Vie et aventures de Martin Chuzzlewit/09

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CHAPITRE IX.

La ville et la maison Todgers.


Dans aucun autre faubourg, ville ou hameau du monde entier, il n’y a jamais eu assurément un lieu aussi bizarre que la maison Todgers. Et assurément aussi, Londres, à en juger d’après la partie de cette ville qui se pressait autour de la maison Todgers, qui la serrait, la heurtait, la foulait avec ses coudes de briques et de mortier, lui enlevait l’air respirable et formait un rideau entre elle et la lumière ; Londres était digne de la maison Todgers, la vraie parente, la vraie mère de bien des centaines, de bien des milliers de maisons de l’antique famille à laquelle appartenait la maison Todgers.

Vous n’eussiez pu trouver le chemin de la maison Todgers comme celui de toute autre maison. Il vous fallait durant plus d’une heure chercher votre itinéraire à travers des ruelles, des rues écartées, des cours et des passages, avant d’arriver à quelque chose qu’on pût raisonnablement appeler une rue. L’étranger qui errait parmi ces labyrinthes inextricables se laissait aller à une angoisse résignée ; et, reconnaissant qu’il s’était égaré, il tournait çà et là sur lui-même, quitte à rétrograder tranquillement lorsqu’il se trouvait arrêté par un mur sans issue ou par une grille de fer, se disant par résignation que le moyen de sortir d’embarras s’offrirait de lui-même au moment où il y penserait le moins, mais qu’il était superflu de vouloir le devancer. Il y avait des exemples de gens qui, invités à dîner à la maison Todgers, avaient fait des circuits durant un temps considérable en apercevant toujours les mitres de ses cheminées, sans pouvoir jamais y arriver, et qui avaient dû finir par retourner chez eux avec regret peut-être, mais tranquillement et sans se plaindre. Jamais personne n’avait trouvé la maison Todgers sur une simple indication verbale, même à une minute de distance. De prudents émigrants d’Écosse ou du nord de l’Angleterre avaient bien pu y parvenir, il est vrai, mais à la condition de mettre en réquisition quelque petit pauvre, né à Londres, et de s’en faire escorter en qualité de cicérone, ou bien de s’accrocher avec ténacité au facteur de la poste. Mais c’étaient là de rares exceptions et qui ne servaient qu’à mieux démontrer la règle : à savoir que la maison Todgers était située dans un labyrinthe dont le mystère n’était connu que d’un petit nombre d’initiés.

Plusieurs commissionnaires en fruits avaient leurs dépôts près de la maison Todgers ; et l’une des premières impressions que recevaient les sens des étrangers était une odeur d’oranges, d’oranges gâtées, piquées de taches bleues ou vertes, moisissant en caisses ou se détériorant en cave. Tout le long du jour, une file de porteurs venant des quais de la rivière voisine, le dos chargé d’une caisse d’oranges pleine à en craquer, cheminaient lentement à travers les rues étroites ; tandis que sous une voûte, près d’une taverne, les tas d’oranges dont on se régalait sur place étaient empilés du matin au soir. Non loin de la maison Todgers, il y avait d’étranges pompes n’appartenant à personne, cachées pour la plupart au fond de passages obscurs et tenant compagnie à des échelles à incendie. Il y avait aussi des églises par douzaines, avec maint petit cimetière mélancolique tout couvert de cette végétation désordonnée qui naît spontanément de l’humidité des tombes et des ruines. Dans quelques uns de ces tristes lieux de repos, qui ressemblaient à peu près autant aux verts cimetières de campagne que les pots de terre placés sur les fenêtres qui les dominaient, et contenant du réséda vulgaire ou de la giroflée commune, ressemblaient aux jardins rustiques, il y avait des arbres, de grands arbres : chaque année, au retour de la belle saison, ces arbres donnaient des feuilles ; mais, à en juger par la longueur de leurs rameaux, on pouvait s’imaginer qu’ils regrettaient la forêt, leur patrie première, comme l’oiseau en cage regrette son nid. La nuit, de vieux watchmen paralysés gardaient les corps des décédés, et cela durant bien des années, jusqu’à ce qu’enfin ils fussent pour leur propre compte descendus au lieu du rendez-vous général et fraternel ; et, sauf que ces invalides dormaient alors plus profondément sous terre qu’ils ne l’avaient jamais fait quand ils étaient de ce monde, sauf qu’ils étaient maintenant enfermés dans une autre sorte de boîte que leur guérite, on pouvait dire que leur condition avait à peine subi un changement matériel, lorsque leur tour était venu d’être veillés par d’autres.

Parmi les rues étroites du voisinage, il y avait çà et là quelque ancienne porte de chêne sculpté, d’où autrefois s’étaient échappés souvent les bruits joyeux du plaisir et des fêtes. Aujourd’hui les maisons auxquelles elles appartenaient, consacrées uniquement au commerce, étaient sombres et sinistres ; remplies de laine, de coton et autres marchandises semblables, dont la pesanteur étouffe tout son et comprime tout écho, elles offraient quelque chose de mort qui se joignait à leur silence et à leur solitude pour leur donner un aspect lugubre. Il y avait encore dans ce quartier des cours où n’avaient jamais passé que les gens attardés, et où de vastes sacs et des mannes pleins de provisions, attachés en haut et en bas, étaient suspendus à des crampons élevés entre le ciel et la terre. Près de la maison Todgers il se trouvait plus de camions qu’il n’en eût fallu pour une ville entière ; non pas des camions en activité de service, mais des trucks vagabonds, flânant pour toujours dans d’étroites ruelles devant les portes de leurs maîtres, et ne servant qu’à encombrer la voie publique : aussi, lorsqu’un fiacre égaré ou une lourde charrette passait par là, ces objets causaient-ils un tumulte qui agitait tout le quartier et faisait vibrer les cloches elles-mêmes dans la tour de l’église voisine. Dans les coins et recoins des impasses qui touchaient à la maison Todgers, des débitants de vin et des marchands épiciers s’étaient constitué à l’aise de petites villes ; et, à une grande profondeur sous les fondations mêmes de ces bâtiments, le sol était miné, fouillé et converti en écuries où, dans le silence du dimanche, on pouvait entendre des chevaux de charrette, effrayés par les rats, secouer violemment leur licou, comme on dit, dans les contes de maisons hantées par des revenants, que les âmes en peine secouent leurs chaînes.

Il faudrait un bon volume pour parler de la moitié des étranges et misérables tavernes qui semblaient cacher leur existence crapuleuse près de la maison Todgers ; tandis qu’un second volume, non moins considérable, pourrait être consacré à la description des chalands non moins nombreux qui en fréquentaient les salles mal éclairées. C’étaient, en général, les indigènes de la localité, qui y étaient nés, y avaient été nourris depuis leur enfance, et qui depuis longtemps étaient devenus essoufflés et asthmatiques, n’ayant plus d’haleine que pour conter des histoires, la seule chose pour laquelle ils fussent merveilleusement doués d’une longue respiration. Ces gens-là étaient très-hostiles à la vapeur et à toutes les inventions modernes ; ils considéraient les ballons comme une œuvre de Satan, et déploraient la décadence de l’époque. Celui des membres particuliers de chacune des petites congrégations qui était chargé des clefs de l’église la plus voisine ne manquait pas d’attribuer la misère des temps à l’invasion des croyances dissidentes et au schisme religieux ; mais la majeure partie de la population locale inclinait à penser que la vertu était partie avec la poudre à cheveux, et que la grandeur de la vieille Angleterre avait été enveloppée dans la ruine des barbiers.

Quant à la maison Todgers, pour n’en parler qu’à raison de sa position topographique et sans faire allusion à ses qualités comme pension bourgeoise pour les gentlemen du commerce, elle était digne de se trouver en semblable compagnie. Sur un de ses côtés elle avait, au rez-de-chaussée, une fenêtre d’escalier qui, d’après la tradition, n’avait pas été ouverte depuis cent ans au moins, et qui, donnant sur une ruelle pleine de poussière, était tellement souillée et obstruée par la boue d’un siècle, que, grâce à ce mastic crasseux, pas un des carreaux ne pouvait trembler, quoiqu’ils fussent tous fêlés, fendillés et craquelés en vingt morceaux. Mais le grand mystère de la maison Todgers était dans ses caves, auxquelles donnaient seulement accès une petite porte de derrière et une grille rouillée. De mémoire d’homme, ces caves avaient toujours été sans communication avec la maison, et toujours elles avaient appartenu à un autre propriétaire. Le bruit courait qu’elles regorgeaient de richesses, quoique ce fût un sujet de profonde incertitude et de suprême indifférence pour la maison Todgers et tous ses habitants de savoir si ces richesses consistaient en argent, en or, en bronze, en pipes de vin ou en barils de poudre à canon.

Il n’est pas non plus sans intérêt de mentionner le haut de l’édifice. Sur le toit régnait une espèce de terrasse où étaient des poteaux et des débris de cordes destinées à faire sécher le linge ; on y voyait, en outre, deux ou trois boîtes à thé remplies de terre, avec quelques plantes délaissées qui ressemblaient à des cannes. Quiconque grimpait à cet observatoire ne manquait pas d’abord de se faire une bosse à la tête en se cognant contre la petite porte qui y donnait accès, puis éprouvait une suffocation inévitable en plongeant malgré lui dans la cheminée de la cuisine qui se trouvait juste au-dessous ; mais après ces deux phases d’observation il y avait des choses qui méritaient d’être examinées du haut de la maison Todgers. D’abord et avant tout, si le jour était brillant, vous pouviez observer sur le faîte des maisons qui s’étendaient au loin une longue ligne noire : c’était l’ombre du Monument. En tournant autour de la terrasse, la figure gigantesque qui le surmonte vous apparaissait avec ses cheveux dressés sur sa tête dorée, comme si elle était effrayée de la physionomie et du mouvement de la Cité. Puis c’étaient des clochers, des tours, des beffrois, d’étincelantes girouettes, des mâts de vaisseaux, une véritable forêt ; des pignons, des toits, des fenêtres de mansarde, tout cela dans un pêle-mêle inextricable ; enfin assez de fumée et de bruit pour remplir un monde.

