Vers le cloître (Verhaeren)
Je rêve une existence en un cloître de fer,
Brûlée au jeûne, et sèche et râpée aux cilices,
Où l’on abolirait, en de muets supplices,
Par seule ardeur de l’âme enfin, toute la chair.
Sauvage horreur de soi si mornement sentie !
Quand notre corps nous boude et que nos nerfs, la nuit,
Rivent sur nos vouloirs leurs cagoules d’ennui,
Et les plongent dans la fièvre ou l’inertie.
Dites, ces pleurs, ces cris et cette peur du soir !
Dites, ces plombs de maladie en tous les membres,
Et la toute torpeur des torpides novembres
Et le dégoût de se toucher et de se voir ?
Et les mauvaises mains tâtillonnes de vice
Encor et lentement cherchant, sur les coussins,
Et des toisons de ventre, et des grappes de seins
Et les tortillements dans le rêve complice ?
Je rêve une existence en un cloître de fer,
Brûlée au jeûne et sèche et râpée aux cilices,
Où l’on abolirait en de muets supplices,
Par seule ardeur de l’âme enfin, toute la chair.
Et s’imposer le gel des sens, quand le corps brûle ;
Et se tyranniser et se tordre le cœur,
— Hélas ! ce qui en reste — et tordre, avec rancœur,
Jusqu’au regret d’un autrefois doux et crédule.
Se cravacher dans sa pensée et dans son sang,
Dans son effort, dans son espoir, dans son blasphème ;
Et s’exalter de ce mépris, vain lui-même,
Mais qui rachète un peu l’orgueil d’où l’on descend.
Et se mesquiniser en pratiques futiles
Et se faire petit et n’avoir qu’âpreté,
Pour tout ce qui n’est point d’une âcre nullité,
Dans le jardin vanné des floraisons hostiles.
Je rêve une existence en un cloître de fer
Brûlée au jeûne et sèche et râpée aux cilices,
Où l’on abolirait, en de muets supplices,
Par seule ardeur de l’âme enfin, toute la chair,
Oh ! la constante rage à s’écraser, la hargne
À se tant torturer, à se tant amoindrir,
Que tout l’être n’est plus vivant que pour souffrir
Et se fait de son mal sa joie et son épargne.
N’entendre plus ses cris, ne sentir plus ses pleurs,
Mâter son instinct noir, tuer sa raison traître,
Oh ! le pouvoir et le savoir ! Être son maître
Et les avoir cassés les crocs de ses douleurs !
Et peut être qu’alors, par un soir salutaire,
Une paix de néant s’installerait en moi ;
Et que sans m’émouvoir j’écouterais l’aboi,
L’aboi tumultueux de la mort volontaire.
Je rêve une existence en un cloître de fer.