Vies choisies des Pères des déserts d’Orient/8


MONASTÈRES D’ÉGYPTE. — SAINT ATHANASE. — VOYAGE DU BIENHEUREUX JEAN CASSIEN ET DE L’ABBÉ GERMAIN.


Quoique la juridiction du patriarche d’Alexandrie s’étendit sur les déserts de la Thébaïde, de Nitrie et de Scété, nous avons distingué ces déserts de ceux de l’Égypte proprement dite, qui étaient plus voisins de la ville d’Alexandrie. Outre les moines qui occupaient les premiers, il y en avait grand nombre dans des monastères et des ermitages auprès de cette grande ville, et d’autres dispersés à deux lieues à la ronde, et où l’on comptait environ deux mille solitaires vers la fin du ive siècle. Leur nombre n’était pas si grand lorsque saint Antoine se retira dans la solitude : il n’y en avait que quelques-uns, qu’on regardait plutôt comme des ascètes que comme des moines, en prenant ce terme dans un sens rigoureux. Mais quand saint Antoine eut éclaté du fond de son désert par ses éminentes vertus et par les grâces extraordinaires que Dieu avait mises en lui, l’état monastique parut tout à coup s’élever et s’étendre dans l’Église comme un grand arbre, et l’on vit bientôt la ferveur de plusieurs chrétiens pénétrer jusque dans les déserts les plus reculés, et les peupler presque autant que l’étaient les villes.

Tels furent les effets de la vie admirable de ce saint, et des paroles de vie que Dieu mettait dans sa bouche pour le bien de ceux que le bruit de sa sainteté et de ses prodiges attirait à sa montagne. On comptait, soit en Égypte, soit dans les déserts voisins, à la fin du ive siècle, plus de quatre-vingt mille religieux ; et le nombre des religieuses allait bien au delà de vingt mille, puisqu’il n’y en avait pas moins dans la seule ville d’Oxirinque.

Saint Athanase, cet illustre défenseur de la foi orthodoxe, se rendit aussi, par son zèle, non-seulement le protecteur, mais encore le propagateur de l’état monastique. Il ne lui suffit pas de prendre un soin particulier des solitaires d’Égypte et du voisinage, et de leur témoigner en toute occasion une affection et une tendresse paternelles, il voulut de plus leur donner un modèle parfait en écrivant lui-même la vie de saint Antoine, qu’il porta aussi à Rome lorsque les affaires d’Égypte l’y appelèrent ; ce qui contribua beaucoup à y faire respecter une profession dont on faisait alors peu de cas, comme trop singulière ou trop nouvelle.

C’est apparemment ce qui a fait juger à quelques auteurs qu’il l’avait lui-même embrassée et qu’il y avait été formé par saint Antoine ; mais ce sentiment est dépourvu de preuves, et tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il fut du nombre des ascètes, ou de ceux qui menaient la vie religieuse dans les villes.

Les voyages que le bienheureux Jean Cassien fit avec l’abbé Germain dans les solitudes d’Égypte et des déserts voisins, nous ont fourni de grandes lumières sur les vertus des saints habitants de ces lieux, et nous ne saurions lui refuser ici une place distinguée, quoique nous ne le regardions pas comme un d’entre eux, parce qu’il se proposa moins d’être de leur nombre que de s’instruire par leurs exemples et leurs entretiens de la perfection religieuse.

Il est difficile de décider quelle fut sa patrie. Le sentiment le plus suivi le fait Scythe de nation. Ses parents vivaient dans une grande piété, et ils ne manquèrent pas de lui donner une éducation distinguée et conforme à la vertu qu’ils pratiquaient.

Ce fut dans un monastère de Palestine, à Bethléem, qu’il reçut avec l’abbé Germain les premiers éléments de la vie religieuse. Cet abbé Germain était son proche parent, ou, ce qui est plus certain, ils étaient du même pays. La charité les unit plus que le sang, et leur inclination pour la vertu les lia si étroitement, qu’on disait d’eux qu’ils n’étaient qu’une âme en deux corps ; mais surtout l’excellente conduite qu’ils gardaient l’un et l’autre dans le monastère les rendit extrêmement chers à leurs supérieurs et aux autres religieux.

