Victor ou les Enfants au pouvoir/Acte I
Premier Acte
Scène Première
… Et le fruit de votre entaille est béni.
D’abord, c’est le fruit de vos entrailles, qu’il faut dire.
Peut-être, mais c’est moins imagé.
Assez, Victor ! J’ai assez de ces conversations. Tu me fais dire des bêtises.
Parce que tu es une vieille bête.
Ta mère…
… est bien bonne.
Si ta mère t’entendait…
Je dis qu’elle est bien bonne. Ah ! ah ! elle est bien bonne ! bien, bien, bien bonne.
Ai-je dit une plaisanterie ?
Eh bien, ne puis-je pas aimer ma mère ?
Victor !
Lili !
Victor, tu as neuf ans aujourd’hui. Tu n’es presque plus un enfant.
Alors l’année prochaine, je serai un homme ? Hein, mon petit bonhomme ?
Tu dois être raisonnable.
… et je pourrai raisonnablement te traiter de grue.
… à moins que tu ne consentes…
… à faire pour moi ce que tu fais pour d’autres.
Morveux !
Ose dire que tu n’as pas couché avec mon père !
Va-t-en, ou je t’étrangle !
Hein ? ma petite bonne femme ? hein ? le petit bonhomme ?
Cet âge est sans pitié !
Tu as trois fois cet âge, Lili…
Tais-toi, tais-toi, je t’en supplie !
Tu vois, ce verre, Lili ?
Oui, eh bien ?
C’est un verre en cristal de Baccarat. On le saura. Ma mère le répète à chaque réception. Il est unique, parce qu’il appartient à un service unique. C’est dire qu’il vaut très cher. J’aurais dû commencer par là. Écoute bien. J’ai neuf ans. Jusqu’ici j’ai été un enfant modèle. Je n’ai rien fait de ce qu’on m’a défendu. Mon père le rabâche : C’est un enfant modèle, qui nous donne toutes les satisfactions, qui mérite toutes les récompenses, et pour qui nous sommes heureux de faire tous les sacrifices. Ma mère ajoute qu’elle se saigne aux quatre veines, mais le sang reste dans la famille, et comme bon sang ne saurait mentir, je te le dis, j’ai été jusqu’à ce jour irréprochable. Si j’ai jamais mis ma main en visière pour pisser…
Oh !
… comme on me l’a recommandé, par contre je n’ai jamais introduit mon doigt dans le derrière des petites filles…
… comme l’a fait Lucien Paradis. S’il l’ose, quand il aura neuf ans, il le confessera. Mais je tiens à te dire aujourd’hui 12 septembre, qui est la Saint Léonce, que je n’attendrai pas un an de plus pour devenir un homme, ce qui ne signifie rien, et que simplement je suis décidé à être quelque chose.
Écoutez-le.
Oui, quelque chose ! Quelque chose de neuf, nom de Dieu !
Si on l’entendait !
Le verre de Baccarat est toujours dans ma fragile main. Qui des deux est le plus fragile ?
… Victor ! tu ne vas pas casser ce verre.
Si ce verre tombe et se brise, la famille Paumelle, dont je suis le dernier descendant, perdra trois mille francs.
Il va le casser.
Rassure-toi, je ne le casserai pas.
Non, je ne casserai pas le verre. Je casserai plutôt ce grand pot.
(Il pousse un grand vase de Sèvres, qui se trouve sur une console. Le vase tombe et se brise.)
Bon, en voilà pour dix mille francs à valoir sur mon héritage.
Mais il est fou. Tu es fou, Victor ! Un si beau vase !
Un si bel œuf. Et je n’ai pas vu le cheval. As-tu vu le cheval, toi ?
Qu’est-ce que c’est ça, papa ?
C’est un œuf de cheval, un gros coco de dada.
Il ne respecte rien. Croyez-vous qu’il a des remords ? Pas le moindre. Et quand je pense que tu l’as fait exprès !
Moi ? qu’ai-je fait encore ?
Ne fais pas l’imbécile. (L’imitant.) Moi, qu’ai-je fait encore ?
Eh bien, toi, ma petite Lili, tu viens de casser un grand vase de Sèvres.
Comment ! tu oses m’accuser de ce que tu viens de faire toi-même, volontairement, et sous mes yeux ?
Oui.
Mais je dirai que c’est toi.
On ne te croira pas.
On ne me croira pas ?
Non.
Et pourquoi ?
Tu verras…
Je voudrais bien que tu me dise pourquoi ?
Tu verras…
Mais, c’est affreux ! C’est abominable ! Je ne t’ai rien fait, moi, mon petit Victor ! N’ai-je pas toujours été gentille, ne t’ai-je pas évité…
Tu ne m’as rien évité, jamais.
Dieu du Ciel ! qu’est-ce qu’il a ? Qu’as-tu ?
