Vie de Michel-Ange/Partie II, II. Foi

Libr. Hachette et Cie (p. 137-160).
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Deuxième partie. L’Abdication

II

FOI


Signior mie caro, i’ te sol chiamo e ’nvoco
Contra l’inutil mie cieco tormento.[1]


Son désir eût été, après la mort de Vittoria, de revenir à Florence, pour « coucher ses os fatigués, à côté de son père, dans le repos ».[2] Mais après avoir servi, toute sa vie, les papes, il voulut consacrer ses dernières années à servir Dieu. Peut-être y avait-il été poussé par son amie, et accomplissait-il un de ses derniers vœux. Un mois avant la mort de Vittoria Colonna, le premier janvier 1547, Michel-Ange était en effet nommé, par bref de Paul III, préfet et architecte de Saint-Pierre, avec pleins pouvoirs pour élever l’édifice. Il n’accepta pas sans peine ; et ce ne furent pas les instances du pape qui le décidèrent à charger ses épaules de septuagénaire du fardeau le plus lourd qu’il eût encore porté. Il vit là un devoir, une mission de Dieu :

« Beaucoup croient — et je crois — que j’ai été placé à ce poste par Dieu, écrivait-il. Si vieux que je sois, je ne veux pas l’abandonner ; car je sers par amour de Dieu, et je place en lui toutes mes espérances. »[3]

Il n’acceptait aucun paiement pour cette tâche sacrée.

Il s’y trouva aux prises avec de nombreux ennemis : « la secte de San Gallo »,[4] comme dit Vasari, et tous les administrateurs, fournisseurs, entrepreneurs de la construction, dont il dénonçait les fraudes, sur lesquelles San Gallo avait toujours fermé les yeux. « Michel-Ange, dit Vasari, délivra Saint-Pierre des voleurs et des bandits. »

Une coalition se forma contre lui. Elle eut pour chef l’effronté Nanni di Baccio Bigio, un architecte, que Vasari accuse d’avoir volé Michel-Ange, et qui visait à le supplanter. On répandit le bruit que Michel-Ange n’entendait rien à l’architecture, qu’il gaspillait l’argent et ne faisait que détruire l’œuvre de son prédécesseur. Le Comité d’administration du bâtiment, prenant lui-même parti contre son architecte, provoqua en 1551 une enquête solennelle, présidée par le pape ; les inspecteurs et les ouvriers vinrent y déposer contre Michel-Ange, avec l’appui des cardinaux Salviati et Cervini.[5] Michel-Ange daigna à peine se justifier : il refusa toute discussion. — « Je ne suis pas obligé, dit-il au cardinal Cervini, de vous communiquer, à vous, ou à qui que ce soit, ce que je dois ou veux faire. Votre affaire est de surveiller les dépenses. Le reste ne regarde que moi. »[6] — Jamais son orgueil intraitable ne consentit à faire part de ses projets à personne. À ses ouvriers qui se plaignaient, il répondait : « Votre affaire est de maçonner, de tailler, de menuiser, de faire votre métier, et d’exécuter mes ordres. Quant à savoir ce que j’ai dans l’esprit, vous ne l’apprendrez jamais : car ce serait contre ma dignité. »[7]

Contre les haines, que de tels procédés soulevaient, il n’eût pu se soutenir un instant sans la faveur des papes.[8] Aussi, lorsque mourut Jules III,[9] et que le cardinal Cervini devint pape, Michel-Ange fut sur le point de quitter Rome. Mais Marcel II ne fit que passer sur le trône ; et Paul IV lui succéda. De nouveau assuré de la protection souveraine, Michel-Ange continua de lutter. Il se fût cru déshonoré, et il eût craint pour son salut, s’il avait abandonné l’œuvre.

« Contre ma volonté, j’en ai été chargé, dit-il. Voici huit ans que je m’y épuise en vain, au milieu de tous les ennuis et de toutes les fatigues. Maintenant que la construction est assez avancée pour que l’on puisse commencer à voûter la coupole, mon départ de Rome serait la ruine de l’œuvre, un grand affront pour moi, et, pour mon âme, un très grand péché. »[10]

Ses ennemis ne désarmaient point ; et la lutte, un moment, prit un caractère tragique. En 1563, l’aide le plus dévoué de Michel-Ange à Saint-Pierre, Pier Luigi Gaeta, fut jeté en prison, sous la fausse accusation de vol ; et le chef des travaux, Cesare da Casteldurante, fut poignardé. Michel-Ange répondit, en nommant à la place de Cesare, Gaeta. Le Comité d’administration chassa Gaeta, et nomma l’ennemi de Michel-Ange, Nanni di Baccio Bigio. Michel-Ange, hors de lui, ne vint plus à Saint-Pierre. On fit courir le bruit qu’il se démettait de ses fonctions ; et le Comité lui donna pour suppléant Nanni, qui trancha aussitôt du maître. Il comptait finir par lasser le vieux homme de quatre-vingt-huit ans, malade et moribond. Il ne connaissait pas son adversaire. Michel-Ange, sur-le-champ, alla trouver le pape ; il menaça de quitter Rome, si justice ne lui était faite. Il exigea une nouvelle enquête, convainquit Nanni d’incapacité et de mensonge, et le fit chasser.[11] C’était en septembre 1563, quatre mois avant sa mort. — Ainsi, jusqu’à la dernière heure, il eut à lutter contre la jalousie et contre la haine.

Ne le plaignons pas. Il savait se défendre ; et, mourant, il était capable, à lui seul, comme il disait jadis à son frère Giovan Simone, « de mettre en pièces dix mille de cette engeance ».

En dehors de la grande œuvre de Sant-Pierre, d’autres travaux d’architecture occupèrent la fin de sa vie : le Capitole,[12] l’église Santa Maria degli Angeli,[13] l’escalier de la Laurenziana de Florence,[14] la Porta Pia, et surtout l’église San Giovanni dei Fiorentini, — dernier de ses grands projets, avorté comme les autres.

