Vie du pape Pie-IX/Sa Sainteté Léon XIII

SA SAINTETÉ


LEON XIII.

Le Pape est mort, vive le Pape ! Dieu qui veille sur son Église d’un œil jaloux n’a pas voulu que le veuvage de son Épouse fût de longue durée. Le successeur du glorieux Pie IX. a été choisi aussi promptement que les sages formalités prescrites pour l’élection des Papes l’ont permis.

Admirons la protection visible du Tout Puissant. Il y a quelques mois on avait lieu de craindre sérieusement une intervention des puissances européennes dans l’élection d’un nouveau pape, on parlait même d’un anti-pape qui serait élu par le peuple romain, et que Bismark et les autres persécuteurs de l’Église installeraient de force au Vatican. Mais Celui qui se plaît à déjouer les vains complots des grands de la terre, a prolongé les jours de Pie IX jusqu’au moment où l’Europe, les yeux tournés avec anxiété vers l’Orient, ne songeait plus aux affaires de l’Église. Alors il a rappelé à Lui le saint vieillard du Vatican et l’élection du nouveau pape s’est faite paisiblement et promptement. Irridebit eos.

Le conclave s’est réuni le 19 février au Vatican. Soixante et un cardinaux y ont pris part[1]. Il y a eu trois scrutins. Au troisième scrutin, dont le dépouillement a été terminé à une heure vingt minutes p. m., le 20 février, Son Éme le cardinal Joachim Pecci a reçu quarante-cinq votes ; il n’en fallait que quarante-un pour l’élection. Aussitôt le nouvel élu a été acclamé par tous les cardinaux comme Pie IX l’avait été.

Quelques minutes après l’élection, le cardinal Caterini, le doyen de l’ordre des diacres à qui incombait de droit cette fonction, s’est rendu à la grande Loggia de Saint-Pierre et a proclamé au peuple la joyeuse nouvelle. Il n’y avait que peu de personnes aux alentours car on ne s’attendait pas à une élection aussi prompte. Mais le bruit s’étant répandu avec rapidité que le conclave avait terminé son œuvre, une foule immense envahit bientôt la place de Saint-Pierre. À quatre heures et demie de l’après-midi, le nouvel élu, qui venait de prendre le nom de Léon XIII, a donné sa première bénédiction au peuple. L’enthousiasme de la foule était grand[2].

Les journaux impies et ignorants, dont la nourriture quotidienne leur est fournie par des agents télégraphiques non moins impies et non moins ignorants, ont feint de saluer l’avènement de Léon XIII comme une victoire du libéralisme dit catholique sur l’ultramontanisme, c’est le nom qu’on donne aujourd’hui au catholicisme. On a voulu faire croire au monde catholique que Satan venait de remporter un grand avantage sur le Saint-Esprit au sein du conclave ; que, le nouveau pape, était un modéré, un conciliant dont le premier acte serait de tendre la main à l’usurpateur du domaine de l’Église ; que les ultramontains, c’est-à-dire les catholiques, étaient « furieux, » et qu’il n’y avait de réellement satisfaits du résultat du conclave que Bismark et ses semblables. Ce langage, aussi ridicule que blasphématoire, n’a produit aucun effet sur les catholiques qui savent, eux, que le Pape est le Vicaire infaillible de Jésus-Christ et qu’il ne peut pas conduire l’Église dans une fausse route.

Mais la joie de la presse impie, de Bismark et de la juiverie télégraphique a été de courte durée. Déjà leurs chants de triomphe se sont changés en cris de rage et de désespoir. Encore un Pape infaillibiliste, disent-ils, encore un Pape qui ne veut pas reconnaître les faits accomplis et tendre la main à la révolution, encore un Pape qui va marcher sur les traces de Grégoire XVI et de Pie IX.

Oui, encore un Pape infaillible, un Pape inflexible, un Pape catholique. Et après lui il en viendra un autre, et après celui-là un autre encore. Puis, lorsque Bismark et les autres fils de Satan qui se ruent aveuglément contre le Roc inébranlable seront morts et oubliés, et que d’autres les auront remplacés, il y aura encore des Papes qui ne seront ni modérés ni conciliants.

Voici maintenant une notice biographique du cardinal Pecci, aujourd’hui Léon XIII, empruntée à un ouvrage français :


Gioacchino Pecci


Né à Carpinetto, (anciens États de l’Église) le 2 mars
1810, créé et publié par Pie IX, dans le Consistoire
du 9 décembre 1853, du titre de S. Chrisogono ;
archevêque-évêque de Pérouse.