Après le premier coup d’œil, il y avait, au milieu de cet entassement d’objets, certains petits traits qui se détachaient de la masse sans cause voulue et s’emparaient, bon gré mal gré, de l’attention des spectateurs. Ainsi les mitres des cheminées placées au-dessus d’une masse de bâtiments semblaient se tourner gravement, de temps en temps, les unes vers les autres, pour se communiquer le résultat de leurs observations distinctes sur tout ce qui se passait en bas. D’autres, de forme bossue, semblaient se pencher malicieusement et se mettre de travers tout exprès pour intercepter la perspective à la maison Todgers. L’homme qui, à une fenêtre supérieure de la maison vis-à-vis, était occupé à tailler une plume, prenait une haute importance dans la scène, et, quand il se retirait, il y laissait un vide ridiculement disproportionné avec l’étendue du panorama. Les tressauts d’une pièce d’étoffe sur la perche d’un teinturier offraient en ce moment bien plus d’intérêt que tout le mouvement changeant de la foule. Cependant, tandis que le spectateur s’étonnait de cet effet et ne le subissait qu’à contre-cœur, le bruit d’en bas montait avec la force d’un mugissement ; la masse des objets semblait s’épaissir et se multiplier au centuple : aussi le curieux, après avoir regardé tout autour de lui, dans une véritable épouvante, redescendait-il dans l’intérieur de la maison Todgers beaucoup plus vite qu’il n’était monté ; dix fois pour une, il disait ensuite à Mme Todgers que, sans cela, il fût certainement tombé dans la rue par le chemin le plus court, c’est-à-dire la tête la première.

C’est ce que dirent aussi les deux demoiselles Pecksniff, quand elles quittèrent avec Mme Todgers ce poste d’observation, laissant le jeune concierge fermer la porte derrière elles et les suivre sur l’escalier. Celui-ci, vu son goût pour le jeu, et le plaisir particulier à son sexe et à son âge de s’exposer à se briser en mille morceaux, était resté en arrière, occupé à se promener sur le rebord de la terrasse.

Dès la seconde journée de leur résidence à Londres, les demoiselles Pecksniff et Mme Todgers s’étaient mises sur un pied de grande intimité ; tellement que cette dernière dame leur avait déjà confié les détails de trois tendres déceptions éprouvées par elle au temps de sa jeunesse ; en outre, elle avait communiqué à ses jeunes amies un sommaire général de la vie, de la conduite et du caractère de M. Todgers, qui, à ce qu’il paraît, s’était brusquement soustrait à leurs projets d’avenir matrimonial en se dérobant traîtreusement à son propre bonheur pour aller s’établir en garçon loin d’elle.

« Votre papa avait jadis pour moi des attentions marquées, mes chères amies, dit Mme Todgers ; mais c’eût été trop de félicité pour moi d’être votre maman, et cette félicité m’a été refusée. Vous auriez peut-être bien de la peine à reconnaître pour qui ceci a été fait ? »

En parlant ainsi, elle appela leur attention sur une miniature ovale, semblable à un petit vésicatoire, et qui était accrochée au-dessus du porte-bouilloire. On y voyait sa figure dans le nuage vaporeux d’un rêve.

« La ressemblance est frappante ! s’écrièrent les demoiselles Pecksniff.

– C’est ce qu’on trouvait autrefois, dit Mme Todgers, se chauffant au feu d’une manière tout à fait masculine ; mais je n’aurais pas cru que vous m’eussiez reconnue, mes amours. »

Oh ! certainement, elles l’eussent reconnue partout, à ce qu’elles dirent. Si elles avaient aperçu ce portrait dans la rue, ou à la montre d’une boutique, elles n’eussent pas manqué de s’écrier : « Dieu du ciel ! mistress Todgers !… »

« La direction d’un établissement tel que celui-ci, dit Mme Todgers, fait bien des ravages dans les traits. Rien que le jus de viande suffit pour vous vieillir de vingt ans, je vous l’assure.

— Grand Dieu !… s’écrièrent les deux demoiselles Pecksniff.

— L’anxiété que cause cet ingrédient, mes chères amies, tient continuellement l’esprit à la torture. Il n’existe pas dans le cœur humain de passion aussi forte que celles des gentlemen du commerce pour le jus de viande. Un gros morceau, c’est trop peu dire, un animal tout entier ne donnerait pas la quantité de jus de viande qu’il leur faut chaque jour à dîner. Personne ne pourrait s’imaginer, s’écria Mme Todgers en levant les yeux et secouant la tête, tout ce que j’en ai souffert.

— Juste comme M. Pinch, Mercy ! dit miss Charity. Nous avons toujours remarqué chez lui ce goût prononcé, vous rappelez-vous ?

— Oui, ma chère, dit Mercy avec un rire étouffé ; mais vous savez aussi que jamais nous ne l’avons gâté sous ce rapport.

— Vous, mes amies, comme vous avez affaire aux élèves de votre papa qui ne peuvent se servir eux-mêmes, vous êtes parfaitement à votre aise. Mais dans un établissement commercial ou tel gentleman peut vous dire, le samedi soir « Mistress Todgers, à pareil jour de la semaine prochaine, nous nous séparerons, à cause du fromage, », il n’est pas aussi aisé de maintenir la bonne intelligence. Votre papa, ajouta la brave dame, m’a fait l’amitié de m’inviter à partager aujourd’hui votre promenade : si je ne me trompe, c’est pour aller voir Mlle Pinch, une parente, sans doute, du gentleman dont vous parliez tout à l’heure, n’est-ce pas, mesdemoiselles ?

— Pour l’amour de Dieu, mistress Todgers, répliqua vivement la gracieuse Mercy, n’appelez pas ça un gentleman. Ma bonne Cherry, Pinch un gentleman ! Oh ! la bonne charge !

— Mauvaise enfant ! s’écria Mme Todgers en l’embrassant avec de grandes démonstrations de tendresse. Vous êtes un vrai lutin ! Ma chère miss Pecksniff, quel bonheur la gaieté de votre sœur doit causer à votre papa et à vous-même !

— C’est que, voyez-vous, reprit Mercy, Pinch est bien la plus hideuse créature qu’il soit possible de voir, avec ses yeux de grenouille ; c’est comme un ogre, ni plus ni moins ; l’être le plus laid, le plus gauche, le plus affreux, que vous puissiez imaginer. Eh bien ! c’est sa sœur chez laquelle nous allons, et je vous laisse à penser ce qu’elle doit être. Je ne pourrai pas m’empêcher de rire aux éclats, dit la charmante jeune fille. Il me sera impossible de garder mon sérieux. La seule idée de l’existence d’une Mlle Pinch suffit pour vous faire mourir de rire ; mais la voir ? oh ! bon Dieu ! »

Mme Todgers rit à gorge déployée de la gaieté de son cher amour, mais en déclarant que, pour son compte, elle avait réellement peur d’elle. Ma parole d’honneur ! miss Mercy était si railleuse !

« Qui est-ce qui est railleuse ? demanda une voix par l’ouverture de la porte entre-bâillée. J’espère bien que, dans notre famille, il n’y a rien qui ressemble à de la raillerie ! »

Et en même temps M. Pecksniff se montra avec son sourire, en disant :

« Puis-je entrer, mistress Todgers ? »

Mme Todgers jeta un cri perçant : car la petite porte de communication entre la chambre et le parloir de la pension bourgeoise étant tout ouverte, on apercevait en plein le lit-canapé dans toutes ses imperfections monstrueuses. Mais elle eut la présence d’esprit de fermer cette porte en un clin d’œil ; et, cela fait, elle dit non sans quelque confusion :

« Oh ! oui, monsieur Pecksniff, vous pouvez entrer, s’il vous plaît.

— Comment ça va-t-il aujourd’hui ? dit gaiement M. Pecksniff. Quels plans avons-nous formés ? Sommes-nous prêts à partir pour aller voir la sœur de Tom Pinch ? Ha ! ha ! ha ! ce pauvre Thomas Pinch !

— Sommes-nous prêts, répliqua Mme Todgers, en secouant la tête d’un air de mystère, à rendre une réponse favorable à l’invitation collective des bons amis de M. Jinkins ? Voilà le premier point, monsieur Pecksniff.

— Pourquoi une invitation de M. Jinkins, ma chère dame ? demanda M. Pecksniff, enlaçant d’un bras la taille de Mercy et de l’autre celle de Mme Todgers, qu’il parut prendre, par distraction, pour Charity. Pourquoi au nom de M. Jinkins ?

— Parce que c’est le plus ancien pensionnaire, et qu’en réalité, c’est lui qui mène la maison, répondit Mme Todgers avec enjouement. Voilà le pourquoi, monsieur.

— Jinkins est un homme supérieur, fit observer M. Pecksniff. J’ai conçu une grande estime pour Jinkins. Je regarde le désir qu’exprime Jinkins de faire une politesse à mes filles comme un preuve de plus des sentiments affables de Jinkins, madame Todgers.