Les Florentins l’avaient prié d’élever l’église de leur nation à Rome ; le duc Cosme, lui-même, lui écrivit une lettre flatteuse, à ce sujet ; et Michel-Ange, soutenu par son amour pour Florence, entreprit l’œuvre avec un enthousiasme juvénile.[15] Il dit à ses compatriotes « que s’ils exécutaient son plan, ni les Romains, ni les Grecs n’auraient jamais rien eu de semblable : — paroles, dit Vasari, telles qu’il n’en sortit jamais de sa bouche, ni avant, ni après ; car il était extrêmement modeste ». Les Florentins acceptèrent le plan, sans rien y changer. Un ami de Michel-Ange, Tiberio Calcagni, exécuta, sous sa direction, un modèle en bois de l’église : — « c’était une œuvre d’un art si rare, qu’on n’a jamais vu une église pareille, pour la beauté, la richesse et la variété. On commença la construction, on dépensa 5.000 écus. Puis, l’argent manqua, on en resta là, et Michel-Ange en éprouva le plus violent chagrin. »[6] L’église ne fut jamais construite, et même le modèle a disparu.

Telle fut la dernière déception artistique de Michel-Ange. Comment eût-il pu avoir l’illusion, en mourant, que Saint-Pierre, à peine ébauché, serait jamais réalisé, qu’aucune de ses œuvres lui survivrait ? Lui-même, s’il eût été libre, peut-être les eût-il brisées. L’histoire de sa dernière sculpture, la Déposition de Croix de la cathédrale de Florence, montre à quel détachement de l’art il était arrivé. S’il continuait encore de sculpter, ce n’était plus par foi dans l’art, mais par foi dans le Christ, et parce que « son esprit et sa force ne pouvaient s’empêcher de créer ».[16] Mais quand il eut fini son œuvre, il la brisa.[17] « Il l’eût détruite entièrement, si son serviteur Antonio ne l’avait supplié de la lui donner. »[18]

Telle était l’indifférence que Michel-Ange, près de la mort, témoignait à ses œuvres.

Depuis la mort de Vittoria, nulle grande affection n’éclairait plus sa vie. L’amour était parti :

Fiamma d’amor nel cor non m’ è rimasa ;
Se ’l maggior caccia sempre il minor duolo,
Di penne l’ alm’ ho ben tarpat’ et rasa.[19]

La flamme d’amour n’est pas restée dans mon cœur. Le pire mal [la vieillesse] chasse toujours le moindre : j’ai rogné les ailes de l’âme.

Il avait perdu ses frères et ses meilleurs amis. Luigi del Riccio était mort en 1546, Sébastien del Piombo en 1547 ; son frère, Giovan Simone, en 1548. Il n’eut jamais grandes relations avec son dernier frère, Gismondo, qui mourut en 1555. Il avait reporté son besoin d’affection familiale et bourrue sur ses neveux orphelins, sur les enfants de Buonarroto, son frère le plus aimé. Ils étaient deux : une fille, Cecca (Francesca), et un garçon, Lionardo. Michel-Ange plaça Cecca dans un couvent ; il lui constitua un trousseau, il payait sa pension, il allait la voir ; et, quand elle se maria,[20] il lui donna en dot un de ses biens.[21] — Il se chargea personnellement de l’éducation de Lionardo, qui avait neuf ans à la mort de son père. Une longue correspondance, qui rappelle souvent celle de Beethoven avec son neveu, témoigne du sérieux avec lequel il remplit sa mission paternelle.[22] Ce ne fut pas sans de fréquentes colères. Lionardo mettait souvent à l’épreuve la patience de son oncle ; et cette patience n’était pas grande. La mauvaise écriture du jeune garçon suffisait à jeter Michel-Ange hors des gonds. Il y voyait un manque d’égards envers lui :

Jamais je ne reçois une lettre de toi, que la fièvre ne me vienne avant que je puisse la lire. Je ne sais pas où tu as appris à écrire ! Peu d’amour !… Je crois que quand tu aurais à écrire au plus grand âne du monde, tu y mettrais plus de soin… J’ai jeté ta dernière lettre au feu, parce que je ne pouvais pas la lire : je ne peux donc pas y répondre. Je t’ai déjà dit et répété à satiété que, chaque fois que je reçois une lettre de toi, la fièvre me vient avant que je réussisse à la lire. Une fois pour toutes, ne m’écris plus à l’avenir. Si tu as quelque chose à me faire savoir, trouve quelqu’un qui sache écrire ; car j’ai besoin de ma tête pour autre chose que pour m’épuiser à déchiffrer tes grimoires.[23]

Défiant de nature, et rendu plus soupçonneux encore par ses déboires avec ses frères, il se faisait peu d’illusion sur l’affection humble et flagorneuse de son neveu : cette affection lui semblait surtout s’adresser à son coffre-fort, dont le petit savait qu’il hériterait. Michel-Ange ne se gênait pas pour le lui dire. Une fois, étant malade et en danger de mort, il apprend que Lionardo est accouru à Rome et y a fait quelques démarches indiscrètes ; il lui écrit, furieux :

Lionardo ! J’ai été malade, et tu as couru chez Ser Giovan Francesco pour voir si je ne laissais rien. N’as-tu pas assez de mon argent à Florence ? Tu ne peux pas mentir à ta race et manquer de ressembler à ton père, qui m’a chassé, à Florence, de ma propre maison ! Sache que j’ai fait un testament de telle sorte que tu n’as plus rien à attendre de moi. Donc va avec Dieu, et ne te présente plus devant mes yeux, et ne m’écris plus jamais ![24]

