanda un jour à Donato un buste en bronze, grand comme nature et d’une extrême légèreté, parce qu’il devait être envoyé au loin. Lorsqu’il eut achevé cet ouvrage qui, dit-on, lui avait été procuré par l’entremise de Cosme, il ne put s’entendre avec le marchand, qui l’accusait de demander un prix trop élevé. Il fut convenu qu’on s’en tiendrait à la décision de Cosme. Le buste fut donc apporté dans le palais, et placé sur le balcon d’une fenêtre du côté de la rue. Cosme, après avoir écouté les deux parties, jugea trop modique l’offre du marchand. Celui-ci objecta que le buste avait coûté à Donato tout au plus un mois de travail, et qu’un demi-florin par jour devait le contenter. Blessé par ces paroles, Donato s’écria que dans la centième partie d’une heure il avait su travailler autant qu’un autre en une année, et que ce Génois montrait bien qu’il avait coutume de marchander des haricots et non des statues. En même temps, il précipita son buste dans la rue où il se brisa en mille pièces. Le marchand se repentit alors de sa ladrerie et promit de doubler la somme, si Donato consentait à recommencer le buste ; mais notre sculpteur ne répondit que par des refus même aux instances du duc.

En reconnaissance des services que lui avaient rendus les Martelli, Donato leur donna un David, haut de trois brasses, et divers morceaux en bronze et en marbre, parmi lesquels on remarque un saint Jean, de trois brasses de hauteur. Cette précieuse statue appartient aujourd’hui aux héritiers de Ruberto Martelli ; mais, en vertu d’un fidéicommis, ils ne peuvent ni la mettre en gage, ni la vendre, ni la céder, à quelque titre que ce soit.

Donato envoya à Naples un tombeau orné d’un superbe bas-relief, et supporté par trois figures en ronde-bosse. Ce tombeau, destiné à un archevêque, est actuellement à Sant’-Angelo di Seggio di Nido.

Dans la même ville, chez le comte Mantalone, on trouve une tête de cheval d’une telle perfection, que maintes personnes prétendent que c’est un reste antique, et non un ouvrage de Donato  (6). Il est encore fauteur de cette charmante ronde d’enfants qui couvre la chaire de Prato, et qui ne le cède en beauté à aucune de ses autres productions. Il appuya cette chaire sur deux chapiteaux de bronze, dont l’un a été enlevé par les Espagnols qui ravagèrent ce pays.

À cette époque, la Seigneurie de Venise chargea Donato d’élever, à Padoue, une statue équestre en l’honneur de Gattamelata. Notre artiste exécuta sans retard ce monument que l’on voit sur la place de Sant’-Antonio. Le cheval semble frémir sous la main de son maître dont la tête exprime une noble fierté. Ce chef-d’œuvre rappelle, par sa correction, sa pureté et ses admirables proportions, les plus riches morceaux de l’antiquité.

Les Padouans, par reconnaissance, voulurent nommer Donato citoyen de leur ville, et ne négligèrent aucun moyen pour l’y fixer. Ils le chargèrent d’exécuter, pour le gradin du maître-autel de l’église des Frères mineurs, l’histoire de saint Antoine de Padoue. Ce bas-relief est couvert de figures d’une variété et d’une beauté qui transportent d’étonnement tous les connaisseurs. Donato représenta ensuite sur le devant de l’autel les Maries pleurant le Christ mort.

Pour l’un des comtes Capodilista, il sculpta un cheval formé de diverses pièces de bois assemblées avec un art merveilleux.

Un chapelain florentin de ses amis le pria un jour de faire pour un monastère de religieuses un Sébastien en bois, semblable, autant que possible, à une antique et grossière statue qu’il lui apporta. Afin de plaire à son compatriote et aux religieuses, Donato s’efforça d’imiter cette machine informe, mais il ne put oublier son habileté accoutumée. Il modela en même temps quelques figures en terre et en stuc, et il tira une belle Madone d’un vieux morceau de marbre qu’il avait trouvé dans le jardin des religieuses.

On rencontre encore à Padoue une foule d’autres sculptures de la main de notre artiste qui, redoutant les louanges et les caresses qu’on lui prodiguait dans cette ville, résolut de partir pour Florence. « En restant à Padoue, disait-il, où chacun m’encense, j’aurais bientôt oublié tout ce que je sais ; dans ma patrie, au contraire, la critique me tiendra éveillé, et me forcera d’aller en avant. »

En passant à Venise, il laissa dans la chapelle des Frères mineurs un saint Jean-Baptiste en bois, artistement étudié, et à Faenza, un saint Jean et un saint Jérôme, non moins estimés que ses autres ouvrages.

Arrivé en Toscane, il fit dans l’église paroissiale de Montepulciano un tombeau de marbre avec un beau bas-relief, et à Florence, dans la sacristie de San-Lorenzo, un lavoir également en marbre auquel travailla Andrea Verrocchio.

Pour Lorenzo della Stufa, il sculpta des figures et des bustes pleins de vivacité et de naturel.

De Florence Donato se rendit à Rome pour étudier les antiques. Durant son séjour dans cette ville, il exécuta en pierre un tabernacle que l’on voit aujourd’hui à San-Pietro  (7).

En retournant à Florence, il s’arrêta à Sienne où il entreprit une porte de bronze pour le baptistère de San-Giovanni. Déjà son modèle en bois était achevé et la plupart de ses moules étaient prêts, lorsqu’il rencontra Bernardetto, fils de Mona Papera, orfèvre florentin de ses amis qui le détermina à quitter son travail et à le suivre à Florence. Il ne resta de Donato dans l’œuvre de la cathédrale de Sienne qu’un saint Jean-Baptiste auquel manque l’avant-bras droit. On prétend que Donato le laissa en cet état, parce qu’il ne put parvenir à se le faire payer entièrement.

De retour à Florence, il fut chargé par Cosme de Médicis d’exécuter, partie en peinture et partie en bas-relief, l’Histoire des Évangélistes dans quatre compartiments qui occupent les angles de la voûte de la sacristie de San-Lorenzo. Donato orna deux petites portes en bronze dans la même sacristie, des figures de saint Laurent, de saint Étienne, de saint Cosme, de saint Damien et de différents martyrs, apôtres et confesseurs. En outre, l’église de San-Lorenzo doit à Donato quatre saints en stuc, hauts de cinq brasses chacun, et les chaires de bronze où il représenta la Passion du Christ. La vieillesse empêcha Donato de terminer ce dernier ouvrage, qui est aussi remarquable par la vigueur du dessin et la richesse de l’invention, que par l’abondance des personnages et des fabriques. Il fut conduit à bonne fin par son élève Bertoldo.

Pour Santa-Maria-del-Fiore, Donato fit en brique et en stuc deux statues colossales qui se trouvent hors de l’église, à côté des chapelles  (8).

Au-dessus de la porte de Santa-Croce, on voit de lui, encore aujourd’hui, un saint Louis en bronze, haut de cinq brasses. Un jour on lui reprocha la niaiserie de cette statue, et on lui dit que c’était peut-être la moins bonne chose qui fût sortie de ses mains ; mais il répliqua qu’il y avait bonne intention de sa part, parce que saint Louis était un niais d’avoir abandonné son royaume pour la moinerie.

Donato est l’auteur du buste en bronze de la femme de Cosme de Médicis, et de beaucoup d’autres morceaux en bronze et en marbre que l’on conserve dans la galerie du duc. On admire surtout une Madone portant l’enfant Jésus, entourée de miniatures ravissantes peintes par Fra Bernardo, comme nous le dirons en son lieu  (9).

Le cabinet du seigneur duc, si riche en antiquités et en médailles, renferme encore un merveilleux Crucifix et deux bas-reliefs de Donato, représentant l’un et l’autre la Passion de notre Seigneur.

Les héritiers de Jacopo Capponi, excellent citoyen et brave gentilhomme, ont de notre artiste une gracieuse Madone en marbre et en demi-relief.

Messer Antonio de’Nobili, ancien trésorier de Son Excellence, avait aussi une Madone en demirelief et à mi-corps, d’une telle beauté qu’il l’estimait plus que toutes ses richesses. Son fils Giulio, qui la possède actuellement, n’en fait pas moins de cas.

Parmi les autres ouvrages de notre sculpteur, nous citerons, chez Gio Battista, fils d’Agnol Doni, gentilhomme florentin, un Mercure d’une brasse et demie de hauteur, et vêtu d’une manière bizarre ; chez Bartolommeo Gondi, dont nous avons parlé dans la vie de Giotto, une Madone en demi-relief d’une exécution si parfaite que l’on ne saurait imaginer rien de mieux ; chez Messer Lelio Torelli, premier auditeur et secrétaire du duc, amateur des beaux arts aussi éclairé qu’habile jurisconsulte, une autre Vierge en marbre  (10).

