Vie du pape Pie-IX/Les dernières années de Pie IX

CHAPITRE XXXIII.

Les dernières années de Pie IX.


Nous touchons à la fin de ce long et glorieux règne. Pendant les sept années et demie que Pie IX est demeuré prisonnier au Vatican, il n’a cessé un seul instant de se montrer ce qu’il avait toujours été, un homme d’une grande piété, parfaitement résigné à la volonté de Dieu, un évêque vigilant, un Pontife presque sans égal dans l’histoire de l’Église. Par ses paroles pleines d’une foi sublime, il a soutenu les pasteurs et les fidèles de l’Allemagne, de la Suisse, de l’Italie, de la Russie, de l’Amérique espagnole, du monde entier, dans leurs pénibles luttes contre l’erreur et dans leurs cruelles persécutions. Il a pourvu avec un soin tout paternel aux besoins de l’Église, créant de nouveaux évêchés, envoyant des vicaires apostoliques et des missionnaires zélés dans les contrées les plus lointaines, nommant des délégués pour régler les questions religieuses. Quel élan n’a-t-il pas donné à la dévotion des catholiques en déclarant saint Joseph patron de l’Eglise universelle, en élevant la fête du Père nourricier de Jésus au rang de fête de première classe et en consacrant tous les catholiques du monde au Sacré-Cœur de Jésus ! L’un de ses derniers actes a été de rétablir la hiérarchie en Écosse, où la vraie foi fait chaque jour de nouvelles conquêtes.

Pie IX semble avoir consacré plus particulièrement les dernières années de sa vie à signaler et à flétrir les nombreuses erreurs qui minent les sociétés modernes. Combien de fois n’a-t-il pas élevé la voix pour mettre les fidèles en garde contre le « libéralisme dit catholique » qu’il a qualifié de « peste très-pernicieuse » et qu’il a dénoncé comme plus dangereux que les doctrines échevelées des communistes et des révolutionnaires. En effet, la sauvagerie de la Commune effraie. Il n’en est pas de même du poison subtil du libéralisme. Comme l’opium, le libéralisme nous plonge dans une douce mais fatale ivresse, il nous envoie des songes agréables mais trompeurs ; nous croyons voir ce qui n’existe pas et nous ne voyons pas ce qui est réel.

Le libéralisme que le Saint-Père a qualifié de « peste très-pernicieuse » n’est pas le radicalisme violent, turbulent, incendiaire, qui renverse les trônes, qui égorge les prêtres et les rois, qui pille les temples sacrés et les palais. Non, c’est une doctrine qui séduit beaucoup de bonnes âmes, comme l’a dit Pie IX lui-même, c’est une doctrine dont les adeptes n’enseignent pas la violence ; au contraire ils nous parlent sans cesse de modération, de conciliation, de tolérance, de liberté de conscience. Voilà pourquoi c’est une doctrine si dangereuse. Mais les paroles mielleuses que les catholiques libéraux nous répètent toujours cachent des principes erronés. Le libéralisme, en effet, cherche à soustraire la politique au contrôle de l’autorité religieuse, à rendre les gouvernants, les députés, les électeurs, les juges mêmes indépendants de la loi de Dieu, à leur donner deux consciences, une pour les affaires publiques, une autre pour la vie privée. Un instant de réflexion suffit pour nous convaincre de la fausseté et du danger de ces doctrines que Pie IX a tant de fois dénoncées.

Pie IX a aussi condamné la licence de la presse et le suffrage universel, ces deux puissants agents de l’enfer qui opèrent dans le monde un mal immense. Voici ce que le Pape a dit, en 1874, du suffrage universel :

« Je bénis tous ceux qui coopèrent à la résurrection de la France. Je les bénis dans le but (laissez-moi vous le dire) de les voir s’occuper d’une œuvre bien difficile mais bien nécessaire, celle qui consiste à faire disparaître ou à diminuer une plaie horrible qui afflige la société contemporaine, et qu’on appelle le suffrage universel. Remettre la décision des questions les plus graves aux foules nécessairement inintelligentes et passionnées, n’est-ce pas se livrer au hasard et courir volontairement à l’abîme ? Oui, le suffrage universel mériterait plutôt le nom de folie universelle, et, quand les sociétés secrètes s’en emparent, comme il arrive trop souvent, celui de mensonge universel. »