Ces colères n’émouvaient guère Lionardo, car elles étaient généralement suivies de lettres affectueuses et de cadeaux.[25] Un an plus tard, il se précipitait de nouveau à Rome, alléché par la promesse d’un présent de 3.000 écus. Michel-Ange, blessé de son empressement intéressé, lui écrit :

Tu es venu à Rome avec une hâte furieuse. Je ne sais pas si tu serais venu aussi vite si je m’étais trouvé dans la misère et si le pain m’avait manqué !… Tu dis que c’était ton devoir de venir, par amour pour moi. — Oui ! l’amour d’un perce-bois ![26] Si tu avais de l’amour pour moi, tu m’aurais écrit : « Michel-Ange, gardez les 3.000 écus, et dépensez-les pour vous : car vous nous avez tant donné que cela nous suffit ; votre vie nous est plus chère que la fortune… » — Mais, depuis quarante ans, vous avez vécu de moi ; et jamais je n’ai reçu de vous seulement une bonne parole…[27]

Une grave question fut celle du mariage de Lionardo. Elle occupa l’oncle et le neveu pendant six ans.[28] Lionardo, docile, ménageait l’oncle à héritage ; il acceptait toutes ses observations, le laissait choisir, discuter, rejeter les partis qui s’offraient : il semblait indifférent, Michel-Ange se passionnait au contraire, comme si c’était lui qui devait se marier. Il regardait le mariage comme une affaire sérieuse, dont l’amour était la moindre condition ; la fortune n’entrait pas beaucoup plus en ligne de compte : ce qui importait, c’était la santé et l’honorabilité. Il donnait de rudes conseils, dénués de poésie, robustes et positifs :

C’est une grosse décision : souviens-toi qu’entre l’homme et la femme il doit toujours y avoir une différence d’âge de dix ans ; et fais attention à ce que celle que tu choisiras ne soit pas seulement bonne, mais saine… On m’a parlé de plusieurs personnes : l’une m’a plu, l’autre non. Si tu y penses, écris-moi donc, au cas que tu aies plus de plaisir à l’une qu’à l’autre : je t’en dirai mon avis… Tu es libre de prendre l’une ou l’autre, pourvu qu’elle soit noble et bien élevée, et plutôt sans dot, qu’avec une grosse dot, — afin de vivre en paix…[29] Un Florentin m’a dit qu’on t’a parlé d’une fille de la maison Ginori, et qu’elle te plaît. Il ne me plaît pas à moi que tu prennes pour femme une fille que le père ne te donnerait pas s’il avait assez pour lui constituer une dot convenable. Je désire que celui qui veut te donner une femme la donne à toi, et non à ta fortune… Tu as uniquement à considérer la santé de l’âme et du corps, la qualité du sang et des mœurs, et, de plus, qui elle a pour parents : car cela est de grande importance… Donne-toi la peine de trouver une femme qui n’ait pas honte de laver les plats, en cas de nécessité, et de s’occuper des choses du ménage… Quant à la beauté, comme tu n’es pas précisément le plus beau jeune homme de Florence, ne t’en inquiète pas, pourvu seulement qu’elle ne soit pas estropiée, ou repoussante…[30]

Après bien des recherches, il semble qu’on ait mis la main sur l’oiseau rare. Mais, au dernier moment, voici qu’on lui découvre un vice rédhibitoire ;

J’apprends qu’elle a la vue basse : ce qui ne me paraît pas un petit défaut. Aussi je n’ai rien promis encore. Puisque tu n’as rien promis non plus, mon avis est que tu le dégages, si tu es certain de la chose.[31]

Lionardo se décourage. Il s’étonne de l’insistance que son oncle met à vouloir le marier :

Cela est vrai,

répond Michel-Ange,

 je le désire : cela est bon, pour que notre race ne finisse pas avec nous. Je sais bien que le monde n’en serait pas ébranlé ; mais enfin chaque animal s’efforce de conserver son espèce. C’est pourquoi je désire que tu te maries.[32]

Enfin Michel-Ange lui-même se lasse ; il commence à trouver ridicule que ce soit lui qui s’occupe toujours du mariage de Lionardo, et que celui-ci ait l’air de s’en désintéresser. Il déclare qu’il ne s’en mêlera plus :

Depuis soixante ans, je me suis occupé de vos affaires ; maintenant, je suis vieux, et je dois penser aux miennes.

Juste à ce moment, il apprend que son neveu vient de se fiancer avec Cassandra Ridolfi. Il se réjouit, il le félicite, et il lui promet une dot de 1.500 ducats. Lionardo se marie.[33] Michel-Ange envoie ses souhaits aux jeunes époux, et promet un collier de perles à Cassandra. La joie ne l’empêche pas toutefois d’avertir son neveu que, « quoiqu’il ne se connaisse pas très bien à ces choses, il lui semble que Lionardo aurait dû régler très exactement toutes les questions d’argent avant de conduire la femme dans sa maison : car il y a toujours dans ces questions un germe de désunion ». Il termine par cette recommandation goguenarde :

« Allons !… Et maintenant, tâche de vivre ; et penses-y bien, car le nombre des veuves est toujours plus grand que celui des veufs. »[34]

Deux mois après, au lieu du collier promis, il envoie deux bagues à Cassandra, — l’une ornée d’un diamant, l’autre d’un rubis. Cassandra, en remerciement, lui envoie huit chemises. Michel-Ange écrit :

Elles sont belles, surtout la toile, et elles me plaisent fort. Mais je suis fâché que vous ayez fait cette dépense ; car il ne me manquait rien. Remercie bien Cassandra pour moi, et dis-lui que je suis à sa disposition pour lui envoyer tout ce que je pourrai trouver ici, en fait d’articles romains ou autres. Cette fois, j’ai envoyé seulement une petite chose ; une autre fois, nous ferons mieux, avec quelque objet qui lui fasse plaisir. Avertis-moi seulement.[35]

Viennent bientôt les enfants : le premier, appelé Buonarroto,[36] sur le désir de Michel-Ange, — le second, nommé Michelangelo,[37] qui meurt peu après sa naissance. Et le vieil oncle, qui invite le jeune couple à venir chez lui, à Rome, en 1556, ne cesse de prendre part affectueusement aux joies comme aux douleurs de la famille, mais sans jamais permettre aux siens de s’occuper de ses affaires, ni même de sa santé.