Mais nous nous laisserions entraîner trop loin si nous voulions mentionner tous les travaux de Donato ; car il s’occupa non-seulement de grandes entreprises, mais encore des choses les moins importantes de l’art. Ainsi, il sculpta sur les bornes des chemins et sur les façades des maisons des armoiries telles que celles qui ornent l’habitation des Sommai  (11), en face du fournier della Vacca ; et, pour la famille Martelli, il fit en osier et en forme de berceau un tombeau qui est placé sous terre à San-Lorenzo, église où ne paraît au-dessus du sol aucun mausolée, à l’exception de celui de Cosme de Médicis, dans lequel on ne pénètre, du reste, comme dans tous les autres, que par une porte souterraine.

Donato avait un frère nommé Simone, qui lui écrivit pour le consulter avant de jeter en bronze le tombeau du pape Martin V, dont il venait d’achever le modèle. Donato se rendit donc à Rome. Il se trouva dans cette ville au moment où le pape Eugène IV allait couronner l’empereur Sigismond, et coopéra avec Simone aux préparatifs de cette solennité. Nous ne devons pas oublier un superbe buste en marbre, de la main de Donato, que renferme la galerie de Guidobaldo, duc d’Urbin, et que l’on pense avoir été donné aux ancêtres de ce prince par le magnifique Julien de Médicis.

On peut dire que Donato, par son savoir et par son habileté, fut, chez les modernes, un des premiers à illustrer les arts du dessin et de la sculpture. Il mérite d’autant plus d’éloges, que, de son temps, les plus précieux morceaux de l’antiquité étaient encore enfouis sous les ruines. Il contribua puissamment à déterminer Cosme de Médicis à enrichir Florence des antiques que l’on a vus dans le palais Médicis, et lui-même prit soin de les restaurer. Il était ami fidèle, prévenant et généreux. Il attachait si peu de prix à l’argent, qu’il le mettait dans un panier suspendu au plancher par une corde, et chacun de ses élèves y puisait à discrétion.

Sa vieillesse fut joyeuse et tranquille. Lorsque ses mains se refusèrent au travail, Cosme et ses autres amis vinrent à son secours. Avant de mourir, Cosme le recommanda à son fils Pierre. Celui-ci, religieux observateur des volontés de son père, donna à notre artiste un domaine situé à Cafaggiuolo, dont le revenu était assez considérable pour lui permettre de vivre dans une grande aisance. Ce présent enchanta d’abord Donato, qui se voyait ainsi certain de ne pas mourir de faim. Mais, à peine une année s’était-elle écoulée, qu’il alla prier Pierre de reprendre son domaine. Il préférait son repos, disait-il, aux tourments dont l’accablait son laboureur, en venant se plaindre tous les trois jours, tantôt du vent qui avait enlevé le toit du colombier, tantôt de la tempête qui avait brisé les vignes et les arbres fruitiers, tantôt d’une saisie de bestiaux pour le payement des impôts. « J’aime cent fois mieux mourir de faim, ajoutait Donato, que d’avoir à penser à toutes ces choses qui m’abreuvent de dégoûts et d’ennuis. » Pierre ne put s’empêcher de rire de la simplicité de son protégé, et, pour lui ôter toute inquiétude, reprit son domaine et lui assigna une pension qu’il lui fit payer par semaine. Cet arrangement causa un extrême plaisir à Donato, qui passa joyeux et tranquille le reste de ses jours. À l’âge de quatre-vingt-trois ans, ses membres se paralysèrent tellement, qu’il lui devint impossible de travailler, et qu’il fut même forcé de ne plus quitter son lit. Il habitait alors une petite maison qu’il possédait dans la rue del Cocomero, près des religieuses de San-Niccolò. Il s’éteignit peu à peu, et enfin il mourut le 13 décembre 1466.

Il fut enterré dans l’église de San-Lorenzo, à côté du tombeau de Cosme de Médicis. Donato lui-même l’avait voulu ainsi, afin de n’être pas séparé de celui qu’il avait tant aimé.

Sa mort affligea profondément ses concitoyens, les artistes et tous ceux, en un mot, qui l’avaient connu. On lui rendit de plus grands honneurs après sa mort que pendant sa vie. Ses obsèques furent magnifiques. Les peintres, les architectes, les sculpteurs, les orfèvres et presque toute la population de la ville, accompagnèrent son corps jusqu’à l’église de San-Lorenzo.

Pendant long-temps, on ne cessa de célébrer sa mémoire en diverses langues. Mais, avant de citer quelques-unes des épitaphes qui furent alors composées, nous raconterons un fait qui nous semble digne de n’être pas oublié.

Durant sa dernière maladie, peu de temps avant sa mort, Donatello reçut la visite de plusieurs de ses parents, qui, après les salutations et les consolations d’usage, lui dirent qu’il était de son devoir de leur laisser un petit domaine d’un modique revenu, qu’il possédait sur le territoire de Prato. Leurs instances furent vives et pressantes. Donato les écouta patiemment, et leur répondit : « Mes chers parents, je ne puis vous accorder ce domaine : il me paraît juste de le donner au laboureur qui l’a fait valoir à la sueur de son front. Vous n’avez contribué en rien à l’améliorer, vous vous êtes contentés de le désirer, et vous voudriez qu’il fût le prix de votre visite ! Allez, je vous donne ma bénédiction. » C’est ainsi que l’on doit traiter ces gens avides qui sont toujours prêts à se disputer les dépouilles des mourants. Donato appela donc le notaire, et légua son domaine au laboureur, qui, malgré sa pauvreté, lui avait peut-être rendu plus de services, dans ses moments de gêne, que tous ses parents.

Donato laissa ses études et ses dessins à ses élèves, parmi lesquels on compte Nanni d’Anton di Banco, qui mourut avant lui, le Rossellino, Desiderio, Vellano de Padoue et Bertoldo, sculpteur florentin, fidèle imitateur de son maître, comme le prouve un bas-relief en bronze que l’on conserve aujourd’hui dans la galerie du duc Cosme, et qui représente un combat de cavalerie. Ne peut-on pas dire enfin que tous les bons sculpteurs sont élèves de Donato ? Ses dessins sont d’une hardiesse sans égale : il est facile d’en juger par les figures drapées, les figures nues et les animaux merveilleux, que nous possédons de lui dans notre recueil.

Son portrait fut fait par Paolo Uccello.

Voici les épitaphes dont nous avons parlé plus haut :

Sculptura H. M. à Florentinis fieri voluit Donatello, ut pote homini, qui ei, quod jamdiu optimis artificibus, multisque sæculis, tum nobilitatis, tum nominis acquisitum fuerat, injuriave tempor. perdiderat ipsa, ipse unus una vita infinitisque operibus cumulatiss. restituent, et patriæ benemerenti hujus restitutæ virtutis palmam reportarit.

Excudit nemo spirantia mollius æra :
Vera cano : cernes marmora viva loqui.
Grœcorum sileat prisca admirabilis ætas
Compedibus statuas continuisse Rhodon.
Nectere namque magis fuerant hæc vincula digna
Istius egregias artificis statuas.




Quanto con dotta mano alla scultura
Già fecer molti, or sol Donato ha fatto :
Renduto ha vita a’ marmi, affetto, ed atto :
Che più, se non parlar, può dar natura ?


Peu de sculpteurs ont autant travaillé que Donato. Il ne recula devant aucune espèce d’entreprise, sans regarder si elle lui apporterait de grands ou de petits profits. Cette prodigieuse variété d’ouvrages en ronde-bosse, en demi-relief, en bas-relief et en très-bas-relief, fut extrêmement utile à l’art. Dans les beaux temps de l’antiquité grecque et romaine, il fallut tous les efforts de maints vaillants hommes pour porter la sculpture à cette perfection que Donato seul, plus que tout autre artiste moderne, a fait revivre de nos jours par la multitude de ses productions. Il trouva les moyens de vaincre les difficultés de l’art, et il posséda au plus haut degré le dessin, l’invention, le goût, et, en un mot, tout ce qui caractérise un génie divin. Il se distingua par une facilité, une hardiesse et une rapidité d’exécution vraiment extraordinaires, et il tint toujours bien au delà de ce qu’il promettait.

Bertoldo hérita de tous les travaux de son maître Donato, et, entre autres, de la chaire en bronze de San-Lorenzo. Il répara et termina la plupart de ses bas-reliefs, tels qu’on les voit aujourd’hui.

