Texte établi par Henri MartineauLe Livre du divan (Napoléon. Tome Ip. 238-239).


CHAPITRE LVIII


Le 26 mai 1813, Napoléon était à Breslau. Là, il fut triplement téméraire : il compta trop sur son armée, trop sur l’idiotisme des cabinets étrangers, trop sur l’amitié des souverains. Il avait créé et sauvé la Bavière, l’empereur d’Autriche était son beau-père et l’ennemi naturel de la Russie. Il fut la dupe de ces deux phrases.

Il fallait profiter du moment de relâche pour épuiser à fond les pays conquis et, dix jours avant la fin de l’armistice, prendre position à Francfort-sur-le-Mein. Toute la campagne de Russie était réparée ; c’est-à-dire, en ce qui concerne la France, l’empire n’aurait pas été démembré ; mais Napoléon n’avait plus d’influence au delà de l’Elbe, que comme le plus grand prince de l’Europe.

L’expédition de Silésie, mal à propos confiée au maréchal Mac Donald, qui n’est connu que par des revers ; la bataille de Dresde, l’abandon du corps du maréchal Saint-Cyr, les batailles de Leipzig, la bataille de Hanau, tout cela, amas de fautes énormes[1] qui ne peuvent être commises que par le plus grand homme de guerre qui ait paru depuis César[2].

Quant à la paix qu’on ne cessait de lui offrir, le temps nous apprendra s’il y avait dans tout cela quelque chose de sincère[3]. Pour moi, je crois à la sincérité des cabinets à cette époque, parce que je crois à leur peur. Au reste, l’esprit qui sert à acquérir n’est pas le même que celui qui sert à conserver. Si, le lendemain de la paix de Tilsitt, tout le génie de Napoléon se fût converti en simple bon sens, il serait encore le maître de la plus belle partie de l’Europe.

Mais vous, lecteur, vous n’auriez pas la moitié des idées libérales qui vous agitent, vous brigueriez une place de chambellan, ou, petit officier de l’armée, à force de vous montrer le séide de l’empereur, vous chercheriez à monter d’un grade.



  1. Colère de Napoléon après la capitulation de Dupont. Conseil où était M. de Saint-Vallier. Il secoue les fenêtres aux Tuileries. Il marche à grands pas.
  2. Il y a un homme qui peut être excellent historien militaire de ces grands événements, c’est le libérateur du comte Lavalette, le général Robert Wilson. Je pense que dans toute la partie militaire, les mémoires de Napoléon seront parfaitement exacts.
  3. Voir la négociation de Prague dans les Moniteurs des premiers jours d’août 1813 et l’Annual Register d’Édimbourg.