En dehors de ses relations de famille, Michel-Ange ne manqua point d’amitiés illustres ou distinguées.[38] Malgré son humeur sauvage, il serait tout à fait faux de se le représenter comme un paysan du Danube, à la façon de Beethoven. Il fut un aristocrate italien, de haute culture et de race fine. Depuis son adolescence passée dans les jardins de San Marco, auprès de Laurent le Magnifique, il resta en rapports avec tout ce que l’Italie comptait de plus noble parmi ses grands seigneurs, ses princes, ses prélats,[39] ses écrivains[40] et ses artistes.[41] Il faisait assaut d’esprit avec le poète Francesco Berni ;[42] il correspondait avec Benedetto Varchi ; il échangeait des poésies avec Luigi del Riccio et avec Donato Giannotti. On recherchait sa conversation, ses aperçus profonds sur l’art, ses remarques sur Dante, que personne ne connaissait comme lui. Une dame romaine[43] écrivait qu’il était, quand il voulait, « un gentilhomme de manières fines et séduisantes, et tel qu’il existait à peine son pareil en Europe ». Les dialogues de Giannotti et de François de Hollande montrent sa politesse exquise et l’habitude qu’il avait du monde. On voit même, par certaines de ses lettres aux princes,[44] qu’il lui eût été facile d’être un parfait courtisan. Le monde ne l’a jamais fui : c’est lui qui le tint à distance ; il ne dépendit que de lui de mener une vie triomphale. Il était pour l’Italie l’incarnation de son génie. À la fin de sa carrière, dernier survivant de la grande Renaissance, il la personnifiait, il était à lui seul tout un siècle de gloire. Ce n’étaient pas seulement les artistes qui le regardaient comme un être surnaturel.[45] Les princes s’inclinaient devant sa royauté. François Ier et Catherine de Médicis lui rendaient hommage.[46] Cosme de Médicis voulut le nommer sénateur ;[47] et, quand il vint à Rome,[48] il le traita en égal, le fit asseoir à côté de lui, l’entretint confidentiellement. Le fils de Cosme, don Francesco de Médicis, le reçut, sa barrette à la main, « témoignant d’un respect sans bornes pour un homme aussi rare ».[49] On n’honorait pas moins en lui son génie que « sa grande vertu ».[50] Sa vieillesse fut entourée d’autant de gloire que celle de Goethe ou de Hugo. Mais il était un homme d’un autre métal. Il n’avait ni la soif de popularité de l’un, ni le respect bourgeois de l’autre, — si libre qu’il fût, — pour le monde et pour l’ordre établi. Il méprisait la gloire, il méprisait le monde ; et s’il servait les papes, « c’était par contrainte ». Encore ne cachait-il pas que « même les papes l’ennuyaient et le fâchaient parfois, en causant avec lui et le faisant chercher », et que, « malgré leurs ordres, il négligeait de venir, quand il n’y était pas disposé ».[51]

Lorsqu’un homme est ainsi fait par la nature et par l’éducation qu’il haïsse les cérémonies et méprise l’hypocrisie, il n’y a pas de bon sens à ne pas le laisser vivre, comme il lui convient. S’il ne vous demande rien et ne cherche pas votre société, pourquoi cherchez-vous la sienne ? Pourquoi voulez-vous l’abaisser à ces niaiseries, qui répugnent à son éloignement du monde ? Celui-là n’est pas un homme supérieur, qui pense à plaire aux imbéciles, plutôt qu’à son génie.[51]

Il n’avait donc avec le monde que les relations indispensables, ou des rapports tout intellectuels. Il ne lui laissait pas accès dans son intimité ; et les papes, les princes, les gens de lettres et les artistes tenaient peu de place dans sa vie. Même avec le petit nombre d’entre eux, pour qui il éprouvait une réelle sympathie, il était rare qu’il s’établît une amitié durable. Il aimait ses amis, il était généreux envers eux ; mais sa violence, son orgueil, ses soupçons lui faisaient souvent de ceux qu’il avait le plus obligés, des ennemis mortels. Il écrivit, un jour, cette belle et triste lettre :

Le pauvre ingrat est ainsi fait, de nature, que si vous lui venez en aide dans sa détresse, il dit que lui-même vous a avancé ce que vous lui donnez. Si vous lui donnez du travail pour lui témoigner votre intérêt, il prétend que vous avez été forcé de lui confier ce travail, parce que vous n’y entendez rien. Tous les bienfaits qu’il reçoit, il dit que le bienfaiteur y a été obligé. Et si les bienfaits reçus sont si évidents qu’il est impossible de les nier, alors l’ingrat attend assez longtemps pour que celui dont il a reçu du bien tombe dans une faute évidente ; alors il a un prétexte de dire du mal de lui et de se libérer de toute reconnaissance. — Ainsi, on a toujours agi envers moi ; et pourtant pas un artiste ne s’est adressé à moi sans que je lui aie fait du bien, et de tout mon cœur. Et puis ils prennent prétexte de mon humeur bizarre, ou de la folie, dont ils prétendent que je suis atteint et qui ne fait tort qu’à moi, pour dire du mal de moi ; et ils m’outragent : — c’est le lot de tous ceux qui sont bons.[52]

Dans sa propre maison, il avait des aides assez dévoués, mais en général médiocres. On le soupçonnait de les choisir médiocres à dessein pour n’avoir en eux que des instruments dociles, et non des collaborateurs, — ce qui, au reste, eût été légitime. Mais, dit Condivi,

il n’était pas vrai, comme beaucoup le lui reprochaient, qu’il ne voulût pas instruire : au contraire, il le faisait volontiers. Malheureusement, la fatalité voulut qu’il tombât ou sur des sujets peu capables, ou sur des sujets capables, mais peu persévérants, qui, après quelques mois de son enseignement, se tenaient déjà pour des maîtres.