Au milieu d’une collection de dessins de peintres et de sculpteurs célèbres, le savant et révérend Don Vincenzio Borghini, dont nous avons parlé en plusieurs occasions, a placé, l’un en face de l’autre, deux croquis de Donato et de Michel-Ange, au bas desquels il écrivit ces ingénieuses devises : Ή Δωνατὀς Βοναῥῥοτίζει ἤ Βοναῥῥωτὀς Δωνατίζει, ce qui signifie en latin : Aut Donatus Bonarrotum exprimit et refert, aut Bonarrotus Donatum.

On nous a reproché d’avoir gardé le silence sur l’origine de l’architecture, dans l’examen rétrospectif que nous avons consacré à cet art, à la suite de la biographie d’Arnolfo di Lapo. Aujourd’hui que nous allons encore redescendre et remonter la pente des temps, afin d’embrasser la sculpture dans son ensemble, aurons-nous égard aux exigences de la critique ? Non. Si elle est de bonne foi, elle reconnaîtra que la solution du problème qu’elle nous demande est impossible. On ne saurait pas plus déterminer l’origine de l’art que celle de la parole. Dans quel siècle, chez quel peuple, l’art a-t-il pris naissance ? Il n’est permis de parler que des siècles et des peuples dont la tradition a conservé le souvenir. Il faut alors ne tenir aucun compte des premiers hommes, ou admettre qu’ils ont vécu à la manière des chrysalides. L’homme est né avec certains appétits, certaines passions, que les arts ont eu mission de satisfaire. À mesure que le contact social s’est opéré, ces appétits, ces passions, se sont développés, et les arts avec eux. Vouloir préciser l’instant où les arts se sont dévoilés, c’est prétendre mettre le doigt sur cet intangible point où finit la nuit et commence le jour. Que de gros traités sur les origines ! que de systèmes divers ! que d’assertions tranchantes ! Qu’est-il advenu de ces édifices qui ont coulé tant de peine à élever ? Tous, sans exception, ont été renversés de fond en comble. Pour ne citer qu’un exemple : les Grecs n’ont-ils pas été unanimement proclamés inventeurs des arts, et les preuves les plus irréfragables ne sont-elles pas venues ensuite démontrer qu’ils n’étaient que les continuateurs des peuples de l’Asie ? La mythologie même, dont les Grecs tiraient tant de vanité, ne s’est-elle pas trouvée consignée dans les livres que l’Inde écrivait des milliers d’années avant que la Grèce ne songeât à l’alphabet ? On s’est imaginé qu’il suffisait d’avoir rencontré en Grèce l’art au maillot, pour être autorisé à dire qu’il y était né. Pourquoi alors ne pas le faire naître, au dixième siècle, en Italie, puisqu’on l’y découvre à l’état de fœtus ? L’art, comme l’individu, connaît les diverses périodes de la naissance, du développement, de l’épanouissement et de la fin. L’art, comme l’individu, possède aussi la faculté génératrice. L’art grec procède de l’art égyptien, de même que l’art romain procède de l’art grec, de même que l’art égyptien procède de l’art oriental, enfant de la lumière, aïeul de tous les arts.

Mais il est inutile de nous arrêter davantage sur l’origine de l’art, qui n’est autre que celle de l’humanité, et, sans plus nous en préoccuper, nous allons essayer de faire comprendre quels ont été le caractère, la destination, l’allure et les principales vicissitudes de la sculpture, dans les contrées où nous avons déjà étudié les diverses fortunes de l’architecture.

Toutefois, avant d’entrer en matière, il ne sera peut-être pas inutile d’avertir que, de propos délibéré et non par oubli, nous ne tiendrons aucun compte des blocs informes que quelques écrivains ont confondus à grand tort avec les premières productions de l’art statuaire, telles que les pierres mobiles de la Chine, les pierres debout de la Bretagne et du Poitou, la Cybèle de Pessinonte, la Minerve de Mégalopolis, le Cupidon de Thespis, l’Apollon de Mégare, le Jupiter de Sicyone, la Vénus de Paphos : pierres pyramidales dont le ciseau n’a jamais approché, grossiers symboles jadis vénérés par les peuples, mais qui n’ont pas plus le droit d’être introduits dans le domaine de l’art, que les montagnes de Chang-Epechang et de Piperial, objets de l’adoration des Tartares. On ne peut raisonnablement mettre au nombre des œuvres sculpturales des monuments auxquels n’a point présidé le travail de l’intelligence et de la main.

La sculpture, qui s’adresse, comme l’architecture et la peinture, à l’esprit et aux sens, offrait à l’homme de trop puissants moyens d’exprimer ses sentiments, de transmettre et d’imposer ses idées, pour que, dès le principe, elle ne fût point appelée à jouer un rôle important dans l’histoire de l’humanité. En effet, aussi loin que l’œil peut plonger, on l’aperçoit donnant la main à la religion et à la politique, et leur prêtant un langage d’une énergique éloquence. Les rochers qu’elle taille en pyramides dont la forme ressemble à celle que prend la flamme en s’élançant dans les airs, rappellent à l’adorateur du feu la triple puissance de la divinité, de la création et de la conservation. Les effrayants symboles qu’elle tire des masses de granit et de basalte évoquent dans l’âme des peuples le souvenir de l’autorité terrible qui, dans l’ombre et le silence, veille sur leurs actions, les pèse et les juge.

Partout, en Orient et en Occident, l’art primitif a le même caractère, les mêmes moyens : l’immensité, l’immobilité, l’unité ; le même but : la terreur. L’humanité craignit Dieu avant de l’aimer. Jusqu’au moment où l’intelligence osa s’attaquer au droit odieux du plus fort, le sentiment de l’épouvante souleva seul dans les cœurs l’idée du pouvoir régulateur. Sans l’appareil déployé primitivement par l’art, les anciennes religions symboliques n’auraient probablement pas tardé à perdre leur empire sur des esprits auxquels il était défendu de scruter les dogmes. Aussi, devant les premières statues indoues, égyptiennes, grecques et gauloises, aux gigantesques proportions, au galbe mystérieux et uniforme, les fronts se courbaient, la raison se taisait.

En Orient, la sculpture sembla condamnée à servir exclusivement la pensée religieuse et politique. Esclave soumise et dévouée, elle rendit fidèlement les formules destinées à consacrer et à affermir les croyances et les liens sociaux que travaillait à imposer aux masses la puissante théocratie qui s’étendait sur l’Inde et l’Égypte. Rien n’était plus propre d’ailleurs à entretenir leurs espérances, que ces hiéroglyphes où perçait la préoccupation d’une autorité secrète et sans bornes, où dominait l’idéal. Les types énigmatiques creusés dans les rochers de Salcette, d’Illoura, de Mahabalipuram, de Chalembrom, de Schiagrenah, de Keylas ; les figures emblématiques, supports merveilleux des sept pagodes ; les colosses, les sphinx de la nécropole d’Osymandias, les avenues de Spinas, de Karnak et de Memphis, fournissaient ample satisfaction à l’inquiétude fiévreuse de ces peuples. Ces œuvres, que l’on serait tenté de regarder comme les fruits d’un conte, si leurs restes ne témoignaient pas de leur réalité, exigèrent le concours de toutes les forces morales et matérielles que peuvent donner la foi et la puissance. Il fallut que les doctrines du législateur fussent émises par lui avec foi, traduites par l’artiste avec foi, accueillies par le peuple avec foi. Il fallut que le législateur répandît dans le sein de la société des semences de vie et de durée, que le peuple fût confiant dans les institutions, que l’artiste eût conscience du but divin de son ouvrage, autant que de la divinité de l’objet qui l’inspirait. L’art résuma dans toute sa plénitude la pensée dominante de l’Orient. Tout partait du culte, tout retournait au culte. La sculpture, comme les autres arts, s’y fondit tout entière. Elle n’en fut qu’une des formes ; sa beauté n’en fut que le reflet et le rayonnement.

Si majestueux que fût l’horizon concédé à la sculpture, il était borné. Tenu en chaîne par une ombrageuse théocratie, l’art statuaire ne pouvait franchir certaines limites ; il lui était interdit de soulever le voile derrière lequel se tenait la sainte personnalité humaine. L’atmosphère mystique où on l’avait relégué lui était lourde. Il songea à briser le le frein brutal qui le blessait. Il tourna son regard vers la terre ; l’humanité lui tendait les bras, il s’y jeta. Dans cet embrassement généreux, il se réchauffa, il puisa une vigueur, une sève nouvelles, pour parcourir une route nouvelle et plus large, pour accomplir une mission nouvelle et plus harmonique, pour créer un idéal nouveau plus sympathique et plus lumineux. De cette étreinte féconde naquit l’art grec fier et progressif. La révolte à laquelle les peuples applaudirent enfanta la liberté. De la victoire remportée sur l’immobilité et la mort sortirent le mouvement et la vie. Certes, les persécutions, les pièges, les dangers, les inquiétudes de tout genre ne manquèrent pas à l’audacieux qui osait braver le courroux sacerdotal ; mais aucun obstacle ne se rencontra si fort qu’il ne pût le renverser, car il avait fait étroite alliance avec l’humanité qui le soutint et l’aida, tant que lui-même il lui demeura fidèle.

