Vie de Charlemagne (Éginhard, trad. Halphen)/Vie de l’empereur Charlemagne

Traduction par Louis Halphen.
Texte établi par Louis HalphenHonoré Champion (p. --103).

VIE
DE L’EMPEREUR CHARLEMAGNE


Ayant résolu d’écrire un livre sur la vie, les mœurs et les principaux faits du règne du seigneur qui m’a nourri[1], le très excellent roi Charles, si justement fameux, je l’ai fait avec le plus de sobriété que j’ai pu, m’attachant tout ensemble à ne rien omettre de ce qui est parvenu à ma connaissance et à ne pas fatiguer par la longueur de mon récit l’esprit de ceux à qui répugne tout ce qui est nouveau — si toutefois il est possible, vraiment, de proposer, sans lui déplaire, un livre nouveau à un public qu’ennuient même les œuvres des meilleurs et des plus doctes écrivains[2].

Plus d’un de ceux, je le sais, qui ont consacré leurs loisirs au culte des lettres estime que l’époque où nous vivons mérite de n’être pas considérée comme indigne de tout souvenir et vouée en bloc à l’oubli ; plus d’un même, jaloux de passer à la postérité, s’inquiéterait moins de la qualité de ses écrits que de son désir d’assurer auprès des générations futures, en racontant les hauts faits de ses contemporains, la gloire de son propre nom. Je n’ai pourtant pas cru devoir renoncer à cet ouvrage, conscient que j’étais de pouvoir y apporter plus de vérité que personne, puisque j’ai participé aux événements que je rappelle, que j’en ai été, comme on dit, le témoin oculaire et qu’au surplus je n’ai pu savoir d’une façon positive si le tableau en serait tracé par un autre que moi. J’ai jugé enfin que mieux valait m’exposer à répéter en d’autres termes des choses déjà dites que de laisser la vie illustre du meilleur et du plus grand roi de cette époque et ses exploits, aujourd’hui presque inimitables, s’effacer dans les ténèbres de l’oubli.

À ces motifs de composer mon livre s’en ajoute un autre — raisonnable, je pense, et qui eût pu suffire à lui seul : la reconnaissance envers l’homme qui m’a nourri[3] et l’amitié indéfectible nouée tant avec lui qu’avec ses enfants[4] dès que j’ai commencé de vivre à sa cour. La dette que j’ai contractée ainsi envers lui et envers sa mémoire est telle que j’aurais l’air d’un ingrat et qu’on serait fondé à me juger de la sorte si, oublieux de tous les bienfaits dont j’ai été gratifié, je passais sous silence les actes glorieux et illustres de celui à qui j’ai tant d’obligations et si je souffrais que sa vie restât, comme non avenue, ignorée et privée des louanges qui lui sont dues.

Pour la conter et l’exposer, il aurait fallu mieux que mon pauvre esprit, débile presque jusqu’à la nullité ; il aurait fallu l’éloquence d’un Cicéron. Mais, tel quel, voici ce livre destiné à perpétuer la mémoire du célèbre grand homme. En dehors de ses hauts faits, rien n’y est de nature à étonner le lecteur, sinon peut-être l’audace d’un barbare qui, à peine initié au maniement de la phrase latine, a cru cependant pouvoir écrire de façon décente ou convenable en cette langue et qui a poussé l’impudence jusqu’à mépriser ce précepte de Cicéron, au premier livre de ses Tusculanes[5], où, parlant des auteurs latins, il s’exprime en ces termes : « Consigner par écrit ses pensées quand on est incapable de les ordonner, de les mettre en valeur et de procurer le moindre agrément au lecteur est le fait d’un homme qui abuse sans mesure de ses loisirs et des lettres. » Ce précepte du célèbre orateur aurait pu me détourner d’écrire si je n’avais résolu de risquer ma réputation en soumettant cet essai au jugement du public, plutôt que de taire l’histoire d’un si grand homme afin de la ménager.


[1.] La famille des Mérovingiens, dans laquelle les Francs avaient coutume de choisir leurs rois, est réputée avoir régné jusqu’à Childéric, qui, sur l’ordre du pontife romain Étienne, fut déposé, eut les cheveux coupés[6] et fut enfermé dans un monastère[7]. Mais, si elle semble en effet n’avoir fini qu’avec lui, elle avait depuis longtemps déjà perdu toute vigueur et ne se distinguait plus que par ce vain titre de roi. La fortune et la puissance publiques étaient aux mains des chefs de sa maison, qu’on appelait maires du palais et à qui appartenait le pouvoir suprême. Le roi n’avait plus, en dehors de son titre, que la satisfaction de siéger sur son trône, avec sa longue chevelure et sa barbe pendante, d’y faire figure de souverain, d’y donner audience aux ambassadeurs des divers pays et de les charger, quand ils s’en retournaient, de transmettre en son nom les réponses qu’on lui avait suggérées ou même dictées. Sauf ce titre royal, devenu inutile, et les précaires moyens d’existence que lui accordait à sa guise le maire du palais, il ne possédait en propre qu’un unique domaine, de très faible rapport, avec une maison et quelques serviteurs, en petit nombre, à sa disposition pour lui fournir le nécessaire. Quand il avait à se déplacer, il montait dans une voiture attelée de bœufs, qu’un bouvier conduisait à la mode rustique : c’est dans cet équipage qu’il avait accoutumé d’aller au palais, de se rendre à l’assemblée publique de son peuple, réunie annuellement pour traiter des affaires du royaume, et de regagner ensuite sa demeure[8]. L’administration et toutes les décisions et mesures à prendre, tant à l’intérieur qu’au dehors, étaient du ressort exclusif du maire du palais.

[2.] Cette charge, à l’époque où Childéric fut déposé, était remplie par Pépin, père du roi Charles, en vertu d’un droit déjà presque héréditaire. Elle avait été en effet brillamment exercée avant lui par cet autre Charles dont il était le fils et qui se signala en abattant les tyrans, dont le pouvoir cherchait à s’implanter partout en France, et en forçant les Sarrasins par deux grandes victoires — l’une en Aquitaine, à Poitiers, l’autre près de Narbonne — à renoncer à l’occupation de la Gaule et à se replier en Espagne[9] ; et celui-ci l’avait lui-même reçue des mains de son propre père, également nommé Pépin ; car le peuple avait coutume de ne la confier qu’à ceux qui l’emportaient par l’éclat de leur naissance et l’étendue de leurs richesses.

Elle avait donc été tenue pendant quelques années, sous le règne de Childéric, par Pépin concurremment et en plein accord avec son frère Carloman, qui, comme lui, en avait hérité de leur père et de leur aïeul. Mais bientôt Carloman[10], pour des raisons inconnues — cédant sans doute à l’attrait de la vie contemplative — avait abandonné le lourd fardeau du gouvernement d’un royaume temporel pour aller se reposer à Rome ; il y avait pris l’habit religieux et avait construit au mont Soracte, près de l’église de Saint-Sylvestre, un monastère où, en compagnie des frères venus à sa suite, il avait joui durant quelques années du repos souhaité. Puis le passage des nobles nombreux qui périodiquement arrivaient de France en pèlerinage à Rome et ne voulaient point traverser la ville sans aller saluer leur ancien seigneur, troublant ainsi par leurs fréquentes visites le calme auquel il tenait par-dessus tout, l’avait obligé à changer de résidence : ayant constaté que ces allées et venues nuisaient à son dessein, il avait quitté le mont Soracte pour se retirer dans la province de Samnium au monastère de Saint-Benoît, à Cassino[11], où il avait fini ses jours dans la vie religieuse[12].

[3.] Pépin ayant été élevé, par l’autorité du pontife romain[13], de la mairie du palais à la dignité royale, régna seul sur les Francs une quinzaine d’années. Comme il venait d’achever la guerre aquitanique, qu’il avait entreprise contre le duc d’Aquitaine Waïfre et menée sans répit pendant neuf années[14], il mourut à Paris d’hydropisie[15], laissant deux fils, Charles et Carloman à qui, par la volonté divine, fut dévolue sa succession. Les Francs, en effet, réunis en assemblée générale, les choisirent tous deux pour rois[16], à cette double condition qu’ils se partageraient par fractions égales la totalité du royaume et que Charles recevrait le gouvernement des territoires jadis occupés par leur père Pépin, tandis que ceux auxquels leur oncle Carloman avait été préposé seraient confiés à Carloman[17].

Ces conditions ayant été acceptées de part et d’autre, chacun des deux frères reçut la fraction du royaume qui lui avait été attribuée et la concorde put être maintenue entre eux, quoique au prix de graves difficultés : car nombreux furent les partisans de Carloman qui tentèrent de rompre leur accord[18], certains allant même jusqu’à les pousser à la guerre. Mais la suite des événements prouva que le danger était moindre qu’on ne l’aurait pu craindre, puisqu’à la mort de son époux, la femme de Carloman s’enfuit en Italie avec ses fils et quelques-uns des grands de sa cour, pour aller, sans raison et au mépris de son beau-frère, se placer, elle et ses enfants, sous la protection du roi des Lombards Didier[19].

Carloman, en effet, étant mort de maladie, après avoir gouverné deux ans le royaume avec son frère, Charles, du consentement de tous les Francs, fut reconnu seul roi[20].

[4.] De sa naissance, de ses premières années et même de son enfance, il serait absurde à moi de vouloir parler[21], car il n’en est question chez aucun auteur et il ne se rencontre plus personne aujourd’hui qui se dise informé de cette période de sa vie. Laissant donc de côté ce qui est inconnu, j’en viens tout de suite à ses actes, à ses mœurs et aux divers autres éléments de sa biographie. Je commencerai par sa politique intérieure et extérieure ; je passerai ensuite à l’étude de ses mœurs et de son caractère ; je finirai par l’exposé de son administration et de sa mort, m’attachant à ne rien omettre de ce qu’il est nécessaire ou bon de savoir.

[5.] De toutes les guerres qu’il fit, la première fut celle d’Aquitaine, entamée, mais non achevée[22] par son père et qui lui semblait pouvoir être terminée rapidement. Il l’entreprit du vivant de son frère, dont il sollicita même le concours ; et quoique ce dernier ne lui eût point apporté l’aide promise, il poursuivit l’expédition vigoureusement et sans relâche, se refusant à abandonner à aucun moment l’entreprise avant de l’avoir par son inlassable persévérance menée à bonne fin. Hunold, qui, après la mort de Waïfre, avait tenté d’occuper l’Aquitaine et de rallumer la guerre déjà presque achevée, fut contraint de quitter le pays et de gagner la Gascogne ; décidé à ne pas l’y laisser séjourner, il franchit la Garonne et manda au duc des Gascons, Loup, d’avoir à lui livrer le transfuge, le menaçant de la guerre au cas où il ne s’exécuterait pas rapidement. Cette menace suffit : Loup, revenu à de meilleurs sentiments, non seulement livra Hunold, mais se soumit, ainsi que la province qu’il gouvernait, à l’autorité du roi franc[23].

[6.] Les affaires d’Aquitaine réglées, cette guerre finie et son associé au trône ayant quitté ce monde, Charles entreprit, à la demande et sur les instances de l’évêque de Rome Hadrien, une guerre contre les Lombards[24].

Déjà son père[25], sur les supplications du pape Étienne, s’était attaqué à eux, non sans avoir à surmonter de grosses difficultés, quelques-uns des chefs francs qu’il avait l’habitude de consulter s’étant élevés si vivement contre son projet qu’ils lui avaient même ouvertement signifié leur intention de déserter et de regagner leurs foyers[26]. L’expédition n’en avait pas moins eu lieu contre le roi Hastolf et elle avait été rapidement terminée. Mais si les deux guerres eurent une cause analogue, ou plutôt la même cause, ni l’effort fourni ni les résultats ne furent comparables : Pépin, après avoir assiégé le roi Hastolf quelques jours seulement dans Tessin[27], le contraignit à livrer des otages, à restituer aux Romains les places fortes et les châteaux qu’il leur avait enlevés et à jurer de ne pas ressaisir ce qu’il rendait ; tandis que Charles, la guerre une fois commencée, n’abandonna la partie qu’après avoir obtenu la reddition du roi Didier, épuisé par un long siège, qu’après avoir forcé son fils Adelchis, en qui tous avaient placé leurs espoirs, à quitter non seulement le royaume, mais le sol de l’Italie[28], avoir enfin réduit le duc de Frioul Rodgaud révolté, subjugué l’Italie tout entière et y avoir installé son fils Pépin comme roi[29].

J’insisterais encore sur les difficultés qu’il eut à vaincre, lors de son entrée en Italie, pour franchir les Alpes, sur les efforts que coûtèrent aux Francs la traversée de ces montagnes inaccessibles, avec leurs pics dressés dans le ciel et leurs rochers abrupts, si je ne m’étais proposé dans le présent ouvrage de faire connaître plutôt la vie du roi que le détail de ses guerres. Il suffira de dire que celle-ci eut pour résultats la soumission de l’Italie, l’exil perpétuel du roi Didier, l’expulsion hors de la péninsule de son fils Adelchis, enfin la restitution au chef de l’Église romaine Hadrien des biens enlevés par les rois lombards.

[7.] Cette guerre terminée, l’on reprit celle de Saxe, qui avait pu sembler un moment interrompue[30]. Aucune ne fut plus longue, plus atroce, plus pénible pour le peuple franc. Car les Saxons, comme presque toutes les nations de Germanie, étaient d’un naturel féroce ; ils pratiquaient le culte des démons, se montraient ennemis de notre religion et ne voyaient rien de déshonorant à violer ou transgresser les lois divines ou humaines. Le tracé des frontières entre notre pays et le leur mettait, en outre, chaque jour la paix à la merci d’un incident : presque partout en plaine, sauf en quelques points où de grands bois et des montagnes forment une séparation nette, elles étaient le théâtre de scènes constantes de meurtres, de rapines et d’incendies, se répondant de part et d’autre. Les Francs finirent par en être tellement excédés que, jugeant désormais insuffisant de rendre coups pour coups, ils résolurent d’entamer une lutte ouverte[31].

La guerre fut donc déclarée. Elle fut menée des deux côtés avec une égale vigueur, quoique avec des pertes plus sérieuses chez les Saxons que chez les Francs, et se poursuivit pendant trente-trois années consécutives[32]. Elle eût pu finir plus vite n’eût été la perfidie[33] des Saxons. Il est difficile de dire combien de fois, vaincus et suppliants[34], ils se rendirent au roi, combien de fois ils promirent de faire ce qu’on exigeait d’eux, combien de fois ils livrèrent sans délai les otages qu’on leur réclamait[35], combien d’ambassades ils reçurent, domptés à de certains moments et assez affaiblis pour se déclarer prêts à abandonner le culte des démons et à se soumettre à la religion chrétienne[36]. Mais s’ils se montraient parfois enclins à céder, ils étaient toujours prompts à renier leurs engagements, au point qu’on ne saurait dire lequel des deux ils faisaient avec le plus de facilité ; et de fait, à compter du début de la guerre, il ne se passa pour ainsi dire pas d’année sans pareille trahison de leur part.

Mais leur manque de foi ne put avoir raison de la grandeur d’âme du roi ni de sa constance dans la bonne comme dans la mauvaise fortune ; elle ne put le décider à lâcher prise ; et il ne laissa jamais passer aucun acte de ce genre sans se venger de leur perfidie et leur imposer un juste châtiment soit en marchant contre eux lui-même, soit en envoyant contre eux des troupes commandées par ses comtes[37]. Ayant ainsi fini par triompher des plus intraitables et par les réduire à merci, il déporta, avec leurs femmes et leurs enfants, dix mille de ceux qui habitaient sur les deux rives de l’Elbe et les dispersa par petits groupes à travers la Gaule et la Germanie[38]. Et l’on sait que la guerre, après tant d’années de luttes, ne s’acheva que lorsque les Saxons eurent accepté les conditions imposées par le roi : abandon du culte des démons et des cérémonies nationales, adoption de la foi et des sacrements de la religion chrétienne, fusion avec le peuple franc en un peuple unique.

[8.] Au cours de cette guerre, malgré sa longue durée, Charles ne livra en personne que deux fois bataille à l’ennemi[39] : la première fois, près du mont Osning, au lieu dit Detmold ; la seconde fois sur les bords de la Haase[40]. Les deux batailles furent d’ailleurs livrées le même mois[41] et à peu de jours d’intervalle ; et le désastre des ennemis fut tel qu’ils n’osèrent plus désormais ni provoquer le roi ni résister en rase campagne aux armées qu’il commandait. Cette guerre n’en coûta pas moins la mort à plus d’un représentant de la noblesse franque comme de la noblesse saxonne et même à quelques-uns de ceux qui occupaient les plus hautes charges[42]. Elle s’acheva enfin au bout de trente-trois ans, durant lesquels tant et de si grandes guerres éclatèrent dans les diverses parties du monde contre les Francs et furent conduites par le roi avec tant d’habileté qu’on ne sait ce qu’il faut le plus admirer ou de son endurance ou de sa bonne fortune. Car, quoique la guerre de Saxe, commencée deux ans avant celle d’Italie[43], ait été poursuivie sans arrêt[44], aucune de celles qui durent être menées ailleurs ne fut cependant abandonnée et nulle part les combats, souvent aussi rudes, où l’on se trouvait engagé ne furent interrompus.

C’est que le roi, qui dépassait en sagesse et en grandeur d’âme tous les souverains de son temps, ne recula jamais devant aucun labeur ni devant aucun danger pour assurer la réussite d’une entreprise : ayant appris à s’accommoder aux circonstances, il savait résister à l’adversité ou éviter, quand la fortune lui souriait, de se laisser gagner à ses séductions.