J’ai neuf ans. J’ai un père, une mère, une bonne. J’ai un navire à essence qui part et revient à son point de départ, après avoir tiré deux coups de canon. J’ai une brosse à dents individuelle à manche rouge. Celle de mon père a le manche bleu. Celle de ma mère a le manche blanc. J’ai un casque de pompier, avec ses accessoires, qui sont ma médaille de sauvetage, le ceinturon verni et la hache d’abordage. J’ai faim. J’ai le nez régulier. J’ai les yeux sans défense, et les mains sans emploi, parce que je suis trop petit. J’ai un livret de caisse d’épargne, où l’oncle Octave m’a fait inscrire cinq francs le jour de mon baptême, avec le prix du livret et du timbre ça lui a coûté sept francs. J’ai eu la rougeole à quatre ans et sans le thermomètre du docteur Ribiore, j’y passais. Je n’ai plus aucune infirmité. J’ai la vue bonne et le jugement sûr, et je dois à ces dispositions de t’avoir vu commettre, sans motifs, un acte regrettable. La famille appréciera.
Tu n’as pas le droit de faire ça. Ce n’est pas bien. Si tu as un cœur, tu t’accuseras toi-même. C’est ainsi qu’agissent les petits garçons loyaux et francs.
Je ne suis pas un petit garçon et je ne m’accuserai pas parce que c’est toi qui a cassé le vieux pot.
Eh bien on va voir.
Tu me menaces ? Écoute, Lili, je vais casser l’autre.
Quel malheur ! Un petit garçon si doux, si sage ; qu’a-t-il vu ? qui peut-il fréquenter ?
Tu ne comprendrais pas. Tu ne comprendrais pas parce que tu es stupide, maladroite et vicieuse. Je n’invente rien. Dès que ma mère constatera les dégâts, elle t’en convaincra sans difficulté, et je suis sûr que tu seras encore assez lâche pour lui faire des excuses, comme si la moindre insulte ne valait pas mille fois plus que le gros coco du dada.
Il me demande d’insulter sa mère !
Mais, tu n’es pas sa fille, toi.
Je ne comprends plus. Je ne comprends rien.
Tu vas comprendre. Quoique je n’ai pas cassé l’œuf en question…
Oh !
… je pourrais m’en accuser. Je le ferais volontiers, mais on ne me croirait pas.
Quoi ?
On ne me croirait pas, parce que je n’ai jamais rien cassé de ma vie. Pas un piano, pas un biberon. Tandis que toi, tu as déjà à ton actif la pendule, la théière, la bouteille d’eau de noix, etc. Si je m’accuse, voilà mon père : Le cher enfant, il veut sauver Lili. Et ma mère : Victor, ce que tu fais là est très bien ; vous, Lili, je vous chasse. Parce qu’il y aura du monde, on ne t’insultera pas davantage. Que veux-tu, tu as cassé le vase, je n’y peux rien. Rien du tout. Car, puisque je ne puis pas être coupable, je ne peux pas l’avoir cassé.
Pourtant, il est cassé.
Oui, tu as eu tort. (Un temps.) Sans doute, je pourrais dire que c’est le cheval…
Le cheval ?
Oui, le fameux dada qui devait naître du gros coco. Si j’avais trois ans, je le dirais, mais j’en ai neuf, et je suis terriblement intelligent.
Ah ! si j’avais cassé le verre seulement…
Je suis terriblement intelligent. (S’approchant de Lili et imitant la voix de son père.) Ne pleurez pas, Lili, ne pleurez pas, chère petite fille.
Victor ! qu’est-ce qui te prend ?
Je vous en supplie ne pleurez pas. Madame veut vous congédier, mais madame n’est rien ici. C’est moi qui suis le maître. D’ailleurs madame m’adore, moins pourtant que je ne vous aime. Je plaiderai pour vous, et j’obtiendrai gain de cause. Je vous le jure. Chère Lili. (Il l’embrasse.) Je vous sauverai. Comptez sur moi, et au petit jour, je vous apporterai moi-même la bonne nouvelle dans votre chambre. Cher agneau de flamme ! Tour du soir ! Rose de David ! Bergère de l’étoile ! (Il se lève d’un bond et se met à crier de toutes ses forces, les bras levés.) Priez pour nous, priez pour nous, priez pour nous ! (Puis il part d’un grand éclat de rire.)
Non, non, non. Je partirai, je partirai. Je veux partir tout de suite. Victor est devenu fou. Ce n’est plus un enfant.
Il n’y a plus d’enfants. Il n’y a jamais eu d’enfants.
Sale maison ! je partirai. Maintenant c’est moi qui veux partir. Je veux partir, et je partirai. Et il n’a que neuf ans. Il promet le Totor !
Je tiens toujours ce que je promets, et tu ne seras pas inquiétée. Reste.
Non.
Tu resteras. Vous resterez, ma chère Lili. Image du Ciel. Casque du chat. Tige des Lunes, vous resterez…
Eh bien, je resterai ! Tu veux me faire chanter, sale gosse ! voyou ! Je resterai, soit, mais tu me le paieras !
Va, je ne t’en veux pas, Lili, et tu ne seras pas inquiétée, je te le jure… Parce que je suis terriblement intelligent. Dommage que tu aies payé la première.
Scène II
Victor s’assied, se prend la tête dans les mains et reste silencieux pendant quelques instants.