Tandis qu’ils s’exerçaient ainsi avec ferveur dans les devoirs de leur état, l’abbé Pinufe, qui gouvernait un grand monastère auprès de Panéphyse en Égypte, s’étant retiré secrètement pour mener une vie plus cachée, vint dans le leur, où il espérait de n’être pas connu, et fut logé dans leur cellule. Mais ayant été bientôt découvert et obligé d’aller reprendre le gouvernement de ses religieux, cela leur fit naître la pensée de faire le voyage d’Égypte, dans le dessein de voir par eux-mêmes la vie que menaient les cénobites et les anachorètes qui y étaient en grand nombre, et de pénétrer même dans les déserts les plus reculés de la Thébaïde et de Scété. Cassien pouvait avoir alors vingt-cinq à trente ans, et Germain était un peu plus âgé.

Ils ne purent exécuter ce projet sans la permission de leur supérieur, qui s’y opposa d’abord, ainsi que les religieux du monastère, parce qu’ils les chérissaient tendrement à cause de leur vertu. Ils y consentirent enfin, à condition qu’ils reviendraient le plus tôt qu’il leur serait possible ; ce qu’ils n’osèrent refuser de peur de les attrister, et ils en donnèrent leur parole en présence de tous les frères, devant Jésus-Christ, qui en fut témoin, et dans la caverne même où il avait pris naissance, dans l’espérance, comme dit ensuite Germain à l’abbé Joseph, qu’à leur retour ils pourraient pratiquer plus aisément ce qu’ils auraient appris dans leur voyage.

Ils partirent donc de Syrie, et, après une longue navigation, ils arrivèrent à Tennèse, ville d’Égypte. Cassien rapporte, dans ses institutions, avec quelle charité ils furent reçus des solitaires.

Ils trouvèrent à Tennèse, Archébius, évêque de Panéphyse, qui s’y était rendu pour l’élection d’un évêque, et qui, ayant appris leur dessein, leur donna toutes les marques de la charité la plus tendre, et voulut lui-même les conduire dans les cellules de quelques-uns.

« Venez, leur dit-il, venez en passant voir quelques saints vieillards qui ne demeurent pas loin de notre monastère. Vous admirerez des hommes dont la vieillesse paraît dans leurs corps tout courbés, et dont la sainteté éclate tellement sur leur visage, que leur seule vue est une grande instruction pour ceux qui les regardent. »

« Comme ce saint évêque nous eut parlé ainsi, dit Cassien, il prit un bâton et un petit sac, selon la coutume des solitaires de ces lieux lorsqu’ils se mettent en chemin, et nous mena lui-même à sa ville épiscopale. » Il les introduisit dans son monastère, car il n’avait pas quitté sa profession de moine, quoiqu’il fût chargé du gouvernement de l’Église de Panéphyse, et il les conduisit ensuite successivement aux cellules des abbés Chérémon, Nestéros et Joseph. Le premier les entretint, dans trois conférences, de la perfection, de la chasteté, et des perfections de Dieu. L’abbé Nestéros, qu’ils virent après Chérémon, leur parla de la science spirituelle et du don des miracles ; et l’abbé Joseph, qu’ils virent ensuite, discourut avec eux de l’amitié, de la stabilité et des promesses des religieux.

Ce qui donna occasion à l’abbé Joseph de les entretenir sur l’amitié, fut que, leur ayant demandé s’ils étaient frères, ils lui répondirent qu’ils ne l’étaient que par l’esprit, et que depuis leur conversion ils avaient toujours été inséparablement unis, soit dans le monastère, soit dans le pèlerinage qu’ils avaient entrepris dans le dessein de s’avancer dans la vie intérieure et spirituelle. Ce fut donc à ce sujet qu’il leur donna les règles saintes de charité qu’on doit garder pour rendre les amitiés véritablement chrétiennes et religieuses.

La conférence dura jusqu’au soir, et, le silence de la nuit les empêchant de s’entretenir plus longtemps, ce vénérable vieillard les mena dans une cellule séparée pour y prendre un peu de repos. « Mais, dit Cassien, le feu que ses saints discours avaient allumé dans nos cœurs nous ayant fait passer la nuit sans dormir, nous en sortîmes de grand matin, et nous en étant éloignés d’environ cent pas, nous nous assîmes dans un lieu fort retiré. »

À peine furent-ils assis que l’abbé Germain, poussant un profond soupir, prit la parole et exprima à Cassien le regret de ne pouvoir, en raison de leur promesse, suivre les exemples de perfection qu’ils trouvaient dans ce désert.