[9.] Tandis que l’on se battait assidûment et presque sans interruption contre les Saxons, Charles, ayant placé aux endroits convenables des garnisons le long des frontières, attaqua l’Espagne avec toutes les forces dont il disposait[45]. Il franchit les Pyrénées, reçut la soumission de toutes les places et de tous les châteaux qu’il rencontra sur sa route[46] et rentra sans que son armée eût subi aucune perte, à ceci près que, dans la traversée même des Pyrénées, il eut, au retour, l’occasion d’éprouver quelque peu la perfidie basque[47] : comme son armée cheminait étirée en longues files, ainsi que l’exigeait l’étroitesse du passage, des Basques, placés en embuscade — car les bois épais qui abondent en cet endroit[48] sont favorables aux embuscades — dévalèrent du haut des montagnes et jetèrent dans le ravin les convois de l’arrière ainsi que les troupes qui couvraient la marche du gros de l’armée[49] ; puis, engageant la lutte, ils les massacrèrent jusqu’au dernier homme, firent main basse sur les bagages et finalement se dispersèrent avec une extrême rapidité à la faveur de la nuit qui tombait. Les Basques avaient pour eux, en cette circonstance, la légèreté de leur armement et la configuration du terrain, tandis que les Francs étaient desservis par la lourdeur de leurs armes[50] et leur position en contre-bas. Dans ce combat furent tués le sénéchal Eggihard[51], le comte du palais Anselme[52] et Roland, duc de la marche de Bretagne[53], ainsi que plusieurs autres. Et ce revers ne put être vengé sur-le-champ parce que les ennemis, le coup fait, se dispersèrent si bien que nul ne put savoir en quel coin du monde il eût fallu les chercher.

[10.] Charles triompha aussi des Bretons, qui habitent à l’Occident, à l’une des extrémités de la Gaule, sur les bords de l’Océan. Comme ils refusaient de lui obéir, il envoya chez eux une armée qui les contraignit à livrer des otages et à promettre de faire ce qu’on leur commanderait[54].

Entrant ensuite à la tête de ses troupes en Italie[55], il traversa Rome et s’avança jusqu’à Capoue, en Campanie, d’où il exigea, sous menace de guerre, la reddition des Bénéventains. Leur duc Arichis prévint cette menace en envoyant à la rencontre du roi, avec une forte somme d’argent, ses fils Romoald et Grimoald, qu’il offrait comme otages, et en promettant sa soumission et celle de son peuple, à cette réserve près qu’il serait personnellement dispensé de comparaître[56]. Sans s’arrêter à cette marque d’obstination, le roi, dans l’intérêt du peuple[57], accepta les otages qui lui étaient offerts et, par faveur spéciale, dispensa Arichis de venir lui-même faire acte de soumission ; puis, gardant comme otage un seul de ses fils, le plus jeune, il renvoya l’aîné à son père, en le faisant accompagner de quelques-uns de ses représentants chargés de réclamer et de recueillir les serments de fidélité des Bénéventains. Après quoi, il retourna à Rome, y passa quelques jours à faire ses dévotions aux lieux saints et de là rentra en Gaule.

[11.] Sur ce, la guerre éclata brusquement en Bavière, mais fut promptement terminée[58]. La superbe et la sottise du duc Tassilon en furent cause. Poussé par sa femme, qui était fille du roi Didier et qui pensait pouvoir, par son mari, venger l’exil de son père, il avait fait alliance avec les Huns, voisins des Bavarois du côté de l’Orient, et, non content de refuser l’obéissance, avait adopté une attitude de provocation. Son arrogance était trop grande pour pouvoir être tolérée : rassemblant ses troupes, le roi se dirigea sur la Bavière et atteignit, à la tête d’une forte armée, les rives du Lech, qui sépare les Bavarois des Alamans. Il y établit son camp et décida, avant de pénétrer dans la province, d’envoyer au duc des parlementaires pour sonder ses intentions. Et celui-ci, voyant bien que, ni pour lui ni pour son peuple, il ne serait avantageux de braver le roi, alla implorer sa clémence, livra les otages qu’il lui réclamait, entre autres son fils Théodon, et prêta en outre serment de ne plus écouter aucune incitation à la révolte. C’est ainsi qu’une guerre, qui s’annonçait comme particulièrement grave, fut arrêtée avec une extrême rapidité.

Plus tard Tassilon, ayant été mandé en présence du roi, se vit refuser l’autorisation de rentrer dans sa province, dont le gouvernement fut désormais confié, non plus à un duc, mais à des comtes.

[12.] Cette affaire ainsi réglée, la guerre fut portée chez les Slaves que nous appelons Wilzes, mais dont le vrai nom, en leur langue, est « Wélatabes »[59]. Les Saxons y participèrent, mêlés aux troupes auxiliaires d’autres nations qui suivaient fidèlement les étendards du roi[60], quoique leur obéissance, à eux, fût feinte et plus ou moins sûre. La guerre avait pour cause les incursions perpétuelles auxquelles les Wélatabes se livraient sur les terres des Abodrites, jadis alliés des Francs[61], et l’impossibilité d’y mettre un terme sans recourir aux armes.

Depuis l’Océan occidental, s’étend vers l’est, sur une longueur inconnue, mais sur une largeur qui nulle part n’excède cent mille pas et qui souvent est moindre[62], une mer sur le pourtour de laquelle vivent de nombreuses nations. Les Danois et les Suédois, que nous appelons Normands, en occupent les rives septentrionales et toutes les îles, tandis que les rives orientales sont habitées par les Slaves, les Esthes, et d’autres peuples parmi lesquels se distinguent surtout ces Wélatabes chez qui le roi porta alors la guerre.

Une seule campagne, qu’il commanda en personne, suffit à les vaincre et à les écraser si bien que dès lors ils n’osèrent plus refuser l’obéissance[63].

[13.] À cette guerre succéda la plus importante de toutes celles que fit Charles, la guerre de Saxe exceptée : je veux parler de celle qu’il entreprit contre les Avars ou Huns[64]. Il y mit plus d’ardeur et y consacra des moyens bien plus puissants qu’à aucune autre. Il ne dirigea cependant lui-même qu’une seule campagne dans leur pays, la Pannonie, et chargea de la conduite des autres son fils Pépin et des gouverneurs de provinces, voire des comtes ou des missi. Menée par eux avec beaucoup d’énergie, la guerre demanda huit années d’efforts[65].

Ce qu’elle nécessita de combats, de sang versé, c’est ce qu’attestent encore aujourd’hui la Pannonie, vide de tout habitant, et l’emplacement de l’ancien palais du khagan[66], devenu un désert d’où a disparu jusqu’à la trace de toute habitation humaine. La noblesse des Huns périt tout entière au cours de la lutte, toute leur gloire y sombra ; tout leur argent, leurs trésors, amassés au cours des âges, tombèrent aux mains des Francs ; pas une guerre, de mémoire d’homme, ne rapporta à ces derniers un pareil butin et un pareil accroissement de richesses : eux qui jusque-là pouvaient presque passer pour pauvres, ils trouvèrent dans le palais du khagan tant d’or et tant d’argent, tant de dépouilles précieuses conquises par la force des armes, qu’on ne se tromperait guère en disant que ce fut une juste reprise de ce que les Huns avaient injustement enlevé aux autres peuples[67].

Du côté des Francs, deux seulement des grands périrent : Éric, duc de Frioul, tombé en Liburnie, près de la cité maritime de Tersatto, dans une embuscade préparée par les habitants de cette place, et Gérold, gouverneur de Bavière[68], frappé en Pannonie de la main d’un inconnu, avec deux hommes qui l’escortaient seuls, au moment où, rangeant son armée en bataille, il chevauchait pour exhorter les siens avant d’engager un combat contre les Huns. Le reste de cette guerre s’écoula presque sans pertes du côté franc et eut l’issue la plus heureuse, quoique, à raison de l’effort à fournir, elle ait demandé beaucoup de temps.

C’est après son achèvement que celle de Saxe reçut une conclusion en rapport avec sa longue durée ; et quant à celles qui éclatèrent ensuite contre les Bohémiens et contre les Linons, elles furent vite terminées toutes deux sous la conduite de Charles le Jeune[69].

[14.] La dernière guerre fut dirigée contre les Normands nommés Danois, qui, après s’être d’abord livrés à la piraterie, venaient, avec des flottes plus nombreuses, dévaster les côtes de la Gaule et de la Germanie[70]. Leur roi Godefrid était plein du fol espoir de placer toute la Germanie sous sa domination ; il traitait aussi la Frise et la Saxe comme des provinces de ses États. Et déjà il avait réduit en son pouvoir ses voisins les Abodrites et les avait contraints à lui payer tribut ; il se flattait même d’arriver bientôt en forces à Aix, où était la cour du roi. Et, loin de refuser absolument tout crédit à ces vantardises, on s’attendait à le voir faire quelque tentative de ce genre, lorsqu’une mort soudaine l’en empêcha : il fut tué par un de ses gardes du corps, et sa disparition précipita la fin de la lutte[71].

[15.] Telles sont les guerres que ce roi tout puissant, au cours des quarante-sept années de son règne, fit dans les diverses parties du monde avec autant de prudence que de bonheur. Aussi le royaume des Francs, que son père Pépin lui avait transmis déjà vaste et fort, sortit-il de ses mains glorieuses accru de près du double[72]. Avant lui, en effet, ce royaume, abstraction faite du pays des Alamans et de celui des Bavarois, qui en formaient une dépendance, comprenait seulement la partie de la Gaule sise entre le Rhin, la Loire, l’Océan[73] et la mer Baléare et la partie de la Germanie habitée par les Francs dits Orientaux, entre la Saxe, le Danube, le Rhin et la Saale, qui sépare le pays des Thuringiens de celui des Sorabes. À la suite des guerres que nous venons de rappeler, il y annexa l’Aquitaine[74], la Gascogne[75], toute la chaîne des Pyrénées et le pays jusqu’à l’Èbre, qui, né en Navarre et après avoir coupé les plaines les plus fertiles de l’Espagne, se jette dans la mer Baléare sous les murs de la cité de Tortosa[76] ; il y ajouta toute l’Italie[77], qui, d’Aoste jusqu’à la Calabre inférieure, où se trouve la frontière entre les Grecs et les Bénéventains, s’étend sur une longueur de plus d’un million de pas[78] ; il y joignit la Saxe, qui forme une grande partie de la Germanie, où elle occupe un espace d’une longueur qui peut être égale à celui qu’y occupent les Francs, et d’une largeur qu’on estime au double ; il y joignit encore les deux Pannonies, la Dacie (sur l’autre rive du Danube), l’Istrie, la Liburnie, la Dalmatie, à l’exception des cités maritimes qu’il abandonna à l’empereur de Constantinople en gage d’amitié et d’alliance[79] ; et enfin, entre le Rhin, la Vistule, l’Océan et le Danube, il dompta et soumit au tribut tous les peuples barbares et sauvages de Germanie, qui se ressemblent par leur langage, encore qu’ils se différencient beaucoup par leurs mœurs et leur façon de vivre, et au premier rang desquels on peut placer les Wélatabes, les Sorabes, les Abodrites, les Bohémiens, contre qui il fut en guerre, tandis que les autres, en bien plus grand nombre, faisaient d’eux-mêmes leur soumission.

[16.] Il accrut, d’autre part, la gloire de son royaume en se conciliant l’amitié de plusieurs rois et de plusieurs peuples[80].

Il s’attacha, par exemple, si étroitement Alfonse, roi de Galice et d’Asturie, que celui-ci, quand il lui envoyait des lettres ou des ambassades, tenait à ce qu’on le nommât toujours « l’homme » du roi franc[81].

De même, les rois des Scots[82], gagnés par sa munificence, furent à sa dévotion au point de ne l’appeler jamais que leur seigneur et de se dire toujours ses sujets et ses serfs. Des lettres qu’ils lui envoyèrent subsistent, qui attestent leurs sentiments à son égard[83].

Avec le roi de Perse Aaron[84], de qui dépendait presque tout l’Orient, sauf l’Inde, les rapports furent si cordiaux que celui-ci attachait plus de prix à ses bonnes grâces qu’à l’amitié de tous les rois et de tous les princes du reste du monde et n’avait d’attentions et de munificences que pour lui. Et il le lui prouva bien lorsque, recevant ses représentants, qui étaient venus le saluer, après avoir été de la part de leur maître porter des offrandes au très saint Sépulcre et sur les lieux de la résurrection, non content d’acquiescer à toutes les demandes qu’ils lui présentaient, il renonça au profit de Charles à la domination sur ces lieux sanctifiés par le mystère de la Rédemption[85] et fit accompagner les envoyés francs sur le chemin du retour par une ambassade chargée pour leur souverain de présents considérables — tissus, aromates et autres richesses des pays d’Orient — qui venaient s’ajouter à celui dont il l’avait déjà gratifié quelques années plus tôt en lui expédiant, pour répondre à son désir, l’unique éléphant dont il disposât alors[86].

De même encore, Charles reçut de fréquentes ambassades[87] des empereurs de Constantinople, Nicéphore, Michel et Léon, qui spontanément sollicitaient son amitié et son alliance[88]. Mais comme, en prenant le titre d’empereur, il s’était rendu suspect à leurs yeux de vouloir leur arracher l’empire[89], il conclut avec eux un solide traité, afin de faire disparaître toute cause de conflit. La puissance des Francs inquiétait en effet toujours les Romains et les Grecs, comme l’atteste encore ce dicton : « Τὸν Φράνκον φίλον ἔχεις · γείτονα οὐκ ἔχεις » (« Si tu as le Franc comme ami, c’est que tu ne l’as pas comme voisin[90] »).

[17.] Mais si grande qu’ait été l’œuvre de Charles comme conquérant et quel que soit le temps qu’il ait consacré à soumettre les peuples étrangers, il n’en entama pas moins en divers lieux un grand nombre de travaux d’embellissement ou d’utilité publique et il en acheva quelques-uns[91]. Ceux qu’on peut considérer comme les plus remarquables sont la superbe basilique de la sainte Mère de Dieu à Aix et le pont du Rhin à Mayence, d’une longueur de cinq cents pas, — ce pont qui brûla malencontreusement un an avant sa mort[92], trop tard pour qu’il ait pu le rebâtir, bien qu’il songeât à le refaire en employant cette fois de la pierre au lieu de bois.

Il commença aussi la construction de deux beaux palais : l’un non loin de Mayence et près du domaine d’Ingelheim ; l’autre à Nimègue, sur le Waal — cette rivière qui longe la rive méridionale de l’île des Bataves[93]. Mais surtout il prescrivit aux évêques et aux prélats à qui incombait ce soin de restaurer dans toute l’étendue de son royaume les églises qui tombaient en ruines et veilla par l’intermédiaire de ses missi à ce que ses ordres fussent exécutés[94].

Il forma aussi une flotte pour lutter contre les Normands[95]. Il fit à cet effet construire des vaisseaux près des fleuves qui, en Gaule et en Germanie, se jettent dans l’Océan septentrional ; et comme les Normands assaillaient sans cesse et pillaient le littoral de la Gaule et de la Germanie, il plaça des sentinelles et des postes de garde dans tous les ports et à toutes les embouchures de fleuves où des navires semblaient pouvoir pénétrer, afin d’empêcher l’ennemi d’échapper. Au sud, sur les côtes de la province Narbonnaise et de la Septimanie et tout le long des côtes d’Italie jusqu’à Rome, il prit les mêmes mesures contre les Maures, qui se mettaient, à leur tour, à exercer la piraterie. Le résultat fut que, de son vivant, tout grave dommage fut épargné à l’Italie de la part des Maures et à la Gaule et à la Germanie de la part des Normands, exception faite de Centumcellae[96], en Étrurie, qui, grâce à une trahison, fut prise et pillée par les Maures, et de quelques îles de Frise proches du littoral germanique, qui furent ravagées par les Normands.

[18.] Tel fut son rôle pour la défense, l’accroissement et aussi l’embellissement du royaume. Je parlerai maintenant de ses qualités morales, de son extraordinaire constance dans toutes les conjonctures heureuses ou malheureuses et, d’une façon générale, de tout ce qui touche à sa vie privée et intime[97].

Quand, après la mort de son père, il gouverna le royaume de moitié avec son frère, il endura avec une telle patience[98] la haine et la jalousie de ce dernier[99] que tous furent surpris de ne le voir même pas s’emporter contre lui.

Ensuite[100], sur les conseils de sa mère, il épousa la fille du roi des Lombards Didier[101]. Il la répudia au bout d’un an[102], on ne sait pourquoi, et se maria avec Hildegarde, une Souabe de haute noblesse[103]. Il en eut trois fils, Charles, Pépin et Louis, et autant de filles, Rotrude, Berthe et Gile[104]. Il eut trois autres filles encore, Théodrade, Hiltrude et Rothaïde, les deux premières de son épouse Fastrade, une Germaine de la race des Francs Orientaux[105], la troisième d’une concubine dont le nom m’échappe présentement. Fastrade étant décédée[106], il épousa l’Alamanne Liutgarde, dont il n’eut pas d’enfants. Après la mort de celle-ci[107], il eut quatre concubines : Madelgarde, qui lui donna une fille nommée Rotilde ; Gervinde, une Saxonne, dont lui naquit une fille nommée Adeltrude ; Reine, qui lui donna Drogon et Hugue ; et Adelinde, dont il eut Thierri.

Sa mère[108], Bertrade, vieillit auprès de lui environnée d’honneur ; car il était à son égard si plein de respect qu’il ne s’éleva jamais entre eux le moindre dissentiment, sauf lorsqu’il divorça d’avec la fille du roi Didier qu’elle l’avait engagé à prendre pour femme. Elle finit par mourir après le décès d’Hildegarde[109], ayant déjà pu voir dans la maison de son fils trois petits-fils et autant de petites-filles. Il la fit inhumer en grande pompe dans la basilique de Saint-Denis, où repose aussi son père.

Il n’avait qu’une sœur, nommée Gile, vouée à la vie religieuse depuis sa jeunesse et qu’il entoura de la même affection que sa mère. Elle mourut peu d’années avant lui dans le monastère[110] où sa vie s’était écoulée.