— Eh bien ! après cela, il ne vous reste plus que peu de chose à dire, monsieur Pecksniff. Ainsi, ne cachez rien à ces chères demoiselles. »

En achevant ces paroles, elle se dégagea lestement de l’étreinte de M. Pecksniff pour embrasser elle-même miss Charity. On n’a jamais su bien exactement si elle avait en cela obéi à l’irrésistible impulsion de l’amitié qu’elle ressentait pour cette jeune personne, ou si son mouvement avait eu pour cause une ombre de mécontentement, tranchons le mot, une expression dédaigneuse que Charity avait laissé lire sur ses traits. Quoi qu’il en soit, M. Pecksniff se mit en devoir d’instruire ses filles du fait et des détails de l’invitation collective dont nous venons de parler. En résumé, les gentlemen du commerce qui formaient la moelle et la substance de ce nom collectif, c’est-à-dire comprenant plusieurs personnes ou plusieurs choses, qu’on appelait Todgers, désiraient avoir l’honneur de voir ces demoiselles à la table générale aussi longtemps qu’elles habiteraient la maison, et les suppliaient de vouloir bien embellir de leur présence le dîner du lendemain, qui était un dimanche. Il ajouta que Mme Todgers ayant consenti, pour sa part, à cette invitation, il ne demandait pas mieux que de l’accepter aussi. Il quitta donc ses filles pour aller écrire sa gracieuse réponse, tandis qu’elles s’armaient de leur plus beau chapeau pour éclipser et écraser Mlle Pinch.

La sœur de Tom Pinch était institutrice dans une famille, une famille de la haute volée, la famille du plus riche fondeur de bronze et de cuivre qu’il y eût peut-être dans le monde entier. C’était à Camberwell, dans une maison si grande et si imposante, que son extérieur seul, comme les dehors d’un château de géant, imprimait la terreur dans l’esprit du vulgaire et intimidait les plus hardis. Une large porte fermait la propriété ; tout auprès se trouvait une grosse cloche, dont la chaîne était déjà faite pour exciter l’admiration ; puis une loge spacieuse, qui, attenante au corps de logis principal, masquait peut-être la vue du dehors, mais au-dedans ne la rendait que plus imposante. À cette entrée, un grand portier faisait constante et bonne garde ; et, quand il avait accordé au visiteur le laissez-passer, il agitait une seconde grosse cloche : à cet appel paraissait, au moment précis, sur le seuil de la porte d’entrée, un grand valet de pied, qui avait sur son habit de livrée tant de longues aiguillettes qu’il passait son temps à s’accrocher, à s’enchevêtrer dans les chaises et les tables, et menait une vie de tourment, qui ne pouvait se comparer qu’au supplice d’une mouche à viande, prise au milieu d’un monde de toiles d’araignée.

Ce fut vers cette maison que M. Pecksniff, accompagné de ses filles et de Mme Todgers, se rendit d’un bon pas dans une citadine à un cheval. Après l’accomplissement des formalités préliminaires dont nous avons parlé, ils furent introduits dans la maison, et, de pièce en pièce, arrivèrent enfin à une petite chambre garnie de livres, où la sœur de M. Pinch était occupée en ce moment à donner la leçon à l’aînée de ses élèves, petite femme précoce de treize ans, qui était arrivée déjà à un tel degré d’embonpoint et d’éducation qu’il n’y avait plus rien d’enfantin chez elle, ce qui, pour ses parents et ses amis, était un grand sujet de joie.

« Des visiteurs pour miss Pinch ! » dit le valet de pied.

Ce devait être un garçon d’esprit, car il prononça ces mots d’une façon fort habile, avec une nuance distincte entre le froid respect qu’il eût mis à annoncer une visite pour la famille, et l’intérêt personnellement affectueux avec lequel il eût annoncé une visite pour le cuisinier.

« Des visiteurs pour miss Pinch ! »

Miss Pinch se leva en toute hâte. Son agitation prouvait clairement qu’elle n’était pas accoutumée à recevoir de nombreuses visites. En même temps, la jeune élève se redressa d’une manière alarmante et se disposa à prendre bonne note dans son esprit de tout ce qu’elle allait entendre et voir. Car la maîtresse de la maison était curieuse de savoir à fond l’histoire naturelle et les habitudes de l’animal nommé institutrice, et elle encourageait ses filles à lui fournir à cet égard des renseignements toutes les fois que l’occasion s’en présentait ; et certainement on ne peut nier que ce ne fût pour toutes les parties intéressées une chose louable, utile, et surtout amusante.

Il est triste d’avoir à dire, mais il faut que justice se fasse, que la sœur de M. Pinch n’était nullement laide. Au contraire, elle possédait une jolie figure, une figure douce et qui prévenait en sa faveur ; de plus, une taille délicate, fine, un peu courte, mais d’une perfection remarquable. Elle avait quelque chose, beaucoup même, de son frère, pour la naïveté de ses manières et son air de confiance timide ; mais elle était si loin d’être un monstre, ou une caricature, ou une horreur, ou quoi que ce soit de semblable, comme les deux demoiselles Pecksniff s’étaient plu à le prédire, que naturellement ces deux jeunes personnes l’envisagèrent avec une profonde indignation en s’apercevant que ce n’était point du tout là ce qu’elles étaient venues voir.

Miss Mercy, grâce à son caractère plus enjoué, sut mieux prendre son parti de ce désappointement et, en apparence du moins, elle rejeta toute impression fâcheuse en riant du bout des dents ; mais sa sœur, sans se mettre en peine de cacher son dédain, le traduisit ouvertement par ses regards. Quant à Mme Todgers, qui donnait le bras à M. Pecksniff, elle avait composé sur ses traits une sorte de grimace aimable, convenable à toute disposition d’esprit, et ne trahissant aucune ombre d’opinion.

« Ne vous troublez pas, miss Pinch, dit M. Pecksniff prenant dans l’une de ses mains, avec une certaine condescendance, celle de la jeune fille qu’il caressait de l’autre. Je viens vous voir pour tenir une promesse que j’ai faite à votre frère Thomas Pinch ; je m’appelle Pecksniff. »

L’homme vertueux avait prononcé ces paroles d’un ton solennel, comme s’il eût dit : « Jeune fille, vous voyez en moi le bienfaiteur de votre famille, le patron de votre maison, le sauveur de votre frère, qui chaque jour est nourri de la manne tombée de ma table. En conséquence, il y a dans les livres du ciel un compte courant considérable en ma faveur ; mais je n’ai pas d’orgueil, car je puis m’en passer. »

La pauvre jeune fille croyait à cela comme aux vérités de l’Évangile. Bien souvent, son frère, écrivant dans la plénitude de son cœur simple et candide, lui avait dit tout cela et mieux encore. Au moment où M. Pecksniff cessa de parler, elle pencha la tête et versa une larme sur la main du visiteur.

« Oh ! très-bien, miss Pinch ! pensa l’élève rusée ; vous pleurez devant les étrangers, comme si vous n’étiez pas contente de votre situation !

— Thomas se porte bien, dit M. Pecksniff, et vous envoie toutes ses amitiés avec cette lettre. Je n’oserais affirmer que le pauvre garçon se distingue jamais dans notre profession ; mais il a le désir de bien faire, c’est tout ce qu’on peut lui demander : c’est pourquoi nous devons patienter à son égard, comme de juste.

— Je sais qu’il a bonne volonté, monsieur, dit la sœur de Tom Pinch, et je sais aussi l’affection et les égards que vous lui témoignez pour cette raison. Aussi, ni lui ni moi ne pouvons-nous vous être assez reconnaissants, comme nous nous le répétons souvent dans nos lettres. »

Elle ajouta, en regardant gracieusement les deux sœurs :

« Je sais aussi tout ce que nous devons à ces jeunes demoiselles.

— Mes chères, dit M. Pecksniff, se tournant vers ses filles avec un sourire, la sœur de Thomas dit quelque chose que vous serez bien aises d’entendre, je pense.

— Nous ne saurions nous attribuer ce mérite, papa ! s’écria Cherry, en même temps que toutes deux informaient par un salut protecteur la sœur de Tom Pinch qu’elles lui seraient fort obligées si elle voulait bien respecter la distance de leurs rangs respectifs. La sœur de M. Pinch ne doit de reconnaissance qu’à vous seul pour les égards témoignés à son frère, et tout ce que nous pouvons en dire, c’est que nous sommes satisfaites d’apprendre qu’il est aussi reconnaissant qu’il doit l’être.

— Oh ! très-bien, miss Pinch, pensa de nouveau l’élève ; vous avez laissé échapper les mots de « frère reconnaissant. » C’est apparemment qu’il vit des bontés d’autrui !

— C’est bien aimable à vous d’être venus ici, dit la sœur de Pinch avec la simplicité et le sourire mêmes de Tom ; bien aimable, en vérité. Vous ne savez pas le plaisir que vous me faites. Il y a si longtemps que j’avais le désir de vous voir et de vous offrir de vive voix les remercîments dont votre modestie ne saurait vous défendre !

— C’est fort bien, c’est fort gracieux, fort convenable, murmura M. Pecksniff.

