Texte établi par Henri MartineauLe Livre du divan (Napoléon. Tome Ip. 297-299).


CHAPITRE LXXXI


La charte, quoique les gens qui l’ont faite ne s’en soient pas doutés, est divisée en deux parties. Par la première, elle est vraiment constitution, c’est-à-dire recette pour faire des lois, loi sur la manière de faire des lois ; par la seconde, elle est transaction amicale entre les partis qui divisent la France.

10. L’article le plus important de cette seconde partie est le 11e ainsi conçu : « Toutes recherches des opinions et votes émis jusqu’à la Restauration sont interdites. » Le même oubli est commandé aux tribunaux et aux citoyens[1].

Chez un peuple enfant et vaniteux, cet article était un des moins importants pour l’autorité royale. Ceux que la faveur ne soutient pas en France sont toujours méprisés, et les gens protégés par cet article auraient été les flatteurs les plus déhontés. Mais les ministres étaient aussi enfants que le reste de la nation. Ils tinrent beaucoup à chasser certains membres de la Cour de cassation. Dans les palais des rois, on est toujours en avant de l’opinion que l’on suppose au prince[2].

11. Une niaiserie encore plus incompréhensible, pour qui n’a pas connu les meneurs de cette époque, fut celle de chasser quinze membres de l’Institut. Ce coup d’État si ridicule devint important par les conséquences. Il frappa la nation ; ce fut l’avant-dernière goutte du vase qui va déborder ; le lendemain, s’il l’avait pu, le peuple français eût chassé les Bourbons. Or que faisait et aux Bourbons et aux Français, que les noms suivants fussent de l’Institut : Guyton-Morveau, Carnot, Monge, Napoléon Bonaparte, Cambacérès, Merlin, Rœderer, Garat, Sieyès, le cardinal Maury, Lucien Bonaparte, Lakanal, Grégoire, Joseph Bonaparte et David ?

Ce qu’il y eut d’incroyable, c’est qu’on trouva à remplacer les éliminés. Il y eut des gens qui consentirent à entrer par ordonnance, dans un corps qui n’est quelque chose que par l’opinion. Du temps des d’Alembert et des Duclos, il n’en eût pas été ainsi. Et l’on s’étonne que la classe la plus avilie de Paris soit celle des gens de lettres[3]



  1. Voir la loi dite d’amnistie qui a exilé les gens qui avaient voté la mort de Louis XVI.
  2. On n’aime pas la liberté de la presse, mais on est trop faible pour l’empêcher. L’air de braver le gouvernement donne du piquant au journal Le Nain Jaune et ce qui… *

    * La fin de la note a été coupée à la reliure.

  3. C’est ce qui fait que les gens qui se respectent n’aiment pas à devenir auteurs et à mettre leur nom aux titres de leurs livres.

    J’en suis à 11 violations ; l’Edinburgh en compte 14 ou 15, je crois.