Édition de la Phalange (p. 45-47).

II

Afrique

Pour Louis Norac, l’Africain

Tandis que les rues, pâles sous le ciel cendré,
Alignent leurs maisons un peu batignollaises
Et qu’Alger roule ses flots humains diaprés. —
Espagnols et Maltais, jurant à la française,
Mocquos, Flamands, Bretons, Moutchous aux forts relents,
Kabyles, Savoyards, Youddis gommeux et graves, —
D’où émergent parfois quelques Arabes lents,
Squalides et hautains avec des mines hâves,
Si rares ? Vrais fétus « in gurgite vasto »,

Alors que duveteuse et blanche, un peu bleuie,
La neige, ainsi qu’un mol et glacial manteau,
Drape les monts voisins aux lignes assouplies,

Songe-t-on qu’au delà du Sahara d’or roux,
Du Sahara d’or bleu plein de rêves sauvages,
Qui déploie sa splendeur triste si près de nous,
En ce continent, bloc massif, aux ronds rivages
Que ne découpent longs golfes ni bras de mer,
Sur le sol même où grincent les Cars électriques,
Où trottine, arborant sa parure d’hiver,
La « Môme » qui auréole une blondeur chimique, —
Frémit et grouille, sous les magiques forêts
Où dans la plaine ardente aux palmes fastueuses
Gemmées de vols changeants, roses, verts et dorés,
Toute une humanité noire mystérieuse ?

Et que l’Afrique est un beau piège, bien posé,
Avec l’appât de presque européennes terres,
Douces étrangement après nos sols glacés,
Mais « déjà vues » sous leur flore si familière
À l’homme du Nord qui la retrouve, joyeux,
Et se laisse attirer par la neuve patrie
Toujours plus loin, sous un grand ciel toujours plus bleu,
Vers les sables d’ambre et les oasis fleuries,
Puis se perd, au delà du morne océan blond,
Sous la houle profonde et sombre des feuillées
Ou dans la maigre brousse inondée de rayons, —

Comme les Gallas aux tribus éparpillées
Ou les Peuhls, oublieux d’Isis et du Nil vert,
Et dont l’âme s’endort aux lointaines musiques
Des « harpes nègres », ces tueuses des hiers
Qui vibrent à jamais des tristesses d’Afrique ?