— Ce qui me rend heureuse aussi, dit Ruth Pinch, qui, une fois la première surprise passée, était devenue communicative et gaie, et qui, dans la bonté de son cœur, aimait à voir toute chose sous le jour le plus favorable, car c’était le vrai pendant du caractère de Tom ; oui, ce qui me rend bien heureuse, c’est de penser que vous pourrez lui dire dans quelle excellente position je suis ici, et combien il serait inutile qu’il regrettât jamais de me savoir livrée à mes propres ressources. Mon Dieu ! aussi longtemps que je saurai qu’il est heureux et qu’il saura que je suis heureuse, nous pourrons tous deux supporter, sans murmure ni plainte, bien plus d’épreuves que nous n’en avons eu à subir. J’en suis certaine. »

Et si jamais, par hasard, on a dit la vérité sur cette terre de mensonges, c’est bien la sœur de Tom qui croyait la dire.

« Ah ! s’écria M. Pecksniff, c’est très-juste. »

Il avait en même temps dirigé son regard vers l’élève.

« Comment vous portez-vous, ma charmante demoiselle ? demanda-t-il.

— Très-bien, je vous remercie, monsieur, répondit l’innocent petit morceau de glace.

— Quel doux visage, mes chères ! dit M. Pecksniff, se tournant vers ses filles. Quelles manières ravissantes ! »

Dès le commencement, les deux jeunes personnes étaient tombées en extase à la vue de ce rejeton d’une famille riche, qui pouvait être le moyen le plus facile et le plus prompt d’arriver jusqu’à ses parents. Mme Todgers s’écria qu’elle n’avait jamais contemplé de figure aussi angélique. « Mon Dieu ! dit la bonne femme, il ne lui manque qu’une paire d’ailes pour être un petit carabin ! » Elle voulait dire sans doute un petit chérubin.

« Si vous voulez bien remettre ceci à vos illustres parents, mon aimable petite amie, dit M. Pecksniff, tirant une de ses cartes-prospectus, et leur apprendre que mes filles et moi…

— Et Mme Todgers, p’pa, dit Mercy.

— Et Mme Todgers, de Londres, ajouta M. Pecksniff ; que mes filles et moi, et Mme Todgers, de Londres, nous n’avons nullement l’intention de les importuner, notre but ayant été tout simplement de voir quelques instants miss Pinch, dont le frère est un jeune homme employé chez moi ; mais que je regretterais de quitter cette demeure sans payer mon humble tribut, en ma qualité d’architecte, à la correction, à l’élégance, au goût parfait de son propriétaire, et à l’exquise appréciation qu’il me semble faire du bel art à la culture duquel j’ai voué ma vie, et dont la gloire et le progrès m’ont coûté le sacrifice d’une fortune, je vous serai infiniment obligé.

— Les compliments de madame pour miss Pinch, dit le valet de pied, qui reparut tout à coup en parlant juste sur le même ton qu’auparavant. Madame désire savoir ce que mademoiselle est en train d’apprendre en ce moment.

— Oh ! dit M. Pecksniff, voici le jeune homme. C’est lui qui va se charger de ma carte. Avec mes compliments, s’il vous plaît, jeune homme. Mes chères, nous interrompons le cours des études. Retirons-nous. »

Mme Todgers causa un moment de confusion en fouillant à la hâte dans son petit cabas et présentant au « jeune homme » une de ses cartes qui, outre certaines informations détaillées relatives aux conditions de la pension du Commerce, portait au bas une note par laquelle M. T. prenait la liberté de remercier les gentlemen qui l’avaient honoré de leur confiance et les priait de vouloir bien, s’ils étaient satisfaits de la table, la recommander à leurs amis. Mais M. Pecksniff, avec une admirable présence d’esprit, escamota ce document et le mit dans sa poche.

Puis il dit à miss Pinch, avec un air de condescendance et de familiarité plus marqué encore qu’auparavant, car il était bon de faire bien sentir au valet de pied qu’il voyait en eux, non pas les amis, mais bien les patrons de l’institutrice :

« Bonjour, bonjour. Que Dieu vous garde ! Vous pouvez compter que je continuerai de protéger votre frère Thomas. Soyez tranquille à cet égard, miss Pinch !

— Je vous remercie mille fois ! dit la sœur de Tom avec toute la chaleur de son cœur.

— De rien, répliqua-t-il en lui donnant de petites tapes sur la main. Ne parlons pas de cela. Vous me fâcherez si vous insistez. Ma douce enfant (ceci s’adressait à l’élève), adieu !… La charmante créature… dit M. Pecksniff, en dirigeant son regard pensif vers le valet de pied, comme s’il était question de lui ; c’est comme une vision brillante qui vient d’embellir la route de mon existence. Je ne l’oublierai pas de longtemps. Mes chères, êtes-vous prêtes ? »

Elles n’étaient pas tout à fait prêtes, car elles étaient occupées encore à faire des mamours à l’élève. Enfin, elles se décidèrent à partir, et, passant devant miss Pinch avec une arrogante inclination de tête et un salut aussitôt achevé que commencé, elles se précipitèrent en avant.

Ce fut, pour le valet de pied, une tâche assez difficile que de conduire jusqu’au dehors les visiteurs. En effet, M. Pecksniff éprouvait tant de jouissance à apprécier la splendeur de la maison, qu’il ne pouvait s’empêcher de s’arrêter sans cesse, surtout lorsqu’ils se trouvèrent près de la porte du parloir, et d’exprimer son admiration à haute voix et en termes techniques. Le fait est que, du cabinet d’étude au gros mur de façade de la maison, il débita tout un cours familier de science architecturale appliquée aux maisons d’habitation, et il n’en était encore qu’aux prémisses de son éloquence, quand la compagnie arriva au jardin.

« Si vous regardez bien, dit M. Pecksniff descendant à reculons les marches du perron, en tournant la tête de côté et fermant à demi les yeux pour mieux saisir les proportions de l’extérieur, si vous regardez bien, mes chères, la corniche qui supporte l’entablement, et si vous observez la légèreté de sa construction, particulièrement du côté où elle contourne l’angle sud du bâtiment, vous trouverez comme moi… Comment vous portez-vous, monsieur ? Bien, j’espère ! »

En effet, il s’interrompit pour saluer avec beaucoup de politesse un gentleman entre deux âges, qui se trouvait à une fenêtre d’un étage supérieur. S’il lui adressait quelques mots, ce n’était pas qu’il pût espérer de se faire entendre, car la chose était impossible, à la distance où était ce gentleman, mais c’était un accompagnement naturel et convenable de son salut.

« Je ne doute point, mes chères, dit M. Pecksniff, faisant semblant de montrer du doigt d’autres merveilles, que ce ne soit là le propriétaire. Je serai charmé de le connaître. Cela peut servir. Est-ce qu’il regarde de ce côté, Charity ?

— Il ouvre la fenêtre, p’pa !

— Ha ! ha ! s’écria gaiement M. Pecksniff ; ça va bien ! Il a reconnu que je suis du métier. Il m’a entendu tout à l’heure, sans nul doute. Ne regardez pas !… Quant aux piliers cannelés, mes chères…

— Holà ! hé ! cria le gentleman.

— Monsieur, votre serviteur, dit M. Pecksniff, ôtant son chapeau. Je suis heureux de faire votre connaissance.

— Ne marchez pas sur le gazon, s’il vous plaît ! hurla le gentleman.

— Je vous demande pardon, monsieur, dit M. Pecksniff, qui croyait n’avoir pas bien entendu. Vous dites… ?

— Ne marchez pas sur le gazon ! répéta vivement le gentleman.

— Nous n’avons pas du tout l’intention d’être indiscrets, monsieur, dit M. Pecksniff, essayant un sourire.

— Cela n’empêche pas que vous l’êtes, répliqua l’autre ; et de la pire espèce, des violateurs du droit de propriété. Est-ce que vous ne voyez pas une allée sablée ? Pour qui croyez-vous qu’elle soit faite ?… Qu’on ouvre la porte là-bas, et qu’on me mette ces gens-là dehors ! »

Après ces paroles, il referma la fenêtre et disparut.

M. Pecksniff remit son chapeau sur sa tête, et regagna sa citadine avec un grand calme et dans un profond silence, regardant les nuages d’un air de profond intérêt, tout en marchant. Après avoir aidé ses filles et Mme Todgers à monter dans la voiture, il resta quelques moments à considérer la citadine, comme s’il ne savait pas au juste si c’était une voiture ou un temple, car ses pensées étaient tout à Dieu ; et, quand il fut enfin suffisamment édifié là-dessus, il prit sa place, étendit ses mains sur ses genoux, et sourit à ses trois compagnes de route.

Cependant ses filles, moins résignées, s’abandonnèrent au torrent de leur indignation. « Voilà ce que c’est, disaient-elles, que de montrer de la bienveillance à des créatures telles que les Pinch ! Voilà ce que c’est que de s’abaisser pour se mettre à leur niveau ! Voilà ce que c’est que de se donner l’humiliation d’avoir l’air de connaître des jeunes personnes aussi effrontées, hardies, rusées et désagréables que celle-là ! » Elles s’y étaient bien attendues. Le matin même, elles l’avaient prédit à Mme Todgers, qui pouvait en rendre témoignage. Le propriétaire de la maison, en les prenant pour des amis de Mlle Pinch, les avait traités en conséquence. Il ne pouvait pas faire autrement : ce n’était que trop juste. À quoi elles ajoutèrent (par une petite contradiction) qu’il fallait que cet homme fût une brute et un ours mal léché ; et alors elles fondirent en un déluge de larmes qui roula dans ses flots toutes les épithètes les plus violentes.