[19.] Il voulut[111] que ses enfants, les garçons comme les filles, fussent d’abord initiés aux arts libéraux, à l’étude desquels il s’appliquait lui-même ; puis à ses fils, l’âge venu, il fit apprendre à monter à cheval, suivant la coutume franque, à manier les armes et à chasser ; quant à ses filles, pour leur éviter de s’engourdir dans l’oisiveté, il les fit exercer au travail de la laine ainsi qu’au maniement de la quenouille et du fuseau et leur fit enseigner tout ce qui peut former une honnête femme.

De tous ses enfants, il ne perdit que deux fils et une fille[112] : Charles, l’aîné[113] ; Pépin, qu’il avait fait roi d’Italie[114] ; enfin Rotrude, la plus âgée de ses filles[115], qui avait été fiancée à l’empereur grec Constantin[116]. Pépin laissa un fils — Bernard — et cinq filles — Adélaïde, Atula, Gondrade, Berthaïde, Théodrade — auxquels le roi témoigna son affection en décidant que le fils succéderait au défunt[117] et que les filles seraient élevées avec les siennes propres. Il supporta la mort de ses fils et de sa fille avec moins de résignation qu’on n’eût attendu de son extraordinaire force d’âme[118] : son cœur était si bon qu’il ne put s’empêcher de fondre en larmes.

De même, quand on lui annonça le décès du pontife romain Hadrien[119], son ami de prédilection, il pleura comme s’il avait perdu un frère ou un fils chéri. Car, en amitié, il était parfaitement équilibré : se donnant facilement[120], d’une fidélité à toute épreuve, vouant à ceux avec qui il s’était lié l’affection la plus sacrée.

Il prit de l’éducation de ses fils et de ses filles un tel soin[121] que, chez lui, il ne soupait jamais sans eux et que, sans eux, il ne se mettait jamais en route. Ses fils chevauchaient à ses côtés ; ses filles suivaient avec le dernier escadron des gardes du corps spécialement chargés de veiller sur elles.

Comme elles étaient très belles et qu’il les aimait beaucoup, il n’en voulut — on peut s’en étonner — donner aucune en mariage à qui que ce fût, pas plus à quelqu’un des siens qu’à un étranger[122] ; il les garda toutes auprès de lui dans sa maison jusqu’à sa mort, disant qu’il ne pouvait se passer de leur société. Et, heureux par ailleurs, il dut à cette conduite d’éprouver la malignité du sort[123]. Mais il dissimula son infortune comme si rien n’en avait transpiré, pas même le soupçon du moindre déshonneur[124].

[20.] Il avait eu d’une concubine[125] un fils nommé Pépin, dont je n’ai pas encore parlé, agréable de figure, mais bossu[126]. Simulant une maladie, tandis que son père, en lutte avec les Huns, hivernait en Bavière, il complota contre lui avec quelques Francs de la noblesse, qui l’avaient gagné à leur cause en lui promettant la couronne. Ces manœuvres ayant été découvertes et les rebelles ayant été condamnés, le roi l’autorisa à recevoir la tonsure au couvent de Prüm et, selon le désir qu’il avait exprimé, à s’y consacrer à la vie religieuse[127].

Antérieurement[128], un autre dangereux complot avait éclaté contre le roi en Germanie. Quelques-uns des auteurs en furent punis par la perte de la vue, d’autres s’en tirèrent sans peines corporelles, tous furent envoyés en exil ; mais aucun ne fut mis à mort, sauf trois d’entre eux qui, se défendant les armes à la main pour éviter d’être pris, et ayant même ainsi fait quelques victimes, furent tués faute de pouvoir être maîtrisés autrement.

De ces complots, la cruauté de la reine Fastrade fut, croit-on, la cause initiale[129] : si l’on conspira, dans les deux cas, contre le roi, c’est parce que, pour satisfaire la cruauté de son épouse, il était, semblait-il, terriblement sorti de sa bonté naturelle et de sa mansuétude coutumière. Sans quoi, tout le reste de sa vie, chez lui ou au dehors, il sut si bien se concilier la sympathie et l’affection de tous que nul ne lui fit jamais le moindre reproche d’une injuste violence.

[21.] Il aimait les étrangers et les accueillait avec beaucoup d’égards. Aussi leur nombre fut-il tel bientôt qu’on put trouver, non sans raison, qu’ils constituaient une lourde charge non seulement pour le palais, mais pour le royaume[130]. Mais il avait assez de grandeur d’âme pour ne pas s’en montrer affecté et pour trouver dans la réputation de largesse et le bon renom que cette attitude lui valait une compensation à tous ses ennuis.

[22.] D’une large et robuste carrure, il était d’une taille élevée, sans rien d’excessif d’ailleurs[131], car il mesurait sept pieds de haut[132]. Il avait le sommet de la tête arrondi, de grands yeux vifs[133], le nez un peu plus long que la moyenne[134], de beaux cheveux blancs, la physionomie gaie et ouverte. Aussi donnait-il, extérieurement, assis comme debout, une forte impression d’autorité et de dignité[135]. On ne remarquait même pas que son cou était gras et trop court et son ventre trop saillant[136], tant étaient harmonieuses les proportions de son corps[137]. Il avait la démarche assurée, une allure virile. La voix était claire, sans convenir cependant tout à fait à son physique. Doté d’une belle santé, il ne fut malade que dans les quatre dernières années de sa vie, où il fut pris de fréquents accès de fièvre[138] et finit même par boiter[139]. Mais il n’en faisait guère alors qu’à sa tête, au lieu d’écouter l’avis de ses médecins[140], qu’il avait pris en aversion parce qu’ils lui conseillaient de renoncer aux mets rôtis auxquels il était habitué et d’y substituer des mets bouillis.

Il s’adonnait assidûment à l’équitation et à la chasse. C’était un goût qu’il tenait de naissance, car il n’y a peut-être pas un peuple au monde qui, dans ces exercices, puisse égaler les Francs. Il aimait aussi les eaux thermales et s’y livrait souvent au plaisir de la natation, où il excellait au point de n’être surpassé par personne. C’est ce qui l’amena à bâtir un palais à Aix et à y résider constamment dans les dernières années de sa vie. Quand il se baignait, la société était nombreuse : outre ses fils, ses grands, ses amis et même de temps à autre la foule de ses gardes du corps étaient conviés à partager ses ébats et il arrivait qu’il y eût dans l’eau avec lui jusqu’à cent personnes ou même davantage[141].

[23.] Il portait le costume national[142] des Francs : sur le corps, une chemise et un caleçon de toile de lin ; par-dessus, une tunique bordée de soie et une culotte ; des bandelettes autour des jambes et des pieds ; un gilet en peau de loutre ou de rat lui protégeait en hiver les épaules et la poitrine[143] ; il s’enveloppait d’une saie bleue et avait toujours suspendu au côté un glaive dont la poignée et le baudrier étaient d’or ou d’argent. Parfois il ceignait une épée ornée de pierreries, mais seulement les jours de grandes fêtes ou quand il avait à recevoir des ambassadeurs étrangers. Mais il dédaignait les costumes des autres nations, même les plus beaux, et, quelles que fussent les circonstances, se refusait à les mettre. Il ne fit d’exception qu’à Rome où, une première fois à la demande du pape Hadrien et une seconde fois sur les instances de son successeur Léon, il revêtit la longue tunique et la chlamyde et chaussa des souliers à la mode romaine. Les jours de fête, il portait un vêtement tissé d’or, des chaussures décorées de pierreries, une fibule d’or pour agrafer sa saie, un diadème du même métal et orné lui aussi de pierreries ; mais les autres jours, son costume différait peu de celui des hommes du peuple ou du commun[144].

[24.] Il se montrait sobre de nourriture et de boisson[145], surtout de boisson : car l’ivresse, qu’il proscrivait tant chez lui que chez les siens, lui faisait horreur chez qui que ce fût. Pour la nourriture, il lui était difficile de se limiter autant, et il se plaignait même souvent d’être incommodé par les jeûnes.

Il banquetait très rarement[146], et seulement aux grandes fêtes, mais alors en nombreuse compagnie. Normalement, le dîner[147] ne se composait que de quatre plats[148], en dehors du rôti que les veneurs avaient l’habitude de mettre à la broche et qui était son plat de prédilection. Pendant le repas, il écoutait un peu de musique[149] ou quelque lecture. On lui lisait l’histoire et les récits de l’antiquité. Il aimait aussi se faire lire les ouvrages de saint Augustin et, en particulier, celui qui est intitulé : La cité de Dieu.

Il était si sobre de vin et de toute espèce de boisson qu’il buvait rarement plus de trois fois par repas[150]. L’été, après le repas de midi, il prenait quelques fruits, se versait une fois à boire, puis, se déshabillant et se déchaussant comme il faisait la nuit, il se reposait deux ou trois heures[151]. La nuit, son sommeil était interrompu à quatre ou cinq reprises, et non seulement il se réveillait, mais il se levait chaque fois[152].

Tandis qu’il se chaussait et s’habillait, il recevait diverses personnes en dehors de ses amis[153]. Si le comte du palais lui signalait un procès qui réclamait une décision de sa part, il faisait aussitôt introduire les plaideurs et, comme s’il eût été au tribunal, écoutait l’exposé de l’affaire et prononçait la sentence[154]. C’était aussi le moment où il réglait le travail de chaque service et donnait ses ordres.

[25.] Il parlait avec abondance et facilité et savait exprimer tout ce qu’il voulait avec une grande clarté[155]. Sa langue nationale ne lui suffit pas : il s’appliqua à l’étude des langues étrangères et apprit si bien le latin qu’il s’exprimait indifféremment en cette langue ou dans sa langue maternelle. Il n’en était pas de même du grec, qu’il savait mieux comprendre que parler[156]. Au surplus, il avait une aisance de parole qui confinait presque à la prolixité[157]. Il cultiva passionnément les arts libéraux[158] et, plein de vénération pour ceux qui les enseignaient, il les combla d’honneurs. Pour l’étude de la grammaire, il suivit les leçons du diacre Pierre de Pise, alors dans sa vieillesse[159] ; pour les autres disciplines, son maître fut Alcuin, dit Albinus, diacre lui aussi, un Saxon originaire de Bretagne[160], l’homme le plus savant qui fût alors. Il consacra beaucoup de temps et de labeur à apprendre auprès de lui la rhétorique, la dialectique et surtout l’astronomie. Il apprit le calcul et s’appliqua avec attention et sagacité à étudier le cours des astres[161]. Il s’essaya aussi à écrire et il avait l’habitude de placer sous les coussins de son lit des tablettes et des feuillets de parchemin, afin de profiter de ses instants de loisir pour s’exercer à tracer des lettres ; mais il s’y prit trop tard et le résultat fut médiocre.

[26.] Il pratiqua scrupuleusement et avec la plus grande ferveur la religion chrétienne[162], dont il avait été imbu dès sa plus tendre enfance. Aussi construisit-il à Aix une basilique d’une extrême beauté, qu’il orna d’or et d’argent et de candélabres, ainsi que de balustrades et de portes en bronze massif[163] ; et, comme il ne pouvait se procurer ailleurs les colonnes et les marbres nécessaires à sa construction, il en fit venir de Rome et de Ravenne[164].

Il ne manquait pas, quand il était bien portant, de se rendre à cette église matin et soir ; il y retournait pour l’office de nuit et pour la messe[165]. Il veillait avec sollicitude à ce que tout s’y passât avec la plus grande décence, et bien souvent il recommandait aux sacristains d’interdire qu’on y apportât ou laissât rien de malpropre ou d’indigne de la sainteté du lieu. Il la pourvut largement de vases sacrés d’or et d’argent et d’une quantité suffisante de vêtements sacerdotaux pour que nul — pas même les « portiers », qui sont au dernier échelon de la hiérarchie ecclésiastique[166] — ne se trouvât dans la nécessité d’y exercer son ministère en costume privé.

Il s’employa aussi avec beaucoup de diligence à corriger la façon de « lire » et de psalmodier[167], étant lui-même très expert en la matière, quoiqu’il ne « lût » point en public et qu’il ne chantât qu’à mi-voix et avec le reste de l’assistance.

[27.] Empressé à secourir les pauvres et à faire ces largesses désintéressées que les Grecs appellent « aumônes » (ἐλεημοσύνη), il n’en usait pas ainsi seulement dans sa patrie et son royaume, mais il avait coutume d’envoyer de l’argent au delà des mers : en Syrie, en Égypte et en Afrique — à Jérusalem, Alexandrie et Carthage, où il avait appris que vivaient dans la pauvreté des chrétiens dont la détresse excitait sa compassion[168] ; et s’il rechercha l’amitié des rois d’outre-mer, ce fut surtout pour procurer aux chrétiens placés sous leur domination quelque soulagement et quelque réconfort.

Plus que tous les autres lieux saints et vénérables, l’église du bienheureux apôtre Pierre à Rome était l’objet de sa dévotion. Il consacra à la doter quantité d’or, d’argent et de pierres précieuses[169] ; il envoya aux pontifes de riches et innombrables présents ; et à aucun moment de son règne rien ne lui tint plus à cœur[170] que de travailler de tous ses moyens et de toutes ses forces à rétablir l’ancien renom de Rome et à assurer par sa générosité à l’église de saint Pierre, outre la sécurité et une protection, des ornements et une fortune qui la missent au-dessus de toutes les autres églises. Et cependant, malgré le cas qu’il en faisait, il n’y alla que quatre fois[171] au cours des quarante-sept années de son règne pour accomplir des vœux et faire ses dévotions.

[28.] Le dernier voyage qu’il y fit eut encore d’autres causes[172]. Les Romains ayant accablé de violences le pontife Léon — lui crevant les yeux et lui coupant la langue — l’avaient contraint à implorer le secours du roi. Venant donc à Rome pour rétablir la situation de l’Église, fort compromise par ces incidents, il y passa tout l’hiver. C’est alors qu’il reçut le titre d’empereur et « auguste ». Et il s’en montra d’abord si mécontent qu’il aurait renoncé, affirmait-il, à entrer dans l’église ce jour-là, bien que ce fût jour de grande fête, s’il avait pu connaître d’avance le dessein du pontife[173]. Il n’en supporta pas moins avec une grande patience la jalousie des empereurs romains[174], qui s’indignaient du titre qu’il avait pris et, grâce à sa magnanimité, qui l’élevait si fort au-dessus d’eux, il parvint, en leur envoyant de nombreuses ambassades et en leur donnant le nom de « frères » dans ses lettres[175], à vaincre finalement leur résistance.

[29.] Quand il eut pris le titre impérial, observant qu’il y avait dans les lois de son peuple de multiples lacunes — car les Francs ont deux lois, très différentes en plusieurs points — il songea à les compléter, à les faire concorder et en même temps à en corriger les erreurs et les fautes de rédaction[176] ; mais il ne mit pas son projet à exécution ou se contenta du moins d’insérer dans le texte, sans même les achever, un petit nombre d’articles additionnels[177]. Du moins fit-il recueillir et consigner par écrit les lois, transmises jusqu’alors par tradition orale, de tous les peuples placés sous sa domination[178].

Il fit transcrire aussi, pour que le souvenir ne s’en perdît pas, les très antiques poèmes barbares où étaient chantées l’histoire et les guerres des vieux rois. Il ébaucha, en outre, une grammaire de la langue nationale[179].

À tous les mois, il donna des noms de sa langue maternelle, tandis que jusqu’alors chez les Francs on les désignait les uns par leur nom latin, les autres par leur nom barbare ; il fit de même pour chacun des douze vents, dont quatre tout au plus pouvaient avant lui être désignés dans sa langue. Pour les mois, les noms choisis furent les suivants : janvier, wintarmanoth ; février, hornung ; mars, lentzinmanoth ; avril, ostarmanoth ; mai, winnemanoth ; juin, brachmanoth ; juillet, heuvimanoth ; août, aranmanoth ; septembre, witumanoth ; octobre, windumemanoth ; novembre, herbistmanoth ; décembre, heilagmanoth[180]. Pour les vents, il décida que le vent d’est serait appelé ostroniwint, celui du sud-est ostsundroni, celui du sud-sud-est sundostroni, celui du sud sundroni, celui du sud-sud-ouest sundwestroni, celui du sud-ouest westsundroni, celui d’ouest westroni, celui du nord-ouest westnordroni, celui du nord-nord-ouest nordwestroni, celui du nord nordroni, celui du nord-nord-est nordostroni, celui du nord-est ostnordroni[181].

[30.] À la fin de sa vie, comme il pliait déjà sous le poids de la maladie et de la vieillesse, il fit appeler auprès de lui le roi Louis d’Aquitaine, le seul fils qui lui restât de son mariage avec Hildegarde, et, en présence des grands de tout l’État franc, réunis en assemblée générale, sur le conseil de tous, il l’associa au gouvernement de l’ensemble du royaume et le désigna comme héritier du titre impérial ; puis, lui ayant placé le diadème sur la tête, il prescrivit de l’appeler désormais empereur et « auguste »[182]. Cette décision fut accueillie très favorablement par toute l’assistance ; car elle semblait inspirée par Dieu pour le bien du royaume. Sa majesté en fut encore accrue et les nations étrangères en éprouvèrent une grande terreur. Après quoi, il renvoya son fils en Aquitaine[183] et, quant à lui, malgré son âge, il partit, comme d’ordinaire, à la chasse aux environs de son palais d’Aix, employa ainsi la fin de l’automne, pour rentrer ensuite à Aix vers les calendes de novembre[184].

Comme il y passait l’hiver, il fut pris, au mois de janvier, d’une forte fièvre et dut s’aliter[185]. Tout de suite, comme il le faisait habituellement en cas de fièvre, il se mit à la diète, pensant pouvoir ainsi écarter la maladie ou tout au moins l’atténuer. Mais la fièvre se compliqua d’une douleur au côté — ce que les Grecs appellent pleurésie — et comme il continuait à observer la diète et ne soutenait plus son corps que par quelques rares boissons, le septième jour après s’être alité, ayant reçu la sainte communion, il mourut en sa soixante-douzième année et la quarante-septième de son règne, le cinq des calendes de février[186], à la troisième heure du jour[187].