Avant de placer l’indépendance sur un piédestal où elle fût visible à tous les yeux, la Grèce aussi avait eu son temps de compression religieuse. De Cécrops à Dédale, c’est-à-dire pendant trois siècles, elle resta immobile, inerte, sous le manteau de pierre dans lequel l’Egypte avait emprisonné ses membres. De Dédale à Phidias, c’est-à-dire pendant dix siècles, elle travailla sans relâche à déchirer son enveloppe fatale. Lorsqu’elle eut effacé les derniers stigmates du carcan égyptien, semblable à la foudre, elle s’élança sur son bourreau, lui jeta à la face ses colères, ses mépris, ses indignations si longtemps étouffés ; puis elle l’écrasa sous son talon comme la meule écrase la grappe, et le balaya dans l’abîme comme l’ouragan balaye la feuille dans le désert. Enfin le pénitent a dépouillé le sac ; enfin l’homme n’est plus le valet du prêtre, il est le maître. Enfin la religion obéit à l’homme et non plus l’homme à la religion ! Que l’on ne crie pas à l’impiété, car s’il en eût été autrement, le peuple qui nous a donné les Phidias, les Polycîète, les Scopas, les Apelle, les Praxitèle, les Ictinus, les Socrate, les Platon, les Périclès, ce noble peuple fût demeuré ignoblement courbé devant les monstrueuses idoles de l’Indus et du Nil, sous la verge de leurs ministres. Le règne de l’homme réhabilité, triomphant, était donc arrivé. L’art ne se fatigua plus en vaines recherches de la beauté : le corps humain la lui offrit complète. Les dieux, pour être glorifiés, furent forcés de prendre la forme, les vertus et même les vices des hommes, et de se plier aux variétés infinies de leurs types divers. En revanche, les hommes se placèrent dans la hiérarchie du ciel.

Cette époque glorieuse où l’art s’étala au soleil dans toute sa pompe, sa splendeur, sa force et sa majesté, peut se désigner sous le nom de la renaissance de Phidias, et se comparer à la renaissance moderne. Au siècle suivant, toutes les natures, tous les âges, tous les caractères, toutes les passions, en un mot toutes les manifestations du monde extérieur se trouvèrent acceptés, ennoblis, exprimés par l’art. Les temples, les portiques, les rues, les places publiques, les maisons des citoyens se remplirent d’un peuple de statues qui répondaient avec une magnifique harmonie à toutes les tendances de l’humanité.

Ce prodigieux mouvement, opéré par Phidias, continué par Praxitèle et Lysippe, fut admirablement servi par Périclès et Alexandre. À peine le soldat macédonien est-il proclamé par l’oracle d’Ammon fils de Jupiter, que se multiplient de toutes parts, d’une manière vraiment fabuleuse, les statues équestres, les quadriges, les groupes en marbre, en ivoire, en airain, en argent, en or. C’est alors que Lysippe fit ses célèbres hippomachies, ses colosses, hauts de trente et de quarante coudées, que Pline compare à des tours. C’est alors que son élève Charès de Lydie dota de son fameux colosse l’île de Rhodes où, assure Pline, l’on en comptait cent autres de bronze dont chacun aurait suffi à la gloire d’une ville.

Après la mort d’Alexandre, l’art grec, inquiet et maladif, attendit que les Apollonius, les Agésias, les Glycas vinssent lui rendre, sinon son entière vigueur, au moins une partie de son éclat. De Périclès à Alexandre, la Grèce avait été le théâtre de combats continuels ; mais l’amour de la liberté en avait été la principale cause. Aussi ces luttes acharnées, loin de châtrer la puissance créatrice, ne firent que hâter sa splendide efflorescence, et aiguillonner profondément toutes les énergies ; sous le ciseau de l’artiste, de célestes éclairs sillonnaient le marbre et l’airain destinés à éterniser les héros de la patrie, les gloires de la nation. Pourquoi, au contraire, dans les guerres qui suivirent le partage des dépouilles du lion macédonien, le génie grec traîna-t-il languissamment ses ailes ? C’est qu’il n’était plus soutenu par le souffle inspirateur et vivifiant de la liberté ; c’est que l’haleine fétide de la servitude empoisonnait les arts.

L’art, contraint de s’expatrier, chercha un refuge à la cour des Lagides, en Asie, où déjà, sous le sabre du conquérant, la philosophie grecque s’était mariée au dogme oriental. Alexandrie fut pour l’art une nouvelle Athènes. Ptolémée Philadelphe l’y accueillit ; trop tôt, hélas ! Ptolémée Évergète l’en chassa. Tous les habitants de cette ville immense s’enfuirent, y laissant seul avec ses gardes l’usurpateur dont ils avaient chaque jour à essuyer les outrages sanglants et meurtriers. L’art retourna alors en Grèce ; mais il ne tarda pas à y râler sous la main brutale et féroce des Romains qui, après s’être amusés à le mutiler, plâtrèrent et cautérisèrent ses plaies ou, pour mieux dire, le transformèrent, le comprimèrent dans un moule à leur guise, d’où il ne sortit que pour remplir le rôle qu’ils lui assignèrent dans leurs divertissements orgiaques. L’art transformé, l’art incarné romain, fils de la violence et du pillage, fut condamné à porter sur le front le stigmate de son origine que tous ses efforts furent impuissants à déguiser. Il eut beau agiter devant le monde, pour le fasciner et l’éblouir, les franges dorées de sa robe, partout l’œil reconnut les lambeaux arrachés à l’Orient, à l’Égypte, à l’Étrurie, à la Grèce. Rome, non par amour, mais par frénésie d’orgueil, par raffinement d’égoïsme, lui sacrifia tous ses trésors, impudemment volés ou légitimement acquis, et lui demanda en retour des chatouillements capables de raviver ses sens émoussés. La sculpture répondit bien à ses désirs. Courtisane habile, elle se façonna, elle se plia à tous ses caprices, à toutes ses extravagances. Mais comme certaines courtisanes, victime de ses honteuses complaisances, de ses dégoûtants et monstrueux excès, elle tomba appauvrie, dégradée, épuisée, les membres atrophiés, les organes flétris.

Nous n’exagérons rien. Pour le prouver, il suffira de dire quels étaient les hommes, personnifications vivantes de Rome, sous lesquels elle fonctionna, et l’on comprendra ce qu’elle dut devenir avec l’architecture et la peinture, ses sœurs, dont le sort fut presque semblable au sien. Les hommes qui la polluèrent ne furent autres que les empereurs. Suivons-les donc depuis Auguste jusqu’à Constantin[1]

Auguste, ce cœur froid et calculateur, qui joua, durant sa vie entière, à la séduction, espérant tirer profit de l’art qui lui échut encore tout souffrant des blessures qu’il avait reçues à Elis et à Corinthe, lui farda les joues, afin de dissimuler sa pâleur, lui couvrit les épaules d’un manteau brodé avec soin, et le livra à la corruption matérielle et intellectuelle, à la subtilité, à l’enflure, au mensonge, à l’adulation, à la bassesse, à la sensualité et à la luxure. Après Auguste, l’art suivit le dieu des délateurs, Tibère, dans l’île de Caprée, théâtre de tous les crimes, et refléta l’atroce physionomie du monstre qui prit consciencieusement à tâche de rassembler toutes les turpitudes, toutes les scélératesses, pour s’en souiller la face.