Peut-être miss Pinch était-elle bien plus innocente de toute cette mésaventure que le petit chérubin qui, sitôt après le départ des visiteurs, s’était hâté d’aller faire son rapport au quartier général, en racontant tout au long comme quoi ces étrangers avaient eu l’audace de la charger du message qu’ils avaient confié ensuite au valet de pied : outrecuidance qui, jointe aux remarques déplacées de M. Pecksniff sur la maison, pouvait avoir contribué à l’expulsion un peu brusque des visiteurs. La pauvre miss Pinch, cependant, eut à supporter le feu de deux camps : car la mère du séraphin la gronda si durement pour avoir des connaissances si vulgaires, que la sœur de Tom ne put que se réfugier toute en pleurs dans sa chambre, sans trouver dans sa cordialité naturelle et sa soumission, ni dans le plaisir d’avoir vu M. Pecksniff et reçu une lettre de son frère, un remède suffisant contre son chagrin.

Quant à M. Pecksniff, il leur dit dans la citadine qu’une bonne action porte en soi sa récompense, et il leur donna même à entendre que, loin de s’en repentir, il regrettait presque qu’on ne l’eût pas mis à la porte à coups de pied dans le derrière : il n’en aurait que plus de mérite. Mais, il avait beau dire, les jeunes demoiselles, loin d’admettre cette consolation, ne cessèrent de jeter des cris furieux durant tout le retour, et même elles laissèrent percer une ou deux fois le vif désir d’attaquer la dévouée Mme Todgers : car elles étaient secrètement portées à accuser de leur humiliation sa tournure grotesque, et surtout sa carte ridicule et son cabas.

Ce soir-là, la maison Todgers était en grande rumeur. D’une part, on y faisait un excédant d’apprêts domestiques pour le lendemain ; de l’autre, tous les samedis soir, il y avait toujours plus de mouvement, grâce aux allées et venues des blanchisseuses qui, à diverses heures, apportaient en petit paquet, avec la note attachée dessus par une épingle, le linge des gentlemen. Les samedis, il y avait toujours, jusqu’à minuit au moins, un grand bruit de socques sur l’escalier ; on voyait aussi de fréquentes apparitions de lumières mystérieuses dans le vestibule ; la pompe était toujours en exercice, et on entendait à chaque instant retentir sur le seau la poignée de fer. De temps en temps, d’aigres altercations s’élevaient entre Mme Todgers et des femmes que personne ne voyait jamais au fond de leurs cuisines souterraines ; il arrivait aussi des bruits de menus objets de ménage en fer, et de quincaillerie qu’on lançait à la tête du jeune concierge. Le samedi, ce jouvenceau avait coutume de relever jusqu’aux épaules les manches de sa chemise, et de courir toute la maison avec un tablier de grosse serge verte ; c’était aussi le samedi, plus que les autres jours (justement parce qu’on avait ce jour-là plus à faire), qu’il éprouvait une forte tentation d’aller faire des excursions aventureuses dans les ruelles du voisinage, pour y jouer au saut-de-mouton et autres divertissements avec des vagabonds, jusqu’à ce qu’on vînt le rattraper pour le ramener à la maison par les cheveux ou par le bout de l’oreille. En un mot, le jeune concierge était un des épisodes remarquables par les incidents particuliers du dernier jour de la semaine dans la maison Todgers.

Telles étaient ses dispositions, surtout le samedi soir dont nous venons de parler, et il se plaisait à honorer les demoiselles Pecksniff d’une foule d’interpellations. Rarement passait-il devant la chambre particulière de Mme Todgers, où les deux sœurs étaient seules, assises devant le feu, et travaillaient à la lueur d’une chandelle unique et solitaire, sans avancer sa tête et les saluer de compliments dans le genre suivant : « C’est donc encore vous ! Fi ! que c’est laid ! » et autres aimables gaietés de ce genre.

« Dites donc, mesdemoiselles, leur dit-il à demi-voix dans une de ses allées et venues, il y aura de la soupe demain. Elle est en train de la faire. Est-ce qu’elle y met de l’eau ?… Oh ! non, c’est le chat ! »

En allant répondre à un coup de marteau donné en bas, il fourra de nouveau sa tête à l’entrée de la chambre.

« Dites donc, il y aura demain de la volaille. Et de la volaille qui n’est pas décharnée. Oh ! non, c’est le chat ! »

Plus tard, il cria par le trou de la serrure :

« Dites donc, il y aura demain du poisson. Il est tout frais, il arrive… il arrive le maquereau. N’en mangez pas, toujours ! »

Et il se sauva après avoir jeté cet avis lugubre.

Il ne tarda pas à revenir mettre la nappe pour le souper. Il avait été convenu entre Mme Todgers et les deux demoiselles que celles-ci se partageraient une côtelette de veau et la mangeraient dans l’appartement particulier de cette dame. Le jeune portier, voulant faire l’agréable et amuser les deux sœurs, plongea dans sa bouche la chandelle allumée, pour leur faire voir que sa figure avait l’air d’un transparent. Après avoir accompli ce haut fait, il passa aux devoirs de son emploi, donnant du lustre à chacun des couteaux qu’il posait sur la table, en mouillant la lame avec son haleine, puis la frottant avec le tablier vert. Enfin, tous les préparatifs terminés, il adressa aux deux sœurs un rire grimaçant, et leur donna à entendre que le repas qui allait être servi serait « un peu bien épicé. »

« Sera-ce bientôt prêt, Bailey ? demanda Mercy.

— Oui, dit Bailey, il est cuit. Au moment où je suis venu ici, elle piquait, avec sa fourchette, les meilleurs morceaux pour y goûter. »

Mais à peine avait-il prononcé ces paroles, qu’il reçut sur la tête un compliment manuel qui l’envoya tout chancelant contre le mur. Mme Todgers, le plat à la main, lui apparut pleine d’indignation.

« Oh ! petit drôle ! dit-elle. Mauvais garnement, menteur que vous êtes !

— Pas plus drôle que vous, répliqua Bailey, garant sa tête, d’après un principe inventé par le boxeur Thomas Cribb. Venez-y donc ! Recommencez, vous verrez.

— C’est l’enfant le plus terrible, dit Mme Todgers, posant le plat sur la table. J’ai toujours à m’en plaindre. Les gentlemen le gâtent tellement et lui apprennent de si vilaines choses, que j’ai bien peur qu’il ne se corrige jamais que sur l’échafaud.

— Oui-da ! cria Bailey. Aussi, pourquoi me mettez-vous toujours de l’eau dans ma bière, pour détruire ma constitution ?

— Descendez, mauvais sujet ! dit Mme Todgers, tenant la porte ouverte. M’entendez-vous ? Allez-vous-en ! »

Après deux ou trois feintes adroites il partit, et on ne le revit plus de toute la soirée, sauf une fois qu’il apporta des gobelets avec de l’eau chaude, et qu’il effraya beaucoup les deux demoiselles Pecksniff, en louchant horriblement derrière Mme Todgers, qui ne se doutait de rien. Satisfait d’avoir donné cette satisfaction à ses sentiments outragés, il se retira dans son souterrain. Là, en compagnie d’un essaim de blattes d’Afrique et d’une chandelle de suif, il employa ses facultés intellectuelles à nettoyer des bottes et brosser des habits jusqu’à une heure avancée de la nuit.

Ce jeune domestique, qui s’appelait réellement, à ce qu’il paraît, Benjamin, était plus connu sous une grande variété de noms. Benjamin, par exemple, avait été converti en Oncle Ben ; puis, par corruption, était devenu Oncle ; d’où, par une transition facile, il s’était métamorphosé en Barnwell, d’après le souvenir d’un gentleman qui fut assassiné par son propre neveu Georges, tandis qu’il méditait dans son jardin à Camberwell. Les pensionnaires de la maison Todgers avaient, en outre, l’habitude plaisante de lui appliquer, selon les circonstances, le nom d’un malfaiteur célèbre ou d’un ministre fameux ; et parfois, quand les événements du jour manquaient d’intérêt, on fouillait les pages de l’histoire pour y recueillir un supplément de sobriquets. À l’époque de notre récit, le jeune concierge était généralement appelé Bailey junior, par contraste sans doute avec Old-Bailey[1], et peut-être aussi parce que ce nom rappelait le souvenir d’une malheureuse dame ainsi nommée qui, dans la faveur de sa vie, s’était périe de ses propres mains : il est vrai qu’elle a été immortalisée par une ballade.

C’était habituellement à trois heures qu’on dînait le dimanche à la pension Todgers : heure commode pour tout le monde ; pour Mme Todgers, à cause du boulanger ; pour les gentlemen aussi qu’appelaient au dehors leurs engagements de l’après-midi. Mais, le dimanche où les deux sœurs Pecksniff devaient faire pleinement connaissance avec la pension Todgers et sa société, le dîner fut remis à cinq heures, pour que les préparatifs fussent dignes du but qu’on se proposait.

Quand le moment fut proche, Bailey junior, ayant l’air très-affairé, parut dans un costume flottant, cinq fois trop large pour lui ; en particulier, il avait une chemise d’une si belle ampleur qu’elle lui fit donner sur-le-champ, par un de ces messieurs qui était étonnant pour son esprit d’à-propos, le sobriquet de Col-Haut. À cinq heures moins le quart environ, une députation, composée de M. Jinkins et d’un autre gentleman nommé Gander, frappa à la porte de la chambre de Mme Todgers et, ayant été présentée en règle aux deux demoiselles Pecksniff par leur père qui attendait ces messieurs, sollicita l’honneur de conduire au premier étage miss Charity et miss Mercy.

