Texte établi par Henri MartineauLe Livre du divan (Napoléon. Tome Ip. 240-242).


CHAPITRE LIX


À Dresde, après la bataille du 26 août, Napoléon paraît avoir été la victime d’un faux point d’honneur : il ne voulait pas reculer. L’habitude du trône avait augmenté l’orgueil de ce caractère et diminué le bon sens, si remarquable dans ses premières années.

Cette éclipse totale de bon sens se fait encore plus remarquer dans les actes de son administration intérieure. Cette année, il fit casser, par son vil sénat, l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles, rendu dans l’affaire de l’octroi d’Anvers, d’après la déclaration d’un jury. Le prince était à la fois législateur, accusateur et juge ; tout cela, par pique d’avoir trouvé des fripons plus fins que ses règlements.

Un autre sénatus-consulte montre bien le despote tombé en démence. Cet acte du sénat, qui d’abord avait le ridicule de s’écarter des usages appelés les Constitutions de l’Empire, déclarait qu’on ne ferait jamais la paix avec l’Angleterre qu’au préalable elle n’eût fait restituer la Guadeloupe, qu’elle venait de donner à la Suède. Les membres du sénat qui, avant que d’y entrer, étaient presque tous comptés parmi les hommes les plus remarquables de la France, une fois réunis au Luxembourg ne luttaient plus entre eux que de bassesse. C’est en vain qu’une courageuse opposition essayait de les faire rougir : ils répondaient : « Le siècle de Louis XIV recommence et nous ne voulons pas ruiner à jamais nous et nos familles. » Comme les délibérations étaient secrètes, les opposants n’avaient que les dangers de l’opposition, non la gloire, et la postérité doit répéter avec une double reconnaissance les noms de Tracy, Grégoire, Lanjuinais, Cabanis, Boissy d’Anglas, Lenoir La Roche, Colaud, Cholet, Volney et peu d’autres, hommes illustres qui, aujourd’hui encore, sont de l’opposition et sont injuriés par les mêmes flatteurs qui, seulement, ont changé de maître[1].

Napoléon envoya ordre à tous ses préfets de faire injurier Bernadotte, prince de Suède, dans des centaines d’adresses doublement ridicules, car en quittant la France, Bernadotte était devenu Suédois[2].

Cependant Wellington triomphant, par la force des circonstances, d’un général plus habile que lui, s’approchait de Bayonne. La Hollande se révoltait. Quarante-quatre gendarmes, qui se trouvèrent pour toute garnison à Amsterdam le jour de la plus tranquille insurrection qui fût jamais, ne purent empêcher ce pays de se séparer de la France. Les places les plus imprenables furent occupées comme des villages. Dans l’intérieur, l’empereur n’avait laissé ni un homme, ni une cartouche, ni surtout une tête. Tout ce qu’on put faire fut de garder Berg-op-Zoom, et peu après, la garnison française, faisant prisonnier le corps d’armée anglais qui l’assiégeait, montra au monde :

disjecti membra poetæ.

Après la révolte de la Hollande, parut la déclaration de Francfort ; elle promettait à la France la Belgique et la rive gauche du Rhin ; mais où était la garantie de cette promesse ? Qui empêchait les Alliés de recommencer les hostilités six mois après la paix ? La postérité se souviendra de la bonne foi qu’ils montrèrent après les capitulations de Dresde et de Dantzig.



  1. To see : Staël’s Considérations for the names.
  2. Voir le Moniteur, comme de juste. Les plus vils Signataires de ces adresses sont les hommes qui devaient se montrer, deux ans après, les ultras les plus ridicules et les plus sanguinaires. Voir le discours de M. S[eguier].