Ces réflexions les mirent dans une grande inquiétude. D’une part ils eussent voulu demeurer parmi ces saints solitaires, dont les exemples et les discours les animaient puissamment ; mais, d’un autre côté, ils se trouvaient liés par la promesse qu’ils avaient faite à leur supérieur et aux religieux de leur monastère d’y retourner dans peu de temps.

Dans ces perplexités, Cassien dit à Germain qu’ils n’avaient point de moyen plus court pour se soulager de leur peine, que de demander conseil à ce saint vieillard et de lui déclarer leurs pensées.

L’abbé Germain goûta beaucoup ce que Cassien lui dit, et étant rentrés dans leur cellule, ils y attendirent le retour du saint vieillard à l’heure des prières de la nuit, qui était déjà bien proche ; dès que l’abbé Joseph fut revenu à eux, après avoir récité ensemble le nombre de psaumes ordonné, ils reprirent pour siége ce qui leur avait servi de lit durant la nuit, dans le dessein de lui proposer leur difficulté.

L’abbé Joseph leur fit là-dessus le discours dont Cassien a fait le sujet de sa dix-septième conférence, où, après avoir dit que c’est une chose très-juste et très-conforme à l’état religieux d’accomplir ce qu’on a promis, il tâche de leur prouver que, se croyant en danger de demeurer dans une tiédeur perpétuelle en retournant à Bethléem, ils seraient excusables et même louables de ne pas exécuter leur promesse. Par cette décision, il leur persuada de rester en Égypte, où ils demeurèrent, en effet, sept ans entiers. Mais elle ne les guérit pas tout à fait de leur scrupule, et ils retournèrent dans la suite à leur monastère pour obtenir une nouvelle permission : dans l’intervalle ils ne manquèrent pas d’écrire à leur communauté pour y faire agréer leur absence et le délai de leur retour.

Du désert de Panéphyse, ils passèrent le Nil et entrèrent dans le territoire de Diolque, bourg situé auprès d’une des sept embouchures de ce fleuve.

Ils virent successivement dans ce désert le vénérable Piammon, qui était le plus âgé des anachorètes de Diolque et prêtre de leur église ; Paul, supérieur d’un monastère habité par plus de deux cents religieux, du nombre desquels était le vénérable Jean ; l’abbé Pinufe, qu’ils avaient connu à Bethléem, et l’abbé Abraham. Cassien fait parler tous ces solitaires dans ses conférences. Piammon les entretint sur trois différentes sortes de religieux ; Jean leur parla du but d’un cénobite et d’un solitaire ; Pinufe, de la pénitence ; enfin, l’abbé Abraham, de la mortification.

La conférence de l’abbé Piammon leur avait inspiré un si grand amour pour la vie des anachorètes, qu’ils résolurent de s’y exercer ; et, quoique le vénérable Jean, qu’ils virent ensuite au monastère de l’abbé Paul, eût donné, dans l’entretien qu’il eut avec eux, la préférence à la vie cénobitique, ni son exemple ni son exhortation ne purent effacer l’impression que les paroles de l’abbé Piammon avaient faite sur leur cœur. Ainsi ils commencèrent tout de bon à apprendre les règles de la vie érémitique sous sa conduite : et un des plus parfaits solitaires de ce lieu, nommé Arquèbe, différent de l’évêque dont nous avons parlé, leur céda sa cellule avec tous les petits meubles qu’elle contenait, et s’en bâtit une ailleurs.

Le désert de Dioque était un séjour très-pénible à la nature ; il fallait un grand courage pour en soutenir les incommodités ; et Cassien et Germain n’y furent pas sans souffrir de grandes tentations. Une des plus fâcheuses et des plus délicates qu’ils eussent à combattre, fut le désir de retourner à leur pays chez leurs parents.