À qui l’art dut-il ensuite obéir ? quels furent ses nouveaux maîtres ? un fou, un imbécile, un histrion, Caligula, Claude, Néron. Caligula, cet insensé qui ordonnait à la lune quand elle était pleine de venir coucher avec lui ; Caligula, cet infâme qui, encore enfant, préludait par l’inceste avec une de ses sœurs au viol de toutes les autres ; puis Claude, cette brute qui par son aspect stupide excitait le mépris de sa mère elle-même ; Claude, ce poltron qui se cachait derrière une porte lorsqu’un soldat lui jeta le diadème des Césars[2] ; Claude, ce lâche qui n’avait pas assez de caresses pour Messaline, lorsque cette reine des prostituées daignait descendre sur le lit nuptial, au sortir du lupanar où elle s’était vendue aux portefaix et aux matelots ; enfin Néron, le divin chanteur qui incendiait Rome en s’accompagnant sur le luth ; Néron, le divin danseur qui déployait ses grâces dans les fêtes nocturnes, aux lueurs sanglantes des flambeaux où brûlaient les chrétiens revêtus de tuniques imprégnées de poix[3] ; Néron, le divin poète qui se mariait à des hommes, et inventait des femmes nouvelles[4] ; Néron, le divin cocher, le divin athlète, empoisonneur de son frère Britannicus ; Néron, le divin joueur de flûte, assassin de sa mère. Et l’art sut satisfaire aux fantaisies de ces protecteurs : jugez à quelles énormités il lui fallut se soumettre.

Il n’eut pas le temps de s’asseoir au banquet auquel le convièrent le vieux Galba, le faible et voluptueux Othon, le gras Vitellius, intrépide ivrogne, impérial gourmand, dont le seul monument fut un plat d’argent colossal[5].

Aux fatigues de la débauche succéda, pour l’art, un siècle de repos ouvert par Vespasien, interrompu un instant par Domitien, continué par Nerva, Trajan, Adrien, Antonin, et fermé par Marc-Aurèle. Mais quels résultats obtinrent la fermeté de Vespasien, la douceur de Titus, la générosité de Nerva, la grandeur de Trajan, la sagesse d’Adrien, la piété d’Antonin, la philosophie de Marc-Aurèle ? L’art en fut-il purifié ? non. La gangrène avait pénétré jusqu’à la moelle. Il prit seulement des forces factices pour figurer dans les abjectes orgies où l’entraînèrent les Commode, les Septime Sévère, les Caracalla, les Héliogabale. Commode, cet autre insensé qui s’enivrait de volupté à couper un homme en deux pour en fouiller les entrailles[6]. Septime Sévère, qui contraignait les sénateurs à faire de Commode une divinité. Monstre encore plus affreux que Tibère, incestueux encore plus criminel que Caligula, histrion, incendiaire, fratricide, parricide comme Néron, Caracalla fut l’amant de sa mère, le bourreau de son père, de son frère, de sa femme et de vingt-quatre mille citoyens. Ce bâtard d’un Africain et d’une hétaïre phénicienne se croyait un autre Achille. Il alla dévotement visiter les ruines de Troie, et afin d’avoir, comme le fils de Pélée, la mort d’un ami à pleurer, il empoisonna son affranchi Festus qu’il aimait plus qu’un frère. Il posa lui-même le cadavre sur un bûcher haut de cent pieds, et, pour compléter la parodie, à l’exemple du plus beau des Grecs qui s’était dépouillé de sa blonde chevelure sur le corps de Patrocle, notre bouffon, laid, petit et difforme, s’arracha deux ou trois cheveux qui erraient sur son crâne dévasté par de sales voluptés[7].

Si l’art ne put se régénérer sous l’impuissant Macrin, voyons ce qu’il devait attendre d’Héliogabale, ce jeune prêtre du soleil, à qui sa ravissante beauté, que l’on comparait à celle de Bacchus, valut le sceptre de l’univers. Le Syrien Héliogabale, les paupières et les ongles peints, les joues et les lèvres vermillonnées, le front ceint d’une tiare étoilée de diamants, le cou ruisselant de perles, les bras chargés de bracelets d’émeraudes et de rubis, les pieds chaussés de sandales ornées de pierres gravées, le corps serré dans une tunique d’étoffe d’or jetée sur une robe de soie à la phénicienne ; Héliogabale accompagné de magiciens, de devins, d’astrologues, d’hétaïres, d’eunuques, de chanteurs, de danseurs, de nains et de naines revêtus de costumes étranges, marchant à reculons et baladant devant une pierre triangulaire consacrée au soleil ; Héliogabale franchit les vieilles murailles romaines, pour donner à la ville éternelle un spectacle suprême et inouï qui écrase l’imagination. Héliogabale voulut surpasser ses prédécesseurs par ses prodigalités, ses prostitutions, ses infamies de tout genre ; on dirait qu’il voulut montrer jusqu’où peuvent aller l’iniquité et la folie. Pour promener ce jeune enfant, qui ne portait jamais deux fois la même robe, la même chaussure, la même bague[8], qui ne s’approchait jamais deux fois de la même femme[9], qui ne donnait que sur des coussins remplis du duvet caché sous l’aile de la perdrix[10], les jardins, les voies, les parcs des empereurs n’étaient pas assez somptueux ; les chars d’argent et d’ivoire n’étaient pas assez riches ; les chevaux les plus accomplis n’étaient pas assez dignes ; il lui fallait des portiques semés de paillettes d’or, des chars d’or incrustés de pierres précieuses, des attelages de femmes nues choisies parmi les plus parfaites[11]. Les ornements de ses repas d’été changeaient chaque jour de couleur ; les ciselures les plus obscènes couvraient les vases d’argent du poids de cent livres[12]. Des pluies de roses, de violettes et de fleurs les plus rares tombaient des lambris tournants jusqu’à ce que les convives demeurassent pâmés, et à moitié étouffés sur leurs lits d’argent massif[13]. Le nard, le storax et d’autres parfums exquis, renfermés dans des trépieds et des lampes d’or, lançaient des flammes bleuâtres, pendant que se succédaient vingt-deux services entre chacun desquels on se lavait et l’on changeait de femmes[14]. Pour réveiller le palais blasé de l’adolescent, il fallait des murènes engraissées de chair humaine, des talons de chameau, des crêtes arrachées à des coqs vivants, des langues de paons et de rossignols, des pois assaisonnés avec des grains d’or, des lentilles avec des pierres de foudre, des fèves avec de l’ambre, du riz avec des perles[15]. Pour égayer le repas et varier la débauche, Héîiogabale immolait les enfants des meilleures familles, veillant à ce qu’ils eussent père et mère vivants, afin qu’il y eût plus de douleur[16], afin que les larmes se mêlassent, dans sa coupe, au sang et au vin de rose. Et le beau Syrien était adoré par son peuple, par ses officiers, par ses chiens, par ses lions, par ses chevaux. Il jetait à son peuple, par les fenêtres, des pierres fines, des fruits et des fleurs ; il l’enivrait dans les bains et les piscines de vin de rose et d’absinthe[17] ; il gorgeait ses officiers de laitances de lamproies et de loups marins, d’entrailles de barbeaux, de cervelles de phénicoptères et de grives, d’œufs de perdrix et de têtes de paons[18] ; il rassasiait ses chiens de foies de canards, ses lions de perroquets et de faisans ; il nourrissait ses chevaux de raisins d’Apamène, et les abreuvait avec du vin de Crète, de Massique et de Falerne[19]. Maintenant quels termes employer pour continuer ce récit ? quels mots sauraient voiler ce qu’il nous reste à dire ? comment traduire les faits que l’historien latin nous a transmis dans toute leur nudité ? Héliogabale n’acceptait pour ministres du pouvoir et de ses voluptés que les hommes doués par la nature des facultés les plus puissantes pour accomplir les œuvres de la plus révoltante lubricité[20]. Après s’être habillé en femme, s’être intitulé domina et imperatrix il prit pour mari le cocher Zoticus qu’il abandonna pour célébrer d’autres noces avec Hiéroclès, fils d’un cuisinier[21]. De même que Caracalla devant son armée parodiait Achille, Héliogabale devant sa cour se plaisait à imiter Pâris. Mais nous nous refusons à aller plus loin, nous nous hâtons de terminer, en rappelant que le prêtre du soleil qui, dans la prévision du châtiment, avait fait paver une cour en pierres précieuses pour se casser la tête, et tenait en réserve des poignards d’or, des cordons de soie et des poisons dans des vases de cristal et de porphyre, ne put en profiter, fut tué dans des latrines[22], traîné à l’égout et enseveli dans le Tibre. Pendant les quatre années que durèrent les bacchanales héliogabalesques, l’art romain, qui croyait sa fin prochaine, voulant assister lui-même à son banquet funéraire, rassembla toute son ardeur pour se ruer d’un élan furieux dans les tourbillons vertigineux de l’orgie. Vêtu d’une robe d’or et d’argent émaillée de pierreries éblouissantes, qui réussissait moins à cacher qu’à mettre en relief ses formes lascives, il brilla d’une beauté météorique et infernale, que lui donnait l’espoir de mourir dans l’ivresse sur la soie empourprée de vin et de sang, parsemée de roses et de violettes. Mais pour lui l’heure finale ne devait pas sonner de si tôt. Il fallait qu’il reçût le prix de ses iniquités ; il fallait qu’il passât par toutes les angoisses d’une expiation mille fois plus cruelle, plus ignominieuse et plus longue, que le supplice infligé à son maître Héliogabale. Dépouillé de sa parure impudique, et condamné au jeûne le plus extrême, par Alexandre Sévère, il aurait succombé sous le froid et la faim, si un os et une loque ne lui eussent été jetés par un soldat de race barbare, par Maximin, géant de huit pieds et demi de haut, qui se récréait à briser d’un coup de poing les dents ou la jambe d’un cheval, à terrasser trente lutteurs l’un après l’autre sans se reposer, à montrer plusieurs coupes pleines de ses sueurs, à engouffrer en un seul jour dans son vaste estomac quarante livres de viande, à livrer les meilleurs citoyens aux bêtes féroces, à les crucifier ou à les coudre dans les carcasses d’animaux fraîchement tués[23].

