Vies des peintres, sculpteurs et architectes/tome 1/22


DUCCIO,
PEINTRE SIENNOIS.

Les écrivains accordent une grande importance aux hommes qui se distinguent par quelque invention remarquable, et cela est assez naturel, car la nouveauté excite toujours l’attention et l’étonnement plutôt qu’une chose connue et ancienne, si perfectionnée qu’elle soit. D’ailleurs l’inventeur n’est-il pas véritablement celui qui ouvre la porte au progrès ? Duccio, peintre siennois, mérite donc de justes éloges pour avoir été le premier à mettre en honneur les pavés en mosaïque, source de tant de merveilles exécutées par les artistes modernes. Il imita la vieille manière, et donna des formes gracieuses et une rare expression à ses figures, en dépit de toutes les difficultés que présentait son art. Il commença d’orner ainsi en clair-obscur le pavé de la cathédrale de Sienne. Il fit aussi dans la même église, pour le maître-autel qui était isolé, un tableau peint des deux côtés, qui plus tard fut remplacé par un tabernacle. Cette composition représentait, comme le rapporte Lorenzo Ghiberti, du côté qui regarde le peuple, un Couronnement de la Vierge qui tenait de la manière grecque et du style moderne, et du côté qui regarde le chœur, les principaux sujets du Nouveau-Testament. Les figures étaient très belles et de petite dimension. Malgré tous mes efforts, je n’ai pu trouver cette peinture ni savoir comment en disposa le sculpteur Francesco di Giorgio, lorsqu’il refit le tabernacle de bronze et les ornements de marbre qui l’entourent (1).

Duccio peignit pour Sienne plusieurs tableaux sur fond d’or, et pour Florence une Annonciation que l’on voit à la Santa-Trinità. Il exécuta ensuite, pour diverses églises de Pise, de Lucques et de Pistoia, des travaux qui lui acquirent une grande réputation.

Nous ne pouvons donner aucun renseignement sur la mort, les parents, les élèves et la fortune de cet artiste. Il suffit du reste de savoir qu’il légua aux artistes l’invention de la peinture en marbre, si l’on peut s’exprimer ainsi. Il mérite donc justement notre reconnaissance, et doit être compté parmi les bienfaiteurs de l’art.

On dit qu’il donna, l’an 1348, le dessin de la chapelle du grand palais de Sienne, et qu’il vécut du temps de Moccio, son compatriote, habile sculpteur et architecte, qui laissa en Toscane de nombreux ouvrages. Nous citerons entre autres le tombeau de marbre qui sert de support et d’ornement à l’orgue de l’église de San-Domenico, à Arezzo. Il éleva ce monument remarquable pour un membre de la famille Cerchi, l’an 1356 (2). Il fut employé dans l’œuvre de Santa-Maria-del-Fiore comme architecte en second et comme sculpteur. À Arezzo, il reconstruisit, telle que nous la voyons aujourd’hui, l’église de Sant’-Agostino (3), aux frais des héritiers de Pietro Saccone de’Tarlati, qui l’avait ainsi ordonné avant de mourir à Bibbiena, dans le Casentino. Il bâtit également l’église et le couvent de Sant’-Antonio qui, avant le siège de Florence où ils furent détruits, se trouvaient près de la porte de Faenza. À Ancône, il sculpta les figures et les ornements de la porte de Sant’-Agostino, en imitant ceux de la porte de San-Francesco de la même ville. Enfin il est l’auteur du tombeau du général de l’ordre de Saint-Augustin, Fra Zenone Vigilanti, et de la loge des marchands, qui depuis a reçu tant d’améliorations et d’embellissements. Tous ces travaux, dont nous ne faisons pas grand cas aujourd’hui, furent très admirés dans leur temps. Terminons en disant que les œuvres de notre Duccio datent de l’an 1350 environ (4).

Le Vasari s’est manifestement trompé dans la date qu’il attribue aux œuvres de Duccio de Sienne, qu’il fait fleurir vers l’an 1350. Il est tout à fait constaté que cet artiste commença à travailler à Sienne vers l’an 1282, et que son tableau du dôme, c’est-à-dire son principal ouvrage, fut exécuté de 1308 à 1311, ce qui le rend contemporain de Cimabue, qui mourut en 1310. Mais si le Vasari a mal déchiffré les dates, ou s’est fié à de faux renseignements, il n’en a pas moins, il est juste aussi de le reconnaître, très bien remarqué le caractère encore fortement byzantin de la peinture de Duccio ; caractère qui s’explique de reste comme on le voit. L’erreur du Vasari lui a été reprochée dans ces derniers temps avec une aigreur que rien, suivant nous, ne motive. Le Lanzi, qui a eu l’honneur de prendre l’initiative de cette rectification, il y a bien des années, l’a faite avec beaucoup plus de simplicité, et ne s’est pas cru en droit d’en tirer des conséquences aussi forcées. Il n’a pas voulu, en retrouvant les titres de Duccio, faire descendre Cimabue du rang que lui ont assigné les premiers historiens de l’art. Duccio, en effet, plus jeune que Cimabue, doit être mis seulement sur la ligne chronologique du Giotto, qui mourut quelques années avant lui, et dont la renonciation aux errements de l’école byzantine fut beaucoup trop franche pour qu’on puisse lui opposer sérieusement Duccio, malgré son mérite et l’expression pleine de charmes de quelques-unes de ses têtes.

NOTES.

(1) Ce tableau fut peint vers l’an 1311, et se trouvait dans la cathédrale, près de l’autel de Sant’-Ansano.

(2) Le tombeau des Cerchi n’existe plus.

(3) Moccio fit une semblable église pour les mineurs conventuels de Suvereto, à quinze milles de Piombino. Il y sculpta le tombeau de Fra Guglielmo Giannettini, vingt-neuvième général des mineurs.

(4) Duccio était fils de Boninsegna de Sienne. Il ne mourut point en 1357, comme le prétend l’annotateur romain du Vasari qui, de même que notre auteur, a confondu le célèbre Duccio avec un autre peintre du même nom, fils de Maestro Niccolò, qui vécut jusqu’en 1390. Voyez les Lettere sanesi, tom. II, pag. 66.