Vies choisies des Pères des déserts d’Orient/5


SAINT PALÉMON ET SAINT PACÔME, INSTITUTEUR DE L’ORDRE DE TABERNE, EN HAUTE THÉBAÏDE.


Bien que saint Pacôme n’ait pas été le premier qui ait établi sa demeure dans la haute Thébaïde, on doit le considérer comme le père des solitaires qui sanctifièrent ce désert par leurs vertus. Il y trouva Palémon, déjà fort ancien dans la vie érémitique, et ce fut sous lui qu’il en apprit les exercices et les devoirs. Il eut ensuite tant de disciples, qu’on le considère à juste titre comme le fondateur de l’ordre monastique dans ce pays. Nous ne séparons pas ce grand saint de saint Palémon, son père spirituel.

On ignore en quels lieux saint Pacôme prit naissance ; on sait seulement qu’il naquit dans la haute Thébaïde, au-dessus de la fameuse ville de Thèbes, qui donna son nom à cette province. Ses parents étaient païens et l’élevèrent dans les superstitions de l’idolâtrie ; mais il parut dès son enfance, par des signes non équivoques et miraculeux, qu’il en serait un jour le grand ennemi. Outre que son estomac ne pouvait retenir le vin offert aux idoles, un jour qu’on le mena à un temple où l’on allait offrir des sacrifices, sa présence rendit muet le démon qui parlait ordinairement par la bouche de l’idole.

Lorsqu’il eut environ vingt ans, il fut enrôlé de force et mis sur un vaisseau qui le conduisit à une ville dont les habitants étaient chrétiens.

Pacôme fut touché de la charité que ces gens montrèrent pour lui et pour ses compagnons, et il s’informa de leur religion. On lui dit qu’ils croyaient en Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, par qui ils espéraient d’être récompensés dans une autre vie du bien qu’ils auraient fait en celle-ci à leur prochain. Dieu agit dans son âme par sa grâce tandis qu’on lui tenait ce discours, et dès qu’il fut seul, il adressa une fervente prière au Seigneur, en lui promettant, s’il devenait libre, d’employer toute sa vie à accomplir sa sainte volonté et à exercer la charité envers le prochain.

Il s’embarqua le lendemain avec les autres ; mais le souvenir de la promesse qu’il avait faite à Dieu le préserva des désordres auxquels ses compagnons s’abandonnaient.

La guerre finie et les troupes licenciées, il revint en haute Thébaïde et se rendit à l’église du bourg de Chénobosque, où il se fit instruire dans la religion chrétienne, et fut ensuite régénéré dans les eaux du baptême. La nuit d’après, il eut un songe mystérieux durant lequel il lui sembla qu’on répandait sur lui une rosée céleste, laquelle ayant coulé dans sa main droite, s’y était changée en miel, et de là avait arrosé la terre ; et il entendit une voix qui lui dit : « Fais attention, Pacôme, à ce que tu vois, et comprends par ce signe ce que la grâce de Jésus-Christ veut faire dans ton âme et dans celles des autres par ton ministère. »

Cette vision alluma dans son cœur un si ardent amour pour Dieu, qu’il ne pensa plus qu’à se retirer dans la solitude, où il pût vaquer uniquement à son service. Pour cet effet, il alla trouver un saint anachorète, nommé Palémon, qui demeurait dans le fond du désert ; il frappa hardiment à la porte de sa cellule.

Le vénérable ermite ne reçut pas sans difficulté ce nouveau disciple ; mais enfin, reconnaissant la fermeté de sa résolution, il le revêtit de l’habit monastique et le prit sous sa conduite. Ils s’exerçaient donc ensemble dans la prière, la psalmodie et les autres pratiques de leur état. Leurs occupations manuelles étaient de faire des cilices, et ils ne s’épargnaient pas dans le travail, pour avoir le moyen d’assister les pauvres.

Palémon exigeait surtout de Pacôme qu’il s’accoutumât aux veilles, et s’il s’apercevait que le sommeil le pressait durant l’office de la nuit, il le menait à la montagne, et lui faisait transporter du sable d’un lieu à un autre, en lui disant : « Veillez, Pacôme, de peur que le démon ne vous tente et ne vous dérobe le fruit de vos travaux. » C’était encore assez leur usage d’étendre les bras en forme de croix lorsqu’ils priaient.