Il n’est pas douteux, d’ailleurs, que la première qualité qu’il exigeait de ses aides était une soumission absolue. Autant il était impitoyable pour ceux qui affectaient à son égard une indépendance cavalière, autant il eut toujours pour les disciples modestes et fidèles des trésors d’indulgence et de générosité. Le paresseux Urbano, « qui ne voulait pas travailler »,[53] — et qui avait bien raison ; car, lorsqu’il travaillait, c’était pour gâter irrémédiablement par sa maladresse le Christ de la Minerve, — fut, pendant une maladie, l’objet de ses soins paternels ;[54] il appelait Michel-Ange : « cher comme le meilleur père ». — Piero di Giannoto fut « aimé comme un fils ». — Silvio di Giovanni Cepparello, sorti de chez lui pour entrer au service d’André Doria, se désole, et le supplie de le reprendre. — L’histoire touchante d’Antonio Mini est un exemple de la générosité de Michel-Ange envers ses aides. Mini, celui de ses disciples, qui, d’après Vasari, « avait bonne volonté, mais qui n’était pas intelligent, » aimait la fille d’une pauvre veuve de Florence. Sur le désir de ses parents, Michel-Ange l’éloigna de Florence. Antonio voulut aller en France.[55] Michel-Ange lui fit un don royal : « tous les dessins, tous les cartons, la peinture de la Léda,[56] tous les modèles qu’il avait faits pour elle, aussi bien en cire qu’en argile ». Muni de cette fortune, Antonio partit.[57] Mais la mauvaise chance qui frappait les projets de Michel-Ange frappa plus durement encore ceux de son humble ami. Il alla à Paris, pour montrer le tableau de la Léda au roi. François Ier était absent ; Antonio laissa la Léda en garde chez un Italien de ses amis, Giuliano Buonaccorsi, et revint à Lyon où il s’était fixé. Quand il retourna à Paris, quelques mois plus tard, la Léda avait disparu : Buonaccorsi l’avait vendue, pour son compte, à François Ier. Antonio, affolé, sans ressources, incapable de se défendre, perdu dans cette ville étrangère, mourut de chagrin, à la fin de 1533.

Mais, de tous ses aides, celui que Michel-Ange aima le mieux et à qui son affection assura l’immortalité, fut Francesco d’Amadore, surnommé Urbino, de Castel Durante. Il était depuis 1530 au service de Michel-Ange, et il travailla sous ses ordres au tombeau de Jules II. Michel-Ange s’inquiétait de ce qu’il deviendrait après lui.

« Il lui disait : « Que feras-tu, si je meurs ? »

« Urbino répondit : « Je servirai un autre. »

« — Ô malheureux ! dit Michel-Ange, je veux remédier à ta misère. »

« Et il lui donna 2.000 écus d’un coup : un présent comme seuls les empereurs et les papes en peuvent faire. »[6]

Ce fut Urbino qui mourut le premier.[58] Le lendemain de sa mort, Michel-Ange écrivait à son neveu :

Urbino est mort, hier au soir, à quatre heures. Il m’a laissé si affligé et si troublé qu’il m’eût été plus doux de mourir avec lui, à cause de l’amour que je lui portais ; et il le méritait bien : car c’était un digne homme, loyal et fidèle. Sa mort fait qu’il me semble ne plus vivre, et je ne puis retrouver la tranquillité.

Sa douleur était si profonde qu’elle se fait plus cuisante encore, trois mois après, dans une lettre célèbre à Vasari :

Messer Giorgio, mon cher ami, il se peut que j’écrive mal ; cependant, en réponse à votre lettre, j’écrirai quelques mots. Vous savez qu’Urbino est mort, — ce qui est pour moi une peine très cruelle, mais aussi une grâce très grande que Dieu m’a faite. Cette grâce, c’est que lui qui, vivant, m’a gardé à la vie, mourant, m’a appris à mourir, non pas avec déplaisir, mais avec le désir de la mort. Je l’ai gardé vingt-six ans, et je l’ai toujours trouvé très sûr et très fidèle. Je l’avais enrichi ; et maintenant que je comptais sur lui pour être le soutien de ma vieillesse, il m’est enlevé ; et il ne me reste d’autre espérance que de le revoir en paradis, où Dieu, par la très heureuse mort qu’il lui a procurée, a bien montré qu’il devait être. Ce qui a été pour lui plus dur que la mort, ç’a été de me laisser vivant dans ce monde trompeur, et au milieu de tant d’inquiétudes. La meilleure partie de moi-même s’en est allée avec lui, et il ne me reste plus rien qu’une misère infinie.[59]

Dans son désarroi, il pria son neveu de venir le voir à Rome. Lionardo et Cassandra, inquiets de son chagrin, vinrent, et le trouvèrent fort affaibli. Il puisa une force nouvelle dans l’obligation que Urbino lui avait imposée de se charger de la tutelle de ses fils, dont l’un était son filleul et portait son nom.[60]

