Vie et opinions de Tristram Shandy/4/76

Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome troisième. Tome quatrièmep. 206-209).



CHAPITRE LXXVI.

Reprenons haleine.


Après un chapitre comme celui qu’on vient de voir, et surtout après la manière dont il finit, il faut nécessairement insérer quatre ou cinq pages de matières hétérogènes, pour maintenir une juste balance entre la sagesse et la folie. Sans cette précaution, un livre ne vivroit pas au-delà de l’année. — Mais une digression lourde et traînante n’est pas ce qu’il faut. Il vaudroit autant aller son grand chemin. — Une digression, dans une circonstance comme celle-ci, doit être légère, enjouée, et sur un sujet qui le soit aussi. — Ce n’est pas tout, il faut que le califourchon et celui qui le monte, ne s’y montrent qu’à la dérobée. —

La difficulté est de trouver des agens convenables à la nature de ce service. L’imagination est capricieuse ; — l’esprit ne veut pas être recherché : — quoique la plaisanterie soit une bonne fille, elle ne vient pas toujours quand on l’appelle.

Il sembleroit que la meilleure façon pour un auteur fût de dire ses prières ; mais si elles ne servent qu’à lui rappeler ses infirmités et ses défauts, tant de corps que d’esprit, il se trouvera plus bête après que devant, (quoique meilleur, religieusement parlant.)

Quant à moi, il n’y a pas un moyen sous le ciel, du genre physique ou du genre moral, qui ne me soit venu à l’esprit, et dont je n’aie essayé. Quelquefois m’adressant à mon ame, et disputant avec elle sur les moyens d’étendre ses facultés. —

Je ne les augmentois pas d’une ligne.

Alors, changeant de système, j’ai essayé ce que pourroient faire sur le corps la tempérance, la sobriété et la chasteté. Elles sont bonnes en elles-mêmes, disois-je, elles sont bonnes dans le sens absolu et dans le sens relatif ; elles sont bonnes pour la santé, bonnes pour le bonheur dans ce monde-ci et dans l’autre. —

Enfin, elles sont bonnes pour tout,… excepté pour ce qui me manque. — Là, elles ne servent à rien qu’à laisser l’esprit comme elles l’ont trouvé. — Quant aux vertus théologales, — la foi et l’espérance pourroient peut-être donner un peu de verve ; — mais pour cette vertu fade qu’on appelle charité, elle vous ôte ce que ses sœurs vous avoient donné. —

Dans les occasions ordinaires, je n’ai rien trouvé qui m’ait mieux réussi, que la méthode dont je vais vous faire part. —

— Certainement, si la logique n’est pas une science frivole, et si je ne suis pas aveuglé par mon amour-propre, — certainement dis-je, il y a quelque chose en moi qui tient du vrai génie ; et ce qui me le persuade, c’est de voir combien je suis étranger à la jalousie et à l’envie : ce symptôme ne sauroit être équivoque. — Jamais je n’ai fait une découverte, que j’aie cru propre à perfectionner l’art d’écrire, que je ne me sois empressé de la publier, désirant sincèrement que tout le monde pût écrire aussi-bien que moi. —

C’est ce qu’on fera, quand on voudra s’y donner aussi peu de peine.