Terriblement… intelligent. (Un temps.) J’ai vu cette nuit mon oncle, le député, le montreur d’ours, sous le thuya du jardin. Il était tout blanc, avec un fusil blanc comme du marbre. Il a réussi. Je m’approchai de lui, à distance pourtant de sa main. Quelle manie de me toucher le front et de dire : il me ressemble. Ah ! celui-là, c’est bien un Paumelle. Je voyais soudain dans le nuage le dessin exact d’un éclair… Nous fûmes surpris, l’autre année, un quatorze juillet, par l’orage. Des chevaux se cabraient devant les drapeaux de la gendarmerie. Tout le monde était gai. Mon père, qui tenait les rênes avait des gants noirs. Comme autrefois, l’éclair était rose. Je remarquai sa forme instantanée. Il figurait le contour des côtes de la Manche. Je le suivais du doigt sous la pluie. Le député excitait ses ours, et m’assurait de son affection : Victor, tu es terriblement[1]…
Scène III
Bonjour, Victor. Je te souhaite un heureux anniversaire.
Ah ! c’est toi, Esther, bonjour. (Un temps.) Merci.
De rien.
De rien ? Alors, pourquoi le dis-tu ?
On dit de rien, par politesse.
Chez moi on dit : il n’y a pas de quoi.
C’est plus long.
Écoute, Esther, ne t’occupe pas de moi. Laisse-moi tranquille. Soigne tes poupées. Lèche tes chats, aime ton prochain comme toi-même et sois une enfant docile, en attendant d’être une bonne épouse et une bonne mère.
Tu ne m’aimes plus, méchant !
Tu ne comprends pas. Tu ne comprendrais pas. Tu es comme Lili. Tiens, Lili, qui a cassé la potiche tout à l’heure, et qu’on va probablement renvoyer, parce qu’elle a l’intention de m’accuser.
Et ce n’est pas toi ?
Évidemment. Si j’étais coupable, je n’irais pas m’en vanter.
Bien sûr ! (Un temps.) Pauvre Lili !
N’en parlons plus. Dis donc, Esther, j’ai une belle histoire à te raconter.
Veine ! Dis vite.
Tu connais Pierre Dussène ? Oui, tu le connais, celui qui se promène avec un grand fouet et qui collectionne les serpents. Eh bien, je suis sorti avec lui hier soir.
Hier soir ? sans Lili ?
Non, Lili est venue ; mais nous l’avons chassée à coups de pierre. Elle ne s’en vantera pas. Je la tiens. Elle nous attendait chez sa sœur pendant que nous allions à la comédie, sous la halle.
Quelle chance, tu as, Victor !
La paix… C’était merveilleux.
Devant un rideau rouge et beaucoup de papillons, un homme, le visage couvert de plumes se roulait aux pieds d’une femme à cheval qui tenait une grande croix.
Vraiment ?
Et il chantait :
Que vous m’aimiez
Que vous ne m’aimiez pas
Ça m’est bien égal Mam’zelle
Que vous m’aimiez
Que vous ne m’aimiez pas
Laissez-moi planter mes pois.
C’est divin.
Oui, madame Magneau fille, c’est divin. Mais ce n’est encore rien. Après la représentation, Pierre et moi, nous sommes allés derrière la baraque, et nous avons soulevé la toile.
Ah ! Et qu’avez-vous vu ?
L’homme barbouillé de plumes était allongé sur le dos, et il têtait à même le pis d’une chèvre.
Et la femme ?
La femme mangeait un morceau de pain.
Écoute, Victor, j’ai aussi une histoire à te raconter.
Enfin !
Pourquoi, enfin ?
Rien.
C’est un peu comme la tienne.
Tu me mets l’eau à la bouche.
Il s’agit de ton papa.
Ah !
Oui, et de ma maman.
Eh, eh ! voyez-vous ça. Madame Magneau. Sacrée Thérèse !
Je me tais, si tu ris.
Je ne ris pas, je ricane.
Ah ! tu approuves, alors ?
J’approuve, tu ne crois pas si bien dire. Sais-tu ce que tu viens d’insinuer ?
Non, c’est un mot.
Elle est charmante.
Merci. (Elle l’embrasse.) J’étais assise au salon sur les genoux de maman, et je tenais une de ses boucles d’oreille. On vient de me les percer. Allume donc une torchère. Non. Elle ne voulait pas. On sonne. Ma maman se lève tout d’un coup et je roule à terre. Pif paf, des deux mains à la fois. “Tu ne peux pas faire attention, idiote.” C’était moi, l’idiote.
Avec les bagues ?
Évidemment. Une joue éraflée, mais j’avais la boucle d’oreille dans la main, cassée. Et qui était-ce ?
Mon papa.
Tout juste.
“Va te coucher.”
“Je n’ai pas sommeil.” Évidemment, quand il vient quelqu’un : Au lit !
Il vient beaucoup de monde ?
Non. Monsieur Paumelle.
Mon papa. Il est beau, hein ?
Beau ? Oh ! il est tout rasé.
Tu veux dire tout nu ?
Non, bien sûr. Les mains et la figure seulement.
Ah, bébé ! Continue.
