Librairie Henry du Parc (p. 191-214).


xvi


On a donné le nom de « Périgord noir » à certaines parties du département de la Dordogne où le sol, la culture, les habitants offrent un caractère de sauvagerie, de rusticité fruste et noire, en effet, en complet désaccord avec le caractère général du pays, qui est riant, gai et riche, avec une population intelligente et ouverte aux progrès de la civilisation.

D’un arrondissement à l’autre, tout change : la physionomie des habitants, la configuration du sol, ses qualités productives et jusqu’au langage et aux mœurs. Le patois, ce roman corrompu, se modifie d’un côté du ruisseau à l’autre. Il est tel arrondissement où se commettent tous les crimes que l’on juge aux assises de la Dordogne.

Il y a peu d’années, dans l’un de ces coins noirs, une douzaine de paysans faisaient brûler, ligotté sur un brasier de broussailles, un gentilhomme accusé de bonapartisme. Des femmes attisaient le feu.

Aujourd’hui encore, deux officiers faisant par là des levés topographiques se virent poursuivis par des hommes armés de fourches : on s’imaginait que leurs gestes avaient pour but d’attirer le mauvais temps sur les récoltes.

Presque aux confins de la Haute-Vienne, le curé d’un village prêche dans le patois du pays, et il traduit dans cette langue, belle et imagée, il est vrai, le Pater et le Credo qu’il fait réciter à ses ouailles chaque dimanche. Il leur explique, par des comparaisons tirées de leurs travaux journaliers et des choses grossières qui les entourent, toutes les moralités de l’Évangile. Il n’est pas toujours compris. C’est une œuvre de missionnaire parmi des sauvages.

C’est le pays des bois, des hautes futaies et des taillis qui couvrent les coteaux solitaires, inhabités, sans culture pendant des lieues. Des troupeaux de moutons, d’une petite espèce assez délicate, paissent, nombreux, aux flancs des collines déboisées, le long des vallées étroites où se creuse parfois le lit d’un étang morne et noir. Les loups hurlent et galopent ici en plein jour, décimant les troupeaux.

L’été, ces solitudes verdoyantes ont des grâces de pays vierge, de forêts inviolées, où les sentiers perdus sous les ajoncs et les mousses ne se retrouvent que sous les pieds, et demeurent cachés pour qui les cherche de loin. Des vols d’oiseaux tournoient au-dessus des étangs immobiles. Çà et là des rochers sombres sortent du flanc des coteaux, se dressent ou s’écroulent et demeurent suspendus comme immobilisés dans l’effort de leur convulsion.

L’hiver, les coteaux ont la teinte rousse des feuilles de chêne qui ne tombent qu’au printemps et claquettent, légères et blondes, pendues au bout des branches, sous la bise éternelle qui siffle et souffle à travers les détours, les gorges et les vals.

Parfois l’étang se moire d’une glace fragile, où le ciel mire ses étoiles, où galope la nue, où passe l’ombre des ailes qui battent l’air comme d’un coup d’éventail.

Parfois la neige couvre tout d’un immense voile, si blanc qu’on aperçoit de loin rôder les grands loups noirs.

Parfois on découvre un clocher, pauvre, couvert de ses tuiles moussues comme d’un chaume. Et, tout autour, quelques maisons basses, espacées, les unes même isolées aux flancs d’un coteau déboisé et zébré par les sillons qu’a tracés la charrue : c’est un village. Il faudra faire des lieues pour en trouver un nouveau que les gens de celui-ci connaîtront à peine.

Cependant, depuis que la voie ferrée les a reliés l’un à l’autre, leurs habitants se rencontrent aux marchés et aux foires.

Peut-être même, maintenant, y en a-t-il parmi eux qui savent lire.

Ils disaient alors que cela ne leur était point nécessaire pour planter la pomme de terre et ramasser la châtaigne, toute la production de cet endroit-là, avec le maïs.

Un jour, ceux du Cournil faisaient la récolte, battant de leurs gaules les grands châtaigniers, d’où pleuvait le fruit vert épineux, ensemble avec la châtaigne dépouillée, luisante et nue, que les femmes et les enfants ramassaient.