Le salon de la maison Todgers ne ressemblait en rien aux salons ordinaires : on n’aurait jamais pu croire que c’en fût un, à moins d’en être prévenu par une personne obligeante qui fût dans le secret. Il était planchéié de haut en bas, avec un plafond en papier coupé en deux par une poutre. Outre les trois petites fenêtres, devant lesquelles étaient rangées autant de chaises et qui commandaient le vestibule d’en face, il y avait une autre fenêtre indépendante de tout ce qui l’entourait, et qui avait vue sur la chambre à coucher de M. Jinkins. En haut et tout le long d’un des côtés du mur était une imposte de carreaux de vitre à deux rangs, destinée à éclairer l’escalier. Il y avait les plus drôles de petits placards qu’on pût voir, de toute forme, hexagones, octogones ou pentagones, découpés dans la boiserie, et ajustés à des dessous d’escalier ; la porte elle-même, peinte en noir, avait en haut deux grands yeux de verre ornés chacun, au centre, d’une pupille verte, indiscrète, qui espionnait ce qui se passait.

C’est là que tous les gentlemen étaient réunis. Il y eut un cri général : « Écoutez ! écoutez ! » et : « Bravo, Jink ! » quand M. Jinkins fit son entrée avec miss Charity à son bras. Ce cri devint frénétique, quand on vit M. Gander qui venait à la suite escortant Mercy. M. Pecksniff formait l’arrière-garde avec Mme Todgers.

Alors eurent lieu les présentations. En voici l’ordre et la marche : D’abord et d’un, un gentleman qui faisait du sport sa spécialité, et proposait aux éditeurs de journaux du dimanche certaines questions de jockey-club qui n’étaient pas commodes, je vous en réponds ; vous n’aviez qu’à demander à ses amis. Un gentleman que sa vocation poussait vers le théâtre, et qui eût obtenu un début autrefois, n’était la méchanceté de la nature humaine qui avait mis des bâtons dans les roues. Un gentleman orateur, qui était fort sur les speach. Un gentleman qui se piquait de littérature ; il écrivait entre autres choses des satires personnelles et connaissait le côté faible de chaque caractère, excepté le sien. Un dilettante… Un fumeur… Un gastronome… Plusieurs joueurs de whist… Pas mal de joueurs de billard et d’amateurs de paris, tous, à ce qu’il paraît, doués d’un certain goût pour le commerce, car ils étaient de manière ou d’autre lancés dans le mouvement commercial ; ce qui ne les empêchait pas d’avoir, avec cela, des goûts prononcés pour le plaisir. M. Jinkins avait les allures d’un fashionable ; il fréquentait régulièrement les parcs le dimanche, et connaissait de vue un grand nombre d’équipages. Il parlait aussi mystérieusement de femmes magnifiques, et on le soupçonnait de s’être compromis avec une comtesse. M. Gander avait un tour d’esprit ingénieux : c’est lui qui avait inventé la plaisanterie de « Col-Haut, » plaisanterie qui avait obtenu le plus grand succès et qui, passant de bouche en bouche sous le nom de : « la dernière de Gander, » circulait dans toute la chambre avec de grands applaudissements. Nous devons ajouter que M. Jinkins était de beaucoup le plus âgé de la compagnie. Il avait quarante ans et tenait les livres d’un marchand de poissons. C’était aussi le plus ancien pensionnaire ; et, en vertu de son double droit d’aînesse, c’était lui qui menait la maison, comme l’avait dit Mme Todgers.

Le dîner se fit considérablement attendre. La pauvre Mme Todgers, réprimandée en confidence par M. Jinkins, ne faisait qu’aller et venir pour voir ce qui causait ce retard ; elle recommença plus de vingt fois le même manège, revenant sans cesse sur ses pas sans savoir pourquoi, avant même d’être sortie. Cependant la conversation générale n’en souffrait pas : car un gentleman, voyageur pour la parfumerie, avait exhibé une intéressante babiole, espèce de savonnette qu’il rapportait d’une récente tournée en Allemagne ; et, de son côté, le gentleman littéraire récitait, sur la demande générale, quelques strophes satiriques qu’il venait de composer contre le réservoir situé derrière la maison, qui s’était permis de geler dans les derniers froids. Ces divertissements, avec la conversation mêlée qui en était la suite naturelle, firent passer très-gaiement le temps, jusqu’à ce qu’enfin Bailey junior annonça le dîner en ces termes :

« Les vivres sont servis ! »

À ce signal, tout le monde descendit aussitôt à la salle du festin. Quelques-uns des plus facétieux, parmi ceux qui fermaient la marche, prirent sous le bras des gentlemen en guise de dames, pour parodier la bonne fortune des deux cavaliers des demoiselles Pecksniff.

M. Pecksniff dit les grâces, une courte et pieuse prière pour invoquer la bénédiction céleste en faveur de l’appétit des convives, et recommander aux soins de la Providence les infortunés qui n’ont pas de quoi manger, l’affaire de la Providence étant de s’occuper d’eux, à ce que disait la prière. Ensuite, ils se mirent à dîner avec moins de cérémonie que d’appétit. La table ployait sous le poids, non-seulement des mets délicats annoncés d’avance aux demoiselles Pecksniff par le jeune concierge, mais encore du bœuf bouilli, du veau rôti, du lard, des pâtés, et d’une quantité de ces légumes nutritifs que les maîtres de pensions bourgeoises connaissent et estiment pour leurs qualités utiles. En outre, il y avait de nombreuses bouteilles de bière forte, de vin, d’ale et d’autres sortes de boissons excitantes, exotiques ou indigènes.

Tout cela était fort agréable aux deux demoiselles Pecksniff, qui, assises chacune au bout de la table, à la droite et à la gauche de M. Jinkins, se voyaient l’objet de tous les hommages, et qui, de minute en minute, étaient invitées par quelque nouvel admirateur à vouloir bien accepter une santé. Jamais elles n’avaient été si gaies et si animées dans la conversation. Mercy, pour sa part, brillait d’un incomparable éclat, et elle disait tant de belles choses dans ses vives réparties, qu’on s’accordait à la considérer comme un prodige. En résumé, ainsi que le dit cette jeune personne, « elles voyaient bien enfin, sa sœur et elle, qu’elles étaient à Londres. »

Leur ami Bailey s’associait pleinement aux sentiments des deux demoiselles Pecksniff ; et, fidèle à son rôle protecteur, il donnait à leur appétit tous les encouragements possibles. Quand il pouvait le faire sans attirer l’attention générale, il avait soin de régaler ses jeunes amies de mouvements de tête, de clignements d’yeux et autres signes d’intimité, et de temps en temps il se grattait le nez avec un tire-bouchon, emblème des présentes bacchanales ; et vraiment la verve spirituelle des deux demoiselles Pecksniff et les inquiétudes que causait à Mme Todgers l’appétit formidable des convives, étaient peut-être moins remarquables encore que l’aplomb de ce drôle de corps qui ne s’effrayait de rien et ne se laissait jamais déconcerter. Si quelque pièce de vaisselle, assiette ou autre, venait à lui glisser des mains (et ce n’était pas rare), il la laissait aller avec une bonne grâce parfaite, sans jamais ajouter aux pénibles émotions de la compagnie en émettant le moindre regret. Il ne s’avisait pas non plus, en courant précipitamment çà et là, de troubler le repos des convives, comme c’est l’habitude des domestiques bien dressés : au contraire, sentant bien qu’il ne pouvait rendre que des services insuffisants à tant de monde, il laissait les gentlemen prendre eux-mêmes tout ce dont ils avaient besoin, et ne s’éloignait guère de la chaise de M. Jinkins, derrière laquelle il s’était planté, les mains dans les poches, les jambes écartées, riant le premier de tout ce qui se disait, et jouissant pleinement de la conversation.

Le dessert fut splendide, et pas de temps d’arrêt. Les assiettes à pouding se lavaient à mesure dans un petit baquet derrière la porte, tandis qu’on mangeait le fromage ; et, si elles étaient encore humides et chaudes par suite de cette opération, elles n’en étaient pas moins prêtes à temps pour reparaître sur la table au moment opportun. Des litres d’amandes, des douzaines d’oranges, des livres de raisins secs, des tas de pruneaux, des assiettes à soupe toutes pleines de noix. Oh ! la maison Todgers, quand elle voulait, faisait bien les choses, n’ayez pas peur !

On servit aussi des vins : vins rouges, vins blancs ; puis un grand bol de punch, préparé par les soins du gentleman gastronome, qui conjura les demoiselles Pecksniff d’excuser les modestes dimensions de ce vase, disant qu’il y avait en réserve les matériaux nécessaires pour brûler une demi-douzaine de bols de punch de la même grandeur. Bon Dieu ! comme elles se mirent à rire ! et comme elles toussèrent en goûtant le punch, parce qu’il était trop fort ! Et comme derechef elles rirent aux éclats quand quelqu’un insinua que, sauf la couleur, on eût pu se tromper et prendre ce punch pour du lait, vu son innocence ! Quel cri énergique de « Non ! non ! » poussé par les gentlemen, quand les demoiselles Pecksniff supplièrent M. Jinkins de faire mettre dans ce punch un peu d’eau chaude ! et, comme en rougissant, chacune d’elles peu à peu parvint à boire tout son verre jusqu’à la lie !

Mais voici le moment solennel.

« Le soleil, a dit M. Jinkins, va bientôt quitter le firmament. »

Quel homme comme il faut que ce Jinkins !… Jamais embarrassé !

