Vie et opinions de Tristram Shandy/4/89c

Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome troisième. Tome quatrièmep. 238-239).



CHAPITRE 83.

Proposition de mariage.


Or, il y a une infinité de notes, de tons, de dialectes, de chants, d’airs, de mines et d’accens, dans lesquels le mot babiole peut être prononcé, — toujours sur un sujet du genre de celui-ci, et toujours avec des sens aussi différens l’un de l’autre que le jour l’est de la nuit ; — il y a, dis-je, tant de variétés dans la prononciation de ce mot, que les casuistes (car ils en font une affaire de conscience) n’en comptent pas moins de vingt mille, qui peuvent être ou innocentes ou criminelles.

La manière dont mistriss Wadman prononça babiole, fit monter le feu aux joues modestes de mon oncle Tobie. Il sentit qu’il avoit dit une sottise, quoiqu’il ne sût pas trop laquelle. Il s’arrêta tout court, et sans discuter davantage les peines et les plaisirs du mariage, il posa la main sur son cœur, et offrit à la veuve de les prendre tels qu’ils étoient, et de les partager avec elle. —

Quand mon oncle Tobie eut fait sa proposition, il crut en avoir assez dit ; il jeta les yeux sur la bible que mistriss Wadman avoit posée sur sa table ; il l’ouvrit machinalement, et tombant (le cher homme) sur le passage, qui, de tous les passages de l’écriture, pouvoit l’intéresser davantage, — sur le siège de Jéricho ; — il se mit à le lire d’un bout à l’autre, laissant opérer sa proposition de mariage, comme il avoit fait sa déclaration d’amour. —

— Or, sa proposition n’opéra ni comme astringent, ni comme l’opium, ou le quinquina, ou le mercure, ou la manne, ou toute autre drogue dont la nature a fait présent à l’homme. — Elle n’opéra pas du tout ; — et cela par la raison que quelqu’autre chose avoit déjà opéré.

Babillard que je suis ! je cours toujours au-devant de mon sujet ; — j’anticipe tous les événemens ; — mais me voici dans la chaleur de l’action, il faut aller.