Vie et opinions de Tristram Shandy/3/97

Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome troisième. Tome quatrièmep. 250-253).



CHAPITRE XCVII.

Prédiction de David.


Rendez-les, mon Dieu, semblables à une roue. C’est un sarcasme amer que David, par un esprit prophétique, lançoit contre ceux qui entreprennent le grand tour, et contre cet esprit turbulent qui les y porte ; — cet esprit qui, suivant la prédiction de ce même David, doit accompagner les enfans des hommes jusqu’à la consommation des siècles.

« Aussi, suivant l’opinion du célèbre évêque Hall, c’est une des plus sévères imprécations que le saint roi ait jamais proférées contre les ennemis du Seigneur. — C’est comme s’il eût dit : Je desire qu’ils tournent éternellement. — Un mouvement si violent, continue le saint évêque, qui étoit d’une grosse corpulence, un mouvement si violent est l’image de l’enfer, de même que le repos est l’image du paradis. »

Moi qui suis d’une corpulence chétive, je pense tout différemment ; et je trouve au rebours que le mouvement est l’ame de la vie, et que l’inaction et la lenteur sont le partage de la mort.

— « Holà ! oh ! ils sont tous endormis ! — atelez les chevaux ; — graissez les roues ; — attachez la malle ; — remettez ce clou qui manque : — je ne veux pas perdre une minute. »

Or, la roue dont nous parlons, dans laquelle, et non pas sur laquelle, (car c’eût été en faire la roue d’Ixion) dans laquelle, dis-je, David maudissoit ses ennemis, devoit (dans l’opinion de l’évêque Hall, et vu sa conformation) être une roue de chaise de poste ; soit qu’il y eût des chaises de poste en Palestine ou non. — Et d’après ma façon de penser, ce devroit être une roue de charrette mal graissée, criant à chaque pas, et gravissant lentement les montagnes dont ce pays étoit rempli. — Si jamais je deviens commentateur, je rapporterai les preuves de cette opinion.

J’aime les Pythagoriciens beaucoup plus que je n’ai jamais osé en convenir avec ma chère Jenny. — J’aime leur Χωρισμὸν ἀπὸ τοῦ Σώματος, εἰς τὸ καλῶς φιλοσοφεῖν. Commencez par vous séparer de ce corps terrestre, si vous voulez apprendre à raisonner.

C’est notre corps en effet qui nuit à notre raison. Nous sommes dominés par les humeurs qui nous composent ; — entraînés d’un côté ou de l’autre, comme nous l’avons été l’évêque Hall et moi, en raison de notre fibre trop lâche ou trop tendue. — Nos sens partagent l’empire avec la raison. La mesure du ciel même n’est que la mesure de nos appétits ; et nous nous créons un paradis d’après la grossiéreté de nos desirs.

Mais, en cette occasion, qui de l’évêque ou de moi pensez-vous qui ait tort ? —

« Vous, certainement, dit-elle, d’aller déranger toute une maison à l’heure qu’il est. »