C’était vers la fin d’octobre, et déjà le froid piquait. Toute la châtaigneraie était ainsi battue, de place en place, et les sacs s’emplissaient que l’on hissait sur le dos des ânes, comme des bâts.

Partout dans les fossés, au bord des terres que couvrait le bout des branches, des gens baissés fouillaient les ajoncs, se blessant aux pelotes vertes qu’ils écrasaient cependant du sabot pour en extraire le fruit. Ici point de chansons et point de rires : on ramassait pour sa faim, avidement, sur un sol rude et dur, où mourait la dernière fleur des bruyères violacées, où pleuvait, sous le vent, le grain du genévrier qu’avaient oublié, en passant, les dernières grives.

Tout à coup, ceux du Cournil se redressèrent lentement, avec une surprise muette. Au bord du bois une forme humaine s’était levée du fossé, énorme dans ses haillons, décharnée et pâle.

C’était la Victoire qui s’en était venue là comme au plus loin qu’elle avait pu, depuis deux mois passés qu’elle errait, cherchant sa vie. Elle ne connaissait personne par ces endroits-là, et personne ne la devait connaître. Mais elle ne rencontrait que des visages farouches, et, pour ne pas mourir, depuis huit jours, elle volait des raves dans les champs. Elle venait là pour voler aussi les châtaignes qu’on n’avait pas encore abattues. Et voilà qu’on les ramassait. Elle se leva.

Les gens ne disaient rien, mais ils la regardaient marcher vers eux avec son paquet sous le bras, repoussante et menaçante dans ses petits yeux qui luisaient.

— Si vous vouliez, dit-elle aux plus proches, je vous aiderais.

On lui répondit :

— Nous n’avons besoin de personne pour nous aider à manger notre bien.

Elle reprit :

— J’en mangerai bien tout de même ; j’ai faim.

Et elle se baissa.

Les hommes s’avancèrent vers elle, le poing levé, en criant : « À la voleuse ! » comme ils auraient crié : « Au loup ! »

Les femmes lui braillaient des injures ; les enfants ramassaient des pierres et les lui jetaient ; les chiens maigres arrivèrent d’un trot et lui happèrent les jupes, en aboyant. Elle les chassa d’un coup de pied et fit des gestes terribles en brandissant son paquet.

Des coteaux voisins, les gens regardaient ; les uns venaient rapidement avec leurs fourches. Alors la Victoire fouilla dans sa poche et leur dit :

— J’ai de l’argent pour vous payer, oui bien, si je voulais ; mais je veux me louer pour gagner ma vie. Voilà. Je cherche une place. Vous n’en savez pas, vous autres ?

Ils s’apaisèrent quand ils lui virent quelques sous dans les doigts, et ils répondirent qu’ils ne savaient pas.

Elle s’informa s’il y avait une auberge dans le village. Bien sûr qu’il y en avait une, et on lui dit des noms, en faisant des signes pour indiquer le chemin.

Mais la Victoire ne s’en allait pas, toujours regardant autour d’elle de son air sournois.

Alors les gens se remirent à la besogne, et elle les suivait, mais sans oser ramasser. Ils se plaignaient, la récolte était mauvaise, tandis qu’à côté, chez ceux de Saint-Pierre, la châtaigne était grosse quasiment comme un œuf, et que les arbres en cassaient, les branches couchées par terre.

Une femme se mit à dire que jamais le Sauvage n’aurait fini de rentrer sa récolte, lui qui était seul, avec tout ce coteau qui lui appartenait, là-bas, vers le couchant : — Tiens, dit-elle aussitôt à la Victoire, il vous prendrait peut-être à la ramassée au tiers, si vous lui demandiez.

— Où ça ? s’écria Victoire. La femme répondit :

— Chez le Sauvage, là-bas, derrière le mont. Ah ! c’est pas pour dire que c’est un homme bien famé, non : car il a fait des choses qu’on dit qui sont bien honteuses et épouvantables, même qu’on a peur de lui, quand il passe, à cause de cela. Mais il n’y en a aucun autre ici qui vous peut employer, sinon lui, s’il en a besoin. Et il m’est avis que ses châtaignes gèleront s’il ne prend du monde pour lui aider à les rentrer.

