Victor Cousin et son œuvre philosophique/05

Victor Cousin et son œuvre philosophique
Revue des Deux Mondes3e période, tome 62 (p. 124-157).
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VICTOR COUSIN
ET
SON OEUVRE PHILOSOPHIQUE

V.[1]
L’HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE. — DERNIÈRE PHILOSOPHIE. — COUSIN LITTÉRATEUR ET ÉCRIVAIN. — CONCLUSION : L’IDÉE ÉCLECTIQUE.

L’histoire de l’enseignement philosophique fondé en 1830 a interrompu notre exposition des travaux de Victor Cousin. Cependant, même au pouvoir après 1830, même sorti du pouvoir après 1852, sa vive intelligence n’est pas restée un seul instant inactive. Il a continué ses études sur l’histoire de la philosophie ; il a remanié tous ses ouvrages et refondu sa philosophie dans un sens nouveau ; il s’est distrait lui-même et il a charmé le public par des études littéraires et historiques ; voilà encore bien des aspects sous lesquels nous avons à le considérer avant d’en finir et de porter sur sa philosophie un jugement d’ensemble. Telles seront les différentes parties de ce dernier travail.


I

Un des mérites les moins contestables et les moins contestés de Victor Cousin est d’avoir été en France le créateur et l’organisateur de l’histoire de la philosophie. Au XVIIIe siècle, le très faible essai de Deslandes, les articles de Diderot dans l’Encyclopédie, la plupart du temps traduits de Brucker ou extraits de Bayle, sont plutôt le témoignage d’un besoin non satisfait qu’une ébauche même de la science à créer. Seul, le livre distingué de M. de Gérando sur l’Histoire comparée des systèmes de philosophie peut être considéré comme une première initiation à cette science. Ce livre, malgré ses lacunes et malgré l’esprit un peu étroit qui l’inspire, n’en était pas moins, avant Cousin, le seul où l’on pût apprendre quelque chose sur le passé et sur le présent de la philosophie. Mais il n’avait eu aucune influence. C’est donc véritablement Cousin qui, avec son esprit d’entreprise et sa flamme communicatrice, a créé parmi nous une grande école d’histoire de la philosophie. Il est assez étrange qu’au lieu de lui en savoir gré on lui en ait fait une sorte d’objection et de reproche, comme si, d’ailleurs, il n’eût pas fait autre chose ; mais même, sur ce terrain, on s’étonnera de voir si peu estimée une œuvre aussi considérable. Eh quoi ! tout le monde répète que le caractère propre, le génie de notre siècle, c’est l’histoire ! on fait honneur à ce siècle, et avec raison, d’avoir vu naître parmi nous l’histoire littéraire, l’histoire de l’art, l’histoire des religions ; et l’on ne compterait pour rien l’histoire de la philosophie ! Mais peut-on séparer l’histoire religieuse de l’histoire philosophique ? Le christianisme est-il intelligible sans la connaissance du platonisme et de l’école d’Alexandrie ? La théologie allemande contemporaine n’a-t-elle pas son origine dans la philosophie allemande ? Si c’est l’honneur de ce siècle d’avoir créé l’histoire de l’esprit humain, l’histoire de la civilisation, si les Villemain, les Guizot, les Renan ont leur place assurée, parmi les créateurs de cette nouvelle science, par quel prodige d’injustice réserve-t-on à Victor Cousin le seul mérite d’avoir rendu quelque service à l’érudition, comme si l’histoire de la philosophie n’avait rien à voir avec la philosophie elle-même ?

Rappelons d’abord la circonstance heureuse à laquelle nous devons l’importance que Cousin a attachée à l’histoire de la philosophie, et les travaux qu’il a accomplis dans cette direction. Cette circonstance fut qu’à l’origine de l’université, M. de Fontanes ait eu l’idée de créer à la faculté des lettres une chaire d’histoire de la philosophie. Il est probable que ce fut dans la pensée de faire une place à Royer-Collard à côté de Laromiguière. Appelé à la suppléance de Royer-Collard, engagé dès l’origine par son enseignement même dans l’histoire de la philosophie, Victor Cousin fut amené par là à placer très haut cette science, à lui donner le premier rang dans la culture philosophique, car il ne s’est jamais occupé d’aucune matière sans en faire aussitôt une doctrine, une thèse, un principe. Il a toujours eu le don d’enflammer le public pour tout ce qui l’intéressait lui-même ; il a toujours mis le feu aux poudres. C’est ainsi que Cousin, par cela seul qu’il fut chargé d’un tel enseignement, y mit sa passion, son esprit d’initiative ; il fallut que l’histoire de la philosophie devînt la philosophie elle-même ; et, soit par ses propres travaux, soit par ceux de ses élèves, il en fit une science nouvelle et indépendante.

Considérons d’abord la part qui lui est personnelle. Dans ses cours, il fut contraint par le titre même de sa chaire à s’occuper de philosophie moderne, et il fut amené, en outre, par l’intérêt des problèmes philosophiques qui le préoccupaient alors plus que l’histoire elle-même, à se concentrer dans l’histoire presque contemporaine : car parler à cette époque à la Sorbonne de Saint-Lambert, de Volney, de Kant, c’était à peu près comme lorsque aujourd’hui nous parlons d’Auguste Comte et de Stuart Mill. Il dut donc étudier les écoles les plus récentes dont il essayait de concilier les résultats dans sa philosophie personnelle. Ce fut d’abord la philosophie du XVIIIe siècle, puis la philosophie écossaise, puis la philosophie de Kant, qui furent, en 1819 et 1820, l’objet de ses études. Sans doute on a depuis étudié Kant d’une manière plus profonde ; mais nous sommes en 1820, ou même en 1817. Kant n’est pas encore traduit ; on ne peut le lire que dans le texte ou dans l’affreuse traduction latine.de Born ; on n’était alors préparé à le comprendre par aucune étude antérieure. Leibniz était presque ignoré. Des abrégés comme celui de Kinker, ou de vagues expositions comme celle de Villers étaient les seules ressources qu’on eût à sa disposition. Dans ces conditions, le cours sur Kant ne pouvait être que ce qu’il a été, et c’est le vrai commencement de la connaissance et de l’influence de Kant dans notre pays.

Passons d’ailleurs sur cette première période, qui était une période de début. Dans la seconde, à savoir de 1820 à 1828, nous avons déjà signalé les trois grandes entreprises qui ont occupé la retraite de Victor Cousin, à savoir son Descartes, son Platon et son Proclus. On ne saurait placer trop haut de tels services ; et qu’il ait eu ou non, pour de si lourdes tâches, des collaborateurs, il n’en reste pas moins vrai que c’est à lui que revient l’honneur de les avoir entreprises et exécutées. Pensez à la difficulté et à la grandeur de telles entreprises : trouver un éditeur et des acheteurs (l’un ne va pas sans l’autre) pour onze volumes de Descartes, treize volumes de Platon, six volumes de Proclus, en tout, trente volumes. Nous l’avons dit déjà, de telles publications eussent-elles été possibles sans l’élan extraordinaire imprimé par Victor Cousin à l’activité philosophique, sans sa célébrité personnelle, sans la solidarité qu’il avait établie entre la philosophie et l’esprit libéral, de sorte qu’encourager ces entreprises, quelque spéculatives qu’elles fussent, c’était encore travailler au succès de la cause libérale ? Ajoutera cela ce qu’il mit de talent personnel dans ces travaux, par exemple dans les Argumens de Platon, dont le style mâle, large et entraînant, est d’une qualité supérieure même à ce qu’il a écrit plus tard lorsqu’il a voulu systématiquement être un écrivain ; lisez aussi tel ou tel passage de la traduction presque digne de Platon pour la beauté du langage, par exemple le discours de Calliclès, dans le Gorgias, ou le portrait du philosophe dans le Théètète. Son Proclus fut fort attaqué, et un. barbarisme célèbre mis en tête du premier volume fit la joie de l’Allemagne[2]. Lui-même a reconnu plus tard avec bonne grâce son inexpérience en philologie : mais Proclus n’en fut pas moins publié et donna l’élan aux études ultérieures sur l’école d’Alexandrie. Passionné alors pour cette école, dont les doctrines analogues à celles de l’Allemagne, avaient une conformité avec les siennes propres, Cousin consacra en outre, dans le Journal des savans d’alors, une série de travaux à Proclus et à Olympiodore, et, en particulier, donna de celui-ci l’analyse de plusieurs commentaires inédits.

Ce ne sont là que des travaux d’érudition, quoique liés à une pensée philosophique, la résurrection des doctrines alexandrines : mais c’est surtout en 1828 et 1829 que Cousin exposa en chaire les principes généraux de sa doctrine sur l’histoire de la philosophie. Le cours de 1828 ne doit pas être considéré isolément, séparé de celui de 1829. Il est une introduction générale à l’histoire de la philosophie. Celle-ci n’a donc pas été seulement pour lui un objet spécial d’érudition et de curiosité : ce n’est qu’une partie de l’histoire générale ; et l’histoire de la philosophie se rattache à la philosophie de l’histoire. L’éclectisme en histoire de la philosophie n’est que le contre-coup de l’optimisme dans la philosophie de l’histoire ; enfin, l’histoire en général ayant pour objet le développement des idées, l’histoire de la philosophie est en quelque sorte le point culminant de l’histoire elle-même, parce que les idées y expriment dans leur forme pure ce que les autres élémens de l’histoire n’expriment que sous une forme enveloppée et obscurcie.

Après avoir ramené l’histoire de la philosophie aux principes de l’histoire en général, Cousin aborda l’année suivante la science elle-même : mais avant de s’enfermer dans une époque particulière, il crut devoir, dans une nouvelle introduction, passer en revue l’histoire générale de la philosophie. Ici encore on peut regretter que Cousin, dans ses publications ultérieures, ait brisé le cadre primitif de son enseignement. Il a voulu avoir un livre d’ensemble sur l’histoire de la philosophie, comme il avait donné dans le Vrai, le Beau et le Bien une vue d’ensemble de son système. Mais ce qu’il a donné plus tard sous le titre d’Histoire générale de la philosophie n’était en réalité qu’un préambule ; or ce qui peut être solide en tant qu’introduction paraîtra vague et superficiel comme ouvrage séparé. Dans le fait, l’histoire générale de la philosophie n’avait été autre chose que le préambule du cours sur Locke : elle se composait de douze leçons, qui avaient rempli le premier semestre du cours : les leçons sur Locke terminèrent l’année[3]. À ce point de vue restreint, l’Histoire générale est un très bel ouvrage. L’auteur y cherche surtout une classification des systèmes ; il en propose une devenue célèbre et qui reste encore comme la plus plausible et la plus rationnelle que l’on puisse essayer. Il ramène tous les systèmes à quatre principaux. On peut distinguer d’abord deux grands points de vue philosophiques essentiellement différens : d’un côté, l’élément de la sensation avec tous ses caractères, le phénoménal, le multiple, le fini, le passager, etc. ; de l’autre, l’unité, l’identité, l’infini, la substantialité. De là deux classes diverses de systèmes toujours en opposition : le sensualisme et l’idéalisme. Au sensualisme se rattachent le fatalisme, le matérialisme, l’athéisme ; à l’idéalisme se rattache le spiritualisme à tous ses degrés. De la lutte de ces deux systèmes, dont aucun ne réussit à vaincre l’autre, naît le doute : de là un nouveau système, le scepticisme ; et bientôt de la lassitude du doute et du besoin de croire, qui est inhérent à l’âme humaine, sort un quatrième et dernier système qui est le mysticisme.

