Vie de Charlemagne (Éginhard, trad. Halphen)/Avant-propos

Traduction par Louis Halphen.
Texte établi par Louis HalphenHonoré Champion (p. i-iii).

AVANT-PROPOS


Voici la première édition de la Vie de Charlemagne qui paraisse en France depuis 1840. Si l’on songe aux nombreuses découvertes de manuscrits faites entre temps et aux progrès considérables réalisés par la science et la critique historiques, on ne s’étonnera pas de nous voir inaugurer la collection des Classiques de l’histoire de France au moyen âge par une nouvelle publication de cette œuvre fameuse.

Les principes généraux dont nous nous sommes inspiré et dont s’inspireront dans les prochains volumes les collaborateurs qui ont bien voulu nous promettre leur concours sont les suivants : donner un texte établi avec critique, mais sans vaines surcharges, c’est-à-dire un texte établi d’après quelques manuscrits types (à l’exclusion de ceux qui n’en sont que des copies directes ou dont les leçons n’offrent qu’un intérêt de pure curiosité) et accompagné d’un relevé des seules variantes utiles pour éviter l’arbitraire ; — donner en même temps que le texte authentique une traduction fidèle, ou qu’on voudrait du moins telle, chaque fois que ce texte est en latin, en provençal ou en un français trop délicat à interpréter pour le commun des lecteurs ; — joindre au texte enfin des notes aussi sobres que possible, mais n’omettant aucun des éclaircissements qu’on est en droit d’attendre d’un éditeur consciencieux, et fournissant toujours le moyen de distinguer avec netteté ce qui, dans l’œuvre publiée, est original de ce qui n’est que copie ou contrefaçon d’œuvres antérieures.

Nos introductions seront brèves. Nous ferons en sorte qu’on y trouve tout ce qui est nécessaire à l’intelligence des textes reproduits, mais rien de plus.

L’expérience dira dans quelle mesure nous avons réussi, pour la Vie de Charlemagne, à remplir le programme que nous venons d’esquisser ; mais nous devons reconnaître dès l’abord qu’il nous a fallu ici en faire fléchir au moins l’un des articles en donnant à notre annotation un développement supérieur de beaucoup à ce que nous prévoyons pour la plupart des volumes à venir. La faute en est à Éginhard lui-même, qui, par ses procédés de composition, nous a contraint à multiplier les rapprochements avec les œuvres de ses devanciers — qu’il n’a cependant pas assez fidèlement reproduites pour que nous ayons pu nous borner (comme nous le ferons presque toujours dans des cas analogues) à distinguer ses emprunts de son œuvre personnelle par un simple artifice typographique.

La formule à laquelle nous nous sommes arrêté ne sera d’ailleurs pas d’une rigidité absolue. Notre intention étant d’accueillir des textes de genres très variés — des chroniques, des biographies, des mémoires, des correspondances, des documents juridiques (comme la Loi salique, les capitulaires, les grandes ordonnances des Capétiens), des pièces administratives ou diplomatiques, certaines œuvres littéraires particulièrement instructives pour l’histoire de la société du moyen âge (poésies de circonstance, pamphlets, sermons, etc.), d’autres catégories de textes encore, auxquels nous ne demanderons que de présenter un intérêt historique général — nous aurons fréquemment à apporter à la méthode suivie dans ce premier volume des modifications de détail.

Mais, quoi qu’il arrive, nous nous efforcerons de faire de nos éditions des œuvres claires, faciles à lire et à consulter, où le simple amateur d’histoire désireux de remonter aux sources, comme l’étudiant ou l’historien de profession, puisse trouver de quoi contenter sans perte de temps sa légitime curiosité. Nous chercherons à éviter tout à la fois l’érudition indiscrète, qui finit par écraser de son poids les œuvres qu’elle prétend commenter, et la réserve excessive de certains éditeurs qui, pour ne pas s’interposer trop souvent entre le texte et le lecteur, privent ce dernier de presque tous les renseignements ou moyens de contrôle sur lesquels il croyait pouvoir compter.

Nous espérons ainsi nous rendre digne, à notre tour, de la faveur que le public lettré témoigne depuis plus de douze ans déjà à la collection des Classiques français du moyen âge de M. Mario Roques, dont les Classiques de l’Histoire de France voudraient être pour les historiens l’indispensable complément.

Louis Halphen.