Alors, voilà. Je reste, on me jette un livre : “Bonjour Charles, bonjour, Thérèse. Où est le cher Antoine ?” Papa dormait. Ils se sont assis sur le canapé, et voilà ce que j’ai entendu. Maman disait : “Friselis, friselis, friselis”. Ton papa : “Réso, réso, réso”. La mienne : “Carlo, Carlo, je m’idole en tout” ou quelque chose comme ça. Le tien : “Treize ô baigneur muet”. La mienne : “Mais si Antoine, là d’un coup”. Le tien : “Ton cou me sauverait”. La mienne : “Horizon ravi”. Le tien : “Laisse-là cette pieuvre rose”. Je suis sûre de la pieuvre, le reste n’est que de l’à peu près.
C’est tout ?
La mienne a pleuré, et le tien est parti en claquant la porte.
Alors ?
Alors papa est arrivé en chemise. Il a fait le tour du salon en disant : “Je ne me sens pas bien”. Il répète toujours qu’il ne se sent pas bien. “Moi non plus”, a dit maman. Il s’est agenouillé à ses pieds. Maman tremblait. Et il a crié, comme il le fait depuis quelques jours : “Les petits veaux valent mieux que vos petits ! Bazaine !” Et, comme le docteur a recommandé à maman de ne pas le contrarier, tout le monde est allé se coucher.
Ah ! quelle destinée. Moi, tour à tour, à l’essai du marteau, du rabot, de la plume, des soupapes, de la vapeur, de l’amour. Maintenant de l’amour. Et là-dessus, la botte pesante de mon père, et le grand vertige des femmes dans leur appartement. (Déclamant) :
Je l’ai laissé passer dans son appartement.
Je l’ai laissé passer dans son appartement.
(Annonçant.) Les voilà : l’Enfant Terrible, le Père Indigne, la Bonne Mère, la Femme Adultère, le Cocu, le vieux Bazaine. Vive l’hirondelle ! l’outarde, le paradisier, le cacatoès et le martin-pêcheur. Vive la raie bouclée et la torpille. (Changeant de ton, à Esther qui suit la scène, la bouche et les yeux grands ouverts.) Vive Antoine !
Vive papa !
Ah ! je respire.
Tu me fais peur.
(Entrent Charles, Émilie Paumelle et Thérèse Magneau.)
Scène IV
ÉMILIE PAUMELLE, THÉRÈSE MAGNEAU
Charles !
Présent !
Le Saxe.
Oh !
Victor ! qui l’a cassé ?
Tu le demandes ? C’est trop fort. Où est Lili ?
Est-ce Lili ?
Non, c’est Esther !
Est-ce toi, Esther ?
Vous voyez bien qu’elle pleure…
Scène V
On prétend que tu as cassé le vase. Dis la vérité. L’as-tu cassé ?
Non.
C’est Esther. J’ai eu le malheur de lui dire que c’était un œuf de cheval, et comme j’avais le dos tourné, elle l’a brisé pour voir naître le poulain.
Voilà, imbécile, avec tes histoires !
Mais Victor ne l’a jamais cassé, lui…
Victor, évidemment, Victor. Crois-tu qu’il ait jamais coupé dans tes inepties.
Scène VI
Esther viens ici. (Esther ne bouge pas.) Tu as entendu, Esther ? Je t’ai dit de venir ici. Veux-tu que je vienne, moi ? Tiens !
Pardon, madame Magneau. Avez-vous retiré vos bagues ?
Victor ! de quoi te mêles-tu ?
Le cher petit craint que vous ne blessiez Esther avec vos diamants.
Il a raison, mais cette gamine est insupportable et mérite une punition ; car ma chère amie, ce vase était une pièce très rare, et qui valait fort cher, n’est-ce pas ?
Mon Dieu, Thérèse, je suis le grand coupable dans cette affaire, laissez m’en supporter le dommage.
D’autant plus que ces objets, malgré leur masse, sont plus fragiles que vos bagues et que vos boucles d’oreille, n’est-il pas vrai ?
Je n’ai jamais corrigé ma fille avec des boucles d’oreille que je sache.
Où va-t-il chercher tout ce qu’il trouve ? Moi j’approuve fort cette réponse. Ne vous fâchez pas, Thérèse. Je suis d’avis qu’il faut encourager l’esprit d’à propos des enfants.
Esther est bien assez punie, croyez-le, madame, et je demande, puisque c’est mon droit d’anniversaire, que vous lui fassiez grâce.
Bravo, Victor. Thérèse embrassez votre fille et n’en parlons plus.
Viens, mon fils, viens, Victor. Tiens, voilà dix francs.
Enfin, Esther, me diras-tu pourquoi tu as fait cela ?
Parce que Victor a neuf ans aujourd’hui.
Eh bien, tiens !
Oh !
Pardon, mon petit Victor. C’est la dernière de la soirée, mais cela a été plus fort que moi.
(Esther ne bronche pas. Victor va la rejoindre dans son coin, où ils discutent à voix basse.)
Parlons d’autre chose, et n’attristons pas notre petite fête par des criailleries et par des pleurs. Au fait, Antoine n’est pas encore là, ni le général ?