On peut reprocher sans doute à cette doctrine d’être trop générale et trop vague, et de ne pas tenir compte des nuances : mais il ne faut pas oublier que c’était le goût, et j’ajoute le besoin du temps. On n’aimait alors que les généralités. Voyez les formules d’Auguste Comte, la théorie des trois états, qui serre si peu les phénomènes ; la distinction des époques critiques et des époques organiques dans le saint-simonisme ; la souveraineté de la raison dans l’école doctrinaire. C’était alors, dans toutes les écoles, une tendance aux formules abstraites, aux généralisations démesurées. Tout en signalant le vice de ces grandes généralisations, il faut aussi en comprendre la raison et la signification. Dans ce renouvellement universel des sciences et de la pensée qui a caractérisé la restauration, on avait besoin, avant d’entrer dans le détail des choses, de cadres généraux, de points de repère qui permissent de s’orienter et qui donnassent un avant-goût des résultats. Si Cousin, au lieu de ces généralités qu’on est tenté de lui reprocher aujourd’hui, s’était contenté de monographies (comme il en faisait d’ailleurs aussi) il eût laissé quelque bon travail de plus à l’érudition : il n’eût point fondé une science.

La seconde partie du cours de 1829 est l’analyse et la critique de la philosophie de Locke. Cette partie est plutôt, sous une forme historique, une œuvre de philosophie dogmatique. C’est l’idéalisme aux prises avec le sensualisme. Cousin cherche beaucoup plus à réfuter Locke qu’à relever les parties vraies de son système. Dans un véritable éclectisme, il nous semble, que l’exposition doit être séparée de la critique et que le système doit être d’abord reproduit dans toute sa force, sauf à passer plus tard à la réfutation. Cousin ici n’imite pas assez Leibniz, qui, à chaque proposition de Locke, ajoute toujours : Cela peut être pris dans un bon sens. Notre auteur ne procède pas ainsi, et il prend presque toujours tout dans un mauvais sens. C’est ainsi qu’au lieu de tenir grand compte, comme Leibniz, de cette grave concession de Locke, que la moitié de nos idées vient de la réflexion, il le réduit le plus qu’il peut au sensualisme pur. C’était manquer, par entraînement de controverse, au principe même de son système ; Cousin entrait déjà dans cette voie qui a été celle de sa dernière phase philosophique, à savoir la tendance à insister beaucoup plus sur ce que les systèmes ont de faux que sur ce qu’ils ont de vrai.

Passons à une nouvelle période. Nous sommes en 1830 : Cousin cesse d’enseigner. Il renonce à la philosophie théorique ou n’y revient que pour modifier et corriger, nous le verrons, ses premières idées. Mais il ne cesse pas de travailler pour l’histoire de la philosophie. Son œuvre la plus considérable en ce genre est la grande publication des Œuvres inédites d’Abélard, et entre autres du Sic et Non, qu’il fait précéder d’une introduction magistrale. Cette introduction pose avec largeur et précision le problème de la philosophie du moyen âge. Le traducteur de Platon, l’éditeur de Descartes, le restaurateur de la philosophie d’Alexandrie, oubliée depuis Marsile Ficin, est encore celui qui réveille de ses cendres la scolastique ensevelie depuis Descartes. Tout ce qui s’est fait depuis ce temps en France sur la philosophie du moyen âge a eu pour origine la publication de Cousin. Ajoutons qu’au volume des Œuvres inédites d’Abélard, publié en 1836, Cousin ajouta plus tard, en 1868, à ses frais, deux autres volumes d’œuvres complètes, déjà publiées mais non encore rassemblées. À ces travaux sur Abélard il faut joindre encore ce qu’il a écrit sur Roger Bacon et sur l’Opus tertium de cet auteur, récemment découvert dans une bibliothèque de province.

Aux travaux qui portent sur le moyen âge ajoutons ceux qui ont pour objet le XVIIe siècle, surtout ses recherches aussi neuves que curieuses sur le cartésianisme, comprenant deux volumes avec je ne sais combien de pièces inédites, — lettres de Descartes, de Malebranche, de Leibniz, curiosités cartésiennes de toute nature, etc. Le morceau le plus important de cette collection est une Vie très étendue du P. André, intéressante non pas tant à cause du personnage, qui est secondaire, que parce qu’elle donne l’historique détaillé et sur pièces de la persécution que la congrégation de Jésus fit subir jusqu’au milieu du XVIIIe siècle à la philosophie cartésienne. Ainsi, trois volumes d’érudition philosophique, après les hautes généralités de 1828 et de 1829, voilà ce que Cousin fit pour l’histoire de la philosophie pendant le gouvernement de juillet, dans le temps même où il était occupé à l’œuvre capitale de sa carrière active : la fondation et l’organisation de l’enseignement philosophique.

On n’aurait pas cependant le tableau complet des efforts faits par Cousin pour créer en France l’histoire savante de la philosophie si on ne tenait pas compte des travaux exécutés, sinon sous sa direction, au moins et très certainement par son impulsion. L’instrument qui a servi surtout à cette influence de Cousin a été le corps de l’Académie des sciences morales. C’est par cette Académie et, dans l’Académie, par l’organe de la section de philosophie et au moyen des prix proposés et décernés par cette section, que Cousin, d’après un plan poursuivi sans interruption pendant trente-cinq ans, a suscité une suite de savans ouvrages, dont quelques-uns sont éminens et qui, réunis, forment une histoire complète de la philosophie. C’était Cousin, comme président de la section, qui proposait les sujets, et qui jusqu’à la fin de sa vie a rédigé les programmes. C’est ainsi qu’ont été faits les ouvrages suivans, je ne parle que des plus célèbres : l’Essai sur la Métaphysique d’Aristote, de M. Ravaisson ; la Logique d’Aristote, par M. Barthélemy-Saint-Hilaire ; l’Histoire de la philosophie cartésienne, de M. Bouillier ; l’histoire de l’école d’Alexandrie, de M. Vacherot ; l’Histoire de la philosophie scolastique, de M. Hauréau ; l’Histoire de la philosophie allemande, de M. Wilm ; et enfin la Philosophie de Socrate et celle de Platon, par M. Fouillée.

L’idée d’inaugurer la nouvelle Académie par la mise au concours de la philosophie d’Aristote était une idée hardie, mais aussi juste qu’opportune. Depuis la chute de la scolastique, Aristote était resté enseveli sous les ruines qu’avait faites la philosophie cartésienne. Proposer un tel sujet était, comme le dit Cousin dans son rapport, un événement philosophique. On sait quel fut le résultat du concours : un livre admirable qui compte aujourd’hui parmi les plus belles œuvres de la critique philosophique française. Je le demande cependant : un tel concours eût-il pu avoir lieu en 1815 ? Eût-il produit à cette époque une œuvre d’une intelligence aussi profonde et aussi élevée ? N’est-ce pas précisément l’esprit de largeur, d’impartialité, d’optimisme à l’égard du passé développé par Victor Cousin, l’esprit éclectique, en un mot, répandu partout, n’est-ce pas aussi la sagacité du philosophe qui juge le moment venu pour faire sortir le Philosophe de ses cendres, enfin, n’est-ce pas, en général, l’impulsion donnée à l’histoire de la philosophie qui a été l’occasion, ou pour mieux dire la cause déterminante de l’œuvre considérable et hors ligne que nul n’admire plus que nous ? C’est donc encore à l’initiative de Cousin qu’il faut attribuer la résurrection d’Aristote dans la philosophie moderne, du moins en France, Si nous passons maintenant, pour abréger, à la fin et au dernier terme de ces concours dont Cousin a été l’initiateur, nous l’allons voir encore ayant la bonne fortune de susciter, au terme de sa carrière, l’un des plus beaux et des plus brillans talens parmi les nouvelles générations philosophiques, M. Alfred Fouillée. A la vérité, M. Cousin n’a pas assez vécu pour voir les résultats des deux concours sur Socrate et sur Platon ; mais c’était lui qui avait choisi les sujets, c’est lui qui avait construit et rédigé les programmes ; je les vois encore écrits de sa main. Comme il avait commencé, il a fini par Platon ; l’idéalisme platonicien a été le nœud et le centre de toute sa carrière philosophique. Il avait toujours rêvé une grande œuvre d’ensemble dans laquelle il eût rassemblé tout ce qui est épars dans ses Argumens et qui nous eût donné d’une manière complète et liée toute la philosophie platonicienne. Ce qu’il n’avait pas fait, ce qu’il désespérait de pouvoir faire, il voulut susciter un jeune talent pour l’entreprendre ? il sut en quelque sorte l’évoquer, le deviner, et par cela même il a encore sa part dans le beau travail de M. Alfred Fouillée.

N’oublions pas enfin que, dans le dernier concours institué par lui sur Socrate métaphysicien, Victor Cousin eut une part d’honneur plus grande encore et plus personnelle que celle qui lui revient déjà pour le choix du sujet et la rédaction du programme : c’est la création même du prix décerné. En effet, en 1867, l’année même qui précéda sa mort, Cousin avait offert à l’Académie, qui l’accepta, le don d’un prix triennal de 3,000 francs qui devait porter son nom et qui devait être consacré à un travail de philosophie ancienne, en souvenir sans doute de tout ce qu’il avait fait pour elle. Ce prix, qui servira à sauver parmi nous l’histoire de la philosophie grecque, a déjà suscité de savans et profonds travaux ; et ainsi, même après sa mort, Cousin aura contribué à stimuler. l’activité philosophique. On doit, je crois, compter encore parmi les services pratiques rendus à la science la création et le don à l’état de l’admirable bibliothèque philosophique qu’il a passé sa vie à former, et qui n’est pas moins riche d’ailleurs au point de vue littéraire qu’au point de vue philosophique.

Pour conclure, nous ramènerons à trois points les services rendus par Victor Cousin à l’histoire de la philosophie : 1° il a constitué cette science et il en a établi les principes généraux et la haute valeur en la rattachant à l’histoire en général et à la philosophie elle-même ; 2° il l’a enrichie à l’aide de publications grandioses (Descartes, Platon, Proclus, Abélard), auxquelles seul il a pu donner par sa gloire même la possibilité de voir le jour ; et en particulier, par une fine érudition de détail, il a éclairé quelques-uns des points les plus particuliers de l’histoire des sciences philosophiques, notamment du cartésianisme : ainsi le détail s’est joint, chez lui, à la généralité ; 3° il à suscité une école d’historiens tous animés du même esprit d’impartialité, et qui ont apporté à l’histoire de la philosophie les méthodes les plus sûres et les plus précises.

Il resterait à signaler un dernier point, et le plus important de tous, à savoir l’emploi de l’histoire de la philosophie comme méthode de la philosophie elle-même ; mais cela touche à la philosophie plus qu’à l’histoire : c’est le centre de tous les travaux de Cousin, c’est l’idée même de l’éclectisme. Ce sera l’objet de notre conclusion ; mais auparavant, considérons-le encore une dernière fois sur le terrain de la philosophie théorique.


II

Personne n’ignore que, dans la seconde partie de sa vie, Victor Cousin a plus ou moins modifié et corrigé les doctrines de la première période. Lui-même, tout en atténuant autant qu’il a pu ces changemens et en cherchant à sauver le plus possible l’unité de sa vie philosophique, n’a jamais nié cependant que sur quelques points au moins, sur quelques opinions imprudentes, il avait dû se rétracter. Quelle a été au juste la portée de ces changemens ? Y a-t-il eu deux philosophies distinctes, ou une seule légèrement modifiée quant à la forme ? S’il y a eu deux philosophies, quel est le lien qui les unit, la différence qui les sépare ? Quel est le nœud, le secret de cette transformation ? Par quels passages et par quels degrés s’est-elle opérée ? C’est ce que nous voulons maintenant examiner.

Rappelons d’abord les principes que nous avons établis au début de ce travail. Deux traits principaux, avons-nous dit, caractérisent l’entreprise philosophique de Victor Cousin : la restauration de la métaphysique, et, en métaphysique, la restauration de l’idéalisme platonicien.