« Miss Pecksniff ! dit doucement Mme Todgers ; voulez-vous…

— Ô ciel ! rien de plus Mme Todgers, rien de plus. »

Mme Todgers se lève ; les deux demoiselles Pecksniff se lèvent ; tout le monde se lève. Miss Mercy Pecksniff cherche à ses pieds son écharpe. Où est-elle ? mon Dieu, où peut-elle être ? La douce jeune fille, elle l’avait, son écharpe, non sur ses belles épaules, mais autour de sa taille ondoyante. Une douzaine de mains s’empressent de lui offrir leurs services. Elle est toute confuse. Le plus jeune gentleman de la compagnie, jaloux comme un tigre, a soif du sang de Jinkins. Mercy bondit et rejoint sa sœur à la porte. Charity a enlacé de son bras la taille de Mme Todgers. De l’autre bras, elle entoure le corsage de sa sœur. Ô Diane, chaste Diane, quel tableau !… On ne voit plus qu’une ombre… un petit saut, et l’ombre a passé la porte.

« Messieurs, buvons à la santé des dames ! »

L’enthousiasme est formidable. Le gentleman à l’esprit satirique se lève, et laisse tomber de ses lèvres un flux d’éloquence qui renverse tout sur son passage. Il rappelle qu’il y a un toast à porter, un toast auquel on ne manquera pas de répondre. Ici se trouve, devant ses yeux, un individu envers lequel on a contracté une dette de reconnaissance. Oui, il le répète, une dette de reconnaissance. Nos natures, âpres et rudes, ont été adoucies et améliorées aujourd’hui par la société de femmes aimables. « Il y a, dans la société ici présente, un gentleman que deux femmes accomplies et délicieuses contemplent avec vénération, comme la source de leur existence. Oui, messieurs, déjà quand ces deux demoiselles balbutiaient un langage à peine intelligible, elles appelaient cet individu : « Père ! » Ici, applaudissements unanimes. L’orateur ajoute : « C’est M. Pecksniff ! Dieu le bénisse ! » Tous échangent des poignées de main avec M. Pecksniff, tous font honneur au toast. Le plus jeune gentleman de la compagnie boit en tressaillant, car il comprend quelle mystérieuse influence entoure l’homme qui peut appeler du nom de fille cette créature à l’écharpe rose.

Qu’a dit M. Pecksniff en réponse ? ou plutôt, car c’est là la question, que n’a-t-il pas dit ? rien. On redemande du punch ; il est apporté, il est bu. L’enthousiasme va croissant. Chacun se montre ouvertement avec son caractère. Le gentleman à la vocation théâtrale déclame. Le gentleman dilettante régale la compagnie d’une chanson. Gander laisse le Gander de toutes les fêtes précédentes à cent lieues derrière lui. Il se lève pour proposer un toast. « À la santé du Père de la maison Todgers ! » C’est leur ami commun Jink, autrement dit le vieux Jink, si l’on veut bien permettre qu’il lui donne cette dénomination familière et tendre. Le plus jeune gentleman de la compagnie pousse une dénégation féroce. Il ne le veut pas ! il ne le supportera pas ! cela ne doit pas être ! Mais le secret de sa rage profonde reste incompris. On suppose qu’il est un peu en train, et personne ne prend garde à lui.

M. Jinkins remercie ses amis de tout son cœur. C’est, à mille égards, le plus beau jour de son humble vie. En promenant ses yeux autour de lui, il sent que les paroles lui manquent pour exprimer sa reconnaissance. Il ne dira qu’une chose. Ce qu’il espère, c’est qu’il a été bien démontré que la maison Todgers ne s’est pas démentie, et que dans l’occasion elle savait se montrer avec autant d’avantage que ses rivales, et peut-être plus. Il leur rappelle, au bruit d’un tonnerre d’applaudissements, qu’ils ont pu entendre parler d’un établissement analogue dans Cannon-Street, et qu’on en fait l’éloge. Il désire écarter les comparaisons qui sentiraient l’envie ; il serait le dernier à se les permettre : « Mais, ajoute-t-il, quand cet établissement de Cannon-Street sera en mesure de produire une combinaison de l’esprit et de la beauté, comme celle qui aujourd’hui a honoré cette table, et de servir (tout considéré), un dîner tel que celui que nous venons de prendre, je serai heureux de lui dire deux mots : jusque-là, messieurs, je ne bouge pas de la maison Todgers. »

Ici l’on redemande encore du punch ; l’enthousiasme redouble avec les discours. On porte la santé de chacune des personnes de la compagnie, sauf celle du plus jeune gentleman. Il est assis à part, le coude appuyé sur le dossier d’une chaise vide, regardant Jinkins d’un air dédaigneux. Gander, dans un discours frénétique, propose la santé de Bailey junior : on entend des hoquets, un verre se brise. M. Jinkins émet l’avis qu’il est temps d’aller rejoindre les dames. Pour couronner les toasts, il en propose un à Mme Todgers. Mme Todgers mérite bien des honneurs particuliers (écoutez ! écoutez !) Oui, elle les mérite, on n’en saurait douter. Quels que soient les sujets de plainte qu’on puisse avoir quelquefois contre elle, il n’est, en ce moment, personne de la compagnie qui ne voulût mourir pour la défendre.

Les voilà qui remontent. Ils n’étaient pas attendus si tôt, car Mme Todgers dort sur sa chaise, miss Charity ajuste ses cheveux, et Mercy, qui s’est fait un sofa d’un des sièges d’entre-croisées, s’y est établie dans une gracieuse attitude de repos. Elle se lève en toute hâte ; mais M. Jinkins la supplie, au nom de tous, de ne point changer de position. Elle paraît ainsi trop poétique et trop séduisante, remarque-t-il, pour se déranger. Elle rit, cède, s’évente et laisse tomber son éventail ; tout le monde se précipite pour le ramasser. Reconnue, d’un consentement unanime, la reine de beauté, elle devient cruelle et fantasque ; elle envoie des gentlemen porter à d’autres gentlemen des messages qu’elle oublie avant que les premiers soient revenus avec la réponse ; elle imagine mille tortures qui mettent leurs cœurs en morceaux. Bailey, sur ces entrefaites, apporte le thé et le café. Un petit cercle d’admirateurs entoure Charity ; mais seulement ceux qui ne peuvent arriver jusqu’à sa sœur. Le plus jeune gentleman est pâle, mais calme, et il reste assis à part, car il se plaît à nourrir sa passion dans ses méditations secrètes, et son âme se tient à l’écart des divertissements bruyants. Mercy, d’ailleurs, lui tient compte de sa présence et de son adoration. Il le devine à l’éclair qui jaillit parfois du coin de sa prunelle. Prends garde, Jinkins, de pousser bientôt à un accès de frénésie un homme désespéré !

M. Pecksniff était monté à la suite de ses jeunes amis et s’était assis près de Mme Todgers. Il avait renversé une tasse de café sur ses jambes, sans paraître se douter de cet accident ; et il ne s’aperçoit même pas qu’il a une sandwiche sur son genou.

« Et comment se sont-ils conduits là-haut, avec vous, monsieur ? demanda la maîtresse de la pension.

— D’une manière telle, ma chère dame, répondit M. Pecksniff, que je ne pourrai jamais y penser sans émotion ou me le rappeler sans verser une larme. Ô madame Todgers !…

— Juste ciel ! s’écria la dame. Comme vous paraissez abattu !

— Je suis homme, ma chère dame, dit M. Pecksniff versant des larmes et parlant avec une certaine difficulté ; mais je suis également père. Je suis veuf aussi. Mes sentiments, madame Todgers, ne veulent pas se laisser étouffer, comme les jeunes enfants dans la Tour[2]. Ils ont grandi avec le temps, et plus je presse l’oreiller sur eux, plus ils reparaissent par les coins. »

Tout à coup il aperçut la tartine beurrée collée à son genou, et la regarda fixement, secouant la tête pendant ce temps d’un air imbécile et consterné, comme s’il voyait, dans ce débris, l’image de son mauvais génie, et qu’il se crût obligé de lui adresser des reproches de ses tentations intempestives :

« Elle était belle, madame Todgers, dit-il, tournant vers l’hôtesse son œil terne sans autre préliminaire ; elle avait un peu de fortune.

— Je le sais, s’écria Mme Todgers avec une grande sympathie.

— Voici ses deux filles, » dit M. Pecksniff, montrant les jeunes demoiselles avec un redoublement d’émotion.

Mme Todgers n’en doutait aucunement.

« Mercy et Charity, Charity et Mercy ! Ce ne sont pas là des noms profanes, j’espère ?

— Monsieur Pecksniff !… s’écria Mme Todgers. Quel sourire funèbre !… Seriez-vous malade, monsieur ? »

Il appuya sa main sur le bras de Mme Todgers, et répondit d’une manière solennelle avec une voix douce :

« C’est chronique.

— Colique ? s’écria la dame d’un ton d’effroi.

— Chro-nique, répéta-t-il avec quelque difficulté. Chronique. Une maladie chronique. J’en suis victime depuis mon enfance. Elle me conduira au tombeau.

— Dieu nous en garde ! s’écria Mme Todgers.

— Oui, dit M. Pecksniff, ferme dans le désespoir. Après tout, je n’en suis pas fâché… Vous ressemblez à ma défunte madame Todgers.

— Ne me serrez donc pas tant, je vous prie, monsieur Pecksniff. Si quelqu’un des gentlemen nous observait !…

— C’est pour l’amour d’elle, dit M. Pecksniff. Permettez-le, en l’honneur de sa mémoire. Au nom d’une voix qui sort de la tombe ! vous lui ressemblez tout à fait, madame Todgers !… Ce que c’est que ce monde !

— Ah ! cela vous plaît à dire.

