Texte établi par Henri MartineauLe Livre du divan (Napoléon. Tome Ip. 167-169).


CHAPITRE XLIV

L’ADMINISTRATION


L’empereur avait douze ministres[1] et plus de quarante conseillers d’État généraux qui lui faisaient des rapports sur des affaires qu’il leur renvoyait. Les ministres et directeurs d’administration donnaient des ordres aux cent vingt préfets. Chaque ministre lui présentait quatre ou cinq fois par semaine soixante ou quatre-vingts projets de décrets ; chaque projet était développé dans un rapport que le ministre lisait à l’empereur. Pour les affaires peu importantes, l’empereur donnait son approbation en marge du rapport.

Tous les décrets signés étaient laissés par les ministres au duc de Bassano qui gardait les originaux et envoyait aux ministres des copies conformes signées de lui.

Quand l’empereur était à l’armée ou en voyage, les ministres, qui ne le suivaient pas, envoyaient leurs portefeuilles au duc de Bassano qui présentait les décrets à Sa Majesté, et lui faisait lecture des rapports. On voit l’origine du crédit de ce duc, qui d’abord n’était que simple secrétaire, qui peu à peu se mit à la queue des ministres dans l’almanach impérial, et qui n’eut jamais de département.

Le crédit tout puissant du duc de Bassano était sur les ministres et préfets auxquels il faisait peur. Personne n’avait de crédit sur Napoléon pour les affaires qu’il pouvait comprendre. Ainsi tous les décrets d’organisation, tout ce qui était du domaine de la raison pure, si je puis m’exprimer ainsi, annonçaient un génie supérieur. Quand il y avait des données nécessaires à savoir, si le ministre du département que cela regardait était d’accord avec le ministre secrétaire d’État, on le trompait dans le premier exposé de l’affaire, et par orgueil et par paresse, il ne revenait jamais.

Quant aux décrets de personnel, Napoléon avait adopté des règles générales fondées sur un extrême mépris pour les hommes. Il semblait se dire : « Pour les gens que je ne connais pas moi-même, je serai moins trompé par leur uniforme qui, à mes yeux, les range dans une certaine classe, que par les ministres. » On lui voyait faire tous les jours les choix les plus ridicules. Voulant accoutumer au respect un peuple spirituel et moqueur, il avait supprimé la conversation. Il ne pouvait plus connaître les hommes qu’il employait que par des succès marquants, ou les rapports des ministres. En quittant la Hollande, lors du voyage qu’il y fit, il dit avec une naïveté bien plaisante : « Nous sommes bien mal en préfets dans ce pays-ci. »



  1. En 1810, MM. les ducs de Massa, de Cadore, de Feltre, de Gaète, d’Otrante, Montalivet, Mollien, Cessac, Decrès, Bigot-Préameneux et le duc de Bassano. Plus tard le ministre du commerce, Sussy.