Cela posé, nous pouvons dire que l’idéalisme platonicien a été et restera jusqu’au bout l’unité de la vie philosophique de Victor Cousin. Cet idéalisme domine aussi bien dans les derniers livres que dans les premiers ; dans toutes ses œuvres philosophiques, c’est bien la notion de l’idéal, du divin, de l’esprit supérieur aux sens, qui est la pensée souveraine. Sur ce point fondamental il n’a pas changé, et il y est resté fidèle depuis le premier jour jusqu’au dernier. Seulement il faut dire que l’idéalisme platonicien est susceptible de prendre deux formes : la forme française et la forme allemande, la forme cartésienne et la forme hégélienne. Sans nous arrêter à fixer avec précision la différence des deux formes, ce qui serait trop long et trop difficile, et nous en référant à ce que chacun sait là-dessus, nous dirons que la transformation de la philosophie de Cousin a consisté surtout dans le passage de la forme hégélienne à la forme cartésienne, c’est-à-dire dans le retour à la forme française et dans l’abandon de la forme allemande de l’idéalisme.

Ce changement en amenait d’autres, ou plutôt il consistait précisément lui-même dans la transformation du panthéisme en théisme et de l’éclectisme en spiritualisme. En effet, si l’on examine de près ce que. Cousin avait appelé jusqu’alors éclectisme, on verra que c’était précisément la prétention d’embrasser et de réconcilier tous les systèmes du passé, comme le faisait Hegel lui-même, dans une conception plus large qui n’était autre que le panthéisme. Le panthéisme, en effet, semble bien, au premier abord, donner raison à toutes les philosophies sans se subordonner à aucune ; c’est la réconciliation du spiritualisme ou du matérialisme dans une synthèse qui les dépasse tous deux. En revenant, au contraire, à la forme cartésienne, entendue d’ailleurs dans un sens de plus en plus timoré et exclusif, il ne pouvait plus être question d’éclectisme ; ou du moins on n’entendait plus par là qu’une philosophie de sens commun, donnant satisfaction non plus à tous les systèmes de philosophie, mais à toutes les opinions généralement répandues parmi les hommes. De là enfin, un dernier caractère de cette forme philosophique nouvelle, à savoir le caractère populaire et plus ou moins littéraire. Dans sa première phase, la philosophie de Victor Cousin, bien loin d’être une philosophie populaire et d’être considérée comme telle, passait au contraire, nous l’avons vu, pour une philosophie abstraite et transcendante, à laquelle on imputait les mêmes mérites et les mêmes défauts qu’à la philosophie allemande : la profondeur et l’obscurité. Au contraire, la dernière philosophie de Victor Cousin, représentée surtout par son ouvrage remanié du Vrai, du Beau et du Bien, ne fut plus que la forme brillante, éloquente, accessible à tous, de ce qui est passé dans la raison commune soit du platonisme, soit du cartésianisme. Enfin, cette philosophie ainsi transformée en spiritualisme théiste populaire n’avait plus rien de contraire, ni par conséquent rien qui pût être désagréable à la théologie catholique ; au contraire, en mettant sans cesse les dogmes à part dans un terrain réservé, on souscrivait à peu de chose près au fond de la philosophie chrétienne. Aussi, sans être allé jusqu’à l’adhésion explicite, Cousin avait-il fini cependant par ne plus recommander, ne plus citer avec faveur que les noms des grands philosophes chrétiens, saint Augustin et saint Thomas, Bossuet et Fénelon ; il voyait avec peine toute incursion sur le domaine de la théologie ; il prêchait à tous le respect et le silence à l’égard du christianisme ; enfin, ce n’est un secret pour personne que les meilleurs, les plus fidèles de ses amis étaient eux-mêmes fatigués et quelque peu scandalisés, dans leur fierté rationaliste, de voir la philosophie si complètement sacrifiée à la religion[4].

Tel est l’esprit général de cette dernière évolution de Cousin, la seule que les générations récentes aient connue. Ce changement ne se fit pas brusquement ; il eut lieu peu à peu, et par étapes successives, qu’il est curieux et important d’expliquer. On pense généralement que ce fut au moment où Victor Cousin fut chargé de la direction de l’enseignement philosophique qu’il fut amené par politique à changer son attitude philosophique. C’est là une erreur historique. Ce ne fut pas du tout en 1830, ce fut beaucoup plus tard qu’eut lieu la transformation dont nous venons d’esquisser les principaux traits. Pendant au moins une dizaine d’années, on ne connut d’autre philosophie de Cousin que celle que nous avons exposée. C’est ce qui résulte des faits significatifs que nous allons résumer.

C’est d’abord en 1833, dans la préface de la troisième édition des Fragmens, que Victor Cousin, appelé à s’expliquer sur ses rapports avec la philosophie allemande, bien loin de répudier l’influence de l’Allemagne sur sa philosophie, la revendiqua, au contraire, avec le plus d’énergie et de fermeté. Il avouait hautement qu’il relevait de Schelling et de Hegel ; il faisait un magnifique éloge de la philosophie de la nature, non pas en quelques lignes, mais en plusieurs pages ; et il terminait par ces mots célèbres ; « Les premières années du XIXe siècle ont vu naître ce grand système. L’Europe le doit à l’Allemagne, et l’Allemagne le doit à Schelling ; ce système est le vrai. » Ces mots ont été souvent cités, mais on n’en a pas assez remarqué la date. C’est trois ans après la révolution que Cousin, devenu pair de France, conseiller de l’université, n’hésitait pas à proclamer la philosophie de Schelling comme la vraie et la dernière philosophie. Voici un second fait : en 1836, Jouffroy, dans la préface des Œuvres de Reid, où il poussait la philosophie écossaise dans une voie critique et demi-sceptique analogue à celle d’Hamilton, décrivait la philosophie française de son temps comme divisée en deux branches : la branche écossaise et la branche allemande. Il était évidemment le chef de l’une et il se regardait comme tel ; par l’autre il entendait l’école particulière de Cousin ; il le désignait lui-même, à côté de Schelling et de Hegel, parmi ceux qu’il appelait des « chercheurs d’absolu, » entreprise qu’il déclarait, quant à lui, aussi chimérique qu’ont pu le faire plus tard les fauteurs du positivisme. Ainsi, en 1836, Jouffroy, si près de la source, n’avait encore aucune connaissance d’un changement de direction philosophique dans l’esprit de Victor Cousin. Arrivons à 1840. C’est cette année que commence avec éclat la croisade catholique contre la philosophie de Cousin. En laissant de côté les pamphlets de bas étage qui sont indignes d’une mention historique, on peut signaler surtout deux ouvrages de sérieuse valeur, écrits avec une véritable déférence pour la personne et pleins d’admiration pour le talent de M. Cousin ; ce sont : l’Essai sur le panthéisme, de l’abbé Maret, et les Considérations sur les doctrines religieuses de Victor Cousin, de l’abbé Gioberti, traduit en français par l’abbé Tourneur. Or ces deux ouvrages sont l’un et l’autre dirigés contre le panthéisme et le rationalisme de Victor Cousin et ne soupçonnent pas le moindre changement dans sa pensée. Ainsi, jusqu’en 1840 au moins, Cousin n’a pas éprouvé le besoin de rien changer à ses opinions philosophiques. C’est seulement à partir de cette époque, et sans aucun doute sous le coup de la polémique catholique, que le changement commença à se faire sentir. Reprenons les choses d’un peu plus haut pour nous rendre bien compte de cet événement.

L’occasion déterminante de la transformation philosophique de Victor Cousin a été l’accusation de panthéisme dirigée contre lui par la polémique catholique et contre laquelle il chercha à se défendre dans la préface de 1833 (deuxième édition des Fragmens), dans la préface de 1838 (troisième édition) et, dans la préface du Rapport sur Pascal, en 1842. Ce qu’il y a d’intéressant à signaler dans cette controverse, c’est que, plus ou moins provoquée, je le reconnais, par les difficultés de la politique universitaire, elle avait cependant dans le fond des choses le mérite et l’avantage, au point de vue philosophique, de poser pour la première fois en France la question panthéistique.

Cette question, en effet, n’avait jamais été clairement et nettement posée dans la philosophie française. Au XVIIe siècle, par exemple, on comprenait si peu la question du panthéisme, que Fénelon combattait, sous le nom de spinozisme, un système qui n’était pas du tout celui de Spinoza, et il lui opposait une doctrine qui ressemblait beaucoup plus au spinozisme que celle qu’il combattait. Un seul penseur, à cette époque, a bien vu le nœud de la question : ce fut Mairan, dans sa discussion avec Malebranche, où il le presse de lui faire toucher au doigt la différence de son système et de celui de Spinoza. Mais cette correspondance de Malebranche et de Mairan était restée inconnue, et assurément, quoique fatigué et irrité des objections de Mairan, Malebranche est mort sans avoir eu la moindre conscience de son affinité avec celui qu’il appelait a le misérable Spinoza. » Au XVIIIe siècle, ni Voltaire ni même Diderot n’eurent connaissance de la question panthéistique : on confondait alors le panthéisme et l’athéisme. Le mot de panthéisme ne se trouve seulement pas dans l’Encyclopédie. Cette question est née en Allemagne, lors du grand débat de Jacobi et de Mendelssohn sur le spinozisme’ de Lessing. En France, au commencement de ce siècle, Mme de Staël parlait de panthéisme en parlant des philosophes allemands ; mais le point de vue panthéistique était absolument ignoré de la philosophie française. Ce qui le prouve, c’est que, dans la controverse religieuse, si variée et si puissante, qui eut lieu de 1815 à 1830, il n’est jamais fait allusion au panthéisme, et le mot n’est pas même prononcé. L’abbé de Lamennais, le grand controversiste de l’époque, ne parle que de déisme et d’athéisme, jamais de panthéisme.

Le principe panthéistique a donc été posé en France pour la première fois par Victor Cousin dans la préface de 1826 et dans la fameuse proposition : « Dieu, nature et humanité. » Ce fut sur le sens de cette proposition que la discussion s’établit et que Victor Cousin fut amené peu à peu à en corriger et même à en retirer les principaux élémens. Ce serait une pensée superficielle de ne voir dans cette querelle qu’un débat politique et la question de se mettre en règle avec un pouvoir ombrageux et inquiet, qui surveillait avec malveillance, et au grand péril de la philosophie, l’enseignement universitaire. Non, il y avait un problème philosophique, à savoir de déterminer avec le plus de précision possible les rapports de Dieu et du monde, de l’infini et du fini. Ce n’est pas tout de soutenir le principe de l’unité de substance (que cette substance s’appelle être, liberté, amour, pensée, comme on voudra) ; il reste encore à savoir dans quel rapport elle est ou elle peut être avec la personnalité des individus. C’est à l’examen de ce problème que la philosophie éclectique fut occupée pendant une vingtaine d’années de 1840 à 1860. Cousin, même en reculant sur le terrain où il s’était avancé le premier, a donc contribué à faire serrer d’un peu plus près l’un des plus difficiles problèmes de la métaphysique.

Déjà, dans un article sur Xénophane, en 1827, et plus tard dans cette préface même de 1833 où il déclarait que le système de Schelling était le vrai, Cousin s’était expliqué sur le panthéisme, et il prétendait que sa philosophie n’avait rien à voir avec ce système. Il répudiait surtout de très haut, sous le nom de panthéisme le système saint-simonien. Suivant lui, le panthéisme consiste à confondre Dieu avec le monde, à faire un Univers-Dieu, tandis qu’il avait lui-même toujours distingué Dieu et le monde, tout en les unissant. Mais cette première apologie ne satisfaisait nullement la critique catholique, et l’abbé Gioberti répondait que le système dont Cousin se séparait ainsi avec hauteur n’était nullement le panthéisme, mais le matérialisme et l’athéisme ; or, ce n’était ni d’athéisme ni de matérialisme que Cousin était accusé, mais de panthéisme ; il ne se disculpait donc qu’en se plaçant hors de la question.