Oh ! Antoine, s’il n’avait insisté pour venir, je l’aurais volontiers laissé à la maison.
Que dites-vous Thérèse ? Vous auriez abandonné Antoine ? Mais ma chère, j’en aurais été désolée, et Victor qui l’adore vous en aurait certainement voulu.
Ah ! il n’est pas drôle, vous savez !
Quoi ?
Oui, ma chère Émilie, Antoine n’est pas bien. Il est…
Il est fou.
Fou ?
Hélas !
Mais, c’est horrible !
Ne fais pas l’étonnée, voyons Émilie. Tu sais parfaitement qu’Antoine était sujet à de certaines crises. Rares autrefois, elles deviennent de plus en plus fréquentes. Thérèse s’en inquiétait tous les jours davantage. Elle s’en alarme aujourd’hui.
Oui.
Allons, allons, Thérèse, ne vous désespérez pas trop vite, on ne perd pas la tête comme cela, de but en blanc.
Si, de but en blanc.
De but en blanc. Un beau jour, il lève des armées comme un rameau de feuilles. Il vise à l’œil. Les plus belles femmes du monde sont emprisonnées dans leurs dentelles sanglantes, et les rivières se dressent comme des serpents charmés. L’homme, entouré d’un état-major de fauves, charge à la tête d’une ville dont les maisons marchent derrière lui, serrées comme des caissons d’artillerie. Les fleurs changent de panache. Les troupeaux se défrisent. Les forêts s’écartent. Dix millions de mains s’accouplent aux oiseaux. Chaque trajectoire est un archet. Chaque meuble une musique. De but en blanc. Mais il commande !
Victor ! qu’est-ce qu’il a ? Qu’est-ce que tu as ?
J’ai la berlue !
Victor. Mais je ne l’ai jamais vu ainsi. Tu n’es pas bien, Victor ? Réponds. Veux-tu une goutte ? Tiens, une goutte d’eau de mélisse sur un morceau de sucre.
Que se passe-t-il ? Vous parliez d’Antoine, n’est-ce pas ? Antoine doit venir. Vous l’avez dit, même s’il est malade. Voilà bien ma mère. Sitôt qu’elle entend parler maladie, elle voit tout le monde malade.
Trêve de plaisanterie. Je veux que tu m’expliques ce que tu viens de dire.
Mais, il n’y a rien à expliquer, mon petit papa. Je faisais le fou. Ce n’est pas le diable !
Non. Mais c’est un manque de tact à l’égard de Thérèse et tu lui dois des excuses.
Je lui défends de faire des excuses à maman.
Hein ?
Oui, je le lui défends.
Et pourquoi, s’il vous plaît, mademoiselle ?
Je ne sais pas. Mais je ne veux pas qu’il lui fasse d’excuses. Moi, on ne m’a pas demandé d’en faire quand j’ai cassé la porcelaine.
Eh bien, soit, il ne fera pas d’excuses. Vous voyez, elle n’est pas si méchante que cela, Esther. Mais, il nous dira ce que signifiait cet espèce de délire auquel personne, j’en suis sûre n’a rien compris.
Comment, vous ne l’avez pas deviné ?
Ah ! non — Ma foi non ―― Qui l’aurait deviné ?
Eh bien, ces mots étaient purement et simplement les éléments en désordre de ma prochaine composition française.
Ah, bougre de gosse ! Quel bonhomme, hein ? Que voulez-vous il faut bien lui passer quelque chose, il nous donne tant de satisfactions. Son professeur, que j’ai rencontré hier, me le répétait encore. Ce garçon, s’il ne lui arrive rien, il ira loin, croyez-moi, il ira très loin. Il est terriblement intelligent. Vous entendez, Thérèse, terriblement.
J’entends bien, il est terrible !
(Antoine Magneau entre en coup de vent.)
Scène VII
Bonsoir. Où est-il ? Ah, te voilà. Il grandit de jour en jour ; quel âge as-tu ? Neuf ans, et tu as un mètre quatre-vingt. Combien pèses-tu ? Tu ne te pèses jamais ? Tu as tort : qui souvent se porte, bien se connaît, qui bien se connaît, bien se pèse. Quel charmant enfant vous avez là, Charles. C’est tout le portrait de Galvani, oui, le dresseur de grenouilles. Ah, il faut bien rire un peu. Et vous, Émilie, toujours triste ? Quel ennui. Rien à faire en ce monde. Ah, vous cassez la vaisselle, maintenant. Bravo, Charles. Vive le marteau. Moi je préfère la scie, c’est plus mélodieux. Affaire de goût, n’est-ce pas ? affaire de goût. Bonsoir Thérèse. (Il l’embrasse.) Eh bien, tu dans l’esprit du ne m’embrasses pas ? Elle ne m’embrasse pas. Elle ne m’embrasse jamais. Je ne sais pourquoi. Affaire de reddition. Onze mille fusils, trois cents canons, et le feu de joie aux drapeaux. Quelle vie ! Ah, voilà la petite cantinière. Mam’zelle Esther. Salut militaire. Vive le Premier Consul !
Je suis la fille de Mont-Thabor, ran, ran, ran, ran.
