Vie du pape Pie-IX/Pie IX prisonnier

CHAPITRE XXXII.

Pie IX prisonnier.


Le gouvernement usurpateur se mit à annexer les propriétés ecclésiastiques ; on expropria les couvents, les églises et jusqu’aux hôpitaux ; on détruisit les monuments des siècles passés sous prétexte d’embellir la ville. Le roi voleur s’installa au Quirinal, propriété des Papes ; la salle du conclave fut convertie en une salle de bal, à la demande de la princesse Marguerite, aujourd’hui soi-disant reine d’Italie.

Pie IX fut confiné au Vatican où il s’enferma avec ses fidèles serviteurs. Craignant que le Pape ne voulût quitter Rome, le gouvernement piémontais fit surveiller avec soin toutes les routes, particulièrement celle de Civita-Vecchia. Mais quand bien même il aurait pu partir, Pie IX avait résolu, dès l’occupation de Rome, de rester à son poste. Il espérait que sa présence imposerait un peu de respect aux spoliateurs.

On sait que d’après une pieuse légende, le prince des apôtres en fuyant la ville de Rome, où les chrétiens étaient cruellement persécutés, rencontra, près de la porte dite plus tard de Saint-Sébastien, Notre-Seigneur lui-même, portant sa croix d’un air plein de tristesse. « Seigneur, où allez-vous, s’écria saint Pierre ? — Je vais, répondit Jésus-Christ, je vais à Rome pour y être crucifié de nouveau, pour y mourir à ta place, puisque le courage te manque. » Saint Pierre retourna à Rome. En rappelant cette légende un jour au cardinal de Bonnechose, Pie IX ajoutait : « Je fais comme saint Pierre ; car, si je quittais en ce moment la ville éternelle, il me semble que Notre-Seigneur m’adresserait le même reproche. »

On a prétendu que Pie IX n’était pas réellement prisonnier ; Jules Simon l’a affirmé à la chambre de Versailles. Pie IX n’était pas sous clef, il est vrai, mais on peut être prisonnier sans cela. Le Pape était dans l’impossibilité, non-seulement morale, mais matérielle de sortir du Vatican. Un simple fait le prouve. Un jour qu’il s’était montré à une fenêtre du Vatican, la foule qui stationnait devant le palais se mit à acclamer Pie IX. Les troupes de Victor-Emmanuel vinrent balayer la place et la police fit douze arrestations. Six dames, de la meilleure société romaine, étaient au nombre des prisonniers. Quatre jeunes gens furent condamnés, l’un à deux ans, et les autres à quelques mois de prison pour avoir crié : « Vive le Pape-Roi, » Peut-on imaginer le doux Pie IX exposant son peuple aux outrages de la police piémontaise ?

Pour atténuer l’odieux de ses spoliations, le gouvernement piémontais fit voter la fameuse loi dite des garanties, laquelle fut promulguée le 13 mars 1871. Par cette loi on déclarait la personne du Souverain-Pontife sacrée, on reconnaissait que des honneurs souverains lui étaient dus et on lui assurait une dotation de 3, 225, 000 francs par année.

Pie IX a qualifié cette loi « de loi d’hypocrisie et d’iniquité. » La première fois qu’on lui présenta l’allocation annuelle, il la repoussa en disant : « Certes, j’ai grand besoin d’argent. Mes enfants, par tout l’univers, se saignent en quelque sorte pour subvenir à mes besoins et à tant d’autres que vous créez chaque jour ; mais j’ai beau me dire qu’après tout, c’est une partie de mon bien volé que vous me rapportez, jamais je ne l’accepterai de vous qu’à titre de restauration, jamais je ne vous donnerai une signature qui semblerait impliquer mon acquiescement au vol. » Ai-je besoin de dire que Pie IX a tenu sa parole ?

Les fidèles, voyant leur bien-aimé père dépouillé entièrement de ses États et de ses revenus, redoublèrent de zèle et de générosité. S’ils ne pouvaient plus verser leur sang pour le vicaire de Jésus-Christ, il leur était au moins permis de lui faire l’aumône de leur amour et de leurs biens. Les offrandes affluèrent de toutes parts, accompagnées d’adresses et de protestations empreintes des sentiments de la plus profonde sympathie pour l’auguste prisonnier du Vatican.

« La Providence opère chaque jour, disait Pie IX, un grand miracle pour moi, et ce miracle resplendit aux yeux du monde entier, puisque c’est du monde entier qu’il procède. Je suis dépouillé de tout, mais mes enfants me nourrissent. De toutes parts ils envoient à leur Père, sans réclamer de comptes de lui, et ce Père, qui n’a d’autres ressources que leurs dons, est assisté si largement, que non-seulement il a assez pour lui, dont les besoins personnels se bornent à peu de chose, mais qu’il peut encore faire le généreux et donner à son tour ! »

En effet, Pie IX se montra généreux, charitable comme toujours. Il continua leurs traitements à un grand nombre des anciens employés du gouvernement pontifical, qui avaient renoncé à leurs positions plutôt que de manquer à leur serment. Il soutint un grand nombre de maisons de charité et d’éducation abandonnées par l’usurpateur, il pourvut aux besoins des évêques privés de leurs revenus, et trouva même moyen de faire exécuter des travaux considérables dans plusieurs églises.