Il y avait dans cette réplique de Gioberti une part de vrai et une part de faux. Sans doute le saint-simonisme était un panthéisme matérialiste, mais ce n’était pas un athéisme, loin de là. Le saint-simonisme était et voulait être une religion. Dans l’Exposition de la doctrine de Bazard, il y a une leçon sur l’existence de Dieu prouvée par l’ordre de la nature et le consentement universel. Nous avons encore connu beaucoup de saint-simoniens ; tous étaient des croyans aux aspirations religieuses et nullement des athées. Il fallait donc au moins prendre acte de la rectification et de la réclamation de Cousin, à savoir qu’il n’était pas panthéiste matérialiste, qu’il n’était pas partisan de la réhabilitation de la chair, enfin qu’il ne divinisait pas la matière. Mais ce que Gioberti pouvait dire et ce qu’il disait avec raison, c’est que cette forme de panthéisme n’est pas la seule en philosophie, qu’elle en est même une des plus basses, et il affirmait qu’il y en a au moins trois autres, distinctes l’une de l’autre ; c’étaient, disait-il, le panthéisme émanistique, le panthéisme idéalistique, et le panthéisme réalistique. Ces distinctions sont exactes, mais elles peuvent servir à prouver combien il est difficile de ne pas être panthéiste. Un illustre personnage de notre temps, de l’esprit le plus pénétrant, feu M. le duc de Broglie, disait un jour : « Il est plus facile de réfuter le panthéisme que d’y échapper[5]. » Cette pensée, aussi spirituelle que profonde, s’est trouvée vérifiée par l’exemple de Gioberti lui-même. En effet, dans la polémique qui s’éleva plus tard en Italie entre Rosmini et Gioberti, celui-ci ayant accusé Rosmini de panthéisme, Rosmini répliqua par un écrit intitulé : Gioberti et le Panthéisme, dans lequel il montra que c’est Gioberti qui est panthéiste beaucoup plus que lui-même ; et ils avaient tous deux raison.

Pour en revenir aux trois formes de panthéisme distinguées par Gioberti, on peut dire que le panthéisme émanistique est représenté par l’école d’Alexandrie, le panthéisme idéalistique par l’école éléatique, et la panthéisme réalistique par l’école de Spinoza. Dans laquelle de ces trois formes rentrerait le panthéisme de Cousin ? Ce ne serait certainement pas dans la doctrine de l’émanation, car il n’a jamais fait allusion à rien de semblable ; ce ne serait pas davantage le panthéisme idéaliste, car il a toujours répudié l’éléatisme ; ce ne pourrait donc être que le panthéisme réaliste de Spinoza, admettant à la fois la réalité de Dieu et du monde, et les unissant par un lien indissoluble. Cependant, Cousin, dans cette même préface de 1833, essayait de se distinguer de Spinoza en disant que le Dieu de Spinoza est substance mais qu’il n’est pas cause, tandis que Dieu tel qu’il le concevait lui-même était à la fois substance et cause. Mais Gioberti ne se rendait pas à cette explication et il y répondait en distinguant encore deux sortes de panthéisme réaliste : l’un qui considère les attributs et les modes comme éternels en Dieu ; l’autre qui les considère comme des productions de Dieu, cette dernière forme étant celle qui caractérisait la doctrine de Cousin.

Dans la préface de 1838 (3e édition des Fragmens), Victor Cousin revient encore sur cette question du panthéisme, et il cherche de nouvelles explications. S’il a parlé d’unité de substance, dit-il, il ne l’a fait qu’accidentellement et par hyperbole ; il a voulu simplement accentuer la différence de Hêtre absolu et dépêtre relatif ; il a voulu dire qu’à proprement parler, Dieu est le seul être qui mérite ce nom ; et « qu’en face de l’être absolu et infini, les substances finies sont bien près de ressembler à des phénomènes ; » les platoniciens et les pères de l’église avaient souvent eux-mêmes employé un pareil langage. Il est à remarquer que, du temps même de Spinoza, Bayle nous rapporte une justification semblable donnée par certains spinozistes, et il démêlait avec sa sagacité pénétrante et subtile l’équivoque contenue dans cette apologie[6]. Il est douteux également que l’explication atténuante, proposée ici par Victor Cousin, pût s’appliquera tous les passages incriminés. Sans doute, au point de vue d’un platonisme un peu exalté, on peut bien dire que le monde n’est rien par rapport à Dieu ; mais, en dehors du panthéisme, on ne peut pas dire que Dieu lui-même n’existerait pas sans le monde : or c’était là ce qu’avait dit Cousin : « Un Dieu sans monde est aussi incompréhensible qu’un monde sans Dieu. » Et ailleurs : « Si Dieu n’est pas tout, il n’est rien. » Cousin était plus heureux lorsqu’il soutenait que sa doctrine morale et politique sur la personnalité humaine était exclusive du panthéisme. « Si le moi est une force libre, comment serait-il une modification de l’absolu ? » C’était mettre le doigt sur le point vif de la question. Comment concilier avec le panthéisme de Schelling et de Hegel la doctrine kantienne de la valeur absolue de la personne humaine ? Cette difficulté est telle que certaines écoles, pour sauver la liberté humaine, se croient obligées d’écarter non-seulement le panthéisme, mais le théisme même. Sans aller jusque-là, peut-on cependant reconnaître la personnalité humaine sans reconnaître par là une limite à l’identification des deux forces, c’est-à-dire au panthéisme ? Restait la doctrine de la création nécessaire, que Victor Cousin, toujours dans cette même préface, essayait d’expliquer dans un sens non panthéistique. En parlant de création nécessaire, il aurait simplement voulu dire que Dieu agit conformément à son essence. Or Dieu étant toujours en acte, et cela même étant son essence, il est essentiellement créateur. Une puissance essentiellement créatrice n’a pas pu ne pas créer, de même qu’une puissance essentiellement intelligente ne peut pas ne pas penser. Cette explication ne levait pas beaucoup la difficulté ; car entre une création nécessaire et une création essentielle il n’y a pas grande différence.

En résumé, jusqu’en 1838, les explications proposées étaient plutôt des réserves et des atténuations que des rétractations véritables du fond de la doctrine. Il faut arriver jusqu’en 1842 pour saisir le point précis de la transformation philosophique que nous avons indiquée. Seraient-ce les deux écrits théologiques que nous avons signalés plus haut, celui de l’abbé Maret, ou celui de l’abbé Giobert, (1840), qui auraient décidé la crise de réaction qui commence à cette époque ? Est-ce la campagne ouverte alors par le clergé contre l’unirversité qui a déterminé cette volte-face décisive ? Cela est possible et même probable. Suivons cependant les phases de cette nouvelle évolution. C’est en 1842, disons-nous, dans la première préface de son Rapport sur les Pensées de Pascal, que Cousin sacrifie décidément le panthéisme de Hegel au théisme de Descartes et de Leibniz. Dans cette préface, il s’explique encore une fois sur le panthéisme et sur la création nécessaire. Sur le premier point, il dit que, dans tous les passages où il avait paru confondre Dieu avec le monde, il avait voulu dire simplement que Dieu n’est pas absent du monde, qu’il s’y est manifesté, qu’il y est d’une manière obscure dans la nature, d’une manière plus claire et plus distincte dans l’âme humaine : d’où il suivrait que ce qu’on appelait alors le panthéisme de M. Cousin n’aurait été en réalité que la doctrine toute chrétienne de la Providence. Sur la nécessité de la création, il distinguait avec Leibniz une nécessité physique et une nécessité morale ; il consentait même à retirer cette expression de nécessité et de la remplacer par la convenance ; en un mot, il se réfugiait dans l’optimisme de Leibniz.

En même temps qu’il expliquait dans le sens théiste toutes les propositions panthéistiques de ses premiers écrits, il essayait, par une interprétation analogue, de couvrir et de disculper ce qui avait paru agressif à la religion chrétienne dans plusieurs passages de ses ouvrages. Il affectait de croire que l’opposition de ses adversaires n’était autre que celle de l’école ultramontaine et traditionaliste, ennemie exagérée de la raison naturelle. Il opposait à la doctrine de l’abbé de Lamennais, qui niait toute philosophie, la doctrine traditionnelle de l’église chrétienne, qui avait toujours distingué la raison et la foi, et qui avait toujours reconnu la première comme légitime dans son domaine et dans ses limites. Il essayait de faire croire qu’il n’avait jamais été au-delà de cette distinction et que lorsqu’il avait dit que la philosophie doit éclairer la foi, c’était dans le sens des grands théologiens chrétiens, qui avaient toujours essayé de rendre intelligibles les mystères par quelque analogie avec la raison : fides quœrens intellectum.

Cette Préface de Pascal est la véritable déclaration de principes du nouvel éclectisme. A partir de ce moment jusqu’à sa mort, Cousin n’a fait que l’affirmer de plus en plus. Cependant, il est vrai de dire que ses principales déclarations en ce sens datent surtout de 1853, c’est-à-dire de la troisième édition du Vrai, du Beau et du Bien. La préface de Pascal avait un instant éveillé les espérances des catholiques ; mais nous voyons par la traduction de Gioberti en 1847 par l’abbé Tourneur que ces espérances n’avaient pas paru suffisamment réalisées. Même la première édition du Vrai, du Beau et du Bien, ' en 1846, quoique déjà singulièrement modifiée, avait encore paru assez hétérodoxe. La critique du mysticisme avait été attaquée comme une critique du christianisme. On y parlait encore de la doctrine de la chute comme d’un mythe. C’est surtout dans l’édition de 1853, et dans la préface de cette édition, que l’on vit hautement déclaré le désir de s’entendre avec la religion pour la défense des grandes vérités morales et religieuses[7].

Sans vouloir suivre dans le détail l’histoire des remaniemens, corrections, rétractations de Victor Cousin, prenons la question de plus haut et demandons-nous d’une part ce qu’il pouvait y avoir de légitime et de fondé dans cette évolution de la philosophie de Victor Cousin et aussi ce qu’elle a eu de factice et même de funeste pour sa gloire et pour sa cause. En principe, le retour du panthéisme au théisme n’avait rien que de légitime en soi, même philosophiquement, même scientifiquement ; et Victor Cousin eût pu facilement justifier sa nouvelle philosophie sans avoir besoin de toutes les petites adresses, de toutes les petites ruses qu’il a employées pour faire croire qu’il avait toujours pensé la même chose. Toutes ces adresses, n’ayant jamais trompé personne, ont porté le plus grand préjudice à la doctrine elle-même. N’eût-il pas mieux fait de dire, par exemple, que lorsqu’il avait exposé sa première philosophie, la question panthéistique n’était pas posée et qu’elle ne l’a été que par cette philosophie même ? En 1828, la question n’existait pas, ou elle était tout autre. Il ne s’agissait pas de savoir si l’on croirait ou non au Dieu personnel, mais si l’idée de Dieu elle-même rentrerait ou non en philosophie. Quel spiritualiste aujourd’hui n’accepterait pas l’alliance du panthéisme contre le matérialisme et le positivisme ? Or, à cette époque, il ne s’agissait pas d’alliance avec le panthéisme ; car on ne savait pas même ce que c’était ; les limites et les distinctions n’étaient pas posées et ne l’ont été que plus tard par la controverse elle-même. L’idée de Dieu avait été écartée de la science par le matérialisme et l’idéologie du XVIIIe siècle. Le plus pressé était de l’y faire rentrer : il n’y avait pas à chicaner sur les conditions. La conception panthéistique pouvait même tout d’abord séduire par l’avantage de réconcilier et d’embrasser à la fois le spiritualisme et le matérialisme, la philosophie du XVIIIe siècle et celle du XVIIe.