La fille du tambour-major, ran, ran, ran, ran.
Écoutez, je suis ravi de vous voir tous en si bonne santé. Surtout Charles. Charles, mon vieux, vous, vous êtes amoureux. Non ? Quelle blague. Eh bien, Émilie, je ne vous fais pas mes compliments. Vous ne pouvez pas retenir ce gaillard. Allons donc. Thérèse, montre-nous comment tu mets le feu aux poudres. Allez, le jeu des mains, des chevilles, le virage des yeux, le balancement des organes et la Trêve-Dieu, enfin, le Trêve-Dieu…
Antoine, mon cher ami, vous prendrez bien… tenez, un verre de quinquina.
Oui, de quinquina…
Mon ami, je t’en prie, tais-toi. Les enfants t’écoutent. Assieds-toi.
Ah, les braves gens !
Monsieur Magneau, monsieur Magneau !
Hein, quoi ?
C’est mon petit Victor, Victor qui vous appelle.
C’est toi, Victor ? Viens ici, mon petit, et dis-moi ce que tu veux.
Je veux que tu me parles de Bazaine.
Oh, Victor !
BAZAINE (zè-ne) (Achille), maréchal de France, né à Versailles. Il se distingua en Crimée et commanda en chef au Mexique, non sans mérite ; mais chargé en 1870-71 de la défense de Metz, il trahit véritablement son pays par son incurie, son incapacité, l’étroitesse et l’égoïsme de ses vues. Il se laissa renfermer dans la place, ne tenta que des efforts dérisoires pour en sortir, engagea de louches négociations avec Bismarck, puis rendit la ville sans avoir fait ce que lui prescrivaient l’honneur et le devoir militaires. La peine de mort à laquelle il fut condamné en 1873, ayant été commuée en celle de la détention, il réussit à s’évader, et se retira en Espagne, où il vécut entouré du mépris général (1811-1888).
Tout cela est honteux, honteux, honteux.
Mais non, Thérèse, mais non, c’est très amusant, je vous assure…
Charles ! eh bien !
Merci, monsieur Magneau, je te remercie.
Assez, Victor, tu le fais exprès.
Monsieur Magneau est malade, tu devrais avoir pitié de madame Magneau et d’Esther.
Esther m’a affirmé que Bazaine était son sujet favori ; j’ai cru lui faire plaisir.
C’est encore toi, Esther ! Viens ici !
C’est curieux, n’est-ce pas ?
Je ne comprends rien. C’est à croire qu’il est contagieux. Regarde Victor.
Antoine n’était pourtant pas là tout à l’heure. Et Victor…
Non, mais il allait venir. Enfin, moi, je ne suis pas tranquille
Je vous demande pardon, Émilie, j’aurais dû prévoir.
Que voulez-vous, ma chère Thérèse, tout le monde a ses peines, et nous sommes heureux de vous donner l’occasion de les partager avec nous.
Chère, chère amie.
Excusez-moi, je crois qu’en arrivant je n’étais pas très bien. Peut-être ai-je outrepassé les lois de l’hospitalité ?
Allons, allons, mon vieil Antoine. Mettons que vous avez un peu rêvé, un peu dormi, et n’en parlons plus. Êtes-vous bien, maintenant ?
Je suis au mieux.
C’est parfait.
Vive papa !
C’est vive Victor ! qu’il faut dire, n’est-ce pas ? Vivent les neuf ans de Victor !
Vive Victor !
Scène VIII
Ah ! voilà le général.
Madame… Madame… Bonsoir Charles, bonsoir M. Magneau. On grandit toujours Victor ? On grandit toujours en taille et en sagesse, hein ?
Hélas, oui, général.
Hélas ? pourquoi hélas ?
C’est un mot.
C’en est un. Quelle taille as-tu ?
Un mètre quatre-vingt-un, général.
Un cuirassier, on en fera un cuirassier.
Vous êtes trop aimable, général.
Moi ? allons donc, je suis une vache.
Ce n’est pas vrai.
Ah ! la charmante petite fille. Bonsoir Esther. Alors, on ne veut pas que je sois une vache ? Eh bien, que veut-on que je sois, alors ?
Un général.
Dites donc, général ?
Je te défends ces familiarités, tu entends ?
Ma chère enfant, tout le monde m’appelle général. Que me veut-on ? Que me veut mon petit Victor ?
Avez-vous connu Bazaine ?
Oh ! oh ! oh !
Fais-moi plaisir, Victor, évite de parler de la guerre de 1870-71. Crois-tu que ce soit gai pour tout le monde ? Et mon pauvre mari est si malade. Il suffit qu’on aborde ce chapitre pour que ses crises le reprennent. Tu ne le feras plus, n’est-ce pas, promets-le-moi ? Jure-le-moi ?
Friselis, friselis, friselis.
Il vous taquine encore. Ne lui en veuillez pas, Thérèse. Sans doute, il a neuf ans, mais il n’a que neuf ans. Allons, à table, Victor, tout le monde à table.
(Chacun prend place. La lumière s’éteint. Quand elle se rallume on est au dessert.)
Je bois à tes neuf ans, Victor.
Aux neuf ans de Victor !