Agités donc par des pensées importunes, ils allèrent découvrir leur tentation à l’abbé Abraham, qui leur en fit connaître toute l’illusion dans l’entretien qu’il eut avec eux sur la mortification, dont Cassien a fait sa dernière conférence. « Il nous fit voir clairement, dit-il, que ces pensées, que le diable avait inspirées dans notre cœur, étaient des piéges où il nous voulait faire tomber ; et il nous enflamma du désir d’une véritable mortification. »

Ce désir n’était pas stérile en eux : ils menaient véritablement une vie très-rude ; car, outre qu’ils gagnaient leur vie par le travail de leurs mains, ils étaient contraints d’aller chercher de l’eau sur leurs épaules à trois milles de leur cellule. Ils marchaient nu-pieds, et ils étaient si pauvrement vêtus, qu’ils avouèrent à l’abbé Abraham qu’ils auraient eu honte de paraître en cet état devant leurs parents.

Il paraît qu’ils retournèrent à Panéphyse pour y voir l’abbé Pinufe, qui y demeurait. S’étant informés avec grand soin du lieu de sa demeure, ils se rendirent auprès de lui, et en furent reçus avec joie et avec une humilité toute particulière. Il les regarda comme ses anciens compagnons de demeure et de cellule, et voulut en échange leur céder la sienne. Ils y entendirent ces belles instructions qu’il donna en pleine assemblée à un jeune frère qui voulait embrasser la règle de son monastère, et que nous voudrions pouvoir rapporter : et ils furent si touchés des maximes de perfection qu’il y développa, qu’ils avaient presque perdu espérance de pouvoir jamais parvenir à les mettre en pratique. Ce fut ce qui donna occasion à l’abbé Pinufe, à qui ils déclarèrent leur peine, de leur parler de la fin de la pénitence. Ce saint abbé les pressa ensuite beaucoup de s’arrêter dans son monastère ; mais ils s’en excusèrent par le désir qu’ils avaient d’aller au désert de Scété, où la réputation des saints solitaires qui y demeuraient les attirait beaucoup ; ainsi il ne voulut pas davantage s’y opposer.

Ils passèrent donc au désert de Scété après être restés quelques jours au monastère de l’abbé Pinufe, et ils y acquirent une connaissance plus entière de la vie solitaire, qu’ils avaient déjà commencé de pratiquer dans le désert de Diolque. L’abstinence qu’ils y pratiquaient était telle, qu’ils ne regardaient pas un solitaire comme fort sobre lorsqu’il mangeait par jour deux pains chacun de six onces.

Entre les plus célèbres solitaires qu’ils eurent le bonheur de visiter, ils virent principalement Moïse, Paphnuce, Daniel, Sérapion, Théodore, Sérène, Isaac et Théonas. Cassien attribue ses dix premières conférences aux sept premiers, et les vingt-unième, vingt-deuxième, vingt-troisième à Théonas.

Les conférences qu’ils eurent avec Moïse, Paphnuce, Daniel et Sérapion, doivent être rapportées à leur premier voyage à Scété, et l’on doit rapporter au second celles des abbés Théodore, Sérène, Isaac et Théonas. L’abbé Moïse les entretint du but d’un solitaire et de la discrétion ; l’abbé Paphnuce, du triple renoncement d’un solitaire ; l’abbé Daniel, de la guerre de la chair contre l’esprit ; l’abbé Sérapion, des sept péchés capitaux ; l’abbé Sérène, de la mobilité de l’âme, des principautés et des puissances invisibles ; l’abbé Isaac, de la prière ; l’abbé Théonas, du jeûne, des empêchements extérieurs à la sainte communion, et de ces paroles de saint Paul dans l’Épître aux Romains, ch. 7 : Je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je ne veux pas. On ignore si c’est dans leur premier ou leur second séjour à Scété qu’ils eurent la conférence avec l’abbé Théodore sur le meurtre de quelques saints ermites, que les Sarrasins avaient massacrés, et dont nous parlerons en son lieu.

Ils ne s’arrêtèrent pas si constamment au désert de Scété, qu’ils ne parcourussent aussi d’autres déserts voisins. Ils visitèrent l’abbé Maquète, qui demeurait en un lieu fort éloigné des autres solitaires ; mais Cassien ne dit pas quel était ce lieu ; ils pénétrèrent jusqu’à la demeure de Paul de Porphyrion, qui faisait son séjour dans une caverne, à sept journées loin des pays habités. Ils allèrent aussi au désert des Cellules et dans ceux de la haute Thébaïde, puisque Cassien parle du grand monastère de Tabenne ; mais on ne sait pas si ce fut dans le premier ou le second voyage qu’ils firent.