Mais il faut le dire, en 1840, ces espérances avaient été en grande partie déçues. Le panthéisme en France, avec le saint-simonisme, était retourné au matérialisme, et une révolution analogue avait eu lieu en Allemagne. Tant que Hegel avait vécu, son grand esprit avait maintenu l’équilibre entre les deux élémens dont se compose toute philosophie panthéiste ; mais, lui mort, ces deux élémens s’étaient violemment séparés. La gauche hégélienne avait été de plus en plus entraînée dans la voie du naturalisme. On sait que, dans la philosophie de Hegel, l’Idée ou principe suprême passait par trois momens : l’Idée en soi (Logique) ; l’Idée hors de soi (Philosophie de la nature) ; et l’Idée en soi et pour soi (Philosophie de l’Esprit). Or la gauche hégélienne supprimait la première phase, à savoir la logique. Elle faisait pour la philosophie de Hegel ce que Straton, de Lampsaque, avait fait pour la philosophie d’Aristote : elle absorbait la métaphysique dans la physique[8]. Par réaction, la droite hégélienne revenait de plus en plus au spiritualisme. Non-seulement, ces divisions avaient lieu dans l’école hégélienne ; mais le grand créateur de la philosophie de la nature, Schelling, faisait sur lui-même une révolution analogue, et il revenait, lui aussi, à une sorte de philosophie chrétienne. Je ne compare que les directions, et non le fond des choses : car la dernière philosophie de Schelling est encore pleine de vues profondes et originales, tandis que Cousin a modifié la sienne dans un sens exclusivement populaire, et sans y introduire aucunes vues nouvelles : mais je ne parle que du bien-fondé de la révolution en elle-même. Plus Cousin vieillissait, plus le mouvement matérialiste et athée qu’il avait combattu dans sa jeunesse reparaissait avec puissance et violence. Les idées allemandes, qu’il avait lui-même contribué à introduire, se retournaient contre la pensée spiritualiste, idéaliste, platonicienne, qui avait été et est restée l’âme de sa philosophie. Un des premiers, il avait deviné et dénoncé à ses amis ce qui allait arriver : « Il se prépare, disait-il à M. de Rémusat en 1850, un grand mouvement athée en Europe. » C’est contre ce mouvement athée que, suivant l’une des lois les plus connues de la mécanique des idées, il se rejeta dans la réaction philosophique. Qu’eût fait Hegel s’il avait lui-même assisté à ce mouvement ? Qu’eût-il dit de la métaphysique de Feuerbach, de Schopenhauer et de Buchner ? Qu’eût-il dit de la théologie du docteur Strauss ?

Sans doute, comme nous le dirons, cette philosophie de plus en plus populaire et littéraire ne pouvait guère lutter avec avantage contre l’envahissement d’une philosophie armée de tant de forces nouvelles. Mais c’est là une question de forme plus que de fond. La vraie question, au point de vue philosophique, était de savoir si l’on pouvait s’en tenir à un panthéisme vague qui se dissolvait de toutes parts en Allemagne, si le moment n’était pas venu de rentrer dans la philosophie nationale, de remonter jusqu’à la source de la philosophie française, en un mot, de revenir à la philosophie de Descartes. C’était, dira-t-on, un recul ; mais souvent, en philosophie, le recul est un progrès. N’avons-nous pas aujourd’hui un néo-kantisme ? pourquoi n’y aurait-il pas eu en 1840 un néo-cartésianisme ? La première philosophie de Cousin, inclinant vers le panthéisme, laissait indécise la question des limites du Créateur et de la créature. Absorberait-on Dieu dans l’homme ou l’homme en Dieu ? Le premier n’eût été que l’athéisme ; le second le mysticisme. Or Cousin n’avait jamais été ni athée ni mystique, et il ne voulait être ni l’un ni l’autre. Mais, du moment qu’on n’absorbe ni Dieu dans l’homme, ni l’homme en Dieu, quels que soient d’ailleurs les rapports indéterminés que l’on laisse entre l’un et l’autre, le panthéisme se rapproche du théisme et même sera porté à en prendre de plus en plus la forme et les formules. Que plus tard, sous l’influence de faits nouveaux et de circonstances différentes, la philosophie ait pu être appelée à prendre des formes nouvelles que nous n’avons pas à juger ici, cela est possible, et nous ne voulons soulever aucune polémique contemporaine. Mais qu’alors, dans la dissolution universelle qui partout tournait au profit de l’athéisme, il y eût lieu à un retour à la philosophie de Descartes, renouvelée à l’aide de Leibniz et de Biran, c’est ce qui me paraît encore aujourd’hui parfaitement fondé. Cette nouvelle forme de l’éclectisme eut surtout pour interprètes les élèves de Cousin : Saisset, Jules Simon, Franck, Bouillier, Bersot ; et Cousin lui-même, de plus en plus loin des choses, fut souvent, si j’ose dire, l’élève de ses élèves. Mais sans distinguer la part de chacun, nous affirmons que ce mouvement était légitime, répondait à la situation, n’engageait nullement l’avenir ; c’était une philosophie de recueillement et d’observation et non une rétractation humiliante du passé.

Néanmoins, tout en considérant comme légitime et fondée en soi l’espèce de rupture ; de Cousin avec lui-même et tout en rappelant quelque chose d’analogue chez les plus grands penseurs de notre siècle : chez Fichte, accusé d’athéisme en 1796 et finissant par le mysticisme ; chez Schelling passant, nous l’avons dit, du panthéisme au néo-christianisme ; chez Biran, du stoïcisme au quiétisme ; chez Cabanis, passant du matérialisme de son premier ouvrage au théisme de la Lettre à Fauriel ; — malgré, dis-je, tous ces exemples, nous sommes obligé cependant de reconnaître que la forme donnée par Cousin à sa dernière philosophie a été plus préjudiciable qu’utile et a été une raison de faiblesse et de recul pour la cause même qu’il voulait servir.

Lorsque Victor Cousin commença la réforme de sa philosophie, il était éloigné de la science pure depuis une dizaine d’années par deux circonstances différentes : d’abord, son rôle d’administrateur, de directeur de l’enseignement philosophique, rôle plus ou moins lié à la politique ; en second lieu, son goût de plus en plus vif pour la littérature et pour la langue littéraire. Or la métaphysique a beau avoir des rapports très étroits avec la vie, avec les besoins légitimes de l’âme, et trouver son appui dans les instincts naturels de l’homme, elle n’en est pas moins en elle-même une science et une science des plus difficiles, que non-seulement il faut apprendre, mais qu’il faut cultiver sous peine de ne plus être au courant des choses, de ne plus connaître les questions, de négliger les difficultés les plus graves et de tout confondre dans des généralités de plus en plus vagues. L’esprit des affaires est incompatible avec les précisions philosophiques : première raison d’affaiblissement pour la science pure. Absorbé par une autre entreprise que nous avons expliquée en détail et qui était elle-même de la plus haute importance : la création d’un grand enseignement philosophique, Victor Cousin s’était, de plus en plus, éloigné de la science technique. D’un autre côté, la littérature a sans doute ses précisions ; mais elles ne sont pas les mêmes que celles de la philosophie. Les scrupules et les délicatesses de l’écrivain littérateur s’accommodent peu des nécessités techniques de la science. Cousin, relisant ses premières leçons, les trouvait barbares, insupportables, incompréhensibles ; elles le rebutaient, et avec raison, car aujourd’hui encore elles ne nous intéressent qu’à titre de documens et comme moyens de reconstruction d’une philosophie oubliée. Par ces diverses raisons, la philosophie de Cousin, dans sa seconde phase, devait prendre une forme toute populaire. En ce genre, sans doute, cette philosophie a encore une sérieuse valeur ; et le livre du Vrai, du Beau et du Bien sous sa forme dernière, restera dans notre littérature comme le monument le plus noble et le plus élégant de l’idéalisme platonicien mis à la portée du vulgaire. Mais, en même temps, on ne peut nier qu’en donnant cette forme au spiritualisme, on lui donnait en apparence une forme de lieu-commun populaire, de plus en plus contraire à l’esprit nouveau qui éclatait alors. Ce que Cousin n’a pas du tout compris dans le mouvement qu’il vit se former autour de lui et contre lui à la fin de sa vie, c’était le besoin scientifique, le besoin d’appliquer à la philosophie le même esprit de désintéressement abstrait que l’on apporte dans toutes les autres sciences, de chercher la vérité pour elle-même, abstraction faite de son utilité morale ou sociale. En donnant au spiritualisme la forme d’une prédication oratoire, il lui donnait la forme antiscientifique précisément au moment où l’esprit scientifique devenait un besoin plus impérieux ; en cela, il tournait le dos à l’esprit du temps. Ses appels éternels au sens commun étaient ce qui compromettait le plus les doctrines qu’il voulait défendre. L’idée d’une humanité inspirée, qui avait été l’idée de Vico et de Schelling et que lui-même avait exprimée tant de fois avec éloquence, était devenue en s’appauvrissant de plus en plus un appel banal au sens commun vulgaire ; et Cousin retournait à la philosophie de Reid, qu’il avait lui-même autrefois si hautement dédaignée. La liberté de la science, la liberté de l’esprit non-seulement à l’égard des dogmes révélés, mais à l’égard de tout dogmatisme, est un besoin légitime en philosophie et est même le besoin philosophique par excellence. Cette liberté paraissait proscrite par le nouvel éclectisme. Le droit, je dis plus, le devoir philosophique par excellence, suivant Descartes, de ne rien accepter que sur l’évidence, c’est-à-dire après examen critique et dans tous les sens, était ou paraissait sacrifié à un besoin tout pratique de se mettre d’accord avec l’opinion commune. On fournissait ainsi aux adversaires une arme facile dont ils ont usé et abusé jusqu’à satiété ; on leur donnait en apparence le droit d’opposer le spiritualisme à la science ; ce qui, dans un temps où la science elle-même allait devenir à son tour une sorte de religion, était préparer au spiritualisme les plus fâcheuses épreuves.

Il en était de même de la tentative exagérée de mettre d’accord la philosophie et la religion. Victor Cousin avait raison sans doute, au point de vue pratique, de chercher un terrain commun sur lequel les deux puissances pussent s’entendre, et la distinction du naturel et du surnaturel est, en effet, la vraie base sur laquelle, sans attenter à la liberté de conscience, on peut fonder un enseignement neutre et laïque ; car l’église elle-même, en admettant cette distinction, n’a rien à objecter théologiquement contre un enseignement philosophique purement rationnel, pourvu qu’il ne soit pas agressif contre l’église. Mais de cette règle pratique faire une sorte de règle théorique, interdire à la philosophie comme science ce qui n’est défendu qu’à la philosophie enseignante, chercher surtout, et avec une préférence affectée, l’expression vraie du spiritualisme dans les philosophes chrétiens, sans faire jamais, à la vérité, acte d’adhésion explicite au dogme, mais en exprimant toujours le désir qu’il ne fût pas touché au dogme, c’était donner à la philosophie l’apparence d’une auxiliaire de la religion, c’était autoriser l’accusation de vouloir fonder une orthodoxie laïque, sorte de vestibule de l’orthodoxie religieuse. Or une telle entreprise, au moment même où l’orthodoxie religieuse elle-même devenait de plus en plus étroite, où l’église manifestait l’intention évidente de ressaisir la société, où elle éliminait successivement de son sein tous les élémens libéraux, où, réactionnaire sur elle-même, elle rétrogradait non-seulement au-delà de Lacordaire et de Montalembert, mais au-delà de Bossuet et de Descartes, toutes ces concessions autorisaient les adversaires à confondre sous le même nom d’orthodoxie et le spiritualisme et le cléricalisme le plus absurde. C’était faire les affaires des adversaires de tout spiritualisme. Quelle est, en effet, la tactique de ceux-ci ? C’est d’éliminer du terrain philosophique et scientifique le spiritualisme lui-même comme une branche de l’orthodoxie religieuse ; c’est de lui ôter les droits et les titres d’une philosophie ; c’est de le confondre avec les adversaires éclairés ou non de toute libre pensée et, en particulier, avec ceux pour qui la pensée en elle-même n’a aucune valeur, et qui ne voient dans les philosophes diverses que des formes de la lutte sociale et politique. En un mot, dans un temps où l’esprit critique devenait de plus en plus exigeant, c’était travailler à rebours que de résumer la philosophie dans quelques affirmations vagues et toujours les mêmes, sous une ferme qui n’était pas très éloignée de La prédication.