Je bois à ma mère bien-aimée, à mon père adoré, au général Étienne Lonségur, je bois à vous madame Magneau, je bois à monsieur Antoine Magneau. Je bois à Esther, leur fille, et je bois à Lili, qui est la servante accomplie de cette maison.
Bravo !
Et maintenant, Victor, tu vas nous dire quelque chose.
Mais, je ne sais rien.
Allons, ne te fais pas prier. Tu n’es pourtant pas timide. Je suppose que madame et monsieur Magneau ne te font pas peur.
Non, mais c’est le général.
Victor, dis-nous une poésie. Tu en sais bien une, que diable. Tout le monde sait une poésie.
Et il dit si bien !
Général, c’est pour vous. C’est pour la France.
Tu seras soldat, cher petit.
Tu sais, mon enfant, si je t’aime,
Mais ton père t’en avertit,
C’est lui qui t’armera lui-même,
Que ton âme soit aguerrie
Car je viendrai offrir ta main
À notre mère, la Patrie.
Je demande la parole.
Tu l’as, Antoine.
Assieds-toi, Antoine.
Laissez-le, Thérèse, voyons, laissez-le, laissez-le s’amuser.
Victor, tu te permets trop de libertés avec monsieur Magneau.
Parle, Antoine ! Silence au camp !
Des cochons. Des cochons. Des cochons. La petite cavalerie de Sedan, avec ses chevaux arabes, ah ! ah ! Mais l’autre, brillamment chamarré entre deux nègres, nous livrait le Sénégal et le Haut-Niger. Que faisait Faidherbe ? Faidherbe, debout sur un taureau, escorté de 1 400 spahis, descendait soudain par le petit escalier portatif de cuivre et de pourpre, jusqu’au désert où se mouvaient tous les samalecs africains, comme une mer de courtoisie, et plantait au milieu de la fantasia un palmier qui produit des dattes tricolores :
Vive donc la Troisième République, qui garantit l’instruction obligatoire, forme des citoyens dignes de ce nom, principes de stricte solidarité humaine qui sont les legs les plus précieux de la Révolution.
À part ça, tous des cochons, des cochons et des patriotes.
Et Bazaine ?
Oh ! oh ! oh !
Bazaine ? (Regardant Charles dans les yeux.) Charles, connais-tu l’histoire de Bazaine ?
Non.
Mais tu l’as déjà racontée, mon petit…
Ah, je te tiens, Bazaine, je te tiens, eh bien, tiens, tiens, tiens ! (Pleurant.) Je vais mourir. Sa photographie ! Non, rien de vous, monsieur le Curé, pas de lecture, je vous en prie, je commande soldats, je vous dois la vérité, je suis cocu, et maintenant, visez, droit au cœur, droit au cocu.
Je vous l’avais bien dit. (Elle pleure.) Et depuis plus d’un mois c’est le même manège, imprévisible, latent, terrible.
(Silence angoissé. Personne n’ose bouger. Thérèse et Charles se regardent épouvantés. Lili se tient dans l’embrasure de la porte. Esther renifle dans un coin.)
Antoine, au nom du peuple français, je te fais chevalier de la Légion d’honneur.
Tu es gentil, Victor. Moi aussi je t’aime bien. Ta poésie m’a beaucoup touché. De qui est-elle ?
Elle est de Victor de Laprade. Je l’ai dite parce qu’il s’appelle Victor, comme moi.
N’est-il pas adorable ? Eh bien, Esther ? tu pleures. Ta mère te refuse quelque chose, je suis sûr. Thérèse, ne la contrarie pas aujourd’hui. Donne-lui de la moutarde si elle en a envie, et elle va nous dire quelque chose, elle aussi. C’est son tour. N’est-ce pas, Esther ?
Oui, papa. Un peu de silence, et je commence :
You you you la baratte
La baratte du laitier
La chatte du charcutier
Pendant qu’il va nous scier
Et la tête du rentier
Dans le beurre familier
À les voir se fusiller
Mais les fruits sont verrouillés
Dans son berceau le beurrier
Du bon petit écolier.
Oh ! c’est délicieux. Embrasse Esther, Victor, et remercie-la.
Je suis ravi, Esther, et je t’embrasse de tout mon cœur.
Autrefois quels youyous. (Il chante.) Et youp par-ci, et youp par-là.
Général, vous ne nous ferez pas croire…
Joli duo, ces deux petits. Grands tous les deux. Parions que vous les marierez.
Ah, non !
Pourquoi pas, Thérèse ? Notre Victor et votre Esther, je n’y ai jamais pensé, mais mon Victor et Esther. Enfin, pour la plaisanterie Esther pourrait bien s’appeler Paumelle, je m’appelle bien Paumelle, moi. Bien sûr, on a le temps d’y penser, mais les voyez-vous ensemble, et nos familles réunies. Antoine est de mon avis, j’en suis sûre.
Mon Dieu, Thérèse… Émilie, ils ont bien le temps.
Non, ils n’ont pas le temps. Nous allons les marier tout de suite. Hein ? histoire de rire. Allez, je vous marie, et je suis sûr que vous savez déjà jouer les amoureux. N’est-ce pas général ? ça va être très rigolo.