Ce que l’art romain avait arraché à la pitié, ou plutôt à une distraction de Maximin, fut tout ce qu’il obtint de Maxime Papien, fils d’un charron ; de Gordien, dernier descendant des Gracques ; de Philippe, fils d’un chef de brigands arabes ; de Gailus, tributaire des Goths ; et de Valérien, dont la tête servit de marche-pied à Sapor pour monter à cheval, avant que ce prince ne le fît écorcher vif, et n’ordonnât de saler, de tanner, de teindre en rouge, d’empailler et de suspendre aux voûtes du principal temple de sa capitale la peau de l’infortuné[24]. Le

joyeux Gallien, qui ne songeait qu’à ses plaisirs, et écrivait à l’un de ses officiers de n’épargner ni les enfants ni les vieillards, coupables d’une parole, d’une pensée, contre lui[25] ; Gallien, qui construisait des petites chapelles avec des feuilles de roses, des châteaux avec des fruits, et envoyait à la mort quatre mille soldats[26] ; Gallien, qui riait et demandait quels seraient les festins et les divertissements du jour et du lendemain, lorsqu’on empaillait son père Valérien[27] ; Gallien, troublé dans ses fêtes par les râlements lugubres de l’art romain, le fit fouailler impitoyablement par ses valets, et chasser de la niche où, depuis Héliogabale, il lui avait été permis de s’abriter dans la cour des empereurs. Alors, le misérable, les cheveux rares et hérissés, les yeux hagards et faméliques, les joues sèches et déformées, la bouche torse et béante, la peau bourbeuse et rongée d’ulcères, la poitrine cave, l’échine hideusement bombée, les bras comme ceux d’un squelette véreux, les jambes estropiées et trébuchantes, alla rouler dans la boue du ruisseau. Claude II, Aurélien, Probus, Carus, Dioclétien et Constance-Chlore, furent également sans pitié pour lui : ils le laissèrent frapper à la porte des cabarets et des lupanars, mendier auprès des baladins, des gladiateurs, des cochers, des prostituées et de la plus vile gueusaille de Rome. Gisant à la borne du carrefour, en butte aux risées, aux railleries, aux cruautés des enfants, aux aboiements et aux morsures des chiens, l’art, poussant des hoquets convulsifs, était près de rendre le dernier soupir, lorsque Constantin l’enveloppa dans sa pourpre et le conduisit aux rives du Bosphore.

Bientôt, baptisé chrétien, l’art païen renia son nom et emprunta celui de Byzance, la nouvelle métropole du monde. Mais les temps d’épreuves et de tribulations, pour être moins douloureux, n’approchaient guère de leur terme. Tantôt protégé et accablé, par la prodigalité fastueuse de Constantin, de trésors enlevés à Rome, à la Grèce et à l’Asie ; tantôt abandonné et livré, par l’humeur capricieuse du prince, à la pioche et au marteau, il eut à lutter contre les mépris des rigides adorateurs du Christ, qui le voyaient, courtisan trop souple du souverain, servir à la fois et les divinités de l’Olympe et l’Homme-Dieu de Nazareth. Ces rudes ascètes s’indignaient de ce que l’eau du baptême n’eût pas plus nettoyé son âme de ses vices, qu’elle n’avait guéri son corps de la lèpre et des dartres. Cependant, l’Eglise, qui n’osait pas trop s’attaquer de front aux fantaisies du maître ; l’Eglise, prudente, transigea et patienta. Peut-être aussi espérait-elle convertir et ramener à des principes plus sévères l’art, auquel, depuis longtemps d’ailleurs, sa politique, en dépit de sa morale, avait permis de s’introduire jusque dans les catacombes. Mais, hélas ! à peine Constantin et ses trois fils eurent-ils été touchés par l’ange de la mort, que l’art apostasia avec Julien, et déserta la croix du Sauveur pour les foudres de Jupiter, la blanche colombe et l’agneau sans tache pour Vénus, Mars, Cybèle et Priape. Les supplices les plus atroces frappèrent les disciples de Jésus qui s’étaient montrés hostiles à l’apostat. Aux pieds des idoles élevées par l’art renégat à Césarée, à Ascalon, à Héliopolis, à Gaza, des milliers de fidèles furent égorgés, d’autres déchirés par des ongles de fer, d’autres éventrés par les broches des cuisiniers et les quenouilles des femmes ; d’autres eurent les entrailles dévorées par des cannibales, ou brouillées avec de l’orge et offertes aux pourceaux[28]. Enfin, lorsque Julien, le corps percé d’une javeline, eut lancé à deux mains son sang vers le ciel, en s’écriant : « Tu as vaincu, Galiléen[29] ! » l’art se repentit, se voila la face, se couvrit de cendres et implora pardon. Mais l’Église, oubliant, dans son juste ressentiment, les préceptes de charité du Crucifié, le repoussa du pied, lacéra et brûla ses tableaux, faucha et broya ses statues, renversa ses temples et promena la charrue sur leurs décombres. Saint Martin dans les Gaules, l’évêque Marcel en Syrie, l’archevêque Théophile à Alexandrie, sont les ministres de son implacable vengeance. L’illustre Symmaque, le vénérable Libanius, déploient toute leur éloquence pour attendrir Théodose. Écoutez Libanius ; après avoir dépeint les ravages exercés dans les villes sur les images et les sanctuaires, il s’exprime ainsi : « Dans nos campagnes se rendent les ennemis des temples ; ils se dispersent, se réunissent ensuite, et se racontent leurs exploits : celui-là rougit qui n’est pas le plus criminel. Ils vont, comme des torrents, sillonnant la contrée et bondissant contre la maison des dieux. La campagne, privée de temples, est sans yeux ; elle est ruinée, détruite, morte : les temples, ô empereur ! sont la vie des champs… C’est aux temples que le laboureur confie sa femme, ses enfants, ses bœufs, ses moissons… Les chrétiens n’ont-ils pas une loi conçue en ces termes : Pratiquez la douceur ; ayez horreur de la nécessité ou de la contrainte ? Pourquoi donc se précipitent-ils sur nos temples avec tant de fureur[30] ? » Mais Théodose, le pénitent de saint Ambroise, avait posé au sénat cette question : Quel Dieu les Romains adoreront-ils, le Christ ou Jupiter ? La majorité du sénat avait condamné Jupiter : les supplications de Symmaque et de Libanius ne furent point écoutées, et l’œuvre d’extermination se poursuivit sans relâche. La cupidité et le fanatisme, qui se glissent partout, se mêlèrent de la partie. « Les chrétiens, disait Libanius à Théodose, les chrétiens protestent qu’ils ne font la guerre qu’aux temples ; mais cette guerre est le profit des oppresseurs : ils ravissent aux malheureux les fruits de la terre, et s’en vont avec les dépouilles, comme s’ils les avaient conquises et non volées. Cela ne leur suffit pas : ils attaquent encore les possessions particulières, parce que, au dire de ces brigands, elles sont consacrées aux dieux… Quels sont les destructeurs de nos temples ? Ce sont des hommes vêtus de robes noires, qui mangent plus que des éléphants, qui demandent au peuple du vin pour des chants, et cachent leurs débauches sous la pâleur artificielle de leur visage[31]. » Plus tard, les persécutions dirigées contre la trinité de l’art s’augmentèrent encore de la colère du pape Grégoire, des empereurs iconoclastes, des juifs et des mahométans. Les artistes, à leur tour, ne furent point épargnés. On leur coupa les mains, on leur creva les yeux. Et cependant plus de deux cents ans séparaient Grégoire de Théodose, plus d’un siècle s’était écoulé entre Léon l’Isaurien et Grégoire. L’art proscrit demanda un asile aux sombres forêts, aux profondes cavernes, aux insalubres maremmes. Là, se nourrissant de larmes et de soupirs, confiant son repentir et ses lamentations aux tristes dyptiques, il attendait la mort, lorsque l’Église, enfin émue de compassion par ses souffrances et sa rude pénitence, l’Église l’appela dans son sein et foudroya la rage de l’Isaurien. L’art avait compté parmi ses plus acharnés persécuteurs les moines et un pape. L’art maintenant rencontrait ses plus chauds défenseurs sous la tiare pontificale et le froc monacal. Les papes lui ouvrirent leur palais et leurs basiliques, les moines leurs cloîtres et leurs chapelles. Après un long repos dans ces douces retraites, l’art laissa le nom qu’il avait pris à Byzance, et reçut mission de prêcher les doctrines de l’Église qui l’avait abrité, le sacrifice de la chair à l’esprit, de la forme à la pensée, de la beauté au symbole. L’Eglise, bien assurée que l’architecture serait fidèle à ses dogmes, lui donna toute liberté. Elle lui permit de chercher ses inspirations dans les édifices de l’Orient, de multiplier et de varier à son gré les élégants réseaux, les dentelles précieuses, les nervures délicates et hardies, les flèches élancées, les rosaces rayonnantes, les spirales gracieuses, les forêts de colonnes fleuries. Il n’en fut pas de même pour la sculpture. Les vieilles rancunes qu’elle avait inspirées à l’Église n’étaient pas encore éteintes. D’abord reléguée sur les tombeaux, puis admise à grand’peine sous le porche du temple, elle gémit et se désole. Humble servante de l’architecture, il n’y a pour elle ni indépendance, ni joie, ni parure, ni beauté.