Il avait d’autres amitiés, étranges. Par ce besoin de réaction, si fort chez les natures robustes contre toutes les contraintes qu’impose la société, il aimait à s’entourer de gens simples d’esprit, qui avaient des saillies inattendues et de libres façons : des gens qui ne fussent pas comme tout le monde : — un Topolino, tailleur de pierres à Carrare, « qui s’imaginait être un sculpteur distingué, et qui n’eût jamais laissé partir pour Rome une barque, chargée de blocs de marbre, sans envoyer trois ou quatre petites figures modelées par lui, qui faisaient mourir de rire Michel-Ange » ;[61] — un Menighella, peintre à Valdarno, « qui venait de temps en temps chez Michel-Ange, pour qu’il lui dessinât un saint Roch ou un saint Antoine, qu’il coloriait ensuite et vendait aux paysans. Et Michel-Ange, dont les rois avaient tant de peine à obtenir le moindre travail, laissait tout pour exécuter ces dessins, sur les indications de Menighella, entre autres, un Crucifix admirable » ;[61] — un barbier, qui se mêlait de peinture, et pour qui il dessina le carton d’un saint François aux stigmates ; — un de ses ouvriers romains, qui travaillait au tombeau de Jules II, et qui crut être devenu un grand sculpteur, sans y avoir pris garde, parce qu’en suivant docilement les indications de Michel-Ange, il avait fait sortir du marbre, à sa stupéfaction, une belle statue ; — le facétieux orfèvre Piloto, dit Lasca ; — le fainéant Indaco, ce peintre singulier, « qui aimait autant à bavarder, qu’il détestait de peindre », et qui avait coutume de dire que « travailler toujours sans prendre de plaisir était indigne d’un chrétien » ;[6] — surtout, le ridicule et inoffensif Giuliano Bugiardini, pour qui Michel-Ange avait une sympathie spéciale.

Giuliano avait une bonté naturelle, une façon simple de vivre, sans méchanceté et sans envie, qui plaisait infiniment à Michel-Ange. Il n’avait d’autre défaut que d’aimer trop ses propres œuvres. Mais Michel-Ange avait coutume de l’estimer heureux pour cela ; car il se trouvait lui-même très malheureux de ne pouvoir se satisfaire pleinement de rien… Une fois, messer Ottaviano de Médicis avait demandé à Giuliano de lui faire un portrait de Michel-Ange. Giuliano se mit à l’œuvre ; et, après avoir tenu Michel-Ange assis deux heures, sans parler, il lui dit : « Michel-Ange, viens voir, lève-toi : l’essentiel de la physionomie, je l’ai déjà attrapé. » Michel-Ange se leva ; et, quand il vit le portrait, il dit en riant à Giuliano : « Que diable as-tu fait ? Tu m’as enfoncé un œil dans la tempe : regarde un peu. » Giuliano, à ces mots, fut hors de lui. Il regarda plusieurs fois le portrait et son modèle, alternativement ; et il répondit hardiment : « Il ne me semble pas ; mais remets-toi à ta place, et je le corrigerai, s’il y a lieu. » — Michel-Ange, qui savait ce qui en était, se replaça en souriant en face de Giuliano, qui le regarda à diverses reprises ainsi que sa peinture, puis se leva, et dit : « L’œil est tel que je l’ai dessiné, et la nature le montre ainsi. » — « Eh bien donc, fit Michel-Ange en riant, c’est une faute de la nature. Continue, et ne ménage pas la couleur. »[6]

Tant d’indulgence, dont Michel-Ange n’était pas coutumier avec les autres hommes, et qu’il prodiguait à ces petites gens, ne suppose pas moins d’humour railleuse qui s’égaye des ridicules humains,[62] que d’affectueuse pitié pour ces pauvres fous qui se croyaient de grands artistes et qui lui inspiraient peut-être un retour sur sa propre folie. Il y avait là bien de l’ironie mélancolique et bouffonne.

  1. Poésies, CXXIII.
  2. Lettre de Michel-Ange à Vasari. (19 septembre 1552)
  3. Lettre de Michel-Ange à Lionardo, son neveu, (7 juillet 1557)
  4. Il s’agit ici d’Antonio da San Gallo, architecte en chef de Saint-Pierre, depuis 1537 jusqu’à sa mort en octobre 1546. Il avait toujours été ennemi de Michel-Ange, qui le traita sans ménagements. Ils se trouvèrent opposés l’un à l’autre, à propos des fortifications du Borgo (quartier du Vatican), pour lesquelles Michel-Ange fit abandonner les plans de San Gallo, en 1545, et lors de la construction du palais Farnese, que San Gallo avait bâti jusqu’au second étage, et que Michel-Ange termina, imposant en 1549 son modèle pour la corniche et éliminant le projet de son rival. — (Voir le Michelangelo de Thode)
  5. Le futur pape Marcel II.
  6. a, b, c, d et e Vasari.
  7. Bottari.
  8. À la fin de l’enquête de 1551, Michel-Ange, se tournant vers Jules III qui présidait, lui dit : « Saint-Père, vous voyez quel est mon gain ! Si les ennuis que j’endure ne servent pas à mon âme, je perds mon temps et ma peine. » — Le pape qui l’aimait, lui mit ses mains sur les épaules, et s’écria : « Tu gagnes pour les deux, pour ton âme et pour ton corps. Sois sans crainte ! » (Vasari)
  9. Paul III était mort le 10 novembre 1549 ; et Jules III, qui aimait, comme lui, Michel-Ange, régna du 8 février 1550 au 23 mars 1555. Le cardinal Cervini fut élu, le 9 avril 1555, sous le nom de Marcel II. Il ne régna que quelques jours ; et Paul IV Caraffa lui succéda, le 23 mai 1555.
  10. Lettre de Michel-Ange à Lionardo. (11 mai 1555)

    Affecté par les critiques de ses propres amis, il demanda pourtant, en 1550, « qu’on voulût bien le décharger du fardeau qu’il portait gratuitement, depuis dix-sept ans, sur l’ordre des papes ». — Mais sa démission ne fut pas acceptée, et Pie IV, par un bref, renouvela ses pouvoirs. — C’est alors qu’il se résolut enfin à exécuter, sur les instances de Cavalieri, le modèle en bois de la coupole. Jusque-là, il avait gardé tous ses projets dans sa tête, se refusant à en laisser rien voir à qui que ce fût.