« Le Cardinal Pecci est un des personnages les plus importants du sacré Collége ; important par le caractère, par l’énergie, par la sagesse, par les vertus, par les services. Il unit, dans une juste mesure, la douceur apostolique à la sévérité administrative. Il se fait aimer et craindre.

« On va le voir déployer ses qualités solides dans sa carrière.

« Gioacchino Pecci est d’une ancienne famille patricienne de Carpinetto, au-dessus d’Anagni, au pays des Herniques. Il est de haute taille. Il a la maigreur d’un ascète. Sa tête est remarquable de finesse ; les signes du visage sont fermes, arrêtés, un peu anguleux. Sa voix est sonore et brillante quand il prononce un discours, légèrement nasillarde quand il parle familièrement. Dans les relations de la vie privée, il est simple, affectueux, amiable, plein d’esprit. Dans les cérémonies, sous la pourpre ou sous les ornements épiscopaux, il devient grave, austère, majestueux : il semble se pénétrer de l’ampleur de son ministère. On dirait qu’il a de la pose : mais non, la pose, chez lui, est naturelle ; il ne la cherche pas, elle lui vient ; Pie IX était de même. L’habitude du Pontificat donne une seconde nature.

« Ses études au Collège romain accomplies, il entra à l’Académie des nobles ecclésiastiques et cultiva avec fruit le droit et la théologie. Grégoire XVI, qui avait la connaissance des hommes, le prit en singulière estime et se l’attacha en le nommant Prélat de sa maison et Référendaire à la Signature (16 mars 1837). Peu après, il l’envoya comme Délégat à Rénovent ; puis à Spolète, puis à Pérouse. Dans ces villes, Mgr Pecci fit preuve de capacité hors ligne, et s’attira l’admiration publique. Il fut en même temps d’une charité toute sacerdotale, d’une équité incorruptible, et d’une fermeté indomptable.

« Son premier pas dans le gouvernement mérite d’être rapporté.

« C’était à Bénévent, pays fâcheusement situé : loin de Rome, qui le négligeait et l’oubliait trop ; une enclave du royaume de Naples, dont les contrebandiers et les brigands se faisaient un lieu d’asile ! L’administration de cette province offrait des difficultés de toute sorte au Délégat. Il y avait des familles aux mœurs féodales, puissantes par la fortune et par le rang, qui méprisaient l’autorité, mais s’inclinaient timidement devant le brigandage napolitain, et le protégeaient contre cette même autorité : l’état de la Sicile en ce moment. Mgr Pecci avait donc à lutter contre deux forces unies contre lui, et que l’on note que les brigands commettaient des actes de férocité atroce, et que les familles s’appuyaient à Rome sur des personnages tout-puissants. Les cardinaux Pacca, Pedicini, de Simone étaient de Bénévent, et prenaient trop souvent parti pour les leurs au mépris du Délégat.

« Mgr Pecci, touché de la condition misérable de la province, résolut de l’améliorer, dût-il briser sa carrière.

« Il commença par obtenir du gouvernement pontifical un employé capable, nommé Sterbini, qui réorganisa la ligne des douanes. Il alla ensuite trouver le roi de Naples, lui fit part de son dessein, et le décida à donner des dispositions sévères. Cela fait, il s’assura de la bonne volonté des officiers de la troupe et de la gendarmerie, et se mit à l’œuvre. Il fallut livrer des combats en règle, poursuivre les brigands dans les châteaux où ils se retranchaient, et entrer de force dans ces citadelles ; car, pris à la gorge par leurs singuliers hôtes, les seigneurs prétendaient que le Délégat violait leurs terres et leurs demeures et résistaient.

« Le plus puissant vint, menaçant, trouver Mgr Pecci, et lui dit qu’il partait pour Rome, et qu’il en reviendrait avec l’ordre de l’expulser : « C’est bien, monsieur le marquis, répondit froidement Mgr Pecci. Mais avant d’aller à Rome, vous passerez trois mois en prison, et je ne vous donnerai à manger que du pain noir, et à boire que de l’eau. » Pendant ce temps, le château du marquis était pris d’assaut, les brigands tués ou faits prisonniers, et le peuple acclamait le Délégat.

« En quelques mois la province fut purgée des brigands ; les seigneurs se soumirent, le Pape loua hautement Mgr Pecci, et Ferdinand II le pria de venir à Naples recevoir les témoignages de la considération royale.

« Le Délégat étant sur ces entrefaites, tombé gravement malade, le peuple et le clergé en furent alarmés, on fit, dans Bénévent, des processions de pénitence, les pieds nus et la tête couverte d’un voile.