Dans une autre circonstance, Pie IX a fait voir combien le régime constitutionnel est illogique et ridicule : « Je déclare hautement, dit-il, que les trônes soutenus uniquement par ce qu’on appelle les masses, c’est-à-dire par un ramassis d’hommes passionnés et mobiles, sous la direction de gens qui vivent plongés dans l’incrédulité et dans des sentiments de haine contre Dieu et contre l’Église, sont mal fondés et fort mal soutenus, car ces appuis sont faibles, incertains, inconstants. »

Parlant à des pèlerins américains, Pie IX dit un jour : « Mes enfants, vous avez chez vous un trafic immense ; c’est bien ; le commerce est indispensable au maintien de la société humaine, et il est juste que les pères de famille songent à élever et à maintenir leurs enfants selon les exigences de leur état. Il n’y a pas le moindre mal à tout cela ; mais il ne faut pas porter un amour excessif aux richesses, il ne faut pas enchaîner le cœur aux trésors de la terre. »

Une autre fois Pie IX a signalé « un désordre grave et qui s’est beaucoup accru depuis les agitations révolutionnaires ; je veux parler des mariages entre parents. »

Tels sont quelques-uns des nombreux enseignements que Pie IX n’a cessé de proclamer durant sa captivité, enseignements vraiment apostoliques que tous peuvent méditer avec profit.

Au mois de juin, l’année dernière, a eu lieu un événement unique dans les annales de l’Église : la célébration du cinquantième anniversaire du sacre épiscopal du Pape. À cette occasion, le monde catholique a donné un exemple sans précédent de son dévouement filial au Saint-Siége. De toutes les parties de l’univers, de pieux pèlerins, tant laïques qu’ecclésiastiques, sont venus par milliers, chargés de riches offrandes, se jeter aux pieds du saint Prisonnier du Vatican. Et Pie IX, malgré son âge avancé, les recevait tous avec des paroles d’amour et d’encouragement. Le Pape, dans une touchante allocution, prononcée le 22 juin, a remercié « le Père de toute miséricorde et le Dieu de toute consolation » d’avoir permis à son vicaire d’être témoin de ce grand spectacle.

Pie IX a conservé jusqu’à la fin de sa vie cette vigueur de pensées et de paroles qui distingue tout ce qu’il a dit et écrit. Le 13 avril 1875, il s’est élevé avec une éloquence remarquable contre le décret inique qui soumet les jeunes ecclésiastiques à la loi militaire. « Je m’adresse, a dit Pie IX en cette circonstance, je m’adresse à un absent qui m’entendra ; je m’adresse à un roi qui compte des saints dans son antique famille pour lui dire avec l’affection d’un père et avec le zèle que m’inspire mon caractère sacré : Majesté, je vous en prie, je vous en conjure, au nom de vos augustes aïeux, au nom de la sainte Vierge, au nom de Dieu, et, ajouterai-je, au nom de votre propre intérêt : n’étendez pas votre main pour signer le nouveau décret qu’on vous présente. » Le 12 mars 1877, il a prononcé devant le sacré Collége, une allocution qui a ébranlé le monde et qui a retrouvé un écho dans tous les cœurs catholiques. Dans un langage digne, mais sévère, il a flétri, une dernière fois, les iniquités commises depuis sept ans par le spoliateur couronné du Saint-Siége ; il a déploré la triste situation faite à l’Église, dont il a revendiqué fièrement les droits souverains, et il a surtout dénoncé l’abominable projet de loi[1] dit des abus du clergé, destiné à priver le Pape et les évêques de tout vestige de liberté.

Son dernier acte public a été de protester formellement contre la proclamation du prince Humbert, fils de Victor-Emmanuel, comme roi d’Italie.

Pie IX a vu mourir plusieurs de ses plus grands persécuteurs : Cavour, Napoléon III et Victor-Emmanuel. Ce dernier est mort après s’être réconcilié avec Dieu et avec le Pape. Pie IX a pardonné au roi-voleur repentant. Ne pouvons-nous pas voir dans cet acte sublime, ce triomphe de l’Église qui, suivant l’attente universelle, devait couronner la vie de Pie IX ? Quel plus grand triomphe, en effet, que le triomphe du pardon !

  1. Cette loi inique, votée à la chambre des députés italienne par 150 voix contre 100, a été rejetée au sénat par une majorité de 13 voix. Les protestations indignées que cette loi a fait éclater dans le monde entier, ont dû convaincre les spoliateurs qu’il y a une limite à la patience humaine.