Absorbée dans une rigide unité, immobile, le corps maigre, anguleux, raide et démesurément allongé sous une sèche et pesante draperie, elle semble moins aspirer au ciel que regretter ses gloires helléniques, et pleurer ses anciennes amours. Comme jadis en Egypte, le type austère et inflexible imposé par le dogme l’accable et l’étouffe. Elle songe à l’homme, elle songe à Athènes : l’ont-ils oubliée ? lui feront-ils défaut ? non. L’un et l’autre vont travailler à déchirer le suaire dans lequel elle gît emmaillottée. Un navire cingle vers le Campo-Santo et apporte un souvenir d’Athènes. Aussitôt un homme, Niccola de Pise s’en empare, et proclame l’émancipation de la statuaire. Mais, hâtons-nous de le dire, l’Église comprend toutes les conséquences de la révolte, si elle s’y oppose ; et elle s’avoue que le meilleur et le plus sûr moyen d’y remédier est de s’y prêter. Maintenant que nous avons rejoint Vasari, il nous suffira de rappeler les noms des hommes qu’il nous a si bien fait connaître, pour marquer chaque pas de la sculpture vers son épanouissement. À Niccola de Pise succèdent Agostino et Agnolo ; à Andrea de Pise, Orcagna ; à Jacopo della Quercia, l’illustre Ghiberti, et notre grand Donatello. Bientôt le divin

Michel-Ange Buonarroti, de sa main invaincue et invincible, conduira l’art à son but : l’alliance du verbe avec la chair réhabilitée et triomphante.
NOTES.

(1) La sépulture de Baldassar Coscia ne fut construite ni aux frais ni par l’ordre de Cosme de Médicis. Coscia laissa vingt mille florins d’or, dont mille furent employés par ses exécuteurs testamentaires, Bartolommeo Yalori, Niccolô da Uzzano, Giovanni de’ Medici et Vieri Guadagni, à élever son tombeau sur lequel on grava cette inscription :


JOANNES QUONDAM PAPA
XXIII. OBIIT FLORENTIE (sic)
ANNO DOMINI MCCCCXVIII.

XI. KALENDAS IANUARII.

Le Migliore, p. 56 de sa Firenze illustrata, raconte que Martin V fit de vives instances auprès des prieurs pour que cette épitaphe fût effacée ; mais il lui fut répondu : « Quod scripsi, scripsi. » Si le tombeau eût été érigé par Cosme, Martin V lui aurait adressé ses doléances, ou les prieurs lui auraient envoyé l’agent du pape.

(2) L’an 1688, cette statue fut transportée dans l’habitation du surintendant du temple de San-Giovanni, et remplacée par un saint Jean-Baptiste en marbre, sculpté par Giuseppe Piamontini.

(3) La figure de l’Abondance de Donato, rongée par l’intempérie des saisons, fut remplacée l’an 1721 par une autre statue due au ciseau de Gio. Battista Foggini, sculpteur et architecte florentin.

(4) San-Giovanni n’a jamais été un temple dédié au dieu Mars, comme l’ont prouvé les antiquaires florentins. Voyez Vicenzio Borghini dans la première partie de ses Discorsi, Leopoldo del Migliore, pag. 84 et 85 de sa Firenze illustrata, et le tome V du P. Richa. La colonne du Marché-Vieux ne put jamais appartenir à San-Giovanni, car elle diffère complètement des autres colonnes de ce temple.

(5) Les corporations de Florence élevèrent à leurs frais plusieurs monuments d’une magnificence extraordinaire, tels que l’église d’Orsanmichele, sous les fondements de laquelle on jeta, le 29 juillet 1337, des médailles d’or et d’argent portant cette inscription : Ut magnificentia populi Flor. artium et artificium ostendatur. Les quatre façades extérieures de cet édifice sont ornées de niches dans lesquelles chaque corporation voulut placer la statue en marbre ou en bronze de son patron. Voyez Manni, tom. XI, p. 105, De’ Sigilli.

(6) Cette tête de cheval n’est point l’ouvrage de Donato ; elle appartenait à un cheval antique jadis placé devant la cathédrale. Un archevêque fit fondre ce précieux morceau pour en former une grosse cloche. Voyez la Descrizione di Napoli du Sarnlldi, et le Vite de’ pittori napoletani du Domenici, tom. III, c. 63.

(7) Ce Tabernacle fut remplacé par un autre exécuté sur les dessins du Bernini, en bronze doré, orné de lapis-lazuli.

(8) Ces deux statues colossales n’existent plus.

(9) Vasari a oublié de nous reparler de Fra Bernardo et de ses miniatures.

(10) Lelio Torelli da Fano, savant légiste, publia, sous le nom de son fils Francesco, les Pandectes collationnées sur le fameux manuscrit pisan.

(11) La noble famille des Sommaj est éteinte. Chirico da Sommaja fut gonfalonier l’an 1363. Voyez l’Ammirato, lib. XII, c. 626.

(12) Aucune de ces épitaphes ne fut placée sur le tombeau de Donato ; mais plus tard on y grava l’inscription suivante, composée par le chanoine Salvino Salvini :


Donatellus
Restituta antiqua sculpendi cælandiq. arte
Celeberrimus
Mediceis principibus summis bonarum
Artium patronis apprime carus
Qui ut vivum suspexere
Mortuo etiam sepulcrum loco sibi
Proximiore constituerunt
Obiit idibus decembris an. sal. MCCCCLXVI.

Æt. suæ LXXXIII.

(13) Donato fit beaucoup d’autres ouvrages que Vasari passe sous silence, tels que les deux tombeaux de la chapelle Albizi, à San-Pier-Maggiore, mentionnés par le P. Richa dans ses Notizie Istoriche delle chiese di Firenze, tom. I, c. 145, les deux bustes de la congrégation de la doctrine chrétienne, le David de bronze de la cour du Palais-Vieux, et le David de marbre de la salle des Signori cités par le même auteur. On ne doit pas oublier non plus une tête qui orne un tombeau de la Minerva, une statue de saint Jean-Baptiste dans le baptistère de Constantin, et un buste placé à Santa-Maria-Maggiore, et dont parle le chanoine Titi dans sa Notizia delle pitture, etc., di Roma.