— J’y vais aller, dit la Victoire. Faut bien manger, pas vrai ?

— Ah ! oui certes, répondit la femme. Tenez, c’est par là, tout droit devant l’étang des vergnes, vous voyez ? ensuite montez à gauche et tournez le mont. Vous verrez sa maison au levant. Peut-être bien que vous le rencontrerez dans le bois. Lui parlez pas, hé ! que je vous ai dit la chose, il me ferait un mauvais coup, comme à l’autre.

— Quel autre ? dit la Victoire, inquiétée.

La femme voulait se taire, mais elle ne pouvait pas. Elle lâcha tout bas :

— Hé ! celui qu’il a assommé un soir, au coin d’un bois, pour le voler, qu’il en a depuis lors acheté sa maison et ses terres. Ah ! pauvre ! c’est une canaille, allez ! Mais on n’a pas osé le faire mettre en prison, les gens le craignent.

En prison ! Victoire frissonna. Une idée lui vint.

— C’est peut-être pas vrai, dit-elle.

Puis elle dit encore à la femme :

— Merci bien, tout de même.

Et elle s’en alla par le chemin qu’on lui avait montré.

Elle descendit vers l’étang, tout pâle de la couleur du ciel voilé d’une blancheur de neige prochaine, avec ses roseaux frissonnants et ses bouleaux taillés au ras du tronc énorme, qui l’enveloppaient comme d’une colonnade irrégulière et tronquée où les lierres montaient autour des fûts grisâtres.

Elle prit vers la gauche un sentier qui passait sous la forêt blonde des taillis. Elle grimpa vers le sommet du coteau couronné de pins qui profilaient sur le fond du ciel blanc leurs colonnes droites, hautes et fines, avec leur chapiteau verdoyant comme un bouquet de palmes, et qui mettaient sur ces hauteurs la vision du vestibule d’un temple grec, à ciel ouvert.

Elle traversa la sapinière où craquetaient sous ses pieds nus l’amoncellement des branchettes desséchées et la poussière des feuilles effilées qui couvraient le sol comme d’un tapis roux.

Et, tout de suite, de l’autre côté du coteau, où déjà l’ombre descendait, elle aperçut une terre labourée, un champ, un jardin, et puis une maisonnette qui n’ouvrait pas de ce côté-là, mais avait sa porte au levant.

Victoire fit le tour, regardant si l’homme qu’on appelait « le Sauvage » n’était point dehors. Elle ne vit rien ; seulement, en approchant, comme le toit fumait, elle pensa qu’il était là, et une peur l’arrêta toute froide.

Le toit fumait, et, par la porte entrebâillée, on voyait le feu, et une odeur venait jusqu’à Victoire du souper que l’homme apprêtait. Sa face rougit d’une fureur d’appétit, elle s’approcha et poussa la porte.

— Qui va là ? cria une voix menaçante.

Et un homme, accroupi devant le foyer, se dressa soudain, tenant à deux mains sa pelle à feu, large et lourde, en fer rongé de rouille couleur de sang.

Victoire le regardait au visage avec épouvante. Un visage embroussaillé d’un poil noir grisonnant, avec des sourcils énormes qui tombaient sur le luisant de deux prunelles fauves. Elle murmura, très-humble :

— C’est des gens qui m’envoient.

Il aperçut le paquet qu’elle avait sous le bras, et il posa sa pelle.

— Quelles gens ? dit-il.

— Des gens qui ramassent, là-bas.

— À Cournil ?

Elle fit « oui » de la tête, sans savoir.

Alors il eut un rire, et se rapprocha.

— Ah ! ah ! dit-il, montrant ses dents longues comme des crocs, ça ne va pas fort, les châtaignes, cette année. Au lieu de vendre, il en faudra acheter. Et l’on veut savoir à combien je tiens les miennes, pas vrai ? Mais la ramassée n’est pas finie, et l’on attendra. Je veux voir les cours. On parle de vingt francs le quintal, savez-vous ?