Nous avons vu de nos jours les conséquences de cette erreur de Victor Cousin. On l’a pris au mot ; on n’a plus vu dans sa philosophie que ce qu’il avait voulu y mettre. Le grand rôle initiateur et promoteur par lequel il avait débuté dans la carrière fut oublié, méconnu, comme il l’avait voulu lui-même. Ses livres, sans cesse remaniés et affadis, n’ont plus été connus que par les pâles exemplaires qu’il avait substitués aux fières et énergiques esquisses de sa jeunesse. Il a voulu faire disparaître toutes les traces de haute pensée qui avaient remué ses contemporains, et il y a réussi. Il est la première cause de l’injustice et de l’ingratitude des générations nouvelles ; mais, ce qui est plus grave, c’est que cette erreur n’a pas seulement nui à lui-même, elle a pesé sur son école et sur le fond même de sa philosophie. Tous ceux qui l’ont suivi ont eu à se défendre contre cette accusation d’orthodoxie et de lieu-commun qu’il avait imprudemment attirée contre sa doctrine. Restituer au spiritualisme sa part et sa place dans la libre pensée, le faire rentrer dans le giron de la philosophie au même titre que toute autre doctrine, le délivrer de tout patronage artificiel et de toute complicité réactionnaire, lui ôter l’apparence d’un parti-pris, le réconcilier avec le libre examen de la critique, l’esprit nouveau, telle est l’œuvre ingrate et pénible à laquelle notre illustre maître nous a condamnés et sans laquelle notre philosophie aurait continué d’être considérée comme une ancilla theologiœ. En rompant, pour notre part, avec cette tradition d’orthodoxie réactionnaire, nous avons toujours cru consulter le véritable intérêt de la philosophie spiritualiste, et nous sommes resté fidele à l’esprit même de Cousin, à sa grande époque, lorsqu’il disait : « La philosophie est la lumière des lumières, l’autorité des autorités. »

Au reste, nous sommes loin de penser que le spiritualisme cartésien soit le dernier mot de la pensée humaine ; même remanié à l’aide des idées de Leibniz et de Maine de Biran, il laisse encore bien des questions ouvertes et bien des points obscurs qui nous empêchent d’être complètement satisfait. Nous ne pouvons pas croire que le grand mouvement allemand de Kant à Hegel se soit produit en vain et soit absolument vide de sens ; il serait aussi bien étrange que la prodigieuse revendication qui s’est élevée de toutes parts en Europe au nom de l’expérimentalisme ne fût qu’une insurrection superficielle, une révolution sans portée. Quel champ ouvert encore à la philosophie de l’avenir ! Sans renier aucune de ses convictions, on peut admettre ingénument que le monde ne finit pas avec nous. Ce n’est donc nullement dans la pensée d’enrayer le travail puissant, quoique confus, de la pensée actuelle (entreprise d’ailleurs aussi inutile qu’absurde) ; ce n’est pas par lassitude d’une pensée vieillie que nous avons cru devoir réclamer les droits du passé. C’est, au contraire, parce que nous avons une foi profonde et de plus en plus vive en la philosophie, que nous avons voulu que justice fût rendue à tout le monde, et surtout au principal maître de la culture philosophique de notre siècle.


III

Victor Cousin n’a pas été seulement un philosophe ; il a été aussi lin littérateur. Quelques-uns même disent qu’il n’a été que cela. On peut apprécier la valeur de ce jugement après la longue étude à laquelle nous nous sommes livré. Ce qui est certain, c’est le goût et le talent de Cousin pour la littérature proprement dite. Il avait fait de brillantes études littéraires. A sa sortie de l’École normale, il était resté deux ans le répétiteur de Villemain, dont il avait été l’élève. Devenu suppléant de Royer-Collard, il se livra alors exclusivement à la philosophie, et nous ne l’avons vu faire aucune diversion à ces études pendant les quinze années de la restauration. Il en fut de même dans les premières années du règne de Louis-Philippe. Son premier essai dans la pure littérature fut son écrit sur Santa-Rosa, en 1838, le premier travail qu’il ait donné à la Revue, dont il devint depuis lors et jusqu’à sa mort le fidèle et infatigable collaborateur. C’est dans la Revue et dans le Journal des savans, pendant les trente dernières années de sa vie, que, peu à peu détourné de la philosophie proprement dite, il se livra aux études littéraires et historiques qui allaient devenir pour son talent l’occasion d’un si brillant rajeunissement. L’article sur Santa-Rosa fit grande sensation ; c’est, en effet, une des plus belles choses qu’il ait écrites ; sa plume s’était en quelque sorte amollie et attendrie au souvenir de cette amitié de jeunesse, qui avait jeté un instant un rayon de poésie dans une vie dure et laborieuse. C’est surtout en 1840, à partir de ses études sur Pascal, que le goût et même la passion de la littérature, de la langue et du style s’empara de lui et le détacha de plus en plus de la philosophie. Dès lors, le nombre de ses travaux purement littéraires va toujours croissant. En voici le résumé : Rapport sur la nécessité d’une nouvelle édition des Pensées de Pascal (1842) ; — la Jeunesse de Madame de Longueville (1852) ; . — la Marquise de Sablé (1854) ; — la Duchesse de Chevreuse (1855) ; — Madame de Hautefort (1856) ; — le Grand Cyrus et la Société française au XVIIe siècle (1858) ; — Madame de Longueville pendant la fronde (1859) ; — la Jeunesse de Mazarin (1860) ; — le Connétable de Luynes, — resté inachevé.

Quelles ont été les doctrines littéraires de Cousin ? Il semblerait assez naturel, d’après les principes de sa philosophie, d’attendre de lui, en littérature comme en philosophie, une doctrine d’éclectisme. Ce ne fut pas du tout son rôle. L’éclectisme en littérature est représenté par Villemain et non par Cousin. C’est Villemain qui a cherché une moyenne et une transaction entre l’école classique et l’école romantique, entre l’admiration de nos chefs-d’œuvre et celle des chefs-d’œuvre étrangers, entre Racine et Shakspeare ; mais lorsque Cousin est arrivé à la critique littéraire, il n’était plus, à proprement parler, éclectique ; il avait fait son choix et il avait pris définitivement parti pour la philosophie spiritualiste du XVIIe siècle. Pour la même raison, il prit la défense de la littérature du grand siècle. Il fut classique comme il était cartésien. Ses doctrines littéraires vinrent donc se rencontrer avec celles d’un autre critique éminent et illustre dont le rôle avait été précisément, en présence du romantisme et de l’éclectisme, de sauver et de relever les grandes doctrines de la tradition classique, M. Nisard. Cousin fut donc classique ainsi que M. Nisard ; mais il le fut différemment. L’un et l’autre admiraient le grand siècle, mais non pas la même époque dans le même siècle. Pour M. Nisard, l’idéal de la littérature française, c’est le règne de Louis XIV. Pour Cousin, c’est le règne de Louis XIII et l’époque de la fronde ; pour lui, c’est la première moitié du XVIIe siècle qui est le grand siècle ; pour M. Nisard, c’est la seconde. Ce que Cousin met au-dessus de tout, c’est la grandeur ; ce que M. Nisard admire plus que tout, c’est la perfection. Pour Cousin, les plus grands hommes du règne de Louis XIV viennent de plus loin et ils ont leur origine dans la première moitié du siècle ; pour M. Nisard, c’est Louis XIV qui a imprimé le cachet de sa majesté, de sa haute raison, aux hommes qu’il a su grouper autour de lui.

La littérature française de la première période n’a pas eu ce caractère d’élégance polie et soutenue, de noblesse convenue que l’on a reproché, à tort ou à raison, à la littérature du XVIIe siècle et que l’on a attribué à l’influence de cour. Nos plus grands écrivains datent d’un temps ; où la vie sociale était loin d’être aussi complètement arrangée, aussi brillamment paisible que sous Louis XIV. Ils sont nés et se sont développés sous Richelieu, dans le temps des conspirations et des échafauds ; ils ont traversé la guerre civile, ils ont connu des temps graves et terribles. La perfection du goût n’avait pas encore éteint la mâle vigueur des caractères et la vieille originalité féodale. De là, dans les écrivains de ce temps-là, dans Corneille et dans Pascal surtout, ce mélange de hardiesse et de noblesse, de liberté, de familiarité et de grandeur, précisément ce qu’on a reproché à nos écrivains de n’avoir pas eu parce qu’on ne voyait la littérature classique que dans Racine et Boileau. Car est-ce à Pascal, est-ce à Bossuet, est-ce à Mme de Sévigné, est-ce à Molière, est-ce à La Fontaine qu’aurait manqué ce caractère de naïveté et de familiarité que l’on croit manquer à notre littérature, tandis que ce qui domine précisément dans tous ces écrivains, c’est le naturel ? Cet élément, ils le devaient, suivant Cousin, aux traditions viriles et énergiques de la première moitié du siècle, tradition que l’influence de la cour de Louis XIV n’avait pas encore eu le temps d’amollir et d’amortir. Par cette distinction entre les deux XVIIes siècles Victor Cousin introduisit donc, à ce qu’il nous semble, un élément nouveau dans la critique littéraire. Il montrait que le vrai classique comprenait tous les élémens du beau, le naturel et la force aussi bien que la pureté et la perfection, sans qu’il fût besoin, pour expliquer ce fait, d’avoir recours à l’hypothèse spirituelle, mais forcée, du romantisme des classiques.

Un autre trait remarquable à signaler dans la critique littéraire de Victor Cousin, c’est la précision mâle et forte avec laquelle il caractérise tous nos grands écrivains et le jugement qu’il porte sur leur manière d’écrire. De nos jours, le champ de la littérature s’est agrandi, et c’est un véritable progrès ; mais aussi elle a un peu perdu son originalité propre. Elle s’est mêlée à l’histoire, à l’érudition, à la psychologie, à la morale, à la philosophie. Mais on oublie souvent que la littérature, prise en elle-même, est un art, comme la peinture et la musique. Sans doute, dans le sens large, tout ce qui est écrit fait partie de la littérature ; sans doute, la littérature est l’expression des mœurs et de la société ; elle est une partie de l’histoire de l’esprit humain ; à tous ces points de vue, la littérature peut comprendre tout ce qui intéresse les hommes ; mais, dans le sens propre, elle ne comprend que ce qui est écrit avec art. Il y a un art d’écrire comme un art de peindre et de dessiner. Il y a des formes littéraires comme il y a des formes plastiques. Or l’art d’écrire, c’est le style. Est écrivain quiconque a du style ; n’est pas écrivain quiconque n’en a pas. Or Victor Cousin avait au plus haut degré le sentiment du style. Il aimait passionnément et jugeait merveilleusement les beautés du style. Il caractérisait de la manière la plus ferme et la plus concise le génie propre de nos grands écrivains. Dans son Rapport sur Pascal, dans son chapitre sur l’Art français, ajouté en 1853, à son livre du Vrai, du Beau et du Bien, dans son écrit sur le Style de Jean-Jacques Rousseau, il résumait en quelques traits mâles et rapides toute l’histoire de la prose française.