Leur nourriture était du pain et du sel pilé, à quoi ils ajoutaient, quoique fort rarement, quelques herbes sans huile et sans vinaigre. Ils y mêlaient même quelquefois de la cendre, pour mieux mortifier leur goût.

Pacôme, extrêmement attentif à suivre et à mettre à profit les leçons de son père spirituel, s’avançait dans l’humilité et dans les autres vertus religieuses ; il était si ardente à se mortifier, qu’allant ordinairement nu-pieds pour ramasser du bois dans un désert couvert de ronces, il souffrait courageusement les piqûres des épines, au souvenir des clous dont Jésus-Christ avait été percé sur la croix. C’était principalement dans ce désert qu’il s’arrêtait avec le plus de complaisance, par la facilité qu’il y trouvait à vaquer à l’oraison et à s’entretenir familièrement avec Dieu, loin du commerce des créatures et dans le profond silence de la solitude.

Le Seigneur, qui le destinait au ministère du salut des âmes, lui manifesta sa volonté un jour qu’il s’était enfoncé plus avant dans la solitude. C’était dans un désert appelé Tabenne, que plusieurs placent dans une grande île du Nil, non loin de la ville de Syène, mais que nous croyons être plus bas, sur le bord du Nil, dans le diocèse de Tentyre. Tandis qu’il priait avec ardeur, il entendit une voix qui lui dit : « Fixe ici ta demeure, et y bâtis un monastère, parce que plusieurs y viendront pour embrasser la vie religieuse, et tu les conduiras suivant la règle que je te montrerai. » En même temps il vit un ange qui lui présenta une table d’airain sur laquelle était tracée la forme de vie qu’il devait faire observer à ceux qui se rangeraient sous sa conduite.

Suivant les diverses traductions de la Vie du saint, cette règle commandait de permettre à chacun, suivant ses forces, de boire et de manger, à condition qu’ils travailleraient à proportion de ce qu’ils mangeraient. Les religieux devaient se construire des cellules et demeurer trois dans chacune ; ils devaient porter un manteau blanc de poil de chèvre, qu’ils ne quittaient jamais, ni en mangeant ni en dormant, excepté lorsqu’ils approchaient de la sainte communion.

Il était aussi ordonné de diviser tous les solitaires en vingt-quatre troupes, selon le nombre des vingt-quatre lettres grecques ; et le caractère de chacun était désigné par la lettre sous laquelle il était rangé, sans que personne y pût rien comprendre que ceux qui avaient l’intelligence de ce que cela signifiait. L’ange dit aussi à Pacôme que l’on ferait douze oraisons durant le jour, autant le soir et autant la nuit.

Pacôme avait trop de confiance en son père spirituel, saint Palémon, pour lui cacher cette révélation. Ils allèrent ensemble à Tabenne, et y construisirent un petit logement. Revenu à sa demeure ordinaire, Palémon ressentit une maladie de laquelle il ne tarda pas à mourir dans les sentiments de pénitence les plus édifiants.

Après avoir servi son maître pendant ses souffrances dernières et lui avoir rendu les devoirs de la sépulture, Pacôme retourna à Tabenne, et Dieu le consola de la perte qu’il avait faite, par l’arrivée de Jean, son frère aîné, qui vint se joindre à lui, sur ce qu’il avait ouï dire de la vie parfaite qu’il menait. La joie fut égale de part et d’autre, car Pacôme n’avait vu aucun de ses proches depuis son baptême, et ils travaillèrent de concert à leur perfection. L’esprit de mortification portait Pacôme à ne se rassasier jamais, pas même de pain ; et, ce qui est beaucoup plus austère, il ne se couchait pas lorsqu’il voulait dormir, mais il s’asseyait au milieu de sa cellule, sans s’appuyer d’aucun côté : ce qu’il pratiqua pendant l’espace de quinze ans.

Cependant Pacôme, se souvenant de la promesse que Dieu lui avait faite de lui adresser des solitaires en ce lieu, pensa tout de bon à agrandir son monastère. Son frère, qui ne connaissait pas la révélation qu’il avait eue, blâmait ce dessein, comme une entreprise présomptueuse ; mais Pacôme souffrait ce reproche en silence. Il poursuivit donc ce bâtiment, non sans obstacles de la part des démons, qui ne cessèrent de lui tendre des piéges, et renouvelèrent contre lui la guerre qu’ils avaient si cruellement déclarée au grand saint Antoine. Dieu le permit ainsi, non-seulement pour éprouver sa foi, mais afin que l’expérience de la tentation le rendît plus propre à montrer aux autres comment il fallait la combattre.