  11. Nanni n’en pria pas moins le duc Cosme, au lendemain de la mort de Michel-Ange, de lui faire donner la succession de Michel-Ange à Saint-Pierre.
  12. Michel-Ange ne put voir élever que les escaliers et la place. Les édifices du Capitole n’ont été terminés qu’au dix-septième siècle.
  13. De l’église de Michel-Ange, il ne reste rien aujourd’hui. Elle fut reconstruite entièrement au dix-huitième siècle.
  14. On exécuta le modèle de Michel-Ange en pierre, et non en bois, comme il voulait.
  15. En 1559-1560.
  16. Vasari.

    Ce fut en 1553 qu’il commença cette œuvre, la plus émouvante de toutes ses œuvres ; car elle est la plus intime : on sent qu’il n’y parle que pour lui, il souffre, et s’abandonne à sa souffrance. Au reste, il s’est représenté lui-même, semble-t-il, dans le vieillard, au visage douloureux, qui soutient le corps du Christ.

  17. En 1555.
  18. Tiberio Calcagni la racheta à Antonio, et demanda à Michel-Ange la permission de la réparer. Michel-Ange y consentit, Calcagni rajusta le groupe ; mais il mourut, et l’œuvre resta inachevée.
  19. Poésies, LXXXI (vers 1550).

    Cependant, quelques poésies, qui semblent dater de son extrême vieillesse, montrent que la flamme n’était pas aussi éteinte qu’il le croyait, et que « le vieux bois brûlé », comme il disait, reprenait feu parfois. — (Voir aux Annexes, XXII. — Poésies, CX et CXIX)

  20. Elle épousa, en 1538, Michele di Niccolò Guicciardini.
  21. Une propriété à Pozzolatico.
  22. Cette correspondance commence en 1540.
  23. stare a spasimare intorno alle tue lettere.
    (Lettres, 1536–1548)
  24. Lettre du 11 juillet 1544.
  25. Michel-Ange est le premier à avertir son neveu, pendant une maladie, en 1549, qu’il l’a mis sur son testament. — Le testament est ainsi conçu : « À Gismondo et à toi, je laisse tout ce que j’ai ; en sorte que mon frère Gismondo, et toi, mon neveu, vous ayez des droits égaux, et qu’aucun ne puisse exercer une autorité sur mes biens sans le consentement de l’autre. »
  26. L’amore del tarlo !
  27. 6 février 1546.

    Il ajoute : « Il est vrai que, l’an passé, je t’ai tant semoncé que tu as eu honte, et tu m’as envoyé un petit tonneau de Trebbiano. Ah ! cela t’a assez coûté !… »

  28. De 1543 à 1553.
  29. Et ailleurs :

    « Tu n’as pas à chercher l’argent, mais seulement la bonté et la bonne renommée… Tu as besoin d’une femme qui reste avec toi, et à qui tu puisses commander, une femme qui ne fasse pas des embarras et n’aille pas tous les jours en noces et en festins ; car là où on leur fait la cour, il leur est facile de se débaucher (diventar puttana), surtout quand elles n’ont pas de famille… » (Lettres, premier février 1549)

  30. Storpiata o schifa… (Lettres, 1543–1552)
  31. Ibid., 19 décembre 1551.
  32. Il ajoute pourtant : « Mais si tu devais ne pas te sentir assez sain, alors il est mieux de te résigner à vivre, sans mettre au monde d’autres malheureux. » (Lettres, 24 juin 1552)
  33. Le 16 mai 1553.
  34. Lettres, 20 mai 1553.
  35. Lettres, 5 août 1553.
  36. Né en 1554.
  37. Né en 1555.
  38. Il faut bien distinguer entre les périodes de sa vie. On trouve dans cette longue carrière des déserts de solitude, mais aussi quelques périodes d’amitiés. C’est, vers 1515, à Rome, un petit cercle de Florentins, libres et bons vivants : — Domenico Buoninsegni, Lionardo sellajo, Giovanni Spetiale, Bartolommeo Verazzano, Giovanni Gellesi, Canigiani. — C’est, un peu plus tard, sous le pontificat de Clément VII, la spirituelle société de Francesco Berni et de Fra Sebastiano del Piombo, ami dévoué mais dangereux, qui rapportait à Michel-Ange tous les bruits qui couraient sur son compte et attisait son inimitié contre le parti de Raphaël. — C’est surtout, au temps de Vittoria Colonna, le cercle de Luigi del Riccio, marchand florentin, qui le conseillait dans ses affaires et fut son ami le plus intime. Il rencontrait chez lui Donato Giannotti, le musicien Archadelt, et le beau Cecchino. Ils avaient l’amour commun de la poésie, de la musique et des bons plats. C’est pour Riccio, désespéré de la mort de Cecchino, que Michel-Ange écrit ses quarante-huit épigrammes funéraires ; et Riccio, pour l’envoi de chaque épigramme, expédie à Michel-Ange des truites, des champignons, des truffes, des melons, des tourterelles, etc. (Voir Poésies, édition Frey, LXXIII) — Après la mort de Riccio, en 1546, Michel-Ange n’eut plus guère d’amis, mais des disciples : Vasari, Condivi, Daniel de Volterre, Bronzino, Leone Leoni, Benvenuto Cellini. Il leur inspirait un culte passionné ; de son côté, il leur témoignait une affection touchante.
  39. Par ses fonctions au Vatican, non moins que par la grandeur de son esprit religieux, Michel-Ange fut particulièrement en relations avec les hauts dignitaires de l’Église.
  40. Il peut être curieux de noter, en passant, que Michel-Ange connut Machiavel. Une lettre de Biagio Buonaccorsi à Machiavel, le 6 septembre 1508, lui annonce qu’il lui a envoyé par Michel-Ange de l’argent d’une femme qui n’est pas nommée.
  41. Ce fut sans doute parmi les artistes qu’il eut le moins d’amis, — sauf à la fin de sa vie, où il était entouré de disciples qui l’adulaient. — Il avait peu de sympathie pour la plupart d’entre eux, et ne le leur cachait point. Il fut en fort mauvais termes avec Léonard de Vinci, Pérugin, Francia, Signorelli, Raphaël, Bramante, San Gallo. « Le jour soit maudit, où vous avez jamais dit du bien de personne ! » lui écrit Jacopo Sansovino, le 30 juin 1517. — Cela n’empêcha point Michel-Ange de rendre service plus tard à Sansovino (en 1524), et à bien d’autres : mais il avait un génie trop passionné pour aimer un autre idéal que le sien ; et il était trop sincère pour feindre d’aimer ce qu’il n’aimait point. — Cependant, il se montra fort courtois pour Titien, lors de sa visite à Rome, en 1545. — Mais à la société des artistes, dont la culture, en général, laissait à désirer, il préférait celle des écrivains et des hommes d’action.
  42. Ils échangèrent des épîtres en vers, amicales et burlesques. (Poésies, LVII et CLXXII) Berni fit de Michel-Ange un éloge magnifique, dans son Capitolo a fra Sebastiano del Piombo. Il dit « qu’il était l’Idée en soi de la sculpture et de l’architecture, comme Astrée était l’Idée de la justice, qui était toute bonté et toute intelligence ». Il l’appela un second Platon ; et, s’adressant aux autres poètes, il leur dit ce mot admirable, souvent cité : « Silence à vous, instruments harmonieux ! Vous dites des mots, lui seul dit des choses. »

