Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres/6/Ménédème

J. H. Schneider, Libraire (Tome IIp. 71-73).
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Livre VI
MÉNÉDÈME.



MÉnédème fut disciple de Colotès de Lampsaque. Hippobote dit que son goût pour les prodiges l’avoit rendu si extravagant, que sous la figure de Furie il se promenait, en criant qu’il étoit venu des Enfers pour observer ceux qui faisoient mal, & pour en faire rapport aux démons à son retour dans ces lieux.

Voici dans quel équipage il se montrait en public. Il se revêtait d’une robe de couleur foncée, laquelle lui descendait jusqu’aux talons, & qu’il liait d’une ceinture rouge. Il se couvrait la tête d’un chapeau Arcadien[1], où étoient représentés les douze signes du Zodiaque, & la chaussure ressemblait au Cothurne tragique. Il portait une longue barbe, & tenait à la main une baguette de bois de frêne.

Voilà les Vies des Philosophes Cyniques, considérés chacun en particulier. Ajoutons quelque chose des sentiments qu’ils soutenoient en commun ; car nous regardons leur Philosophie comme formant une Secte particulière, & non, ainsi que prétendent quelques-uns, un simple genre de vie. Un de leurs dogmes est donc de retrancher, à l’exemple d’Ariston de Chio, du nombre des connaissances nécessaires tout ce qui regarde la Logique & la Physique, & de ne s’appliquer qu’à la Morale, jusque-là que ce que quelques-uns attribuent à Socrate, Dioclès le fait dire à Diogène. C’est-à-dire qu’il faut s’étudier à connaître ce qui se passe de bon & de mauvais en nous-mêmes. Ils rejettent aussi l’étude des Humanités, & Antisthène dit que ceux, qui sont parvenus à la sagesse, ne s’appliquent point aux Lettres, pour n’être point distraits par des choses étrangères. Ils méprisent pareillement la Géométrie, la Musique & autre sciences semblables, puisque Diogène répondit à quelqu’un qui lui montrait un cadran, que c’étoit une invention fort utile pour ne pas passer le temps de dîner. Il dit aussi à un autre qui lui faisait voir de la Musique, qu’on gouverne des villes entières par de bonnes maximes, & qu’on ne parviendra jamais à bien conduire une seule maison par la Musique.

Les Philosophes Cyniques établissent pour fin, de vivre selon la vertu, comme dit Antisthène dans Hercule ; en quoi ils pensent comme les Stoïciens. En effet il y a de l’affinité entre ces deux Sectes ; de là vient qu’on a appelé la Philosophie Cynique Un chemin abrégé pour arriver à la Vertu. Ainsi vécut aussi Zénon le Cittien. Ils observent une grande simplicité de vie, ne prennent de nourriture qu’autant qu’elle est nécessaire, & ne se servent d’autre habillement que du manteau. Ils méprisent la richesse, la gloire & la noblesse. Plusieurs ne se nourrissent que d’herbes, & ils ne boivent absolument que de l’eau froide. Ils n’ont de couvert que celui qu’il rencontrent, ne fût-ce qu’un tonneau, à l’imitation de Diogène, qui disoit que Comme ce qui distingue principalement les Dieux, c’est qu’ils n’ont besoin de rien ; de même celui-là leur ressemble le plus qui fait usage de moins de choses.

Ils croient, comme dit Antisthène dans Hercule, que la vertu se peut apprendre, & que lorsqu’on l’a acquise, elle ne peut se perdre. Ils disent que le Sage est digne d’être aimé, qu’ils ne pèche point, qu’il est ami de celui qui lui ressemble, & qu’il ne se fie nullement à la fortune. Ils appellent indifférentes les choses qui sont entre le vice & la vertu ; en quoi ils suivent les sentiments d’Ariston de Chio.

Voilà pour ce qui regarde les Philosophes Cyniques. Venons à présent aux Stoïciens, qui ont eu pour chef Zénon, disciple de Cratès.



  1. C’est-à-dire fort grand. Ménage.