[31.] Son corps, suivant le rite, une fois lavé et la toilette faite, fut porté à l’église[188] et inhumé au milieu de la désolation du peuple tout entier. On hésita d’abord pour le choix du lieu où il devait être déposé, car, de son vivant, il n’avait rien prescrit à ce sujet. Finalement, l’on s’accorda à reconnaître qu’aucun emplacement ne pouvait mieux convenir à sa tombe que la basilique qu’il avait construite lui-même et à ses frais à Aix pour l’amour de Dieu et de Notre Seigneur Jésus-Christ et en l’honneur de sa sainte mère, éternellement vierge. On l’y ensevelit le jour même de sa mort et l’on mit sa tombe sous une arcade dorée avec son portrait et une inscription[189], dont voici le texte :

SOUS CETTE PIERRE REPOSE LE CORPS
DE CHARLES, GRAND ET ORTHODOXE EMPEREUR,
QUI NOBLEMENT ACCRUT LE ROYAUME DES FRANCS
ET PENDANT XLVII ANNÉES LE GOUVERNA HEUREUSEMENT
MORT SEPTUAGÉNAIRE L’AN DU SEIGNEUR DCCC XIV,
INDICTION VII, LE V DES CALENDES DE FÉVRIER.

[32.] De nombreux présages[190] avaient marqué l’approche de sa fin, ne laissant aucun doute à personne — à lui-même pas plus qu’à nul autre — sur l’imminence de l’instant décisif[191].

Trois ans de suite, dans les derniers temps de sa vie, il y eut de fréquentes éclipses de soleil et de lune ; sept jours durant, on remarqua dans le soleil une tache de couleur noire[192]. Un portique que le roi avait fait bâtir à grand fort de matériaux entre la basilique et le palais s’écroula subitement de fond en comble le jour de l’Ascension du Seigneur[193]. Puis, le feu ayant pris par hasard au pont de bois qu’il avait jeté sur le Rhin à Mayence[194] — ce pont qui n’avait pas demandé moins de dix ans d’un rude labeur et qui était si admirablement construit qu’il semblait devoir durer éternellement[195] — l’incendie gagna si vite qu’au bout de trois heures, réserve faite de ce qui était recouvert par l’eau, tout était consumé et qu’il n’en restait pas une planche. Charles fut lui-même victime d’un accident significatif au cours de sa dernière expédition en Saxe contre le roi des Danois Godefrid[196].

Un jour qu’il avait quitté le camp et s’était mis en route avant le lever du soleil, il vit soudain une torche éblouissante descendre miraculeusement d’un ciel serein et traverser l’air de droite à gauche. Et comme l’on se demandait ce que présageait ce phénomène, le cheval qu’il montait baissa brusquement la tête et tomba en le précipitant à terre avec une telle violence que la fibule de son manteau se rompit et que le baudrier de son glaive fut arraché. Quand ses serviteurs, témoins de l’accident, se précipitèrent pour le relever, ils le trouvèrent sans armes, sans manteau, et l’on ramassa à au moins vingt pieds de distance un javelot qui lui avait échappé des mains au moment de sa chute.

À cela vinrent s’ajouter de fréquentes secousses qui ébranlèrent le palais d’Aix et des craquements continuels dans les plafonds[197] des pièces où il se tenait. Puis la foudre tomba sur la basilique où il fut plus tard enseveli[198], arrachant la pomme d’or qui surmontait le toit et la projetant sur la maison voisine, qui servait de résidence à l’évêque. D’autre part, il y avait dans la basilique, sur le pourtour de la portion de mur comprise entre les arcades du bas et celles de l’étage supérieur, une inscription en lettres rouges donnant le nom du fondateur de l’église. Au dernier vers, on lisait les mots : « … Karolus princeps » (« le prince Charles »). Or quelques personnes remarquèrent que l’année même de sa mort, quelques mois avant, les lettres du mot Princeps étaient tellement effacées qu’on ne pouvait plus les déchiffrer[199].

Mais d’aucun de ces présages le roi ne tint compte ; il les traita par le mépris ou affecta de croire qu’ils ne le visaient en rien.

[33.] Il avait résolu de faire un testament[200] aux termes duquel il eût institué en partie pour héritiers ses filles et les fils qu’il avait eus de ses concubines ; mais il s’y prit trop tard et ne put le terminer. Du moins procéda-t-l, trois ans avant de mourir[201], au partage de ses trésors, de sa fortune, de ses vêtements et de ses meubles, en présence de ses amis et de ses officiers ; il leur recommanda de veiller, après sa mort, au maintien de la répartition prévue et fit consigner par écrit les décisions prises au sujet de chaque lot.

Voici les dispositions et le texte de cet acte :

Au nom du Seigneur Dieu tout puissant, du Père, du Fils et du Saint-Esprit, voici la division et la répartition que le très glorieux et très pieux seigneur Charles, empereur auguste, l’an de l’incarnation de Notre Seigneur Jésus-Christ 811, 43e de son règne en France, 36e de son règne en Italie et l’an 11e de l’Empire, en la 4e indiction, par une pensée pieuse et sage et avec la grâce de Dieu, a décidé de faire de ses trésors et de l’argent qui, ce jour, a été trouvé dans sa chambre.

En y procédant, il a voulu non seulement assurer une distribution méthodique et raisonnable de sa fortune sous forme d’aumônes, suivant la tradition chrétienne, mais aussi et surtout mettre ses héritiers à même de connaître clairement et sans aucune ambiguïté ce qui doit leur revenir et de faire entre eux sans contestation ni dispute un partage équitable.

Conformément à cette intention et à ce dessein, il a commencé par diviser en trois toutes les sommes et les biens meubles qui, sous forme d’or, d’argent, de pierres précieuses ou d’ornements royaux, ont pu être trouvés ce jour, comme il a été dit, dans sa chambre. Il en a intégralement réservé un tiers ; puis il a subdivisé les deux autres tiers en vingt et une parts, ces vingt et une parts correspondant aux vingt et une cités métropolitaines comprises, comme on le sait, dans son royaume ; et il a décidé que remise devra être faite de chacune de ces parts à chacune des métropoles par ses héritiers et amis à titre d’aumône et que chacun des archevêques qui sera alors préposé au gouvernement des églises métropolitaines devra, après avoir pris livraison de son lot, le partager à son tour avec ses suffragants de la façon suivante : un tiers pour son église, les deux autres tiers divisés entre ses suffragants.

Les lots attribués aux vingt et une cités métropolitaines dans cette répartition des deux premiers tiers ont été mis séparément sous scellés et déposés dans son coffre[202] avec l’indication sur chacun d’eux du nom de la cité à laquelle il devra être remis. Les noms des métropoles qui devront recevoir ces aumônes ou largesses sont : Rome, Ravenne, Milan, Frioul[203], Grado, Cologne, Mayence, Juvavum (de son autre nom Salzbourg), Trêves, Sens, Besançon, Lyon, Rouen, Reims, Arles, Vienne, Tarantaise, Embrun, Bordeaux, Tours, Bourges.

Pour le tiers mis en réserve, il a décidé qu’il en serait fait l’usage suivant : à la différence des deux autres tiers répartis comme il a été dit et placés sous scellés, le troisième tiers, comprenant des biens dont aucun vœu n’a enlevé la libre disposition à son possesseur, sera affecté à ses besoins quotidiens tant qu’il sera en vie ou qu’il jugera en avoir besoin. Après sa mort ou son renoncement volontaire aux choses de ce monde, cette portion de ses biens sera subdivisée en quatre : un quart devant aller grossir les vingt et un lots précédemment indiqués ; un autre quart devant être remis à ses fils et filles et aux fils et filles de ses fils pour être partagé entre eux justement et raisonnablement ; le troisième quart devant, suivant la coutume chrétienne, être distribué aux pauvres ; le quatrième quart enfin devant, de la même manière, être donné en aumônes sous forme de secours aux serviteurs des deux sexes attachés aux services du palais.

À ce dernier tiers de l’ensemble de sa fortune, composé, comme les deux autres tiers, d’or et d’argent, il a décidé d’ajouter tous les vases et ustensiles d’airain, de fer ou d’autre métal, ses armes, ses vêtements et tous ses biens meubles, précieux ou d’usage courant, tels que courtines, couvertures, tapis, feutres, peaux, harnachements, et tout ce qui a été trouvé en ce jour dans sa chambre et son vestiaire, afin d’accroître d’autant les lots de cette portion et de permettre l’attribution de ses aumônes à un plus grand nombre de personnes.

En ce qui concerne les biens de la chapelle, c’est-à-dire du service ecclésiastique, il a résolu qu’ils resteraient intacts et ne seraient l’objet d’aucun partage, pas plus ceux qu’il a donnés et rassemblés lui-même que ceux qui proviennent de l’héritage paternel. Mais si l’on trouve des vases ou des livres ou d’autres ornements qu’il est constant qu’il n’a pas donnés, pourra les acheter qui voudra, à condition d’en verser un prix équitable ; de même, pour les livres dont il a rassemblé un grand nombre dans sa bibliothèque, il a décidé qu’ils pourront être vendus à qui voudra les acheter à leur juste prix, les sommes ainsi recueillies devant être distribuées aux pauvres.

Parmi ses trésors et ses richesses, on sait que figurent encore trois tables d’argent et une table d’or d’une taille et d’un poids considérables. Il a décidé et décrété que l’une d’elles, de forme quadrangulaire, sur laquelle est tracé le plan de la ville de Constantinople, sera, avec les autres offrandes prévues à cet effet, envoyée à Rome pour la basilique du bienheureux apôtre Pierre ; qu’une autre, de forme ronde, sur laquelle est représentée la ville de Rome, sera attribuée à l’évêché de Ravenne[204] ; la troisième, de beaucoup la plus belle et la plus lourde de toutes, sur laquelle est dessinée en traits fins et menus une carte du monde entier sous forme de trois cercles concentriques[205], et la table d’or, qui a été désignée comme la quatrième, devront venir s’ajouter à celle des trois portions dont le partage est prévu entre les héritiers et les bénéficiaires d’aumônes.

Ces décisions et dispositions ont été prises et arrêtées en présence des évêques, abbés et comtes qui ont pu se trouver là et dont les noms suivent :

Évêques[206] : Hildebald, Ricolf, Arn, Wolfar, Bernoin, Laidrad, Jean, Théodulf, Jessé, Heiton, Waltgaud.

Abbés[207] : Fridugis, Adalung, Angilbert, Irminon.

Comtes[208] : Walah, Meginher, Otulf, Étienne, Unroc, Burchard, Meginhard, Hatton, Ricouin, Edo, Erchanger, Gerold, Bero, Hildegern, Rocolf.

Cet acte ayant été présenté à Louis, fils de Charles et son successeur par la volonté divine, celui-ci s’est employé aussitôt après la mort de son père et dans les plus courts délais à en faire exécuter scrupuleusement tous les articles[209].


  1. Un usage immémorial voulait que le souverain accueillît auprès de lui et fît « nourrir » à ses frais, comme on disait, des jeunes gens de bonne famille ou qui s’étaient distingués dans leurs études. Ces « nourris », qui arrivaient à la cour au sortir de l’école, c’est-à-dire en général vers douze ou treize ans, se formaient sous les yeux du roi à la carrière des armes et à la vie politique, constituant une pépinière où se recrutaient ensuite les hauts fonctionnaires de l’administration. Cf. Guilhiermoz, Essai sur l’origine de la noblesse en France au moyen âge (1902), p. 424-431.
  2. Le ton et le style de cette préface donnent à penser qu’Éginhard s’est inspiré d’un modèle classique — peut-être de la préface, aujourd’hui perdue, que Suétone avait écrite pour ses Vies des Césars, que le biographe de Charlemagne a par ailleurs si souvent démarquées.
  3. Sur le sens de cette expression, voir ci-dessus, p. 3, n. 1.
  4. Comme nous l’avons rappelé dans notre Introduction (p. vi), Éginhard avait été, au début de son séjour au palais carolingien, le condisciple des fils de Charlemagne, et l’amitié qu’il avait dès lors nouée avec Louis le Pieux est à l’origine de sa fortune politique.
  5. Tusculan., I, iii, 6.
  6. On sait que la longue chevelure était chez les Mérovingiens un privilège et un symbole de la royauté.
  7. Éginhard s’est documenté dans les Annales royales (deuxième rédaction), où, après quelques pages sur les maires du palais (majores domus) Charles Martel, Pépin et Carloman, il pouvait lire, sous les années 749 et 750, que les Francs ayant consulté le pape (pontificem) « au sujet des rois qui étaient alors en France et qui avaient seulement le titre de roi, mais non le pouvoir royal » (« qui nomen tantum regis sed nullam potestatem regiam habuerunt »), le pape avait répondu qu’ « il valait mieux appeler roi celui qui détenait la totalité du pouvoir » (« melius esse illum vocari regem apud quem summa potestatis consisteret ») et avait donné l’ordre (jussit) de couronner Pépin, ce qui avait été aussitôt fait — le Mérovingien Childéric étant relégué dans un monastère : « Secundum Romani pontificis sanctionem, Pippinus rex Francorum appellatus est… Hildericus vero, qui falso regis nomine fungebatur, tonso capite in monasterium missus est » (Annales regni Francorum, publ. par F. Kurze, dans la collection des Scriptores rerum germanicarum in usum scholarum, 1895, p. 9 et 11). Les mots ici en italique sont ceux qu’Eginhard a textuellement ou presque textuellement reproduits. C’est par erreur qu’il a appelé Étienne, au lieu de Zacharie, le pape consulté par les Francs, une trop rapide lecture des Annales ayant pu lui faire admettre qu’il s’agissait du même pontife (Étienne II) qui, en 754, renouvela de ses mains le sacre du nouveau roi (Annales royales, éd. Kurze, p. 13).
  8. Peut-être est-ce dans un opuscule de propagande, comme les Carolingiens surent en répandre à l’occasion, qu’Éginhard a recueilli les éléments de ce fameux portrait des rois fainéants, dont plusieurs de ses contemporains avaient déjà avant lui parlé en termes analogues. Voir la petite Chronique de Lorsch, III, 12, éd. Schnorr von Carolsfeld, dans le Neues Archiv der Gesellschaft für ältere deutsche Geschichtskunde, t. XXXVI, 1911, p. 27-28 ; les Annales Mettenses priores, ann. 692, éd. B. von Simson, dans la collection des Scriptores rerum germanicarum in usum scholarum (1905), p. 20, et l’historien byzantin Théophane, dans sa Chronographia, éd. C. De Boor, t. I, p. 402 et suiv. — On a souvent souligné le caractère fantaisiste de cette page, qui a trop longtemps contribué à fausser l’histoire du viiie siècle.
  9. Éginhard a sans doute puisé ici sa science dans les Continuateurs de Frédégaire (édition Krusch, dans les Monumenta Germaniae, Scriptores rerum merovingicarum, t. II, p. 175, § 13, et p. 178, § 20). Il semble, en outre, avoir eu sous les yeux l’Histoire des évêques de Metz composée par Paul Diacre vers 784 (Liber de episcopis Mettensibus, dans les Monumenta Germaniae, Scriptores, t. II, p. 265) ; car, rappelant à grands traits le rôle des premiers Carolingiens, ce dernier auteur présente déjà souvent les faits d’une façon analogue et en termes presque identiques. Voir notamment la phrase : « Pippinus genuit Karolum… qui… ita praecipue Sarracenos detrivit ut » et l’épitaphe de Rothaïde :

    « Pippinus pater est, Karolo de principe cretus,
    Aggarenum stravit magna qui caede tyrannum. »