Le temps marqué par la Providence pour l’établissement de son ordre étant arrivé, le Seigneur le lui fit connaître par un esprit céleste qui lui apparut dans une île du Nil, proche de Tabenne. Ne pouvant plus douter de l’ordre de Dieu, il commença à recevoir ceux qui se présentèrent pour embrasser la vie religieuse, et, après s’être assuré du consentement de leurs parents et les avoir suffisamment éprouvés, il les revêtait de l’habit monastique.

Les premiers qui se rangèrent sous sa discipline furent Psentaèse, Sur et Psoïs ; après eux vinrent Pécuse, Corneille, Paul, un autre Pacôme et Jean. Théodore vint quelque temps après ceux-ci ; Paphnuce, Thitoès et Pétrone furent aussi de ses principaux disciples.

Tant qu’ils furent en petit nombre, il se chargea de tout le soin du monastère : il préparait ce qui était nécessaire au réfectoire, semait et cultivait les herbes du jardin, assistait nuit et jour les malades, se rendait le serviteur de tous, et ne leur laissait que la douce consolation de vaquer aux exercices spirituels. Ses disciples ne pouvaient assez admirer tant de vertus, et ils s’exhortaient mutuellement à persévérer dans l’observation des règles qu’il leur imposait et qui étaient très-propres à les faire avancer dans la perfection.

Mais dès ces premiers temps sa charité ne se borna pas à ses disciples, elle s’étendit aussi sur les gens des environs ; car, s’étant aperçu que les bergers étaient privés d’entendre la parole de Dieu et de participer aux sacrements, il en conféra avec Sérapion, évêque de Tentyre, et parvint à construire, de concert avec lui, une église où l’on assemblait ces pauvres gens le samedi et le dimanche. Il y alla régulièrement avec quelques religieux, et il parlait avec tant de sagesse, que les plus stupides comprenaient tout ce qu’il disait ; et il touchait si vivement ceux qui l’entendaient, qu’un grand nombre d’idolâtres embrassèrent la foi chrétienne.

Le nombre de ses disciples augmenta bientôt jusqu’à cent, et s’accrut ensuite si considérablement, que, son monastère étant trop étroit, il fut obligé d’en fonder d’autres. Il bâtit le premier dans un lieu désert appelé Prou, Bau ou Baum. Ce monastère, quoique le second, devint dans la suite le plus grand et comme le chef de l’ordre, bien que le nom général de la congrégation se prît de celui de Tabenne.

Quelque temps après, un vieillard, nommé Éponyme, abbé d’un monastère appelé de Chénobosque, vint prier notre saint d’unir cette abbaye à son ordre ; d’autres solitaires, qui formaient une communauté à Mouchose, suivirent cet exemple et lui donnèrent une quatrième maison.

Il en fonda dans la suite cinq autres, outre celui des religieuses ; et l’on ne peut se figurer la sagesse, le zèle, la charité et l’application avec lesquels il gouvernait cette multitude. Aussi voyait-on la plupart de ses disciples faire de merveilleux progrès. Lorsqu’il éprouvait le chagrin de rencontrer quelques esprits indociles ou difficiles, il montrait une douceur et une condescendance sans exemple, et recourait à l’oraison, qui était, dans toutes les difficultés, sa ressource ordinaire.

Comme l’obéissance est le plus ferme soutien de la religion et la sûreté des âmes religieuses, Pacôme ne recommandait rien tant à ses frères que cette vertu, et ne souffrait guère qu’on y manquât impunément. Son désintéressement était tel, que, dans un temps de famine, où l’on trouvait difficilement du blé en Égypte, comme il avait donné cent pièces d’or au procureur pour aller en acheter, celui-ci en obtint, en considération du saint, le double de ce qu’il devait en avoir. Pacôme ne voulut pas qu’il entrât un grain de ce blé dans le monastère ; il obligea le frère à le vendre au prix qu’il lui coûtait, et l’envoya en acheter pour cent pièces au prix qu’il coûtait à tout le monde.

