Vers la fée Viviane/Fleurs des Rues

Édition de la Phalange (p. 43-44).

Errances

I

Fleurs des Rues

(Alger) Pour Léo Loups

Mornes, empaquetées dans leurs loques jaunâtres,
Elles vont par la rue déserte aux jardins frais,
Les Mauresques, montrant leurs durs visages fauves,
Vieux et pauvres, qui n’ont que faire du secret.

Elles vont, se traînant sans hâte, insoucieuses,
Nulle pensée ne vit dans leurs yeux de vieil or
Qui regardent très loin des choses disparues
En un terne passé morose — et si bien mort !


Mais que, — fouettée de brise, — une grille fleurie
Laisse neiger de maigres flocons de jasmins
Qui sèment le ruisseau noir d’étoiles candides,
Voici les yeux briller, voici les maigres mains,

Tremblantes d’une joie fiévreuse et puérile,
Râcler la boue durcie, glaner d’un geste fou,
Épousseter, lisser les fleurettes souillées,
Les palper amoureusement de leurs doigts roux ;

Et je crois voir de pauvres vieilles courtisanes,
De celles qu’un rôdeur ivre sait éconduire,
Navrées de se survivre — et soudain exultantes
Pour la blanche caresse d’un jeune sourire.