  10. Tout cet alinéa a pour source les Annales royales, 2e rédaction, années 745 et 746 (éd. Kurze, p. 5 et 7) : « Carlomannus… patefecit fratri suo Pippino saecularem conversationem se velle dimittere et habitu monachico Deo servire… Romam profectus, dimissa saeculari gloria, habitum mutavit et in monte Soracti monasterium in honorent sancti Silvestri aedificavit… ibique aliquandin commoratus, meliori consilio hoc loco dimisso, ad monasterium sancti Benedicti in Samnio provincia juxta Casinum castrum constitutum Deo serviturus venit ibique monachicum habitum suscepit. » Les mots en italique, dans ce passage comme dans tous ceux que nous citerons désormais, sont ceux qu’Éginhard a textuellement ou presque textuellement reproduits. Le passage auquel se rapporte cette note semble également inspiré des Continuateurs de Frédégaire, § 30 (éd. Krusch, dans les Monumenta Germaniae historica, Scriptores rerum merovingicarum, t. II, p. 181) : « Carlomannus devotionis causa inextinctu succensus » (mot qui a passé sous la plume d’Éginhard) « regnum… manibus germano suo Pippino committens… Romam ob monachyrio ordine perseveraturus advenit. »
  11. Les Annales royales disent plus justement : « près de Cassino ». Voir la note précédente.
  12. Lues plus attentivement, les Annales royales (ann. 753, éd. Kurze, p. 13) eussent appris à Éginhard que Carloman finit ses jours à Vienne.
  13. Ceci encore d’après les Annales royales (texte cité p. 8, n. 2).
  14. Ce calcul a été facilement fait d’après les Annales royales où, de 760 à 768, il est question chaque année de la guerre contre Waïfre.
  15. Les Annales royales (2e rédaction, ann. 768, éd. Kurze, p. 27) avaient déjà dit dans les mêmes termes : « Inde cum ad Parisios venisset, viii. kalendas octobris diem obiit. » Éginhard a ajouté l’indication de la maladie à laquelle Pépin aurait succombé, en reprenant à son compte une expression de Suétone, touchant le père de Néron : « Decessitque Pyrgis morbo aquae intercutis » (Vie de Néron, V, 2). Nous ignorons d’ailleurs si ce rapprochement entre la mort du père de Charlemagne et celle du père de l’empereur romain était vraiment justifié.
  16. Éginhard continue à suivre les Annales royales (2e rédaction, ann. 768 et 769, éd. Kurze, p. 29) : « Filii vero ejus Karlus et Karlomannus consensu omnium Francorum reges creati… patri succedentes regnum inter se partiti sunt. »
  17. Inexact : la répartition des territoires ne fut pas la même dans les deux cas.
  18. Éginhard l’avait pu lire dans les Annales royales (2e rédaction, ann. 769, éd. Kurze, p. 29), où il est question des efforts faits par « les grands » de Carloman pour l’empêcher de prêter main-forte à Charlemagne.
  19. Ces détails ont été pris encore presque textuellement dans les Annales royales, 2e rédaction, ann. 771 (éd. Kurze, p. 33) : « Nam uxor ejus (Carlomanni) et filii cum parte optimatum in Italiam profecti sunt ; rex autem profectionem eorum in Italiam quasi supervacuam patienter tulit. »
  20. Les Annales royales (ibid.) sont encore suivies de près : « Carlomannus frater… decessit in villa Salmontiaco. Et rex ad capiendum ex integro regnum, etc. » — Éginhard ne donne que deux ans de règne à Carloman (qui, en réalité, régna d’octobre 768 à décembre 771) parce que, dans les Annales royales, les notes des années 769 et 770 sont seules consacrées à des événements de ce règne.
  21. Éginhard croit devoir s’en excuser parce qu’il s’applique à suivre d’aussi près que possible son modèle romain, Suétone, qui, dans ses Vies des Césars, ne manque jamais, après une introduction consacrée à la famille (gens) de l’empereur dont il raconte la vie, de parler successivement de sa naissance, de ses premières années (infantia) et de son enfance (pueritia) pour aborder ensuite l’histoire de son adolescence (adolescentia). Voir, par exemple, la Vie de Tibère, V et VI, 1 (« Tiberium quidam natum… Infantiam pueritiamque habuit laboriosam… ») ; la Vie de Claude, II, 1 (« Claudius natus est… Infans autem… ac per omne fere pueritiae atque adulescentiae tempus… ») ; la Vie d’Auguste, V, VII et VIII, où ces indications sont suivies (IX), comme ici, de l’exposé du plan adopté par l’auteur.
  22. Le contraire a pourtant été dit au § 3.
  23. Tout ce récit procède des Annales royales (2e rédaction, ann. 769, éd. Kurze, p. 29 et 31), dont nous nous bornons à transcrire quelques passages caractéristiques : « Hunoldus quidam… animos ad nova molienda concitavit. Contra quem… rex Karlus cum exercitu profectus est. Sed cum fratris auxilium habere non posset… Hunoldum persequitur… Sed ille…, dimissa Aquitania, Wasconiam petiit. Erat tune Wasconum dux Lupus… Ad quem rex missa legatione, jubet sibi perfugam reddi, ea conditione mandata, si dicto audiens sibi non fuisset, sciret se bello Wasconiam ingressurum… Lupus, minis regis perterritus, Hunoldum… sine cunctatione reddidit, se quoque quaecumque imperarentur facturum spopondit. » — Éginhard force d’ailleurs le sens de ce texte, qui parle seulement, et à bon droit, d’une promesse vague de docilité — qui ne devait pas être respectée longtemps : on le vit à Roncevaux.
  24. D’après les Annales royales, 2e rédaction, ann. 773 (éd. Kurze, p. 35).
  25. Ce qui suit procède du même texte, années 755 et 756 (éd. Kurze, p. 13 et 15) ; mais Éginhard a fait subir au récit de l’annaliste d’audacieuses transformations, afin d’exagérer le caractère facile et précaire des succès obtenus par Pépin.
  26. Ces détails sur l’opposition des grands ne sont pas dans les Annales royales. Nous ne savons où Éginhard les a pris.
  27. Ancien nom de Pavie.
  28. Toujours d’après les Annales royales (2e rédaction) reproduites presque mot pour mot : « Desiderium regem… fugavit Ticenoque inclusum obsedit, etc… Fatigatam longa obsidione civitatem ad deditionem compulit… Adalgis filius ejus (Desiderii), in quo Langobardi multum spei habere videbantur, desperatis patriae rebus, relicta Italia, etc. » (ann. 773 et 774, éd. Kurze, p. 37 et 39).
  29. Ces nouveaux détails ont été encore fournis à Éginhard par les Annales royales (2e rédaction), qui notent le couronnement de Pépin sous l’année 781 et où l’on lit, sous l’année 776, l’annonce de la révolte du duc Rodgaud : « Regi… nuntiatur Hruodgaudum, quem ipse Forojuliensibus ducem dederat, in Italia res novas moliri… Ad quos motus comprimendos, etc. » (éd. Kurze, p. 43). Éginhard semble faire fi de la chronologie afin d’accentuer le contraste entre l’œuvre de Charlemagne et celle de son père.
  30. Éginhard veut dire sans doute qu’entamée par Charlemagne dès 772, ralentie durant la guerre lombarde (773-774), la guerre de Saxe fut reprise avec vigueur dès que Didier fut vaincu. La lecture des Annales royales a suffi à le lui apprendre.
  31. Dans ce chapitre, Éginhard résume encore les Annales royales, mais non sans apporter de temps à autre une note personnelle sur le pays saxon, dont était proche l’abbaye de Fulda, où il avait été élevé.
  32. La première mention d’une campagne de Saxe au temps de Charlemagne figure dans les Annales royales sous l’année 772, et c’est sous l’année 804 que l’annaliste note les déportations en masse qui peuvent être considérées comme la conclusion de toutes les campagnes.
  33. C’est là un terme dont l’annaliste se sert souvent quand il parle des Saxons (années 775, éd. Kurze, p. 41 ; 776, p. 47 ; 777, p. 49 ; 785, p. 71, lignes 5 et 15 ; 795, p. 97).
  34. Encore un terme emprunté aux Annales royales (2e rédaction, ann. 776, éd. Kurze, p. 47) : « Immensam illius perfidi populi multitudinem velut devotam ac supplicem et… veniam poscentem invenit. »
  35. Il en est constamment question dans les Annales royales. Voir la 2e rédaction, ann. 772, éd. Kurze, p. 35 : « a Saxonibus duodecim obsides accepit » ; ann. 775, p. 43 : « obsides quos rex imperaverat dedit et sacramentum fidelitatis juravit… ; juxta quod imperaverat obsides ac sacramenta dederunt » ; ann. 776, p. 47 : « obsidibus quoque quos imperaverat receptis » ; ann. 779, p. 55 : « obsides dederunt et sacramenta juraverunt », etc.
  36. C’est ce que disent, dans les mêmes termes, les Annales royales, 2e rédaction, ann. 775, éd. Kurze, p. 41 : « … dum aut victi christianae religioni subicerentur aut omnino tollerentur » ; ann. 776, p. 47 : « … qui se christianos fieri velle adfirmabant ».
  37. Éginhard se sert ici à peu près des mêmes expressions que l’annaliste, sous l’année 785 : « Inquietam satis hiemem… tam per se ipsum quam per duces quos miserat » (éd. Kurze, p. 69).
  38. Ceci d’après les Annales royales, ann. 804 : « Omnes qui trans Albiam et in Wihmuodi habitabant Saxones cum mulieribus et infantibus transtulit in Franciam » (éd. Kurze, p. 118). Le pays de Wihmode était au sud-ouest de l’Elbe inférieure (voir la carte de nos Études critiques sur l’histoire de Charlemagne) : Éginhard donne donc ici encore une preuve de sa connaissance, au moins sommaire, du pays saxon, quand il écrit : « sur les deux rives de l’Elbe ». Mais il est à craindre qu’il n’ait tiré de son imagination le total des déportés, que l’annaliste n’avait pas indiqué. Il simplifie, en outre, à l’excès, ne parlant ni des 4 500 rebelles exécutés de sang-froid à Verden en 782 ni des formidables déportations en masses antérieures à 804.
  39. Inexact. Éginhard a lu si distraitement les Annales royales qu’il a omis d’y relever les deux succès remportés par Charlemagne, l’un en 775, après la surprise d’une de ses armées à Lübbecke, l’autre en 779 dans les environs de Bocholt (éd. Kurze, p. 43 et 55).
  40. Détails empruntés aux Annales royales, 2e rédaction, ann. 783 : « Cumque Saxones in eo loco qui Theotmelli vocatur ad pugnam se praeparare comperisset… commisso eum eis proelio, tanta eos caede prostravit ut de innumerabili eorum multitudine perpauci evasisse dicantur. Cumque de loco proelii ad Padrabrunnon se cum exercitu recepisset… audivit Saxones… super fluvium Hasam ad hoc congregari ut ibi cum eo… acie confligerent, etc. » (éd. Kurze, p. 65).
  41. Éginhard s’avance beaucoup quand il affirme que les deux batailles eurent lieu le même mois. Les Annales royales — sa source — n’en disent rien.
  42. Allusion discrète à certains épisodes peu glorieux des guerres de Saxe indiqués dans les Annales royales. Voir le récit de ces guerres dans nos Études critiques sur l’histoire de Charlemagne.
  43. Non : un an seulement avant celle d’Italie. Voir les Annales royales, années 772 et 773.
  44. Inexact. Éginhard lui-même atténue cette affirmation au début du § 9 ; mais peut-être un mot — tel que pene, « presque » — a-t-il été omis ici dans les manuscrits.
  45. Ce paragraphe est écrit à l’aide des Annales royales (2e rédaction, année 778, éd. Kurze, p. 51), dont il reproduit textuellement ou presque textuellement plusieurs passages : « Superato in regione Wasconum Pyrinei jugo, primo Pampelonem Navarrorum oppidum adgressus in deditionem accepit. Inde… Caesaraugustam accessit… Regredi statuens Pyrinei saltum ingressus est. In cujus summitate Wascones insidiis conlocatis, extremum agmen adorti, totum exercitum magno tumultu perturbant. Et licet Franci Wasconibus tam armis quam animis praestare viderentur, tamen et iniquitate locorum et genere imparis pugnae inferiores effecti sunt. In hoc certamine plerique aulicorum quos rex copiis praefecerat interfecti sunt, direpta impedimenta et hostis propter notitiam locorum statim in diversa dilapsus est. »
  46. Quelque peu exagéré !
  47. Façon vraiment discrète d’avouer la défaite de Roncevaux.
  48. Sur l’emplacement du combat (qu’aucun texte ne précise avant la Chanson de Roland — laquelle, on le sait, le situe à Roncevaux) et la disposition des lieux, on consultera avec fruit J. Bédier, Les légendes épiques, t. III (1912), p. 297-303. Voir aussi P. Boissonnade, Du nouveau sur la Chanson de Roland (1923), p. 139-142.
  49. Les Annales royales parlent d’un combat où toute l’armée fut engagée (voir le texte cité plus haut, p. 28, n. 1).
  50. On a vu (p. 28, n. 1) que l’auteur des Annales royales reconnaît aux Francs la supériorité de l’armement. Éginhard renchérit pour atténuer la portée de la défaite.
  51. Éginhard est seul à donner des noms — qui étaient de son temps dans toutes les mémoires, tant le souvenir de cette journée fatale était resté cuisant : « Quorum quia vulgata sunt nomina dicere supersedeo », écrit à propos des morts de Roncevaux le biographe de Louis le Pieux qu’on a surnommé l’Astronome (Vita Hludovici, ch. 2, dans les Monumenta Germaniae, Scriptores, t. II, p. 608). Mais nous avons l’épitaphe d’Eggihard (Monumenta Germaniae, Poetae Carolini aevi, t. I, p. 109 ; K. Neff, Die Gedichte des Paulus Diaconus, au t. III des Quellen und Untersuchungen zur lateinischen Philologie des Mittelalters, fasc. 4, 1908, p. 176-177). Cette épitaphe donne la date du combat (15 août). Eggihard était sénéchal du roi et, à ce titre, avait dans ses attributions le service de la table royale : aussi Éginhard le qualifie-t-il « praepositus regiae mensae », ce qui est, à cette époque, en latin classique, l’équivalent de « senescalcus ». On dira plus tard « dapifer » (« porte-plats »).
  52. Il est cité dans divers actes en 775 et 777 (Monumenta Germaniae, Diplomata Karolinorum, t. I, p. 147 et 156 ; Tardif, Monuments historiques, p. 62).
  53. Peut-être est-ce dans ce texte que l’auteur de la Chanson de Roland a lu d’abord le nom de son héros.
  54. Éginhard paraphrase la deuxième rédaction des Annales royales, qui porte en effet, sous l’année 786 : « Exercitum in Brittanniam cismarinam mittere constituit. Nam cum ab Anglis ac Saxonibus Brittannia insula fuisset invasa, magna pars incolarum ejus mare traiciens in ultimis Galliae finibus Venetorum et Coriosolitarum regiones occupavit. Is populus… vectigal… solvere solebat. Cumque eo tempore dicto audiens non esset, missus illuc regiae mensae praepositus Audulfus perfidae gentis contumaciam compressit… et obsides quos acceperat… adduxit » (éd. Kurze, p. 73). — Mais Éginhard simplifie à l’excès quand il admet que cette seule expédition de 786 a eu raison définitivement des Bretons : les Annales auraient dû lui apprendre qu’en 799 et en 811 de nouvelles campagnes furent nécessaires, qui n’aboutirent elles-mêmes qu’à des résultats très instables.
  55. Éginhard continue à paraphraser la deuxième rédaction des Annales royales, où l’on lit, sous la même année 786 et au début de l’année suivante (éd. Kurze, p. 73, 75 et 77) : « Rex… contractis celeriter Francorum copiis… Italiam ingreditur… Romam ire contendit… Aragisus dux Beneventanorum… propositum ejus avertere conatus est. Misso enim Rumoldo majore filio suo cum muneribus ad regem rogare coepit ne terram Beneventanorum intraret. Sed ille… Capuam Campaniae civitatem accessit ibique castris positis consedit, inde bellum gesturus ni memoratus dux intentionem regis salubri consilio praevenisset… Missaque legatione utrosque filios suos regi obtulit, promittens se ad omnia quae imperarentur libenter oboediturum. Cujus precibus rex adnuens… minore ducis filio nomine Grimoldo obsidatus gratia suscepto, majorem patri remisit. Accepit insuper a populo obsides undecim misitque legatos qui et ipsum ducem et omnem Beneventanum populum per sacramenta firmarent. Ipse… Romam reversus sanctum paschale festum… celebravit… Rex autem adoratis sanctorum apostolorum liminibus votisque solutis… in Franciam reversus est. » — Il faut observer d’ailleurs que si Éginhard a suivi de près le récit de l’annaliste, il l’a cependant étrangement dénaturé, au point de le rendre par places incompréhensible. Voir nos Études critiques sur l’histoire de Charlemagne, p. 83.
  56. Ce détail semble résulter d’une mauvaise interprétation des Annales royales, où l’on lit (rédaction primitive, éd. Kurze, p. 74) qu’Arichis, effrayé, courut s’enfermer dans Salerne, « n’osant », suivant une expression biblique, « voir en personne la face de son seigneur » (« non fuit ausus per semet ipsum faciem domni regis Caroli videre »). Cf. nos Études critiques sur l’histoire de Charlemagne, p. 83-84.
  57. Cf. Annales royales, rédaction primitive, loc. cit. : « Tunc domnus ac gloriosus Carolus rex praespexit… ut non terra deleretur illa et regia et episcopia vel monasteria non desertarentur… » C’est ce texte sans doute qu’Éginhard paraphrase.