— Je crains que ce ne soit un monde vain et léger, dit M. Pecksniff, se laissant aller à l’attitude penchée de l’abattement. Voyez ces jeunes gens autour de nous. Quelle conscience ont-ils de leurs devoirs ? Pas l’ombre. Donnez-moi votre autre main, madame Todgers. »

La dame hésita et dit qu’elle ne le voulait pas.

« Eh quoi ? une voix de la tombe serait-elle sans influence sur vous ? dit M. Pecksniff avec une tendresse sombre. Ceci serait irréligieux, ma chère amie !

— Non, non, dit Mme Todgers, opposant de la résistance. Réellement vous ne devez pas…

— Ce n’est pas moi, dit M. Pecksniff. Ne supposez pas que ce soit moi. C’est la voix… c’est sa voix. »

Il fallait que feu mistress Pecksniff eût eu, de son temps, une voix singulièrement forte et enrouée pour une femme, une voix qui bégayait et même, à dire vrai, une voix qui sentait un peu l’ivresse, si cette voix avait jamais ressemblé à un organe qui parlait en ce moment par la bouche de M. Pecksniff. Mais peut-être se faisait-il des illusions sur son propre compte.

« Ce jour, madame Todgers, a été un jour de plaisir, mais il a été aussi pour moi un jour de torture. Il m’a rappelé ma solitude. Que suis-je dans ce monde ?

— Un excellent gentleman, monsieur Pecksniff, dit Mme Todgers.

— Vous croyez ? Ce serait au moins une consolation.

— Il n’existe pas un homme meilleur que vous. J’en suis certaine. »

M. Pecksniff sourit à travers ses larmes et agita légèrement sa tête.

« Vous êtes bien bonne, dit-il, je vous remercie. Vous ne sauriez pas croire la satisfaction que j’éprouve, madame Todgers, à rendre les gens heureux. Le bonheur de mes élèves est mon objet principal. J’en raffole. Eux aussi raffolent de moi quelquefois.

— Toujours, dit Mme Todgers.

— Quand ils disent qu’ils n’ont pas fait de progrès, madame, ajouta M. Pecksniff en la regardant d’un air de profond mystère, et lui faisant signe d’approcher de sa bouche, quand ils disent qu’ils n’ont pas fait de progrès, madame, et que le prix de la pension était trop élevé, ils mentent !

— Il faut que ce soient de vils misérables !

— Madame, vous avez raison. J’estime en vous cette manière de voir. Un mot à l’oreille. Aux parents et aux tuteurs… Ceci est entre nous, madame Todgers ?

— Oui, entre nous.

— Aux parents et aux tuteurs s’offre en ce moment une favorable occasion qui unit les avantages de la meilleure éducation pratique architecturale au confort de la famille, et la société constante de personnes qui, dans leur humble sphère et leurs modestes capacités, remarquez bien ceci ! n’oublient pas leur responsabilité morale. »

Mme Todgers le regardait, assez embarrassée de savoir ce que ces paroles signifiaient, si même elles signifiaient quelque chose. C’était, en effet, le lecteur peut se le rappeler, la forme habituelle de la réclame de M. Pecksniff, quand il demandait un élève ; mais, pour le moment, l’avis ne semblait se rapporter à rien de particulier. Cependant, M. Pecksniff leva son doigt, comme pour avertir la dame de ne point l’interrompre.

« Connaissez-vous, madame Todgers, un père de famille ou tuteur qui désire profiter d’une occasion si précieuse pour un jeune gentleman ? On préfèrerait un orphelin. Connaissez-vous un orphelin qui puisse donner trois ou quatre cents livres sterling ? »

Mme Todgers réfléchit et secoua la tête.

« Si vous entendez parler d’un orphelin qui puisse donner trois ou quatre cents livres sterling, priez les amis de ce cher orphelin de s’adresser par lettre, franc de port, à S. P. Poste restante, Salisbury… J’ignore qui c’est, au juste… Ne vous inquiétez pas, madame Todgers, ajouta M. Pecksniff, tombant lourdement sur elle, c’est chronique ! chronique !… Faites-moi donner une petite goutte de n’importe quoi.

— Dieu nous garde, mesdemoiselles Pecksniff ! s’écria tout haut Mme Todgers, votre cher p’pa est très-mal ! »

M. Pecksniff se redressa par un effort extraordinaire, tandis que chacun courait à lui avec précipitation, et, se remettant sur ses pieds, il promena sur l’assemblée un regard empreint d’une ineffable sérénité. Petit à petit, un sourire succéda à ce regard ; un sourire doux, sans force et plein de mélancolie, un sourire aimable même dans sa souffrance. « Ne vous affligez pas, mes amis, dit-il tendrement. Ne pleurez pas pour moi. C’est chronique. »

Et en parlant ainsi, après avoir fait un vain effort pour lever ses pieds, il tomba dans le foyer de la cheminée.

Le plus jeune gentleman de la compagnie l’eut relevé en un instant. Oui, avant qu’un seul cheveu de la tête du vieillard fût brûlé, il l’avait posé sur le tapis… son père à elle !

Mercy était hors d’elle, et sa sœur également. Jinkins les consola de son mieux. D’ailleurs, tout le monde les consolait. Chacun avait quelque chose à leur dire, si ce n’est le plus jeune gentleman de la compagnie, qui avec un noble dévouement, et sans que personne prît garde à lui, avait fait le plus de besogne et garanti la tête de M. Pecksniff. Enfin, les assistants se réunirent autour du cher malade, et convinrent de le porter par l’escalier jusqu’à son lit. M. Jinkins gronda le plus jeune gentleman de la compagnie d’avoir déchiré l’habit de M. Pecksniff. Ha ! ha !… mais n’importe.

Ils portèrent en haut M. Pecksniff, tout en lançant à chaque marche des brocards au plus jeune gentleman.

La chambre à coucher était située au haut de la maison, et pour l’atteindre il n’y avait pas mal de chemin à faire ; cependant ils finirent par y arriver avec leur précieux fardeau. En route, M. Pecksniff leur demandait fréquemment à boire une petite goutte de quelque chose. Cela ressemblait à une manie. Le plus jeune gentleman de la compagnie proposa bien un verre d’eau ; mais M. Pecksniff, pour prix de ce conseil, l’accabla des épithètes les plus méprisantes.

Jinkins et Gander se chargèrent du soin de coucher le malade, et l’arrangèrent du mieux qu’ils purent en le posant sur son lit. Lorsqu’il parut disposé à s’endormir, ils le quittèrent. Mais, avant qu’ils eussent atteint le bas de l’escalier, le fantôme de M. Pecksniff, singulièrement accoutré, apparut se démenant sur le palier d’en haut. Il désirait connaître leur sentiment touchant la nature de la vie humaine.

« Mes amis, cria M. Pecksniff, plongeant son regard par-dessus la rampe, fortifions notre esprit par la discussion, par la contradiction mutuelle. Soyons moraux. Contemplons en face l’existence. Où est Jinkins ?

— Ici, répondit ce gentleman. Retournez à votre lit.

— Au lit ! s’écria M. Pecksniff. Le lit ! c’est la voix du fainéant ; je l’entends dire en gémissant : « Vous m’avez éveillé trop tôt ; je veux encore dormir. » S’il y a quelque jeune orphelin qui veuille me compléter cette citation de la jolie pièce des œuvres du docteur Watts, l’occasion est propice. »

Personne ne s’offrit.

« C’est très-agréable, dit M. Pecksniff après une pause. C’est astringent et rafraîchissant, en particulier pour les jambes ! Les jambes de l’homme, mes amis, sont une invention admirable. Comparez-les aux jambes de bois, et observez la différence qu’il y a entre l’anatomie de la nature et l’anatomie de l’art. Savez-vous, ajouta M. Pecksniff en se penchant sur la rampe avec cet air familier qu’il prenait toujours vis-à-vis de ses nouveaux élèves, savez-vous que je voudrais bien connaître l’opinion de Mme Todgers sur une jambe de bois, si cela lui était agréable ? »

Comme il paraissait impossible d’attendre de lui rien de raisonnable après un pareil discours, M. Jinkins et M. Gander remontèrent et le replacèrent de nouveau sur son lit. Mais il en était sorti avant que ces messieurs fussent arrivés au second étage ; ils revinrent l’accommoder, et à peine avaient-ils descendu quelques marches, que notre homme était déjà dehors. En un mot, autant de fois on le fit rentrer dans sa chambre, autant de fois il s’en échappa, l’esprit bourré de maximes morales, qu’il répétait continuellement par-dessus la rampe, avec un plaisir extraordinaire et un désir irrésistible d’éclairer ses semblables.

Vu les circonstances, et quand pour la trentième fois au moins il eurent remis M. Pecksniff au lit, M. Jinkins resta à le surveiller, tandis que son compagnon descendait chercher Bailey junior qu’il amena avec lui. Le jeune concierge, instruit du service qu’on attendait de lui, s’en montra enchanté, et s’installa avec un tabouret, une chandelle et son souper, pour veiller plus commodément près de la porte de la chambre à coucher.

Ces arrangements terminés, on enferma M. Pecksniff, en laissant la clef du côté extérieur de la serrure. Le jeune page était chargé d’écouter avec attention, de guetter les symptômes d’apoplexie qui pourraient survenir au patient ; et, dans le cas où il s’en présenterait, d’appeler immédiatement au secours. À quoi M. Bailey répondit modestement qu’il « se flattait de savoir en général passablement l’heure qu’il était au cadran de la pendule, et qu’il ne datait pas pour rien ses lettres de Todgers-House. »

  1. Prison de Londres
  2. Allusion aux fils d’Édouard.