« Mgr Pecci gouverna Spolète et Pérousse, avec la même énergie.

« Dans cette dernière ville, qui compte 20,000 habitants, et qui était le chef lieu d’une province, il arriva, sous son administration, que les prisons se trouvèrent vides : pas un seul détenu. Au grand regret des Pérugiens, Grégoire XVI le rappela en 1843, le préconisa archevêque de Damiette (Égypte), bien qu’il n’eût que trente-trois ans, et l’envoya comme Nonce à Bruxelles.

« Mgr Pecci s’acquit beaucoup d’estime et de crédit à la cour belge, et dans tous les rangs de la société. Léopold I er, monarque rempli de sens, se plaisait à le consulter et à lui prodiguer des marques d’affection. Mais le climat et peut-être les travaux de sa charge, altéra sa santé au point qu’il dût, sur le conseil des médecins, solliciter son rappel. Léopold Ier en fut contristé : il lui conféra le Grand Cordon de son ordre, et le pria de remettre au pape un pli cacheté. Le prélat demanda si les commissions du roi étaient pressées : il voulait, avant de rentrer à Rome, visiter une partie de l’Europe, en étudier les institutions politiques, comme il avait fait en Belgique et en Hollande.

« Il suffit, monseigneur, répondit le roi, que vous remettiez vous même le pli aux mains du Pape, à votre rentrée à Rome.

« Quand Mgr Pecci eut regagné la ville éternelle, Grégoire XVI, après avoir pris connaissance du billet royal, lui dit :

« Le roi des Belges exalte votre caractère, vos vertus, vos services ; et il demande pour vous une chose que j’accorderai de grand cœur : la pourpre… Mais voici qu’une députation de Pérouse me supplie de vous confier le gouvernement de ce diocèse. Acceptez donc le siège de Pérouse : vous y recevrez bientôt le chapeau cardinalice.

« Mgr Pecci, préconisé archevêque-évêque de Pérouse, dans le Consistoire du 19 janvier 1846, fut créé en même temps cardinal et réservé in petto. Mais Grégoire XVI mourut cette même année sans l’avoir publié ; et Pie IX lui fit attendre sept ans la pourpre, c’est-à-dire jusqu’au 9 décembre 1853.

« Le Cardinal Pecci a eu à traverser des temps difficiles. Il s’est constamment montré égal à lui-même : homme de grande doctrine catholique et de grand sens politique. « Les nouveaux maîtres de l’Italie lui ont pris son Séminaire.

— « Je n’ai besoin que de quelques chambres, a dit ce Cardinal. ”

« Il donne l’hospitalité aux Séminaristes dans son palais. Il vit au milieu d’eux. Il prend ses récréations avec eux. Il les invite à sa table.

« Il a fondé pour les prêtres de son diocèse une Académie dite de Saint-Thomas, et préside aux disputes théologiques, encourageant les travaux de chacun, et faisant surgir des hommes véritablement dignes des meilleurs temps de l’Église. Grâce à lui, s’accomplit à Pérouse le mouvement scientifique que le Cardinal Riario Sforza a inauguré à Naples. Il a lui-même une culture des plus variées. Il est poëte à ses heures.

« En face des syndics, des préfets et des autorités de l’Italie, le Cardinal Pecci a pris, comme le Cardinal Riario Sforza, une attitude supérieure aux partis. On est convaincu qu’il est dévoué au Saint-Siège et qu’il est incapable de faiblesse ; mais on le sait soumis aux décrets de la Providence. Jamais il n’a permis à un fonctionnaire du régime actuel de franchir le seuil de sa porte et de paraître devant lui : et pourtant le pouvoir civil honore son caractère, et par égards, apporte quelques fois certains tempéraments à ses mesures. »


  1. Le 8 février, les cardinaux ont tenu des congrégations extraordinaires, Ils étaient en désaccord sur le lieu du conclave. Après de longues discussions, ils décidèrent de se séparer et de rentrer chez eux pour prier Dieu de les éclairer. Le vote fut remis au lendemain. Le 9, eut lieu une réunion silencieuse. Le vote unanime fut émis en faveur de la tenue du conclave à Rome. Tous se regardèrent avec étonnement. Le Saint-Esprit avait mis leurs cœurs d’accord. — (Correspondance de l’Univers.)
  2. J’ai emprunté la plupart de ces renseignements aux dépêches télégraphiques de l’excellente feuille le New-York Freeman’s Journal dont les nouvelles sont toujours très-exactes.