  1. M. de Chateaubriand a certes rendu un grand service, en ne reculant pas devant la tâche pénible d’exposer l’énormité des mœurs païennes, afin de faire mieux apprécier tout ce que le christianisme eut de providentiel et de réparateur. — Nous avons cru bon, à son exemple, de faire passer enfin sous les yeux des artistes, dans un livre qui leur est spécialement destiné, les mêmes textes et les mêmes faits. Ces textes et ces faits, empruntés à l’histoire, serviront à édifier sur le milieu abject et ignoble dans lequel l’art romain, si mal apprécié jusqu’ici dans ses différentes phases, a dû nécessairement opérer et se dégrader. Si nous n’avons pas le mérite de donner à ces documents l’admirable forme dont les a revêtus l’illustre écrivain, nous aurons au moins la discrétion d’accepter le choix judicieux qu’il en a fait.
  2. Neque multò post, rumore cædis exterritus, processit ad solarium proximum, interque prætenta foribus vela se abdidit : latentem discurrens fortè gregarius miles, animadversis pedibus, è studio sciscitandi quisnam esset, agnovit, extractumque, et præ metu ad genua sibi accidentem, imperatorem salutavit.Vita Claudii, cap. 11, pag. 202, edit. 1761.
  3. Nero quæsitissimis pœnis adfecit quos per flagitia invisos vulgus christianos appellabat. — Et pereuntibus addita ludibria, laniatu canum interirent, aut crucibus affixi, aut flammandi, atque ubi defecisset dies, in usum nocturni luminis urerentur. — Tacit. Annal., lib. xv.
  4. Nero tantùm Sabinæ desiderio teneri cœpit, ut puerum libertum (Sporus nominabatur) exsecari jussit quòd Sabinæ simillimus erat, eoque in cæteris rebus pro uxore usus fuit ; quin etiam, progrediente tempore, eum in uxorem duxit quanquàm ipse nuptus Pithagoræ liberto. — Dion. lib. lxii, p. 715.
  5. Hanc patinam, cùm fictilis esse non posset propter magnitudinem, argenteam fecit : eaque diù permansit, veluti res diis consecrata, quousque Adrianus eamdem conspicatus, confiari jussit. — Dion. Hist. rom. de Vitell., lib. lxv, pag. 735.
  6. Obtunsi oneris pinguem hominem medio ventre dissecuit, ut ejus intestina subito funderentur.Hist. Aug., pag. 128.
  7. Quumque esset raro capillo, et crinem quæreret ut imponeret ignibus, deridiculo erat omnibus : cœterum quos habuit capillos tamen totondit. — Herodian., lib. iv. pag. 310-311.
  8. Calceamentum nunquam iteravit ; annulos etiam negatur iterasse ; pretiosas vestes sæpè conscidit. — Lamprid., Vit. Heliogab. pag. 112.
  9. Mulierem nunquam iteravit præter uxorem. — Id, pag. 109.
  10. Nec cubuit in accubitis faciiè, nisi iis quæ pilum leporinum haberent, aut plumas perdicum, sub alares culcitras, sæpè permutans. — Id., p. 108.
  11. Habuit et gemmata vehicula et aurata, contemptis argentatis et æratis. Junxit et quaternas mulieres pulcherrimas et binas ad papillam, vel ternas et ampliùs, et sic vectatus est ; sed plerumque nudas, quùm nudum illæ traherent. — Lamprid., Vit. Heliogab., pag. 111. — Scobe auri porticum travit… ut fit de aurosâ arenâ. — Id., pag. 102.
  12. Deindè æstiva convivia coloribus exhibuit… Semper variè per dies omnes æstivos… Vasa centenaria argentea sculpta, et nonnulla schematibus libidinosis inquinata. — Ælii Lamprid., Hist. Aug. antè Heliogalab., <abbr class="abbr" title="page">p. 107.
  13. Oppressit in tricliniis versatilibus parasitos suos violis et floribus, sic ut animam aliqui efflaverint, quùm crepere ad summum non possent. — Ælii Lampridi, pag. 108.
  14. Exhibuit et aliquandò tale convivium ut haberet viginti et duo fercula ingentium epularum, sed per singula lavaret, et mulieribus uterentur ipse et amici cum jurejurando quod voluptatem efficerent. — Id., pag. 111.
  15. Comedit calcariea camelorum et cristas vivis gallinaceis demptas ; linguas pavonum et lusciniarum, piscem cum aureis, lentem cum cerauniis, fabam cum electris et oryzam cum albis. — Id., pag. 108.
  16. Credo ut major esset utrique parenti dolor. — Vit. Heliog.
  17. … Et rosis piscinas exhibuit, et bibit cum omnibus suis caldaria, miscuit gemmas pomis ac floribus, jecit et per fenestram cibos. — Ælii Lamprid., pag. 109.
  18. Exhibuit palatinis ingentes dapes extis mullorum refertas, et cerebellis phœnicopterûm, et perdicum ovis, et cerebellis turdorum ; et capitibus psittaeorum et phasiauorum et pavonum. — Id., pag. 108.
  19. Canes jecinoribus anserum pavit. Misit et uvas apamenas in præsepia equis suis, et psittacis atque phasianis leones pavit. — Id., pag. 108.
  20. Ad honores reliquos promovit commendatos sibi pudibilium enormitate membrorum. — Hist. Aug., pag. 474.
  21. Nupsit et coivit ut et pronubum haberet, clamaretque concide, magire, et eo quidem tempore quo Zoticus ægrotabal. — Hist. Aug., pag. 472, Dio., lib. LXXIX ; Herodian., lib. V.
  22. Atque in latrinâ, ad quam confugerat, occisus. — 'Hist. Aug., p. 478.
  23. Erat prætereà (ut refert Cords) magnitudine tanta, ut octo pedes digito videretur egressus ; pollice ità vasto, ut uxoris dextrocherio uteretur pro annulo. Jam ilia propè in aure mihi surit posita, quôd hamaxas manibus attraheret, rhedam onustam solus moveret ; equo si pugnum dedisset, dentes solveret ; si calcem, crura frangeret ; lapides tolicios friaret, arbores teneriores scinderet : alii denique eum Crotoniatem Milonem, alii Herculem, Antæum alii vocârunt… Cum militibus ipse luctam exercebat, quinos, senos et septenos ad terram prosternens… Sexdecim lixas uno sudore devicit… Volens Severus explorare quantus in currendo esset, equum admisit multis circuitionibus, et cum neque Maximinus accurrendo permutta spatia desiisset, ait ei… Bibisse illum sæpe in die vini capitolinam amphoram constat : comedisse et quadraginta libras carnis, ut autem Codrus dicit, etiam sexaginta… Sudores sæpè suos excipiebat, et in calices vel in vasculum mittebat ; ità ut duos vel tres sextarios sui sudoris ostenderet. — Hist. Aug pag. 368-369-372.
  24. Rex Persarum Sapores qui eum ceperat, si quandô libuerit aut vehiculum ascendere aut equum, inclinare sibi Romanum jubebat ac terga præbere, imposito pede super dorsum ejus. — Lact., de Morte persecut cap. V. pag. 60. Direpta est ei cutis, et eruta visceribus pellis, infecta rubro colore, ut in templo barbarorum deorum ad memonam triumphi clarissimi poneretur. — Id., cap. V, pag. 59. Valerianus scilicet jn captivitatem ductus a Sapore, non gladio, sed ludibrio omnibus vitæ suæ diebus merita pro factis percepit, ita ut quotiescumque rex Sapores equum conscendere vellet, non manibus, sed incurvato dorso et in cervice ejus pcde posito, eqno membra Ievaret. — Eutrop. in Vità Pontii manuscriptâ, apud Lact., pag. 60. Tandem a Sapore rege Persarum jussus excoriari, saleque conditus, in sempiternum lui infortunii trophæum ante omnium oculos statuisti. — Euseb., Orat. Const., pag. 442.
  25. « Galliemis Variano. Non mibi satisfacies, si tantum armatos occideris, quos et fors belli interimere potuisset. Perimendus est omnis sexus virilis, si et senes atque impuberes sine reprehensione nostrâ occidi possent. Occidendus est quicumque malè voluit ; occidendus est quicumque malè dixit contrà me, contrà Valeriani filium, contrà tot principum patrem et fratrem. Ingenuus e factus est imperator. Lacera, occide, concide : animum meum intelligere potes, meâ mente irascere, quia hoc manu meâ scripsi. » — Trebell. Pol., Trig. tyran. ; Hist. Aug., p. 500.
  26. Terna millia et quaterna militum, singulis diebus occidit (p. 476) ; cubicula de rosis fecit ; de prunis castella composuir, uvas triennio servavit, hieme summâ melones exhibuit ; mustum quemadmodum anno haberetur docuit, etc., etc. — Hist. Aug p. 475.
  27. …Nec ad talia movebatur… Sed ab iis qui circà eum erant requirebat : « Ecquid habemus in prandio ? ecquas voluptates paratæ sunt ? et qualis cras erit cana ? quales circenses ? » — Hist. Aug., p, 467.
  28. Sozomen., lib. v ; Theodoret., lib. cx  ; Greg Naz., Orat. IX.
  29. Aiunt illum, vulnere accepto, statim haustum manu suâ sanguinem in cœlum jecisse, hæc dicentem : « Vicisti, Galilæe ! » — Sozom., lib III  » cap. 25, p. 147.
  30. Libanius, pro templis ; traduction de M. de Chateaubriand.
  31. Id. ibid.