    Ei dice cose, et voi dite parole…

  43. Dona Argentina Malaspina, en 1516.
  44. Surtout sa lettre à François premier, le 26 avril 1546.
  45. Condivi commence ainsi sa Vie de Michel-Ange :

    « Depuis l’heure où le Seigneur Dieu, par sa grâce toute puissante, m’a jugé digne non seulement de voir Michelangelo Buonarroti, le peintre et sculpteur unique, — ce que j’aurais à peine eu l’audace d’espérer, — mais de jouir de ses entretiens, de son affection et de sa confiance, — en reconnaissance d’un tel bienfait, j’ai entrepris de réunir tout ce qui me paraît dans sa vie digne de louange et d’admiration, pour être utile aux autres par l’exemple d’un tel homme. »

  46. François premier, en 1546 ; Catherine de Médicis, en 1559. Elle lui écrivit de Blois, « sachant, avec le monde entier, combien il était supérieur à n’importe qui dans ce siècle », pour le prier de sculpter la statue équestre de Henri II, ou du moins, d’en faire le dessin. (14 novembre 1559)
  47. En 1552. Michel-Ange ne répondit pas : — ce qui blessa le duc. — Quand Benvenuto Cellini en reparla à Michel-Ange, celui-ci répondit d’une façon sarcastique.
  48. En novembre 1560.
  49. En octobre 1561.
  50. Vasari. (À propos de la réception que Cosme fit à Michel-Ange)
  51. a et b François de Hollande : Entretiens sur la peinture.
  52. A. Piero Gondi, 26 janvier 1524.
  53. Vasari décrit ainsi les aides de Michel-Ange : « Pietro Urbano de Pistoie était intelligent, mais ne voulut jamais se donner de peine. Antonio Mini eût bien voulu ; mais il n’était pas intelligent. Ascanio della Ripa Transone se donna de la peine ; mais il n’arriva jamais à rien. »
  54. Michel-Ange s’inquiète de ses moindres bobos. Il s’intéresse à une coupure qu’Urbano s’est faite au doigt. Il veille à ce qu’il s’acquitte de ses devoirs religieux : « Va à confesse, travaille bien, fais attention à la maison… » (Lettres, 29 mars 1518)
  55. C’était déjà avec Antonio Mini que Michel-Ange avait voulu passer en France, après sa fuite de Florence, en 1529.
  56. Le tableau qu’il avait fait pendant le siège, pour le duc de Ferrare, mais qu’il refusa de lui donner, parce que l’ambassadeur de Ferrare lui avait manqué de respect.
  57. En 1531.
  58. Le 3 décembre 1555, peu de jours après la mort du dernier frère de Michel-Ange, Gismondo.
  59. 23 février 1556.

    Michel-Ange termine ainsi : « Je me recommande à vous, et vous prie de m’excuser auprès de messer Benvenuto (Cellini), si je ne réponds pas à sa lettre ; mais ces pensées me causent tant de douleur que je suis incapable d’écrire. »

    Voir aussi la poésie CLXII :

    Et piango et parlo del mio morto Urbino
  60. Il écrivit à la femme d’Urbino, Cornelia, des lettres pleines d’affection, où il lui promettait de prendre chez lui le petit Michelangelo, « de lui montrer plus d’amour que même aux enfants de son neveu Lionardo, et de lui apprendre tout ce que Urbino désirait qu’il apprît ». (28 mars 1557) — Il ne pardonna pas à Cornelia de se remarier, en 1559.
  61. a et b Voir dans Vasari le récit de ses facéties.
  62. Comme presque toutes les âmes sombres, Michel-Ange avait parfois l’humeur bouffonne ; et il écrivit des poésies burlesques, dans le goût de Berni. Mais sa bouffonnerie reste toujours rude, et tout près du tragique. Ainsi, sa lugubre caricature des infirmités de l’âge. (Poésies, LXXXI) Voir aussi sa parodie d’une poésie d’amour. (Ibid., XXXVII)