Les deux points de vue précédens, quelque intéressans qu’ils puissent paraître, ne sont pas ce qu’il y a de plus important dans l’œuvre littéraire de Victor Cousin. Ce qui est bien plus considérable, c’est le point de vue tout à fait nouveau qu’il a introduit dans l’étude et dans la critique des textes classiques. Là, il a fait, on peut le dire, une véritable révolution. Le point de départ de cette révolution a été son travail sur Pascal. Le premier (et cela était bien surprenant après tant d’éditeurs de Pascal depuis près de deux siècles), le premier, dis-je, il a eu l’idée d’aller confronter le texte des éditions consacrées avec le texte original et authentique conservé à la Bibliothèque nationale. Dire qu’il a déchiffré ce texte, ce serait probablement trop dire ; il y avait heureusement deux copies, dont l’une absolument contemporaine et faite sous les yeux de la famille, et l’autre assez peu postérieure. C’est à l’aide de ces deux copies que l’on a pu lire le manuscrit original, écrit, comme on sait, d’une manière tout hiéroglyphique. En se servant de ces documens et en les comparant au texte imprimé, Cousin reconnut bien vite un bon nombre d’altérations dont on peut voir le détail dans son ouvrage ; et, comme son esprit était toujours porté à la généralisation, il indiqua tout d’abord la conséquence générale de ce fait, à savoir la refonte de tous nos textes classiques, qui tous avaient plus ou moins subi des modifications de ce genre, par exemple les Sermons de Bossuet, les Lettres de Mme de Sévigné, les Mémoires de Saint-Simon. Il mit en relief cette idée, à laquelle on ne s’était pas encore habitué, c’est que les classiques sont devenus pour nous des anciens et que le XVIIe siècle est une troisième antiquité qu’il faut traiter avec le même soin religieux que les deux autres. Sainte-Beuve, dans un article de la Revue[9] sur l’édition des Pensées par M. Faugère, remarquait avec pénétration la nouveauté du point de vue que cette manière d’entendre la critique introduisait dans la littérature française. Après la période classique, après la période romantique, il en signalait une troisième : la période philologique que M. Cousin inaugurait ; et, en effet, cette prévision s’est réalisée, et c’est évidemment à cette vive prédication en faveur de la révision de nos textes classiques qu’est due la grande entreprise de M. Ad. Régnier, dans laquelle précisément nous trouvons réalisée l’œuvre réclamée par Victor Cousin.

Dans le même article que nous venons de citer, Sainte-Beuve relevait encore un des traits caractéristiques du talent de Cousin, celui d’entraîner et d’intéresser les autres à tout ce qui l’intéressait lui-même. « C’est la doctrine et l’honneur de certains esprits, disait Sainte-Beuve, c’est la magie de certains talens illustres de ne pouvoir toucher à une question qu’elle ne s’anime un instant d’un intérêt nouveau, qu’elle ne s’enflamme et n’éclate aux yeux de tous. » En signalant ce don de Cousin, Sainte-Beuve faisait allusion à l’espèce de concurrence, et même de concurrence passagèrement victorieuse, que Cousin lui avait faite à lui-même sur un terrain que Sainte-Beuve, il faut le reconnaître, avait choisi le premier et dont il croyait s’être assuré l’absolue propriété. C’était Port-Royal, alors si ignoré et si oublié que Royer-Collard, causant de ce sujet avec Sainte-Beuve, lui disait : « Nous causons de Port-Royal ; mais savez-vous bien, monsieur, qu’il n’y a que vous et moi en ce temps-ci pour nous occuper de telles choses ? » En 1840, Sainte-Beuve publia son premier volume, et, il faut le dire pour ceux qui ignorent l’histoire de ce temps, ce volume n’eut aucun succès. Il parut lourd, pénible, entortillé, bourré de théologie austère et aride. L’impression de ce temps-là fut celle d’un échec. Cependant les curieux commençaient à s’y intéresser et à deviner ce qu’il pouvait y avoir de vivant dans cette grande étude, lorsque tout à coup Victor Cousin intervînt avec éclat par son Rapport sur Pascal, par son livre sur Jacqueline, par ses articles sur la philosophie de Pascal et sur Port-Royal. Sainte-Beuve, dans la préface de son troisième volume, fait allusion à cette irruption, qui semblait lui ravir la propriété de son sujet : « Je ne viens pas me plaindre, dit-il, du succès qu’a eu mon sujet ; mais Port-Royal est devenu de mode ; c’est là un fait ; c’est plus même que je n’avais espéré, plus peut-être que je n’aurais désiré. J’y reviens aujourd’hui légèrement mortifié, ne souhaitant plus qu’une chose : l’achever dignement. » Il est donc certain, de l’aveu de Sainte-Beuve, que celui qui a lancé le sujet de Port-Royal, celui qui l’a fait entrer dans le courant public, c’est Victor Cousin. Que Sainte-Beuve en ait été légèrement mortifié, on le comprend ; mais on ne peut dire cependant qu’il y ait eu concurrence déloyale. Sainte-Beuve aurait pu faire lui-même la découverte qu’a faite Cousin ; il n’avait pour cela qu’à aller à la Bibliothèque nationale. Mais cette découverte une fois faite, Cousin pouvait-il s’en priver ? ou encore devait-il s’abstenir de la faire valoir avec feu et éloquence, ce qui était sa nature propre ? ou enfin, parlant de Pascal, pouvait-il ne pas parler de Port-Royal ? Tout cela était inévitable. C’était une rencontre, ce c’était point une usurpation. D’ailleurs, Sainte-Beuve a-t-il eu véritablement sujet de se plaindre de cette concurrence inattendue ? Nous ne le croyons pas ; car Victor Cousin, en popularisant le sujet de Port-Royal, a précisément contribué au succès du livre de Sainte-Beuve ; il a amené les esprits à en comprendre la haute valeur littéraire. Ce qui avait paru d’abord un sujet bizarre, choisi dans un coin obscur de la littérature théologique, maintenant considéré au point de vue de cette restauration de nos antiquités classiques, au point de vue plus élevé encore de la lutte entre la raison et la foi, reprenait une valeur et une vie nouvelles, et on était mieux préparé à comprendre le génie propre de Sainte-Beuve que l’on n’avait pas encore deviné dans ses études antérieures : à savoir ce sens psychologique profond qui transformait la littérature en une vaste expérimentation morale et humaine. Le livre admirable de Port-Royal, dont les premiers volumes avaient été très froidement accueillis, a été entraîné à son tour dans la popularité que Cousin avait faite au sujet. L’auteur lui-même, de son côté, s’était débrouillé et dégagé ; les derniers volumes sont bien plus vifs que les premiers, et la concurrence de Cousin n’empêcha nullement Sainte-Beuve de faire à son tour une étude très neuve et très profonde sur Pascal[10]. Si nous passons maintenant aux écrits de Victor Cousin sur l’Histoire des femmes illustres du XVIIe siècle, nous lui trouverons dans cette entreprise deux prédécesseurs : Kœderer, dans son Histoire de la société polie, et Walckenaer dans son livre si complet sur Mme de Sévigné et son Temps ; mais ces deux ouvrages, n’étant pas soutenus par l’éclat du style et par le nom de l’auteur, étaient restés des travaux secondaires, le premier plus littéraire, le second plus érudit, connus des curieux, mais n’ayant pas pénétré dans ce qu’on appelle le grand public. Ici encore, le don signalé par Sainte-Beuve se manifesta avec le même bonheur. Tout le monde se passionna pour ou contre les héroïnes de M. Cousin ; on plaisanta sur ses passions rétrospectives et sur son goût pour les beautés opulentes du grand siècle : en un mot, on le lut, on le critiqua, on en parla, et un nouveau chapitre littéraire de notre histoire fut créé.

Que M. Cousin, séparé des affaires, éloigné de la philosophie, ait pris plaisir à distraire son imagination en la promenant dans les salons du passé et en courtisant des maîtresses idéales, il n’y avait rien là que de bien innocent et de bien légitime ; et quand on a longtemps instruit les hommes, on a bien le droit de les amuser en s’amusant soi-même ; mais ce qu’on ne croirait pas, et ce qui est pourtant vrai, c’est que, pour Victor Cousin, cette étude de pure fantaisie faisait partie de son plan de restauration du spiritualisme. On se demande en quoi l’histoire de ces belles dames si médiocrement spiritualistes dans leur conduite pouvait servir au rétablissement des grands principes sociaux ; et, cependant, s’il fallait en croire Cousin lui-même, c’est dans cette vue qu’il aurait entrepris cette étude : « Pour nous, disait-il, en même temps que nous essayons de rappeler la jeunesse française au culte du vrai, du beau et du bien, et qu’au nom d’une saine philosophie, nous ne cessons de combattre le matérialisme et l’athéisme, il nous a paru que ces études sur la société et les femmes du XVIIe siècle pourraient inspirer aux générations présentes le sentiment et le goût de plus nobles mœurs, leur faire connaître, honorer et aimer la France à la plus glorieuse époque de son histoire, une France où les femmes étaient, ce semble, assez belles et excitaient d’ardentes amours, mais des amours dignes du pinceau de Corneille, de Racine et de Mme de Lafayette. » On comprend que ces revendications en faveur du spiritualisme si singulièrement associées à la peinture « des nobles mœurs » de Mme de Chevreuse exaspérassent des esprits nets, tranchans, positifs, tels que ceux qui prenaient à cette époque la direction de l’esprit et de l’opinion. Chez les hommes supérieurs qui vieillissent les qualités deviennent des défauts. Le goût des idées générales, qui avait fait la grandeur de Victor Cousin dans sa première période, devenait dans sa vieillesse le goût des thèses et des grandes amplifications : il fallait que tout ce qu’il faisait, tout ce qu’il écrivait se rapportât à un grand dessein. On lui aurait su gré de chercher à plaire : on lui en voulait de prêcher si mal à propos. Nous ne dirons rien des travaux purement historiques de M. Cousin, étant trop incompétent pour les juger. Disons seulement que les plus autorisés et les plus exercés en ces matières, M. Mignet, M. Chéruel, accordent une haute valeur à ses travaux sur Mazarin et sur Luynes. Là encore il a fait des percées nouvelles ; il a appliqué la méthode la plus sévère, n’écrivant que sur pièces, et sur documens précis, la plupart du temps inédits. Il a fait surtout les plus grands efforts pour ramener son style, toujours un peu trop tendu vers le sublime, à la simplicité, et en quelque sorte à la nudité : « Mon ambition, nous disait-il, est de plaire à M. Thiers. »

Puisque nous parlons du style, essayons de le caractériser à ce point de vue. Victor Cousin a été l’un des écrivains les plus savans de son temps, l’un de ceux qui connaissaient le mieux la langue et qui en discernaient le mieux toutes les ressources. Il manquait de coloris, si l’on entend par là les images. Je ne connais pas de lui une métaphore remarquable ; mais il avait au plus haut degré la qualité du mouvement, et, comme l’avait remarqué Hegel avec une étonnante intelligence de la langue française, « la force des tours. » Il était remarquable par la propriété des termes, par le tissu serré de la phrase, par la logique des liaisons et des constructions, enfin par la science de la période. Il plaçait très haut l’art de la longue phrase, l’une des plus grandes difficultés de la langue française ; tout en admirant beaucoup Montesquieu et Voltaire, il remarquait qu’ils avaient brisé la langue et il relevait hautement le mérite de Rousseau, qui avait reconstitué la grande phrase française. On sait que la science de la période est un des caractères du génie de Bossuet, qui est le maître de tous les écrivains en ce genre. Cousin s’est essayé plusieurs fois à lutter avec lui, et, sans l’avoir égalé, on peut dire qu’il s’est rapproché quelquefois de son modèle. Quoique Victor Cousin soit surtout arrivé à la perfection de la forme dans la seconde période de sa carrière, c’est-à-dire à partir de 1838-1868, je ne sais cependant s’il n’était pas encore supérieur à l’époque où il ne voulait pas systématiquement être écrivain. Les Argumens de Platon et quelques pages des Fragmens, sans avoir peut-être la pureté de la langue, qu’il a cherchée plus tard, avaient, en revanche, ce qui lui a le plus manqué par la suite : le naturel. À cette première période, son style a une largeur et une aisance qu’il a un peu perdues par la suite. Moins classique que dans sa seconde période, il est plus lui-même ; il est moins artificiel, moins tendu. Il a déjà l’art de la longue phrase, mais moins suspendue, moins construite, coulant avec plus de négligence, et, par conséquent, plus de grâce. Néanmoins, on ne peut qu’admirer l’effort qu’il a fait plus tard pour faire porter à la langue classique toutes les idées de son temps.