  58. Pour composer ce chapitre, Éginhard a amalgamé, d’une façon maladroite et qui rend encore une fois incompréhensible la suite des événements, des détails empruntés à deux notes distinctes des Annales royales (2e rédaction), se référant l’une à l’année 787, où Tassilon fut vaincu, l’autre à l’année 788, où, ayant trahi ses serments, il fut mis en jugement et condamné à mort (voir Études critiques sur l’histoire de Charlemagne, p. 84). Mais, tout en mêlant les faits, il suit de près le texte même de l’annaliste, comme le prouvent les rapprochements qui suivent : « Iniit consilium ut experiretur quid Tassilo de promissa sibi fidelitate facere vellet congregatoque ingenti exercitu… Baioariam petere constituit… Ipse… super Lechum fluvium, qui Alamannos et Baioarios dirimit… consedit, inde Baioariam cum tam valida manu procul dubio petiturus nisi Tassilo sibi ac populo suo ad regem veniendo consuleret. Nam videns se undique circumsessum, venit supplex… Sed et rex, sicut erat natura mitissimus, supplici ac deprecanti pepercit acceptisque ab eo praeter filium ejus Theodonem aliis quos ipse imperavit duodecim obsidibus et populo terrae per sacramenta firmato… Obiciebant et (Tassiloni) quod… suadente conjuge sua Lintherga, quae filia Desiderii regis Langobardorum fuit et post patris exilium Francis inimicissima semper extitit in adversitatem regis et ut bellum contra Francos susciperent Hunorum gentem concitaret » (éd. Kurze, p. 79 et 81).
  59. Ce chapitre est écrit principalement à l’aide des Annales royales, 2e rédaction, ann. 789 : « Natio quaedam Sclavenorum est in Germania, sedens super litus oceani, quae propria lingua Welatabi, francica autem Wiltzi vocatur. Ea Francis semper inimica et vicinos suos, qui Francisfoederati erant, odiis insectari belloque premere ac lacessire solebat… Ipse exercitum duxit, etc. » (éd. Kurze, p. 85). Comme, parmi les alliés des Francs, l’annaliste range plus loin les Abodrites (ann. 798, p. 105) et déclare, en outre, sous l’année 808 (p. 126), que les Wilzes ne cessaient à cette date de les poursuivre depuis longtemps de leurs attaques, Éginhard en a conclu qu’en 789 les incursions des Wilzes s’étaient produites en territoire abodrite. C’était peut-être vrai, mais peut-être aussi en partie seulement.
  60. Ce renseignement semble emprunté à la version primitive des Annales royales, ann. 789 : « Et fuerunt cum eo in eodem exercitu Franci, Saxones, Frisiones…, Suurbi necnon et Abodriti » (éd. Kurze, p. 84).
  61. Éginhard s’inspire ici d’un autre passage des Annales royales (2e rédaction, ann. 798, éd. Kurze, p. 105), où il est rappelé que les Abodrites ont « toujours été » (semper fuerunt) les alliés des Francs ; mais au lieu de répéter qu’ils l’ont « toujours » été, il écrit qu’ « ils l’étaient jadis » (olim erant), parce qu’entre temps (en 817) les Abodrites avaient fait défection.
  62. Nous ignorons d’où a été tirée cette description de la Baltique. L’estimation qui est donnée de la « largeur » de cette mer ne révèle pas un homme particulièrement bien informé.
  63. Éginhard oublie le soulèvement des Wilzes en 808 et les expéditions qu’il fallut diriger contre eux à partir de ce moment jusqu’en 812. Une lecture plus attentive des Annales royales (éd. Kurze, p. 126, 129, 132, 137) lui eût évité cette erreur.
  64. Ce chapitre a été composé à l’aide des Annales royales, 2e rédaction, ann. 791 et 796. Plus d’une expression de l’annaliste (par exemple, le terme de regia, pour désigner le palais du khagan, les mots opibus et spolia, p. 99 de l’éd. Kurze) a passé ainsi dans le texte d’Éginhard. Celui-ci semble, en outre, avoir jeté les yeux sur la version primitive de ces mêmes Annales, où il a pu trouver le nom d’ « Avar » appliqué au peuple que le second rédacteur appelle « Hun » (d’où l’expression : « les Avars ou Huns » dont il se sert), ainsi que le titre de « khagan » donné à leur roi (ann. 796, éd. Kurze, p. 98). Il est vrai qu’on retrouve encore ce titre dans la rédaction définitive des Annales royales en 782 et en 805 (ibid., p. 61 et 119-120). Enfin Éginhard a pu faire son profit d’une phrase où le rédacteur primitif (ann. 796, p. 98) parlait des trésors pris par le duc Éric dans le fameux ring (« spoliavit… thesaurum priscorum regum multa seculorum prolixitate collectum ». Cf. Éginhard : « omnis pecunia et congesti ex longo lempore thesauri direpti sunt »).
  65. Erreur : les Annales royales, qu’Éginhard avait sous les yeux, en marquent le début en 791 et la fin en 803 seulement.
  66. C’était le titre que portait le roi des Avars, à l’exemple d’un grand nombre d’autres souverains asiatiques.
  67. L’enchaînement des idées laisse à désirer.
  68. Éginhard utilise ici — en la complétant — une note des Annales royales, 2e rédaction, ann. 799 : « Accepit etiam (rex) tristem nuntium de Geroldi et Erici interitu, quorum alter, Geroldus videlicet, Baioariae praefectus, commisso cum Hunis proelio cecidit, alter vero, id est Ericus post multa proelia et insignes victorias apud Tharsaticam Liburniae civitatem insidiis oppidanorum interceptus atque interfectus est » (éd. Kurze, p. 109). Sous l’année 796 (p. 99), l’annaliste avait donné à Éric son titre de « duc de Frioul » (dux Forojuliensis). — Mais, en copiant le texte de l’annaliste, Éginhard n’a pas vu que l’assassinat d’Éric était sans rapport aucun avec la guerre avare. C’est pousser un peu loin la distraction.
  69. Ceci est un résumé des Annales royales, ann. 805 et 808, éd. Kurze, p. 120 et 125. Au reste ces mêmes Annales prouvent que la campagne de 808 contre les Linons fut assez peu décisive pour qu’il ait fallu revenir à la charge dès 811 (ibid., p. 135).
  70. Ce chapitre a été écrit à l’aide des années 804, 808 et 810 des Annales royales, dont plusieurs expressions ont été reprises par Éginhard (ann. 808 : « … Abodritorum duas partes sibi vectigales fecisset… » ; ann. 810 : « … vanissima spe victoriae inflatus, acie se cum imperatore congredi velle jactabat… Godofridum regem a quodam suo satellite interfectum… narratur. »)
  71. En fait, la guerre n’eut pas lieu : elle allait éclater quand Godefrid fut assassiné.
  72. Avant Éginhard, Paul Diacre avait déjà, dans son Histoire des évêques de Metz, parlé en termes analogues de l’extension du royaume franc sous Charlemagne : « Hujus [Pippini] item filius magnus rex Karolus extitit qui Francorum regnum sicut numquam ante fuerat dilatavit » (Monumenta Germamae, Scriptores, t. II, p. 265).
  73. Pour mieux exalter son héros, Éginhard restreint à l’excès l’étendue du royaume franc à l’avènement de Charlemagne : l’Aquitaine, quelque insoumis que fussent ses ducs, faisait, dès l’époque de Pépin le Bref, partie intégrante du royaume franc au même titre que le duché de Bavière, lui aussi en perpétuelle rébellion.
  74. Voir la note précédente.
  75. Ici Éginhard déforme les faits en sens inverse : il grossit les gains réalisés par Charlemagne, en lui imputant à tort la conquête de la Gascogne.
  76. Même observation qu’à la note précédente : en l’année 809, les Annales royales (éd. Kurze, p. 127), qu’Éginhard avait pourtant sous les yeux, relatent l’échec des tentatives faites par l’armée franque pour s’emparer précisément de Tortosa et, du même coup, porter jusqu’à l’Èbre la domination franque.
  77. Nouvelle exagération : Éginhard prolonge indûment jusqu’en Calabre l’empire carolingien.
  78. Renseignement emprunté à Solin, Collectanea rerum memorabilium, II, 23 : « Italiae longitudo, quae ab Augusta Praetoria… porrigitur usque ad oppidum Regium, decies centena et viginti millia passuum colligit » (éd. Th. Mommsen, 1864, p. 40).
  79. Ceci en partie d’après les Annales royales, ann. 810 (lesquelles cependant ne parlent à ce propos que de la Vénétie), mais avec des détails nouveaux.
  80. Éginhard continue à suivre le plan de la Vie d’Auguste par Suétone : après avoir rappelé les guerres soutenues par l’empereur romain, le biographe des Césars affirme (XXI, 2) que son héros ne chercha pas à accroître coûte que coûte sa gloire militaire (bellicam gloriam augendi) et nous le montre (XXI, 3) incitant les peuples à rechercher son amitié (ad amicitiam suam populique Romani per legatos petendam).
  81. Les Annales royales, dont Éginhard a eu ici sous les yeux la deuxième rédaction (éd. Kurze, p. 103 et 105), disent seulement que Charlemagne reçut en 797 une ambassade du roi Alfonse (« legatum Hadefonsi regis Asturiae atque Galleciae dona sibi deferentem suscepit ») ; puis que l’année d’après Alfonse lui fit cadeau de quelques trophées de victoire. Mais Éginhard a-t-il réellement vu des lettres où le roi de Galice se disait l’ « homme » du roi franc ? On en peut douter.
  82. C’est-à-dire, à cette époque, les Irlandais — plutôt que les Écossais.
  83. Ce passage a intrigué les commentateurs. Qu’il s’agisse vraiment des rois d’Irlande (Scottia) ou d’Écosse, on n’ose plus guère le soutenir, et volontiers l’on admet une première confusion avec les rois de Northumbrie, ou plutôt avec le roi de Northumbrie Eardulf, qui, chassé de ses états en 808, fut contraint de fuir sur le continent, où il sollicita l’appui de l’empereur franc et du pape (voir Abel et Simson, Jahrbücher des deutschen Reiches unter Karl dem Grossen, t. II, p. 381). Les marques d’humilité prodiguées à Charlemagne par ce roi en exil n’auraient dès lors plus grande signification. Mais Eardulf lui-même alla-t-il jamais jusqu’à se dire par lettres « le sujet et le serf » de celui qui s’employa à lui assurer une restauration éphémère (voir Abel et Simson, op. cit., t. II, p. 398-399) ? Si oui, ces lettres constituaient des documents que la chancellerie carolingienne aurait eu intérêt à conserver avec plus de soin. Ou bien Éginhard n’a-t-il pas mêlé les souvenirs plus ou moins vagues qu’il avait pu garder à la fois de la correspondance échangée par Charlemagne avec « son très cher frère et ami » le roi de Mercie Offa (un allié dont on s’étonne qu’il n’ait rien dit) et d’une lettre-sermon adressée « à son très pieux seigneur » le roi franc par un clerc nommé Cathulf, qui s’intitule « le dernier de vos serfs » (Monumenta Germaniae, Epistolae karolini aevi, t. II, p. 501, no 7) ? Nous l’ignorons. Mais il est difficile de ne pas croire à toute une série de confusions.
  84. Haroun al Rachid. La forme Aaron a été prise par Éginhard dans les Annales royales, ann. 801 (éd. Kurze, p. 114).
  85. M. Louis Bréhier, dans un ingénieux mémoire, a essayé d’apporter des preuves à l’appui de l’affirmation d’Éginhard (L. Bréhier, Les origines des rapports entre la France et la Syrie. Le protectorat de Charlemagne, dans Chambre de commerce de Marseille. Congrès français de Syrie [1919]. Séances et travaux, fasc. 2, 1919, p. 15 à 38). Il reconnaît toutefois (p. 33) que les Annales royales, seul texte tout à fait contemporain, parlent exclusivement de l’envoi fait à Charlemagne par le patriarche de Jérusalem des clés du saint Sépulcre en témoignage de déférence (novembre 800), ce qui n’implique pas plus un abandon de suzeraineté que l’envoi des clés de Saint-Pierre par les papes Grégoire III et Léon III à Charles Martel et à Charlemagne lui-même. Il est à craindre qu’une fois encore Éginhard n’ait interprété d’une façon abusive le texte de l’annaliste.
  86. La plupart des détails donnés ici par Éginhard proviennent des Annales royales. On y lit : 1o sous l’année 799 (2e rédaction), que Charlemagne envoya cette année-là en Orient un ambassadeur porteur de présents pour le saint Sépulcre (« cui et donaria sua ad illa veneranda loca deferenda commisit », éd. Kurze, p. 111) ; 2o sous l’année suivante (2e rédaction), que l’ambassadeur de Charles rapporta à son retour — non pas, bien entendu, de la part d’Haroun al Rachid, mais de la part du patriarche de Jérusalem — les clés du saint Sépulcre et du Calvaire (« qui benedictionis gratia sepulchri dominici ac loci Calvariae cum vexillo detulerunt », p. 113) ; 3o sous l’année 801, que des ambassadeurs du « roi de Perse Aaron » (« legatos Aaron… regis Persarum ») débarquèrent à Pise, suivis de près par un certain Isaac, un Juif que Charlemagne avait envoyé quatre ans plus tôt en Perse et qui lui ramenait de la part d’Haroun un éléphant (p. 116), dont il est encore question sous l’année 802 (p. 117) ; 4o sous l’année 807 enfin, qu’une nouvelle ambassade du roi de Perse arriva à la cour de Charlemagne chargée de cadeaux, parmi lesquels figuraient de riches étoffes, des aromates (odores atque unguenta et balsamum), une horloge, des candélabres, une tente, etc. (p. 123-124). Éginhard a amalgamé très librement tous ces détails.
  87. L’indication des ambassades envoyées par Nicéphore Ier, Michel Ier et Léon V (pour répondre, au surplus, à des ambassades adressées de France) et celle du traité conclu avec les empereurs byzantins ont été fournies à Éginhard par les Annales royales, ann. 803, éd. Kurze, p. 118 ; ann. 810, p. 132 ; 811, p. 133 ; 812, p. 136 ; 813, p. 137 ; 814, p. 140.
  88. Cette phrase ne laisse pas de surprendre ceux qui se rappellent au prix de quelles longues et pénibles démarches et de quels sacrifices d’amour-propre Charlemagne finit par obtenir des princes byzantins la reconnaissance officielle de son titre impérial et un traité d’alliance. Éginhard a été sans doute incité à cette audacieuse déformation de la vérité par la lecture de Suétone, qui, dans le chapitre consacré aux alliances conclues par Auguste, écrit pareillement (Vie d’Auguste, xxi, 3) que les Indiens et les Scythes « sollicitèrent spontanément par des ambassadeurs son amitié et celle du peuple romain » (« Indos ac Scythas… pellexit ad amicitiam suam populique Romani ultro per legatos petendam »).
  89. Voir notre étude sur Le couronnement impérial de l’an 800 dans Études critiques sur l’histoire de Charlemagne, spécialement p. 235 à 238.
  90. Ces derniers détails sont propres à Éginhard.
  91. Le cadre général et plusieurs expressions de ce chapitre ont été fournis à Éginhard par Suétone, Vie d’Auguste, chap. xxix et xxx. Ces chapitres s’ouvrent par la phrase suivante : « Publica opera plurima extruxit, e quibus vel praecipua, etc. » (xxix, 1) ; puis Suétone énumère les constructions visant — pour parler comme Éginhard — soit ad decorem, soit ad commoditatem. Il est question ensuite des sentinelles — excubias nocturnas vigilesque — (xxx, i) destinées à parer au danger des incendies, comme les sentinelles — stationes et excubiae — de Charlemagne devaient parer au danger des incursions normandes. Enfin Suétone nous montre Auguste relevant les temples des dieux, aedes sacras vetustate conlapsas (xxx, 2), et ce sont les termes mêmes dont se sert Éginhard. — Mais, dans l’ensemble, tout ce qui, dans ce chapitre, a trait aux constructions de Charlemagne, semble original.
  92. Dans les manuscrits les plus complets des Annales royales, on lit, comme ici, sous l’année 813 : « Pons apud Mogontiacum mense maio incendio conjflagravit » (éd. Kurze, p. 137).
  93. C’est-à-dire le pays de Betuwe.
  94. La lecture des capitulaires de Charlemagne confirme l’exactitude de ces dernières assertions.
  95. Le paragraphe qui suit a été écrit à l’aide des Annales royales (spécialement les années 800 à 813), qu’Éginhard a, suivant les cas, complétées ou abrégées plus ou moins heureusement. Certaines expressions ont été presque textuellement reproduites par lui : « Insulae Baleares… a Mauris piraticam exercentibus depraedatae sunt » (ann. 798, 2e rédaction, éd. Kurze, p. 105) ; « … litus oceani Gallici perlustravit et in ipso mari, quod tune piratis Nordmannicis infestum erat, classem instituit, praesidia disposuit » (ann. 800, 2e rédaction, éd. Kurze, p. 111) ; « … nuntium accepit classem… de Nordmannia Frisiam appulisse totasque Frisiaco litori adjacentes insulas esse vastatas » (ann. 810, p. 131) ; « Mauri… Centumcellas Tusciae civitatem et Niceam provinciae Narbonensis vastaverunt » (ann. 813, p. 139). — Éginhard, dans cette dernière phrase, a omis le nom de Nice. Il a, d’autre part, peut-être généralisé à tort ce que les Annales disent (ann. 811, p. 135) de la construction d’une flotte contre les Normands à Boulogne et à Gand quand il parle de vaisseaux mis en chantier un peu partout aux abords des fleuves sur les côtes de Gaule et de Germanie.
  96. Aujourd’hui Cività Vecchia.
  97. Suétone continue à être le modèle dont Éginhard s’inspire : les chapitres qui suivent sont une réplique aux chapitres lxi et suivants de la Vie d’Auguste, lesquels débutent ainsi : « Quoniam qualis in imperiis ac magistratibus regendaque… pace belloque re publica fuerit exposui, referam nunc interiorem ac familiarem ejus vitam, etc. » (lxi, 1). — En même temps, plusieurs expressions sont empruntées au passage de la Vie de César (xliv, 1) consacré aux projets divers de ce dernier : « Nam de ornanda instruendaque urbe, item de tuendo ampliandoque imperio plura ac majora… destinabat. »
  98. Les Annales royales, 2e rédaction, ann. 771 (éd. Kurze, p. 33), avaient déjà parlé en termes analogues de la « patience » avec laquelle Charles avait « supporté » la fuite de la veuve et des enfants de Carloman (« Rex autem profectionem eorum… patienter tulit »).