Enfin, sept ans s’étant écoulés depuis leur départ de la Palestine, et les lettres qu’ils avaient écrites aux religieux de leur monastère, qui les pressaient par les leurs de revenir, ne satisfaisant pas le désir que ces religieux avaient de les revoir, ils retournèrent à Bethléem, soit pour accomplir leur promesse, soit pour en obtenir le dégagement et une nouvelle permission de revenir à Scété. Ils rendirent donc aux anciens de leur monastère l’honneur qu’ils leur devaient ; ils rallumèrent dans le cœur de ceux qu’ils n’avaient pu satisfaire par leurs lettres l’ancienne charité qu’ils avaient eue pour eux ; et, s’étant entièrement dégagés du scrupule que leur eût pu donner leur promesse, par une permission qu’ils obtinrent de retourner en Égypte, ils y revinrent avec tant de satisfaction de la part même de leurs confrères, qu’ils avaient sans doute touchés par la relation de ce qu’ils avaient vu dans leur voyage, que ceux-ci voulurent les conduire une partie du chemin.

Ce fut dans le courant de la même année qu’ils étaient retournés à Bethléem qu’ils revinrent à Scété. Nous ne savons pas précisément le temps qu’ils y demeurèrent, ni pour quel sujet ils allèrent à Constantinople. Ce qui est certain, c’est qu’ils étaient dans cette ville impériale en l’année 404, où Cassien dit qu’il eut saint Jean Chrysostome pour maître, et qu’il reçut de lui l’imposition des mains pour le diaconat. L’abbé Germain fut élevé au sacerdoce ; et, quand Théophile d’Alexandrie entreprit de condamner saint Chrysostome dans son assemblée du Chesne, en 403, ce saint y envoya trois évêques avec les deux prêtres Germain et Sévère, pour déclarer qu’il ne le pouvait reconnaître pour son juge.

Il paraît que le même saint avait confié à Cassien et à Germain la garde du trésor et des vases sacrés de l’église, puisqu’ils les conservèrent, comme par miracle, dans l’embrasement qui consuma l’église de Constantinople, le jour même que ce saint en fut chassé par la faction de ses ennemis, le 20 juin 404, et ils en firent un inventaire authentique qu’ils portèrent à Rome en 405, avec la lettre que le clergé de Constantinople écrivait au pape Innocent sur l’exil du saint patriarche.

Innocent répondit à cette lettre la même année, peut-être aussi par Germain et Cassien, mais cela est fort incertain. Nous ne savons plus rien depuis ce temps-là touchant Germain, ni non plus ce que devint Cassien depuis son arrivée à Rome, en 405. Les uns ont cru qu’il y resta jusqu’à ce qu’elle fut prise par Alaric, roi des Goths, et que de là il se retira à Marseille. D’autres le font retourner à son monastère de Bethléem, d’où, ce monastère ayant été détruit par les barbares, il passa, en l’an 416, dans la Gaule Narbonnaise. Il faut convenir que c’est ici un vide dans son histoire, qu’on ne saurait remplir par aucun fait qui soit prouvé. Ce qui conste certainement, c’est que Cassien se retira à Marseille, soit peu après l’an 405, soit seulement après l’an 415, et qu’il y fonda deux monastères, l’un d’hommes et l’autre de filles. Le premier est l’abbaye de Saint-Victor ; le second est, selon le père Guesnai, celui de Vcaune, détruit depuis plusieurs siècles, ou, selon les MM. de Sainte-Marthe, celui de Saint-Sauveur, appelé autrefois de Saint-Cyriaque.

Castor, évêque d’Apt, qui avait établi un monastère dans le voisinage de sa ville épiscopale, voulant donner aux moines qu’il y avait assemblés une règle qu’ils pussent suivre uniformément, s’adressa à lui pour savoir la discipline qu’il avait vu pratiquer aux solitaires de Palestine et d’Égypte, et qu’il faisait observer lui-même dans son monastère de Marseille ; ce qui nous a procuré ses institutions monastiques et ses conférences, par lesquelles il nous apprend les usages et la doctrine spirituelle de ces grands maîtres de la vie religieuse.