Mais il est temps de revenir à la philosophie, de résumer les résultats obtenus et de caractériser l’idée fondamentale qui a été le centre de tous les travaux de Cousin, à savoir : l’idée de l’éclectisme, dont nous n’avons encore presque rien dit. C’est cependant à cette idée que son nom restera attaché dans l’histoire. Essayons de la définir avec clarté et précision.


IV

Le principe qui nous parait ressortir de la philosophie éclectique, c’est le principe de l’unité de la philosophie. Il n’y a qu’une philosophie, comme il n’y a qu’une physique. Seulement, voici la différence. La physique, comme toutes les sciences positives, ne s’occupe que du particulier et du fini. Elle peut donc ajouter sans cesse des connaissances particulières les unes aux autres ; ces connaissances peuvent s’accumuler, et, quand elles sont assez multipliées, se coordonner en théories. Il n’en est pas de même en philosophie. La philosophie est la science de l’absolu, des premiers principes, du tout. Elle ne peut donc pas se faire par parcelles ; et chaque système est un tout, un absolu ; mais c’est un absolu qui a passé par un esprit relatif et individuel ; c’est un absolu connu relativement : c’est l’univers réfléchi par une monade. C’est pourquoi tout système est à la fois vrai et fragile ; vrai, parce qu’il est un reflet de l’absolu ; fragile, parce qu’il n’en est qu’un reflet. Il y a donc, malgré les systèmes et à travers tous les systèmes, une philosophie objective ; mais elle est diffuse, inconsciente, mêlée à des systèmes particuliers et transitoires. Elle est analogue à ce que Hegel appelle l’esprit objectif, par exemple, l’esprit d’une nation, l’esprit d’une époque, qui n’est formulé, ni condensé dans aucun homme en particulier, mais qui n’en est pas moins présent et réel dans tous, et principalement dans les grands hommes. Ainsi de la philosophie : c’est elle qui soutient et anime tous les systèmes ; mais elle les dépasse et les déborde ; elle est plus qu’eux. Les systèmes passent, mais tous laissent quelque chose après eux. Chaque grand système a d’abord son esprit propre qui ne meurt pas avec le système. L’esprit platonicien a survécu au platonisme et vit encore. Quiconque pense à l’idéal et a soif d’idéal est un platonicien. L’esprit stoïcien n’a jamais disparu ; il n’a pas même été définitivement vaincu par l’esprit chrétien. Quiconque croit à la dignité et à l’inviolabilité de la personne humaine, quiconque met la force d’âme au-dessus de tout est un stoïcien. L’esprit chrétien subsiste chez ceux-là mêmes qui croient le plus violemment répudier le, christianisme. Quiconque s’intéresse aux faibles est un chrétien. Ainsi en est-il de l’esprit cartésien, de l’esprit voltairien ; quiconque ne se paie que d’idées claires et distinctes est un disciple de Descartes ; quiconque ne veut être dupe en rien, est un voltairien. Chacune de ces grandes formes de la pensée humaine a subsisté en s’incorporant à la raison commune, laquelle s’est développée en s’assimilant la substance du passé. Voilà pour l’esprit des doctrines ; il en est de même de leur matière. Prenez la théorie des idées de Platon : rien de plus singulier, rien de plus paradoxal, rien de plus éloigné de l’esprit positif de notre siècle. Voici cependant un grand physiologiste, le moins rêveur des hommes, nourri d’études expérimentales, ayant peu de temps à perdre à la lecture des métaphysiciens. Un jour, il veut résumer ses vues sur la vie : quelle formule lui vient à l’esprit ? C’est que la vie est une « idée formatrice. » Ce vieux Platon n’a donc pas tant rêvé, puisque, deux mille ans plus tard, un savant positif ne trouve rien de mieux pour résumer sa propre science que de lui emprunter son vocabulaire. Je prends dans Aristote la distinction de l’acte et de la puissance. Cette distinction est-elle purement logique, ou porte-t-elle sur la nature des choses ? Est-ce une formule qui suffit à tout embrasser, à tout expliquer ? Je n’en sais rien ; mais je le demande, est-il possible aujourd’hui à l’esprit humain de penser sans la distinction de la puissance et de l’acte ? Ne voyons-nous pas la science elle-même obligée de se servir de cette formule et distinguer « l’énergie potentielle et l’énergie actuelle ? » On peut disputer sur la limite et l’étendue de la formule ; on ne peut en nier l’utilité et la nécessité. De même la conception des atomes n’est peut-être pas la dernière conception des choses, comme le croient les épicuriens ; elle n’est peut-être pas même la dernière conception de la matière ; néanmoins c’est une conception nécessaire de l’esprit ; et, au moins à titre de représentation provisoire, elle ne peut être éliminée sans dommage ; quelques chimistes mêmes la croient la seule hypothèse qui satisfasse aux phénomènes. Nous pourrions prendre toutes les formules philosophiques : le dualisme de l’étendue et de la pensée dans Descartes, la force dans Leibniz, les antinomies de Kant, le moi qui se pose lui-même de Fichte, toutes ces formules ont une signification sujette à restriction, à limite, à interprétation (c’est le travail de la science), mais une valeur quelconque qui les rend un élément nécessaire de la pensée. On a dit que cette juxtaposition de vérités éparses et hétérogènes n’était autre chose que du scepticisme. Mais était-on sceptique en physique quand on ajoutait les découvertes les unes aux autres sans les pouvoir lier, parce que le moyen de les lier manquait encore ? L’éclectisme n’a jamais dit qu’il n’y aurait plus de système et qu’il n’en fallait plus faire ; et, l’eût-il dit, ce ne serait qu’une exagération semblable à celle de tous les autres philosophes ; mais les systèmes nouveaux eux-mêmes devront s’assimiler tous les élémens du passé. La philosophie ainsi entendue a une tradition, il y a un lien entre les siècles, entre tous les penseurs, même entre les penseurs qui paraissent se combattre le plus : c’est le contraire du scepticisme ; car si l’on soutient qu’il y a une seule et même raison entre les hommes malgré la diversité de leurs jugemens, pourquoi n’y aurait-il pas une même philosophie présente aux philosophies les plus diverses ? Une telle doctrine était nécessaire surtout en France, où l’on a toujours pratiqué en philosophie aussi bien qu’en politique la méthode révolutionnaire.

Cependant cette philosophie qui croyait en finir avec les systèmes se présentait encore comme un système ; et, d’après la loi posée par elle-même, elle dut à son tour se dissoudre et disparaître comme tous les autres ; mais en même temps, et d’après la même loi, elle a dû laisser quelque chose d’elle-même qui est venu accroître le domaine général de l’esprit humain : c’est cet esprit d’intelligence appliqué au passé, cet effort de rapprochement et de conciliation entre les opinions les plus diverses, cette ouverture, cette libéralité de pensée qui cherche partout ce qu’il y a de bon et de vrai. Tout cela est resté. La conciliation totale est impossible, car elle ne pourrait se trouver que dans la possession d’une vérité absolue ; mais les emprunts réciproques, le sage emploi de l’héritage du passé, l’habitude de démêler une pensée commune sous des formes plus ou moins discordantes, voilà ce que l’éclectisme a légué à la philosophie ultérieure ; et ce sont là des gains d’une haute valeur. Cette croyance à l’unité de la philosophie n’est sans doute qu’un idéal irréalisable ; mais cet idéal est en même temps un postulat nécessaire, et un acte de foi sans lequel aucune philosophie n’est possible ; et je formulerais volontiers, sur le modèle du critérium de Kant, cette règle fondamentale pour tout philosophe : « Pense de telle manière que chacune de tes pensées puisse devenir un fragment de la philosophie universelle. »

Avons-nous bien résumé la pensée de Victor Cousin ? Pour nous en convaincre, laissons-le parler lui-même. Ce sont les derniers mots qu’il ait prononcés à la Sorbonne ; c’est la fin de sa dernière leçon, celle qui a clos la première partie de sa carrière philosophique lorsque, désintéressé de tout objet pratique, il ne pensait qu’à la vérité pure et à la science absolue : « La philosophie, disait-il, n’est pas telle et telle école, mais le fonds commun et pour ainsi dire l’âme de toutes les écoles. Elle est distincte de tous les systèmes, mais elle est mêlée à chacun d’eux, car elle ne se manifeste, elle ne se développe, elle n’avance que par eux ; son unité est leur variété même, si discordante en apparence, en réalité si profondément harmonique ; son progrès et sa gloire, c’est leur perfectionnement réciproque par leur lutte pacifique… Ce que je professe avant tout, ce n’est pas telle ou telle philosophie, mais la philosophie elle-même ; ce n’est pas l’attachement à tel système, mais l’esprit philosophique supérieur à tous les systèmes. La vraie science de l’historien de la philosophie n’est pas la haine, mais l’amour ; et la mission de la critique n’est pas seulement de signaler les extravagances de la raison humaine, mais de démêler et de dégager du milieu de ces erreurs les vérités qui peuvent et doivent y être mêlées, et par là de relever la raison humaine à ses propres yeux, d’absoudre la philosophie dans le passé, de l’enhardir et de l’éclairer dans l’avenir. » Nous terminerons sur cette belle page, afin de laisser le dernier mot à M. Cousin ; et nous prendrons congé des lecteurs en leur demandant pardon de les avoir retenus si longtemps.


PAUL JANET.

  1. Voyez la Revue du 1er et du 15 janvier, du 1er et du 15 février.
  2. Opera Procli recollexit Victor Cousin.
  3. Cousin ne fit pas de cours en 1830. Tout son enseignement de la deuxième période se borna donc à deux mois en 1828 et à l’année 1829.
  4. On trouvera peut-être quelque contradiction entre ce tableau de la philosophie de Cousin (seconde période) et ce que nous avons dit plus haut dans notre dernier article sur le caractère libéral de l’enseignement philosophique fondé par lui. Mais il faut distinguer les dates : ce n’est que tout à fait à la fin, vers 1846, et c’est surtout à partir de 1853, après être tombé du pouvoir, que s’est accusé le travail de restauration dont nous parlons. Il correspond donc, pour la plus grande partie, à la période de sa carrière où il n’avait plus aucune influence officielle. D’ailleurs nous avons montré que le spiritualisme s’était formé spontanément dans l’enseignement universitaire, précisément par esprit d’indépendance et en opposition à l’esprit panthéistique germanique, que l’on accusait alors d’être la philosophie officielle.
  5. C’est à nous-même que ce mot a été dit.
  6. Dictionnaire, article Spinoza, note D D.
  7. Voir aussi la fin de la 16e leçon, qui a été également ajoutée dans cette édition de 1853.
  8. Ravaisson, Essai sur la Métaphysique d’Aristote, t. II, p. 27 : « De même, dans l’école péripatéticienne, la métaphysique se rapprocha peu à peu de la physique, quoique par une lente dégradation. Peu à peu, l’idée d’un principe suprême consistant tout entier dans la pensée s’éloigne et s’amoindrit, laissant le monde naturel subsister et se soutenir de plus en plus par lui-même. En même temps, l’idée de la nature gagna peu à peu en force et en profondeur, et la physique s’enrichit insensiblement de la substance de la métaphysique. »
  9. 1er juillet 1844.
  10. Indépendamment de la question de texte qui était soulevée à propos des Pensées de Pascal, il y avait une question de fond qui mériterait grandement d’être exposée, car elle fit un grand bruit. Mais nous ne pouvons tout dire et ce serait rentrer sur le terrain philosophique.