C’est cela, jouez-nous papa et maman. Ah, quelle bonne idée. Là, Victor, tu es le papa. Esther, tu es la maman. Et c’est la femme qui commence, bien entendu.
(Un long silence, pendant lequel Victor parle bas à Esther.)
(Esther et Victor vont jouer la scène que la petite fille surprit entre Charles et Thérèse.)
Friselis, friselis, friselis.
Réso, réso, réso.
Carlo, je m’idole en tout.
Treize, ô baigneur muet.
Mais si Antoine, là d’un coup.
Ton cou me sauverait.
Horizon ravi.
Laisse-là cette pieuvre rose. (Esther fait semblant de pleurer. Victor sort en claquant la porte, puis rentre aussitôt avec une fausse barbe en criant.) Mes petits veaux valent mieux que vos petits, Ba ba ba… dinguet.
(Il arrache sa fausse barbe, et tous deux éclatent de rire. L’assistance est atterrée. Antoine, avec un grand naturel, s’approche d’Émilie et lui dit quelques mots à voix basse, près de l’oreille.)
Oh ! Antoine.
On claque des dents, Émilie, on a froid ?
Laissez-moi. Oh ! pardon, général. Non, merci, je n’ai pas froid. Mais laissez-moi, Antoine, voyons.
(Antoine insiste, il caresse Émilie qui tente de se dégager.)
Sans doute une autre crise se prépare.
Je ne sais pas. Je ne sais pas, vous dis-je. (Criant.) Je ne sais pas.
Qu’avez-vous ? Qu’a-t-on ici ?
Qu’a-t-on ? qu’a-t-on, Caton l’ancien, nom de Dieu !
Mes enfants, retirez-vous un moment.
Non, général.
Non, général.
Eh bien, restez.
(Antoine poursuit son manège et continue à lutiner Émilie en déclamant.)
You you you la baratte
La baratte du laitier
La chatte du charcutier
À les voir se fusiller
(Enfin Antoine s’arrête et s’effondre dans un fauteuil, la tête dans les mains. — Émilie la tête rejetée en arrière, les bras croisés, regarde tour à tour son mari et Thérèse. — Les enfants s’embrassent de temps en temps. — Le général se mouche. — Thérèse et Charles se donnent des coups de coude. Longue scène muette.)
Qu’il soit bien entendu que je n’ai rien compris à cette scène.
Antoine, mon pauvre Antoine.
Je voudrais demander à Victor… Victor !
Papa ?
Rien. Plus tard.
Thérèse avait raison, je ne suis pas bien. Il faut que je rentre. Excusez-moi.
Excusez-nous. Esther ! allez ! ton manteau, tes gants…
Non, je rentrerai seul. Je vous défends de m’accompagner. Je vous le défends, vous entendez bien. Bonsoir.
You you madame se tâte
Mais les fruits sont verrouillés
Scène IX
On était si gai ! et voilà qu’on pleure, et ces enfants sont si gentils ! Allons que la fête continue.
Vous avez raison, général. Tenez, un verre de champagne.
Avec plaisir, et qu’on m’imite. Charles, le coup de l’étrier.
Je ne refuse pas.
Victor, viens près de moi. On voudrait te faire plaisir ; on a neuf ans. Qu’est-ce qui lui ferait vraiment un grand, mais, là, un grand plaisir ?
Vous permettez, général ?
C’est tenu d’avance. Parole de soldat.
Eh bien, je voudrais jouer à dada avec vous.
Quoi ?
Oui, comme Henri IV. Vous vous mettez à quatre pattes, j’enfourche ma monture et on fait le tour de la table. Et qu’importe qui frappe, les ambassadeurs du roi d’Espagne peuvent attendre.
Oui, oui, oui, bravo, bravo !
Victor ! C’est stupide et insultant ; je ne permettrai pas cela.
Vous avez promis, général. Vous m’avez donné votre parole de soldat.
C’est intolérable. Victor, demande autre chose, voyons !
Mais c’est très gentil ce qu’on me demande là. Je ne te refuserai pas cette grâce, mon cher Victor. En selle !
Allons dragons, vite en selle
Par quatre, formez vos escadrons.
Non, je te le défends une dernière fois.
Votre parole de soldat, général, ne me l’avez-vous pas donnée ?
Cela me regarde, Charles. J’ai donné ma parole, je la tiendrai, et avec joie, heureux si je puis donner à Victor le goût des armes. Eh, ma chère Émilie, il a déjà la taille d’un cuirassier. À neuf ans, songez-y.
Cocotte, cocotte, cocotte !
(Le général s’approche de Victor. Celui-ci le prend par la fourragère comme par la bride. Le général se prend au jeu, et imite le cheval. Il hennit, rue, se cabre, etc. On assiste à une sorte de dressage.)
Arrière, arrière, là, là.
Le cheval se calme, Victor monte en selle.)
Hue ! hue !
Au pas, au pas, au pas. Là. Au trot !
Au galop, au galop, au galop !
ACTE PREMIER
- ↑ Ce passage a été supprimé à la représentation. N. D. L. A.