  99. Cf. plus haut, § 3.
  100. Le paragraphe qui suit répond aux chapitres lxii et lxiii de la Vie d’Auguste, dont Éginhard reprend à son compte plusieurs expressions. Parlant en effet des mariages de l’empereur romain, Suétone écrit : « Claudiam, Fulviae… filiam, duxit uxorem… ac, simultate cum Fulvia socru orta, dimisit… Mox Scriboniam in matrimonium accepit. Cum hac quoque divortium fecit ac statim Liviam Drusillam… abduxit… Ex Scribonia Juliam, ex Livia nihil liberorum tulit. »
  101. Probablement en 770. On ignore le nom de cette première épouse de Charlemagne, qu’on a souvent, par confusion, appelée Désirée (Desiderata). Voir S. Hellmann, dans le Neues Archiv der Gesellschaft für ältere deutsche Geschichtsforschung, t. XXXIV (1909), p. 208 et suiv.
  102. On ignore la date précise de cette répudiation.
  103. Morte le 30 avril 783 (Annales royales, éd. Kurze, p. 64 et 65). En parlant d’elle, Éginhard semble se rappeler ce que Paul Diacre en avait dit dans son épitaphe (Histoire des évêques de Metz, dans les Monumenta Germaniae, Scriptores, t. II, p. 265) : « Quae tantum clarae transcendit stirpis alumnos, etc… »
  104. Dans son Histoire des évêques de Metz, qu’Éginhard semble avoir eue ici sous les yeux, Paul Diacre avait dit plus justement : « Hic ex Hildegard conjuge quattuor filios et quinque filias procreavit » (Monumenta Germaniae, Scriptores, t. II, p. 265). Mais Paul Diacre ajoute qu’un des fils — Lothaire, frère jumeau du futur Louis le Pieux — et deux des filles — Hildegarde et Adélaïde — étaient morts en bas âge ; et c’est pourquoi, sans doute, Éginhard ne parle que de trois fils et de trois filles.
  105. Éginhard suit ici, en les complétant, les Annales royales, 2e rédaction, ann. 783, éd. Kurze, p. 67 (« … duxit uxorem filiam Radoifi comitis natione Francam nomine Fastradam, ex qua duas filias procreavit »).
  106. En 794. Voir ibid., p. 95.
  107. Le 4 juin 800. Voir ibid., p. 111.
  108. Ce paragraphe et le suivant sont inspirés du chap. lxi, 2, de la Vie d’Auguste, où Suétone nous montre les égards de l’empereur romain pour sa mère et pour sa sœur : « Utrique cum praecipua officia vivae praestitisset, etiam defunctae honores maximos tribuit. » L’historien latin ajoute (lxiv, 1) qu’Auguste eut trois petits-fils et deux petites-filles, « nepotes… tres habuit…, neptes duas », et ces expressions sont évidemment présentes à l’esprit d’Éginhard quand il parle des trois petits-fils et des trois petites-filles de Bertrade.
  109. Le 12 juillet 783. Voir Annales royales, 2e rédaction, éd. Kurze, p. 67, où la mort d’Hildegarde (30 avril 783) est notée quelques lignes plus haut.
  110. Le monastère de Chelles, dont elle était abbesse. Gile était une des correspondantes d’Alcuin et nous avons conservé quelques-unes des lettres qu’il lui adressa.
  111. Ce qui suit est inspiré de ce que Suétone (Vie d’Auguste, lxiv) dit de l’éducation donnée par Auguste à ses enfants et petits-enfants : « Filiam et neptes ita instituit ut etiam lanificio assuefaceret vetaretque loqui aut agere quicquam nisi propalam » (ce dernier détail répondant à l’expression « atque ad omnem honestatem erudiri jussit » d’Éginhard) ; « nepotes et litteras et natare aliaque rudimenta per se plerumque docuit ». Suétone nous montre aussi — et Éginhard s’en est souvenu — presque chacun des empereurs romains (Auguste en particulier) consacrant leurs premières années à l’étude des « arts libéraux » (« Studia liberalia ab aetate prima », Vie d’Auguste, lxxxiv, 1 ; cf. Vies de Claude, iii, 1 ; de Néron, lii ; de Galba, v, 1).
  112. À corriger avec ce qui a été dit précédemment, p. 57, n. 2.
  113. Mort le 4 décembre 811. Voir Annales royales, ann. 811, éd. Kurze, p. 135.
  114. Mort le 8 juillet 810. Voir ibid., p. 132. Charlemagne l’avait fait roi d’Italie en 781. Voir ibid., p. 56 et 57.
  115. Morte le 6 juin 810. Voir ibid., p. 131 : « Hruodtrud, filia imperatoris, quae natu major erat… obiit. »
  116. Elle avait été fiancée toute enfant à Constantin VI en 781, et Éginhard l’avait peut-être lu dans les Annales de Lorsch : « Et ibi desponsata est Hrothrud filia regis Constantino imperatori » (Monumenta Germaniae, Scriptores, t. I, p. 32, et t. XVI, p. 497).
  117. C’est ce que disent les Annales royales, ann. 813, éd. Kurze, p. 138 : « … Bemhardumque nepotem suum, filium Pippini filii sui, Italiae praefecit et regem appellari jussit. » Les mots en italiques ont été reproduits par Éginhard quelques lignes plus haut à propos de Pépin lui-même (quem regem Italiae praefecerat).
  118. Encore une réplique à Suétone, qui dit d’Auguste : « Aliquanto autem patientius mortem quam dedecora suorum tulit » (Vie d’Auguste, lxv, 2).
  119. Mort en 796. On ne sait où Éginhard a pris ce qu’il conte à ce propos et qu’il serait imprudent d’accepter les yeux fermés.
  120. Éginhard a cru naïvement élever ainsi Charlemagne au-dessus d’Auguste, en modifiant légèrement la phrase où Suétone (Vie d’Auguste, lxvi, 1) loue l’empereur romain du discernement qu’il apportait dans le choix des amitiés et de la sûreté de ses sentiments (« Amicitias neque facile admisit et constantissime retinuit »).
  121. Éginhard reporte, en le modifiant à peine, au compte de Charlemagne ce que Suétone dit d’Auguste : « … neque cenavit una nisi ut in imo lecto assiderent neque iter fecit nisi ut vehiculo anteirent aut circa adequitarent » (Vie d’Auguste, lxiv, 3). — Sur les impossibilités auxquelles se heurtent ces assertions appliquées à Charlemagne, voir nos Études critiques sur l’histoire de Charlemagne, p. 93.
  122. Cet alinéa répond à ceux où Suétone parle des mariages qu’Auguste a fait contracter à sa fille et à ses petites-filles (lxiii et lxiv, 1). Il faut d’ailleurs remarquer que le parti pris de Charlemagne de ne point marier ses filles n’était pas aussi strict qu’Éginhard l’affirme, puisqu’il nous a signalé lui-même quelques lignes plus haut que Rotrude avait été fiancée à l’empereur Constantin VI.
  123. Si Éginhard se permet cette allusion à l’inconduite des filles de Charlemagne, c’est que Suétone n’a pas omis de rappeler (Vie d’Auguste, lxv, 1) la fureur avec laquelle Auguste, de son côté, châtia l’inconduite de sa fille et de l’aînée de ses petites-filles : Éginhard a saisi avec empressement l’occasion qui s’offrait à lui d’établir avec le grand empereur romain, même en ces matières épineuses, un parallèle qu’il jugeait en fin de compte flatteur pour son émule franc, lequel sut, lui, dissimuler son chagrin d’une très digne façon. La périphrase habile dont il se sert pour évoquer discrètement les scandales de la cour est inspirée du même passage de Suétone (« sed laetum eum atque fidentem et subole et disciplina domus Fortuna destituit »).
  124. On sait que Rotrude eut du comte du Maine Rorgon un fils nommé Louis, qui devint abbé de Saint-Denis, et que Berthe eut du poète Angilbert plusieurs enfants, parmi lesquels l’historien Nithard.
  125. Dans son Histoire des évêques de Metz, qu’Éginhard avait entre les mains, Paul Diacre a donné le nom de cette maîtresse dont Charlemagne avait eu un fils antérieurement à son premier mariage : « Habuit tamen ante legale connubium ex Himiltrude nobili puella filium nomine Pippinum » (Monumenta Germaniae, Scriptores, t. II, p. 265).
  126. Il est, pour cette raison, connu dans l’histoire sous le nom de Pépin le Bossu. Sa révolte se place en 792.
  127. Pour ce paragraphe — et en partie pour les suivants — Éginhard a fait de fréquents emprunts aux Annales royales, 2e rédaction, ann. 792 : « … Is (Carolus rex) tunc apud Reginum Baioariae civitatem, in qua hiemaverat, residebat… Rege vero ibidem aestatem agente facta est contra illum conjuratio a filio suo majore nomine Pippino et quibusdam Francis qui se crudelitatem Fastradae reginae ferre non posse adseverabant atque ideo in necem regis conspiraverant. Quae cum per Fardulfum Langobardum detecta fuisset… auctores… conjurationis… partim gladio caesi, partim patibulis suspensi… Rex autem propter bellum cum Hunis susceptum in Baioaria sedens, etc. » (éd. Kurze, p. 91 et 93). Comme toujours, nous soulignons, en les imprimant en italiques, les expressions textuellement reproduites par Éginhard. — Il est facile de voir, par la simple comparaison des deux textes, que c’est pour avoir lu trop rapidement les Annales qu’Éginhard place en hiver — et non en été — la rébellion de Pépin.
  128. En 785 ou en 786, avant Pâques. Éginhard a ici consulté, outre le texte précédent, l’année 785 des Annales royales, 2e rédaction : « Facta est eodem anno trans Rhenum apud orientales Francos adversus regem immodica conjuratio cujus auctorem Hardradum comitem fuisse constabat… Tarn valida conspiratio… brevi conquievit, auctoribus ejus partim privatione luminum, partim exilii deportatione condemnatis » (éd. Kurze, p. 71).
  129. Éginhard étend ici, sans raison à ce qu’il semble, au complot du comte Hardrad (785-786) ce que les Annales disent du complot de Pépin le Bossu seulement (voir l’avant-dernière note) ; et il est difficile, en outre, de savoir ce que valent au juste les détails qu’il ajoute de son cru.
  130. Parmi ces étrangers figuraient notamment les « Scots », contre lesquels Éginhard avait eu l’occasion d’exercer sa verve dans les premiers temps qu’il était au palais carolingien. Voir nos Études critiques sur l’histoire de Charlemagne, p. 70.
  131. Ceci est une réplique à ce que Suétone dit de l’empereur Tibère — qui, lui, au dire de son biographe, était d’une taille exagérée : « Corpore fuit amplo atque robusto, statura quae justam excederet » (Vie de Tibère, lxviii, 1).
  132. Mot à mot : « il mesurait sept fois la longueur de son pied ». Ce nouveau trait est une réplique à ce que Suétone dit d’Auguste (Vie d’Auguste, lxxix, 2) — haut, lui, seulement de cinq pieds trois quarts (« staturam brevem, quam tamen… quinque pedum et dodrantis fuisse tradit… »). Il importe au surplus d’observer que l’assertion d’Éginhard (s’il ne faut pas corriger la leçon des manuscrits) ferait de Charlemagne un géant.
  133. Suétone reconnaît dans les mêmes termes l’une de ces qualités aux yeux de Tibère (Vie de Tibère, lxviii, 2 : « … cum praegrandibus oculis ») et l’autre à ceux de Jules César (Vie de César, xlv, 1 : « … nigris vegetisque oculis »).
  134. C’est à peu près ce que Suétone dit d’Auguste : « Nasum et a summo eminentiorem et ab imo deductiorem » (Vie d’Auguste, lxxix, 2).
  135. Toutes les caractéristiques précédentes se trouvent déjà dans le portrait que Suétone a tracé de Claude : « Auctoritas dignitasque formae non defuit vel stanti vel sedenti… nam et prolixo nec exili corpore erat et specie canitieque pulchra » (Vie de Claude, xxx).
  136. Suétone (Vie de Néron, li) parle de même du « cou gras et du ventre saillant » de Néron (« cervice obesa, ventre projecto ») ; de Titus, il dit (Vie de Titus, iii, 1) qu’il avait le ventre a un peu trop saillant » (« ventre paulo projectiore »).
  137. Suétone l’avait déjà dit d’Auguste : « Staturam brevem… sed quae commoditate et aequitate membrorum occuleretur » (Vie d’Auguste, lxxix, 2).
  138. Ici encore Éginhard s’inspire de Suétone, qui dit de César : « Valitudine prospera, nisi quod tempore extremo… comitiali… morbo… correptus est » (Vie de César, xlv, 1). — Voir aussi la note 1 de la page 68.
  139. Dans l’alinéa consacré à la santé d’Auguste (Vie d’Auguste, lxxx), Suétone dit aussi que l’empereur romain, atteint de rhumatismes à une jambe, finit par boiter (« … ut saepe etiam inclaudicaret »).
  140. C’est ce que Suétone avait déjà dit de Tibère (Vie de Tibère, LXVIII, 4) : doté d’une très belle santé (valitudine prosperrima), il ne se soigna jamais qu’à sa fantaisie, affirme son biographe, sans vouloir écouter l’avis de ses médecins (« quamvis… arbitratu eam suo rexerit, sine adjumento consiliove medicorum »).
  141. Dans une de ses lettres, Alcuin rappelle à Charlemagne qu’il l’a entretenu d’une question théologique tandis qu’ils étaient ensemble dans la piscine, « in fervente naturalis aquae balneo » (lettre des années 798-803, dans les Monumenta Germaniae, Epistolae karolini aevi, t. II, p. 420).
  142. Éginhard retourne ce que Suétone (Vie de Caligula, lii) dit de Caligula, dédaigneux du « costume national » (« Vestitu… neque patrio neque civili »). — Les miniatures du ixe siècle permettent de suivre en grande partie la description qui est donnée ici du costume franc. Voir, entre autres, celles que reproduit C. Enlart, Manuel d’archéologie française, t. III (le Costume), fig. 2, 3, 398, 401.
  143. Pour quelques-uns des détails précédents, Eginhard croit devoir à nouveau faire des emprunts à Suétone, lequel (Vie d’Auguste, lxxxii, 1) nous montre Auguste portant en hiver un gilet de laine, un caleçon et un pantalon (« Hieme… thorace laneo et feminalibus et tibialibus muniebatur »).
  144. Éginhard continue à donner la réplique à Suétone, qui parle de la simplicité des vêtements d’Auguste (Vie d’Auguste, lxxiii).
  145. Toujours comme Auguste, dont Suétone dit : « Cibi… minimi erat » {op. cit., lxxvi, 1). À rapprocher aussi de ce que Suétone dit de Claude en sens contraire : « Cibi vinique… appetentissimus » (Vie de Claude, xxxiii, 1). — Éginhard n’en avoue pas moins que Charlemagne supportait mal l’obligation du jeûne !
  146. À l’inverse d’Auguste, dont Suétone écrit : « Convivabatur assidue… non sine magno ordinum hominumque dilectu » (Vie d’Auguste, lxxiv).
  147. C’est-à-dire le repas principal qui, comme chez les Romains, devait se prendre vers le milieu de l’après-midi.
  148. Suétone avait dit en termes analogues (Vie d’Auguste, lxxiv) que le dîner d’Auguste se composait couramment de trois — parfois aussi de six plats (« Cenam ternis ferculis, aut, cum abundantissime, senis praebebat »).
  149. Calqué sur Suétone, Vie d’Auguste, lxxiv : « … aut acroamata et histriones aut etiam triviales ex circo ludos interponebat ». Le sens habituel du mot acroama (ἀκρόαμα) est tellement vague que nous n’osons garantir la valeur exacte qu’Éginhard a voulu ici lui donner.
  150. Suétone dit la même chose d’Auguste (Vie d’Auguste, lxxvii) : « Vini quoque natura parcissimus erat. Non amplius ter bibere eum solitum super cenam… Cornelius Nepos tradit. »
  151. Auguste aussi, d’après Suétone (op. cit., lxxviii, 1), « se reposait quelque peu après le repas de midi », mais « vêtu et chaussé » (« Post cibum meridianum, ita ut vestitus et calciatus erat paulisper conquiescebat »).
  152. Au même endroit, Suétone — qu’Eginhard continue à suivre de près — dit d’Auguste qu’il se réveillait la nuit « à quatre ou cinq reprises » (« non amplius… quam septem horas dormiebat, ac ne eas continuas, sed ut… ter aut quater expergisceretur ») ; quand son sommeil était ainsi « interrompu » (interruptum somnum) et si l’insomnie se prolongeait, Auguste se faisait lire, mais il restait couché : Éginhard a cru, naïvement, devoir souligner que Charlemagne, lui, se levait à chaque interruption de son sommeil.
  153. Contre-partie d’un passage où Suétone (Vie de Vespasien, xxi) nous parle seulement des amis que Vespasien recevait, tandis qu’il s’habillait, au sortir du lit (« Amicos admittebat ac dum salutabatur calciabat ipse se et amiciebat »). Suétone ajoute des indications sur les affaires que Vespasien réglait dès son réveil : Éginhard s’en est également souvenu.
  154. Suétone avait dit pareillement d’Auguste (Vie d’Auguste, xxxiii, 1) que parfois la nuit, ou lorsqu’il était malade, il rendait la justice (« ipse jus dixit ») de sa litière, en guise de « tribunal » (« lectica pro tribunali collocata »).
  155. Cherchant à caractériser l’ « éloquence » (« genus eloquendi ») d’Auguste, Suétone (Vie d’Auguste, lxxxvi, 1) avait déjà dit à peu près dans les mêmes termes : « praecipuamque curam duxit sensum animi quam apertissime exprimere ».
  156. Ces indications répondent à celles que Suétone fournit habituellement sur chacun des empereurs touchant leurs connaissances tant en langue grecque qu’en langue latine. Voir Vies d’Auguste, lxxxix, 1 ; de Tibère, lxxi, 1 ; de Claude, xlii, 1. De Titus, Suétone écrit qu’il s’exprimait avec facilité aussi bien en grec qu’en latin : « latine graeceque… in orando… promptus et facilis » (Vie de Titus, iii, 2). Il est possible, en outre, qu’Éginhard se soit souvenu de ce que Paul Diacre avait dit de l’évêque Chrodegang dans son Histoire des évêques de Metz — dont nous avons vu déjà (§ 2 et 15) qu’il devait avoir eu le texte sous les yeux : « Eloquio facundissimus, tam patrio quamque etiam latino sermone imbutus » (Monumenta Germaniae, Scriptores, t. II, p. 267).
  157. Suétone avait dit (Vies de Caligula, lii, 1 ; de Vespasien, xxii), en employant les mêmes mots qu’Éginhard, que Caligula avait la parole facile (facundus), et il avait noté que Vespasien était « dicacitatis plurimae ».
