Vie et opinions de Tristram Shandy/2/78

Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome premier. Tome secondp. 221-222).



CHAPITRE LXXVIII.

La leçon.


En ce cas, dit mon père à Suzanne, donne-moi donc vîte ma culotte.

Pardi ! oui. Vous croyez que vous aurez le temps de vous habiller ? nenni pas ; car votre enfant est aussi noir…

Que ?..... dit mon père, qui, comme tous les orateurs, avoit un foible singulier pour les comparaisons.

Je vous dis, reprit Suzanne, qu’il est à la mort.

Et Yorick, où est-il ?

Jamais où il devroit être, dit Suzanne. Mais son vicaire est-là. Il baptise déjà l’enfant, et n’attend plus que son nom. Madame m’a dit de venir bien vite avertir monsieur Tobie pour le nommer, et vous demander s’il lui donnera aussi le nom de Tobie…

Ma foi ! dit mon père, si j’étois sûr qu’il mourût, autant vaudroit en faire la politesse à mon frère. Ce seroit dommage de lui donner un aussi beau nom que celui de Trismégiste, pour le lui voir perdre aussitôt… Mais il en peut revenir… Va, va-t-en toujours, Suzanne, et dis que je vais me lever.

Vous n’en aurez pas le temps, vous dis-je : il est aussi noir que mon collier.....

Diable ! il est de jais, ton collier ! eh bien ! va donc dire qu’on le nomme Trismégiste..... Mais, non, attends, tu l’oublieras ; tu es si bête !…

Pardi ! ne faut-il pas avoir bien de l’esprit pour se souvenir de Trismégiste ?..... et Suzanne se met à courir de toutes ses forces.

Mon père saute en bas du lit et cherche sa culotte.