Ce dégagement des choses de la terre était fondé sur la confiance où il était que la Providence prendrait un soin tout particulier de ses religieux tant qu’ils seraient fidèles à son service ; aussi éprouva-t-il, même par des miracles, que son espérance était bien fondée.

Son zèle pour le maintien de l’observance et la perfection de ses religieux ne lui donnait point de relâche. Outre les fréquentes visites de ses monastères, il visitait souvent les religieux en particulier dans leur cellule, pour voir ce qu’ils y faisaient ou quels étaient leurs besoins. Ce fut dans une de ces visites que Dieu lui accorda le don des langues, pour lui permettre d’entretenir un homme de qualité, venu de Rome, qui s’était retiré parmi ses religieux, et qui ne parlait que le latin et le grec.

Il fut exact à faire ses visites tant qu’il en eut la force, et dans les derniers temps de sa vie il envoyait Théodore à sa place. Il était toujours prêt à marcher et à agir dès qu’il s’agissait de la consolation de ses religieux. Bien loin de se regarder comme leur supérieur, il se considérait comme étant destiné par Dieu à les servir. Aussi ne voulait-il pas qu’on eût pour lui les égards qu’on n’aurait pas eus pour le dernier des frères, et il ne souffrait jamais qu’on le servît sans qu’il s’en dédommageât en rendant à son tour quelques services aux autres. On peut encore regarder comme une preuve de son humilité cette patience admirable qu’il montrait en toute rencontre, et qui ne se démentait jamais. Ses instructions sur l’humilité n’étaient que des épanchements de l’amour qu’il avait pour cette vertu ; et, comme il en donnait d’excellents exemples dans toutes les occasions, il n’en laissait aussi échapper aucune de la recommander à ses religieux.

Quoique le rang qu’il tenait parmi ses religieux en qualité d’instituteur eût pu lui servir de prétexte pour aspirer aux ordres, sans que les autres eussent été en droit de faire de même, il n’y voulut jamais acquiescer. Sachant que Sérapion, évêque de Tentyre, avait parlé de lui à saint Athanase, patriarche d’Alexandrie, pour l’ordonner prêtre et le déclarer supérieur général de toutes les solitudes de son diocèse, lorsque ce saint patriarche fit la visite de toutes les églises de la haute Thébaïde, Pacôme eut l’adresse de se cacher au milieu de ses religieux, qui étaient fort nombreux ; en sorte qu’on ne put le distinguer de ses frères.

Le don de discernement dont Dieu l’avait doué sur ses religieux lui faisait bientôt juger de quel esprit leur venaient les inspirations ou les désirs qu’ils avaient, et s’ils étaient véritablement de Dieu ou de l’ange des ténèbres. Il ne leur donnait la-dessus que des conseils pleins de sagesse et qu’ils pouvaient suivre en toute sûreté.

Ainsi Pacôme était devenu comme le père commun de tous les solitaires, qui croyaient avoir droit de s’adresser à lui dans leurs besoins spirituels, soit qu’ils fussent de son ordre, soit qu’ils vécussent sous d’autres règles. Les abbés des différents monastères recouraient aussi à lui dans les cas difficiles, comme à un homme qui recevait du Ciel des lumières extraordinaires.

Tant de sagesse dans cet excellent supérieur ne pouvait que faire fleurir toutes les vertus monastiques parmi ses religieux ; aussi pouvait-on regarder l’ordre de Tabenne comme un prodige que Dieu avait opéré pour le salut des âmes, et comme un modèle à proposer à tous ceux qui voulaient rassembler des hommes pour les conduire à la perfection la plus éminente. Un édifice de sainteté si solidement établi et si bien cimenté par les travaux du saint, aurait dû, ce me semble, se soutenir jusqu’à la fin des siècles ; mais la faiblesse de l’homme est extrême, et dans la suite des temps Tabenne devint une triste preuve de la fragilité humaine. Cette révolution future ne fut pas ignorée du saint ; Dieu lui en donna pleine connaissance dans une vision qui le plongea dans une profonde douleur. Dieu daigna le consoler par une nouvelle vision, dans laquelle Notre-Seigneur Jésus-Christ lui promit que, nonobstant la corruption des temps qu’il lui faisait prévoir, il lui conserverait toujours une sainte postérité de religieux qui se soutiendraient dans la piété malgré l’exemple des méchants, ce qui s’est vérifié dans l’état cénobitique en général, dont saint Pacôme peut être regardé à juste titre comme le père.