Et il se frotta les mains.

— Peut-être bien, répondit Victoire.

La faim la rendait hardie. Elle eut l’esprit d’ajouter :

— Je leur dirai.

Puis, tout droit, elle continua :

— Mais ils disent par là que votre récolte, à vous, pourrait bien geler, si vous ne la levez pas tout à l’heure.

Alors, l’homme s’emporta. Il jura Dieu qu’on lui voulait jeter un sort, mais qu’il s’en moquait, et que si ses châtaignes gelaient, on les mangerait gelées, voilà tout. Mais il regardait en l’air, du seuil de la porte, et sa face se plissait de fureur sous la tombée de l’air glacé.

C’était peut-être bien vrai, tout de même, qu’il allait geler. Et si la neige arrivait, couvrant tout, le sol et les branches, on n’en retirerait pas même un « pélou ». L’homme cria :

— Chien de pays, va ! Terre de loups ! Personne pour vous donner un coup de main quand la besogne est pressée !…

La Victoire, qui humait la soupe pendant que l’homme gesticulait, s’offrit tout de suite.

— Je vous aiderais, moi, dit-elle, si vous vouliez.

Il la regarda de travers.

— Vous ? Vous n’êtes donc pas du pays ?

— Non pas. Je viens pour me louer.

— Je ne veux louer personne.

La Victoire trembla.

— Ça ne fait rien, dit-elle. Je ramasserai au tiers, et puis je m’en irai. Vous verrez comme je vous en lèverai des sacs dans une journée.

— Tout de même, dit-il. Revenez donc demain.

Et il rentrait, poussant sa porte. Mais elle cria, tout angoissée :

— Il fait jour encore de l’autre côté du coteau. J’en lèverais bien un bissac avant la nuit, et ça serait d’autant, voyez-vous ?

Il la regarda, soupçonneux, les yeux tout petits sous le tas brouillé des sourcils.

— Alors, vous laisserez votre paquet ici, dit-il.

Et il lui donna une sache.

Elle s’en alla vite, remontant la côte, passant sous les pins, et dévalant au couchant, où cependant la nuit commençait à faire de rondes ombres sous les lourds châtaigniers.

Sans rien dire, l’homme avait pris son fusil, et, de loin, d’arbre en arbre se cachant, il la suivait. Quelque voleuse, peut-être ; et il avait armé le chien, le doigt sur la détente, comme s’il attendait une envolée de perdreaux.

Cependant la Victoire, renforcée par ce coup de fortune, battait les arbres, secouait les branches, écrasait les « pélous » sous ses pieds nus sanglants. Et le bissac, qu’elle traînait de place en place, commençait à s’emplir.

Comme elle n’y voyait plus, à trouver l’enveloppe épineuse, encore verte, tombée dans les ajoncs, elle se baissait, marchant sur ses genoux, tâtant avec ses mains. Elle se piquait, s’écorchait, saignait, mais elle ne le sentait pas. Elle pensait au foyer, là-bas, à la marmite pleine où la soupe bouillonnait avec son odeur grasse de lard et de choux.

Décidément, la neige ne tomberait pas cette nuit, mais bien la gelée. Le ciel était devenu clair, les étoiles y montaient, pales encore, et la lune, en croissant très-doux, venait de se montrer au-dessus de la colonnade des pins. Une bise aiguë passait sur les feuilles des chênes, et les feuilletait toutes ensemble avec un craquètement léger et lointain, comme un frisson épeuré de toute la forêt aux approches des ombres.

Victoire se releva en voyant luire, au travers des fougères hautes, deux yeux plus ronds que des lucioles et qui se rapprochaient.

— Les loups, dit-elle.

Alors, elle chargea son bissac sur son épaule, s’arma d’un pieu et remonta la côte.

Quand elle se tournait, elle voyait un loup derrière elle, marcher gravement, pas à pas, mais à distance toujours plus courte, avec, de temps à autre, un bâillement qui hurlait.

Comme elle allait toucher la maison, elle fit un cri : l’homme était là avec son fusil allongé. Alors elle crut comprendre, et elle lui dit qu’en effet les loups l’avaient suivie, mais qu’elle n’avait pas peur.

