Vie et opinions de Tristram Shandy/1/10

Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome premier. Tome secondp. 26-28).



CHAPITRE X

Ce qui se voit tous les jours.


Il y a des philosophes naturalistes qui prétendent que la peine, dans de certains cas, est un plaisir. — Il en pourroit, par hasard, être ainsi de l’ennui ; et ce n’est peut-être pas un hasard, que d’en promettre dans ce chapitre.

Je ne sais s’il est fort essentiel de faire remarquer le mérite qu’il y eut à favoriser l’établissement de la sage-femme.

Mais n’étoit-ce pas un trait de bienfaisance ?

Oui.

Eh bien ! que risquez-vous d’en parler ? Ces traits sont assez rares aujourd’hui pour qu’on en fasse note.

En ce cas, puisque cela devient un point important, il ne reste plus qu’à savoir à qui des deux il en faut donner la gloire ; si c’est au mari ou si c’est à la femme ?

Tous deux y eurent part.

Cela est vrai. La femme en conçut le dessein.

Et le mari concourut au succès.

Il donna libéralement l’argent qu’il falloit.

Oui. Et beaucoup de gens, pour qui la physique est tout, et le reste rien, penseroient volontiers qu’il dut lui faire remporter tout le prix de cette belle action.

Cela peut être. Mais les gens sensés penseroient au contraire qu’ils durent le partager.

Eh bien ! c’est ce qui n’arriva point.

Comment ? Le mari !…

Non. Le mari n’eut rien. La voix publique l’accorda tout entier à la femme.

Oh ! je vous avoue qu’il me faudroit six jours entiers pour trouver une raison qui justifiât ce procédé. — Je n’y vois que l’effet d’une injuste et sotte prévention.

Hélas ! monsieur, telles sont souvent les réputations les plus éclatantes ; il est rare qu’elles soient méritées. On trouve presque toujours quelqu’un qui se plaint que c’est à ses dépens qu’elles font tant de bruit.