  158. Comme Tibère, dont Suétone avait dit en termes identiques : « Artes liberales utriusque generis studiosissime coluit » (Vie de Tibère, lxx, 1).
  159. Dans une de ses lettres, adressée à Charlemagne en 799, Alcuin évoque le nom de Pierre de Pise en rappelant son activité comme professeur de grammaire à la cour royale : « Idem Petrus fuit qui in palatio vestro grammaticam docens claruit » (Monumenta Germaniae, Epistolae karolini aevi, t. II, p. 458). Cf. Manitius, Geschichte der lateinischen Literatur des Mittelalters, t. I (1911), p. 452 et suiv., et les deux poèmes envoyés à Pierre de Pise lui-même au nom de Charlemagne, dans K. Neff, Die Gedichte des Paulus Diaconus (1908), nos 34 et 40. Ces deux poèmes, et peut-être même la correspondance d’Alcuin, devaient être connus d’Éginhard.
  160. L’île de Bretagne — la Grande-Bretagne — bien entendu.
  161. Les traités dialogués, ou Disputationes, d’Alcuin et sa correspondance confirment que tel fut bien, en effet, le cadre de l’enseignement qu’il dispensa à son auguste disciple.
  162. Ce passage répond aux quatre chapitres (Vie d’Auguste, xc-xciii) que Suétone a écrits sur les sentiments religieux et la piété d’Auguste (« Peregrinarum caerimoniarum sicut veteres ac praeceptas reverentissime coluit… »).
  163. Ces balustrades et ces portes subsistent encore aujourd’hui à l’église d’Aix.
  164. Éginhard l’avait pu lire dans la correspondance de Charlemagne, à laquelle nous avons déjà vu qu’il avait eu accès. Voir spécialement la lettre 67 du Codex carolinus (Monumenta Germaniae, Epistolae merowingici et karolini aevi, t. I, p. 614, no 81), par laquelle le pape Hadrien Ier annonce à Charles, en 787 ou environ, qu’il l’autorise à faire enlever du palais de Ravenne les marbres et les mosaïques dont il a besoin pour ses constructions.
  165. On sait qu’à cette époque on ne célébrait normalement qu’une seule messe par jour, le matin. Éginhard veut dire qu’en dehors de cette messe Charlemagne assistait à la récitation des « heures » du matin, du soir et de la nuit.
  166. On distingue, on le sait, quatre ordres « mineurs », qui sont, suivant leur degré d’importance croissante, ceux de portier, de lecteur, d’exorciste et d’acolyte, et trois ordres « majeurs » : sous-diaconat, diaconat et prêtrise.
  167. Cf. l’article 80 du capitulaire général de mars 789 (Capitularia regum Francorum, éd. Boretius et Krause, t. I, no 22, p. 61) et la lettre-circulaire adressée par Charlemagne vers la même époque aux « lecteurs » des églises de ses États (Ibid., no 30, p. 80-81).
  168. Un capitulaire de l’an 810 ordonne de faire des quêtes dans l’empire franc pour la restauration des églises de Jérusalem (Monumenta Germaniae, Capitularia regum Francorum, t. I, no 64, art. 18, p. 154) et divers témoignages des ixe-xe siècles prouvent qu’on attribua plus tard à Charlemagne la construction et la dotation d’un hospice auprès du saint Sépulcre (voir Louis Bréhier, mémoire cité plus haut [p. 48, n. 1], p. 33-34).
  169. Voir, dans la vie du pape Léon III, ch. 23, au Liber pontificalis, éd. L. Duchesne, t. II, p. 7, la liste des riches offrandes faites par Charlemagne à Saint-Pierre en l’an 800.
  170. Pour exprimer cette idée, Éginhard reprend une expression assez particulière de Suétone, dans la Vie de Vespasien, viii, 1 : « Per totum imperii tempus nihil habuit antiquius quam… »
  171. En 774, 781, 787 et 800, comme Éginhard pouvait l’apprendre à la simple lecture des Annales royales.
  172. Le passage qui suit est inspiré des Annales royales, ann. 799, 800 et 801, 2e rédaction. L’annaliste rapporte, en termes qu’Éginhard s’est souvent borné à reproduire, les violences subies par le pontife le 25 avril 799 (« Erutis oculis… lingua quoque amputata, nudus ac semivivus in platea relictus est », éd. Kurze, p. 107), sa fuite jusqu’en Saxe, au camp de Charlemagne, l’arrivée de ce dernier à Rome (24 novembre 800), où il passe plusieurs semaines à remettre en ordre les affaires de l’Église, enfin son couronnement comme empereur le 25 décembre suivant (« … omisso patricii nomine imperator et augustus appellatus est », p. 113).
  173. Nous avons discuté cette version du couronnement impérial dans notre étude sur le Couronnement impérial de l’an 800 (Études critiques sur l’histoire de Charlemagne, p. 219-238).
  174. Jamais les empereurs orientaux n’avaient cessé de porter ce titre et de se considérer comme les héritiers — les seuls héritiers depuis qu’il n’y avait plus d’empereur en Occident — des premiers empereurs romains.
  175. Voir, en effet, les lettres de Charlemagne à Nicéphore Ier (811) et à Michel Ier (813) dans les Monumenta Germaniae, Epistolae karolini aevi, t. II, p. 546 et 556. — Éginhard déforme ici audacieusement les faits, qu’au surplus il n’a peut-être pas bien compris.
  176. C’est sans doute dans la Vie d’Auguste (xxxiv, 1) qu’Éginhard a pris l’idée de ce passage.
  177. Ces articles additionnels destinés à compléter la loi salique et la loi ripuaire furent promulgués en 803 (Capitularia regum Francorum, éd. A. Boretius, dans la collection des Monumenta Germaniae historica, t. I, nos 39 et 41).
  178. Sur les transcriptions ou rédactions des diverses lois germaniques au temps de Charlemagne, consulter H. Brunner, Deutsche Rechtsgeschichte, t. I, 2e édition (1906), p. 429, 473, 475, 481.
  179. De tout ceci, il semble que nous n’ayons rien conservé.
  180. Quelques-uns de ces noms subsistent en allemand moderne : Hornung, février ; Lenmonat, mars (mois du renouveau) ; Ostermonat, avril (mois de Pâques) ; Wonnemonat, mai (mois de la joie) ; Brachmonat, juin (mois des jachères) ; Heumonat, juillet (mois des foins). D’autres noms, qui semblent sortis aujourd’hui de l’usage, ont subsisté plus ou moins longtemps : wintarmanoth ou Wintermonat, janvier (mois d’hiver) ; aranmanoth ou Æhrenmonat, août (mois des épis) ; heilagmanoth ou Heiligmonat, décembre (le mois saint) ; witumanoth signifie « mois du bois » (witu = bois, en haut allemand) ; windumemanoth signifie « mois des vendanges » (windumôn = vendanger, en haut allemand) ; herbistmanoth rappelle Herbstmonat (mois d’automne), mais ce dernier terme désigne en allemand moderne le mois de septembre.
  181. La division en douze vents indiquée ici était classique. C’est celle qu’on trouve dans le livre des Étymologies d’Isidore de Séville, qui faisait encore autorité au ixe siècle. Voir l’édition Lindsay, t. II, l. XIII, ch. xi, § 2 et 3 (Oxford, 1911, in-12, Scriptores classicorum Bibliotheca Oxoniensis).
  182. Tous ces détails sont empruntés — pour partie textuellement — aux Annales royales, où l’on peut lire, sous l’année 813 (le couronnement de Louis le Pieux eut lieu le 11 septembre de cette année) que Charlemagne, « habito generali conventu, evocatum ad se apud Aquasgrani filium suum Hludowicum Aquitaniae regem coronam illi imposuit et imperialis nominis sibi consortem fecit » (éd. Kurze, p. 138).
  183. Les Annales royales, ann. 814 (éd. Kurze, p. 140) portent, en effet, que Louis « hivernait en Aquitaine » quand son père mourut.
  184. Les manuscrits les plus complets des Annales royales (éd. Kurze, p. 137) notent que Charlemagne partit en 813 pour chasser dans l’Ardenne, comme il le faisait fréquemment (« Cum in Ardvenna venaretur… ») ; mais la partie de chasse est placée avant le couronnement de Louis (11 septembre), en plein été par conséquent, comme il arrivait parfois à l’empereur (voir Annales royales, ann. 802 et 805). L’annaliste ajoute un détail important — dont Éginhard a du reste tenu compte quand, au début de son chapitre, il déclare que Charlemagne a fait couronner empereur son fils parce qu’il « pliait déjà sous le poids de la maladie » — : au cours de cette partie de chasse, l’empereur eut une première attaque, qui l’obligea à rentrer à Aix (« pedum dolore decubuit et convalescens Aquasgrani reversus est ») et à la suite de laquelle il se décida à régler sa succession, ce qui achève de rendre invraisemblable le récit d’Éginhard.
  185. Éginhard précise ici le récit des Annales royales, dont il s’est servi cependant, car on y trouve déjà quelques-unes des expressions auxquelles il a lui-même recours : « Post quod imperator… pedum dolore decubuitDum Aquisgrani hiemaret, etc. » (ann. 813 et 814, éd. Kurze, p. 137 et 140).
  186. C’est à peu près ce que disent les Annales royales, ann. 814 (éd. Kurze, p. 140) : « … anno aetatis circiter septuagesimo primo, regni autem quadragesimo septimo ex quo vero imperator et augustus appelatus est anno XIIII., V kal. febr. rebus humanis excessit. » Éginhard a pourtant ajouté l’heure de la mort, à l’exemple de Suétone qui fait mourir Auguste : « xiiii. kal. septemb. hora diei nona, septuagesimo et sexto aetatis anno » (Vie d’Auguste, c, 1).
  187. C’est-à-dire le 28 janvier, à neuf heures du matin.
  188. Pareillement, Suétone, après avoir noté la date et l’heure de la mort d’Auguste, ajoute (op. cit., c, 2) que son corps fut porté à Rome (« Corpus… urbi… intulit »), où l’on discuta assez longtemps sur la manière dont seraient célébrées ses funérailles, tout comme, au dire d’Éginhard, on discuta à Aix sur l’emplacement à adopter pour la tombe de Charlemagne.
  189. On a beaucoup discuté sur l’aspect primitif du tombeau de Charlemagne à Aix. Ces discussions sont bien résumées par dom H. Leclercq dans le Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie qu’il publie en collaboration avec dom Cabrol, t. III, col. 789-799.
  190. Ce chapitre sur les présages de la mort de Charlemagne est inspiré des Vies d’Auguste (xcvii), de Caligula (lvii) et de Claude (xlvi) par Suétone — subsidiairement aussi de sa Vie de César (lxxxi). Aux trois premières de ces vies, Éginhard a fait quelques emprunts de détail que nous signalons en note.
  191. Cf. Suétone, Vie de Caligula, lvii, 1 et 2 : « Futurae caedis multa prodigia extiterunt… Sulla mathematicus certissimam necem appropinquare affirmavit » ; Vie de Claude, xlvi : « Sed nec ipse ignorasse aut dissimulasse ultima vitae suae tempora videtur. »
  192. Les Annales royales, qu’Éginhard semble avoir assez distraitement consultées, relèvent qu’en l’espace d’une seule année, de septembre 806 à septembre 807, il y eut trois éclipses de lune, une éclipse de soleil, et qu’en outre huit jours de suite, à partir du 17 mars, une tache noire fut observée dans le soleil (« Nam et Stella Mercurii xvi. kal. aprilis visa est in sole quasi parva macula, nigra tamen, paululum superius medio centro ejusdem sideris, quae a nobis octo dies conspicitur », éd. Kurze, p. 123). — En 808, aucun phénomène météorologique n’est signalé. — En 809, une éclipse de lune, le 26 décembre (ibid., p. 130), mais pas d’éclipse de soleil. — En 810, deux éclipses de lune et deux éclipses de soleil (ibid., p. 133). — En 811, de nouveau, aucun phénomène météorologique n’est noté. — En 812, une éclipse de soleil (p. 137), mais pas d’éclipse de lune. — En 813, rien.
  193. Les Annales royales rapportent, en termes analogues, un accident identique survenu en 817 seulement, c’est-à-dire après la mort de Charlemagne. Elles parlent à ce propos d’un portique qui, comme celui de Charlemagne, mettait en communication directe le palais et l’église d’Aix, mais elles ajoutent qu’il était en bois « vermoulu et pourri », ce qui est surprenant pour un portique dont la reconstruction eût été toute récente si Éginhard n’a pas fait erreur, d’autant plus surprenant même que l’annaliste n’a pas un mot pour rappeler ce prétendu accident antérieur : « … Feria quinta, qua cena Domini celebratur, cum imperator ab ecclesia… remearet, lignea porticus per quam incedebat, cum et fragili materia esset aedificata et tune jam marcida et putrefacta… incendentem desuper imperatorem subita ruina… ad terram usque deposuit » (éd. Kurze, p. 146).
  194. Cet incendie (mai 813) est signalé brièvement dans la dernière rédaction des Annales royales sous l’année 813 (éd. Kurze, p. 137). Éginhard reproduit quelques-unes des expressions de l’annaliste. Voir ci-dessus, p. 51, n. 3.
  195. Éginhard semble oublier qu’il était en bois !
  196. En 810. Voir ci-dessus, § 14.
  197. Le mot laquearia dont se sert ici Éginhard semble désigner, au sens strict, des plafonds de bois à solives apparentes.
  198. Suétone avait parlé en termes analogues d’édifices atteints par la foudre avant la mort d’Auguste, de Caligula et de Claude : « Sub idem tempus ictu fulminis… » (Vie d’Auguste, xcvii, 2) ; « Capitolium Capuae… de caelo tactum est, item Romae cella Palatini atriensis » (Vie de Caligula, lvii, 2) ; « … tactumque de caelo monumentum Drusi patris… » (Vie de Claude, xlvi).
  199. Suétone raconte à propos d’Auguste une histoire analogue (Vie d’Auguste, xcvii, 2), dont Éginhard s’est évidemment inspiré : la foudre étant tombée sur une statue de l’empereur, la première lettre de son titre de Caesar, inscrit sur le socle, se trouva effacée (« Ictu fulminis ex inscriptione statuae ejus prima nominis littera effluxit ; responsum est centum solos dies posthac victurum, quem numerum C littera notaret futurumque ut inter deos referretur quod AESAR, id est reliqua pars e Caesaris nomine Etrusca lingua deus vocaretur »).
  200. Pour certains détails d’expression, Éginhard s’est souvenu du chapitre consacré par Suétone au testament d’Auguste : « Testamentumante annum et quattuor menses quam decederet factumHeredes instituit primos, etc. »
  201. L’acte semble du début de l’année 811. Voir Böhmer et Mühlbacher, Die Regesten des Kaiserreichs unter den Karolingern, 2e éd. (1908), t. I, no 458.
  202. Le sens du mot employé dans l’acte (repositorium) n’est pas clair : il s’agit sans doute d’un coffre ou bien d’un cabinet où l’on déposait les objets précieux.
  203. Aujourd’hui Cividale (en Frioul).
  204. L’historien de l’église de Ravenne, Agnellus, dans son Liber pontifîcalis ecclesiae Ravennatis, § 170 (Monumenta Germaniae, Scriptores rerum Langobardicarum, p. 388), a noté l’envoi fait par Louis le Pieux après la mort de son père de cette table d’argent massif.
  205. Les Annales de Saint-Bertin (éd. Waitz, p. 27) parlent, sous l’année 842, de cette table d’argent qu’elles nous permettent de nous représenter avec plus de précision. Trois cercles concentriques y figuraient suivant le système de Ptolémée : 1o la terre et l’atmosphère terrestre ; 2o les « ciels » de la lune, du soleil et des planètes ; 3o le ciel des étoiles fixes. Après la mort de Charlemagne, Louis le Pieux la garda pour lui (Thégan, Vie de Louis le Pieux, viii).
  206. Ce sont, dans l’ordre où ils sont ici énumérés, les archevêques de Cologne, de Mayence, de Salzbourg, de Reims, de Besançon, de Lyon, d’Arles, et les évêques d’Orléans, d’Amiens, de Bâle et de Liège.
  207. Respectivement abbés de Saint-Martin de Tours, Lorsch, Saint-Riquier et Saint-Germain-des-Prés.
  208. Parmi ceux qui sont énumérés ici, nous reconnaissons d’abord le célèbre Wala, qui, comme abbé de Corbie, allait jouer sous Louis le Pieux un rôle de premier plan. — Un comte du nom de Meginharius est cité en 817 dans les Annales royales (éd. Kurze, p. 148) comme le gendre du comte Hardrad, qui, en 785, avait conspiré contre Charlemagne. — Otulf est peut-être le même qu’un comte Audulfus qui occupa d’importantes fonctions en Bavière (voir Abel et Simson, Jahrbücher des fränkischen Reiches unter Karl dem Grossen, t. II, p. 325). — Un comte de Paris du nom d’Étienne est cité au début du ixe siècle (Monumenta Germaniae, Capitularia regum Francorum, t. I, p. 100 et 112). — Le comte Unroc est bien connu : il fut le grand-père de l’empereur Bérenger. — Burchard est peut-être le connétable (comes stabuli) de ce nom cité dans les Annales royales, ann. 807 et 811 (éd. Kurze, p. 124 et 134). — Un comte Meginhardus et un comte Uodo (dont le nom aurait été ici estropié en Edo) sont indiqués dans ces mêmes Annales (p. 134) parmi les plénipotentiaires francs envoyés par Charlemagne au roi danois Hemming ; un Ricouin, comte de Padoue, y est nommé en 814 (ibid., p. 141). — Quant à Gerold, c’est probablement le comte bien connu qui fut duc de la marche orientale de 811 environ à 832 (voir Dümmler, Geschichte des ostfränkischen Reiches, 2e éd., t. I, p. 35). — Enfin, il est vraisemblable que sous le nom fautif de Bero se cache le comte de Barcelone Bera, qui effectivement était en fonctions dans les dernières années du règne de Charlemagne.
  209. Notons que Thégan, dans sa Vie de Louis le Pieux (chap. 8), et Nithard, dans son Histoire des fils de Louis le Pieux (I, 2), donnent de la façon dont le successeur de Charlemagne procéda au partage des trésors laissés par l’empereur une idée assez différente.