Vie et opinions de Tristram Shandy/2/38

Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome premier. Tome secondp. 91-92).



CHAPITRE XXXVIII.

Ils vont donc m’abandonner !


Mon père resta ferme. Il ne voulut jamais reprendre le discours. Malgré cela, le tournebroche de mon oncle Tobie, ni les tourbillons de fumée qui le faisoient tourner, ne purent sortir de sa tête. — Au fond, la comparaison avoit je ne sais quoi en elle-même qui lui frappoit l’imagination. Il posa son coude sur la table, appuya le côté droit de sa tête sur la paume de sa main, regarda fixement le feu, et commença bientôt à causer et à philosopher en lui-même sur ce qu’elle lui offroit de singulier..... Mais bientôt aussi ses esprits émoussés, et par la tension continuelle où tant de sujets variés les avoient tenus, et par l’exercice constant qu’il avoit fait de toutes ses facultés, perdirent tout leur ressort… La comparaison de mon oncle Tobie bouleversa toutes ses idées ; et il étoit déjà presque endormi, avant qu’il eût seulement considéré la moitié de ses rapports et de ses analogies. —

La machine de mon oncle Tobie n’avoit peut-être pas fait une douzaine de ses révolutions, que le sommeil le plus profond le fit tomber insensible sur le dos de sa chaise.

Que la paix soit avec eux !

Le docteur Slop et la sage-femme sont occupés de leurs affaires.

Trim, de son côté, ne perd point de temps. Le siège de Messine doit se faire l’été prochain, et d’avance il façonne avec des bottes fortes une paire de mortiers qui lanceront des bombes pour écraser la ville. — Il fore même en ce moment avec un fer chaud la lumière qui doit faire partir ce tonnerre… Enfin, tous mes héros sont sortis de mes mains ; et c’est la première fois que je me trouve libre. Un moment si précieux ne doit pas se perdre dans l’oisiveté. — Profitons-en. Je me suis aperçu que je n’avois point fait de préface à mon livre. Il est bien temps d’y songer. La voici.