Il eut un ricanement, et il lâcha son coup au hasard.

Puis il rentra derrière elle et barra la porte. Il prit le sac, le soupesa, hochant la tête comme pour dire que c’était peu et que cela ne valait pas le partage ; on verrait demain.

Et la Victoire demeurait plantée, les yeux luisants de faim. Son cœur devenait gros, et des sanglots lui gonflaient la gorge.

L’homme allait et venait, ne disant rien, préparant son souper.

Un grand feu de pommes de pin flambait dans l’âtre, où la soupe bouillait, découverte, maintenant que l’homme y trempait sa cuiller ronde qu’il ramenait pleine de légumes fumants et du liquide blond que, sur la taillée de pain bis, il versait bouillonnant.

Des frissons passaient sur les joues blêmes de Victoire. Elle tenait à deux mains ses flancs creux, les yeux fixes, dévorants, la bouche sèche. Tout à coup elle dit, étranglée de désir et de peur :

— S’il vous plaît, nous ne partagerons pas la ramassée de ce soir, et vous me donnerez seulement une assiettée de votre soupe ; voulez-vous bien ?

— Mais, dit l’homme, en se retournant, si vous vous arrêtez ici, il sera trop tard pour vous en aller ensuite. Où habitez-vous ?

— Loin, dit-elle. Si je m’en vas, je ne pourrai pas revenir vous aider demain.

— Alors, vous voulez coucher ?

— S’il vous plaît ! dit-elle. Oh ! sur une bottelée de foin, dans l’étable. Je me lèverai au petit jour pour commencer l’ouvrage. Ça presse, voyez-vous ?

L’homme songea un moment, la regardant toute sans rien dire. Enfin, il grommela :

— Comme il vous plaira.

Et il se remit à plonger sa cuiller dans le pot qui fumait.

Malgré qu’elle fût honteuse, une si grande joie la secoua à ces mots, qu’elle ne put s’empêcher de crier que ça sentait rudement bon, la soupe, chez lui.

Et tout son être affamé se rapprocha brusquement, brutalement de l’homme qui maintenant lui faisait sa part dans une assiette brune, large et profonde, pleine jusqu’aux bords.

Ils soupèrent, face à face, sur les deux bancs, de chaque côté du foyer, les pieds vers le feu.

Et puis l’homme bourra sa pipe, et se tassa, le dos au mur, silencieux, pendant que Victoire, se faisant obligeante et souple, promenait son grand corps au travers de la maison qu’elle nettoyait comme si elle était la servante.

Quand tout fut net et rangé, elle revint au foyer et elle s’assit, avec sur ses genoux un grand crible rempli de châtaignes de rebut que l’homme épluchait chaque soir, à la veillée, pour son repas du lendemain.

Cette fois, il fumait, disant des mots rares, les mains oisives ; tandis que Victoire avec son couteau dépouillait une à une les petites châtaignes de leur écorce de satin brun et les rejetait blanches et rosées, avec leur odeur tendre.

Comme elle était repue, elle sommeillait à demi, le visage apaisé, dans ses cheveux roux qui frisaient tout autour. Ses vêtements crevés montraient ses formes robustes, sa poitrine soulevée, puissante, malgré la maigreur des os et du cou décharné, long et blanc. La flamme des pins la dorait et la chauffait, lui tirant une odeur fauve.

L’homme fumait sa pipe, avec des coups de lèvres et des poussées de fumée énormes qui lui brouillaient le visage. À travers ces buées, il regardait Victoire.

Autour de la cheminée, c’était l’ombre : on s’éclairait avec le feu. Cela faisait comme un cadre de lumière où, sur un fond d’or, ces deux figures, presque immobiles, se détachaient, le profil noir.

Avec le soufflement de l’homme et de la déchirure cassante de l’écorce sous le couteau de Victoire, et le grésillement des pins qui s’écroulaient par instants dans le foyer, on n’entendait, dans la maison du Sauvage, que le frottement du vent sur le toit, et, de loin en loin, les hurlements plaintifs et sinistres des loups qui, par les bois, rôdaient.