Toutefois le Seigneur voulut, vers la fin de ses jours, consommer sa vertu par l’humiliation, et permit qu’il eût une fâcheuse traverse à souffrir au sujet de ces mêmes grâces qui lui avaient concilié l’estime et la vénération de tant de peuples. Comme on en parlait souvent dans le monde avec admiration, quelques personnes malintentionnées en prirent occasion de murmurer contre lui, révoquant en doute ces grâces et ces dons merveilleux dont Dieu le favori sait, et voulant faire croire qu’il était trompé ou qu’il trompait les autres. Cela fut cause qu’on l’appela comme en jugement dans une assemblée d’évêques et de moines qui se tint à Latople, où il se rendit avec quelques-uns de ses religieux. Il s’y tint dans un modeste silence jusqu’à ce qu’on l’interrogeât ; on le fit avec beaucoup de sévérité et fort peu de ménagement pour son excellent mérite, quoique tous les évêques fussent orthodoxes, et que deux d’entre eux, Philon et Morbe, eussent été ses disciples. Mais quand il lui fut permis de répondre, il le fit de manière à faire admirer son humilité, sa sagesse et l’excellence de sa grâce. Cela n’empêcha pas qu’un homme du monde qui se trouvait présent, aveuglé par ses préventions et poussé par le malin esprit, ne se jetât sur lui l’épée à la main ; et il lui eût ôté la vie si ceux qui étaient présents ne l’eussent retenu. Après cela, le saint se retira avec ses religieux qui l’avaient accompagné, et s’en alla à son monastère de Pachnum, qui était dans le territoire de Latople.

Cependant, le carême étant passé, une maladie contagieuse se répandit dans ses monastères, où en peu de temps elle emporta plus de cent religieux, dont plusieurs étaient des principaux de l’ordre, comme Sur, Corneille, Paphnuce et beaucoup d’autres d’un grand mérite. Pacôme fut lui-même atteint du mal, et souffrit extrêmement pendant quarante jours ; mais, bien que son corps fût entièrement abattu par l’ardeur brûlante de la fièvre qui le consumait, il montrait tant de gaieté, que l’on pouvait aisément juger par là de la paix et de la pureté de son âme.

Deux jours avant sa mort, il fit appeler les supérieurs et les principaux de tous les monastères, et leur adressa ses dernières exhortations en les engageant à lui choisir un successeur ; mais ils s’en remirent tous au jugement du saint, qui leur dit que, puisqu’ils voulaient s’en rapporter à lui, il estimait que Pétrone était celui qui convenait le mieux, si toutefois il n’était pas mort ; car on avait appris qu’il avait le mal contagieux au monastère de Tismen, situé près de la ville de Panes. Tous acquiescèrent de bon cœur à ce choix, persuadés qu’ils ne pouvaient se tromper en suivant l’avis de leur bienheureux père.

Il signala encore les derniers moments de sa vie par un acte de vertu qui montrait que son amour pour la mortification et l’observance régulière ne se ralentit jamais en lui jusqu’au trépas. Comme son corps était absolument épuisé de forces, il se trouvait accablé sous le poids de la couverture dont il avait usé jusqu’alors, et pria par charité un des frères qui étaient auprès de lui d’en aller chercher une plus légère. Celui-ci courut aussitôt à l’économe, qui lui en remit une des plus propres et des plus commodes ; mais quand le saint la vit si différente de la première, il n’en voulut point, disant qu’il n’était pas juste qu’il eût rien de plus ni de meilleur que les autres frères.

Enfin, après avoir recommandé par trois fois à son cher disciple Théodore, qu’il prévoyait devoir gouverner l’ordre par la suite, de n’abandonner jamais le soin de ceux d’entre les frères qu’il verrait trop négligents, mais de les exhorter et de les encourager à vivre selon la sainteté de leur état ; s’étant muni du signe de la croix, et voyant avec un excès de joie un ange de lumière qui venait à lui, il rendit son âme à Dieu, le 9 mai de l’année 348, qui était la cinquante-septième de son âge et la trente-cinquième depuis sa retraite.

On enterra son corps le lendemain sur la montagne voisine du monastère, d’où son disciple Théodore, aidé de quelques frères, le transporta secrètement dans un autre lieu, croyant qu’il l’avait ainsi ordonné.