Valvèdre (RDDM)
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 33 (p. 257-296).
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VALVÈDRE


CINQUIÈME PARTIE.[1]


VII.


J’avais résolu de ne plus épier les secrets du voisinage, et j’avais parlé si sévèrement à Mme  de Valvèdre qu’elle-même avait renoncé à écouter ; mais, en marchant sous la treille, je m’arrêtais involontairement à la voix d’Adélaïde ou de Rosa, et je restais quelquefois enchaîné, non par leurs paroles, que je ne voulais plus saisir en m’ arrêtant sous la tonnelle ou en m’approchant trop de la muraille, mais par la musique de leur douce causerie. Elles venaient à des heures régulières, de huit à neuf heures du matin, et de cinq à six heures du soir. C’étaient probablement les heures de récréation de la petite. Un matin, je restai charmé par un air que chantait l’aînée. Elle le chantait à voix basse cependant, comme pour n’être entendue que de Rosa, à qui elle paraissait vouloir l’apprendre. C’était en italien ; des paroles fraîches, un peu singulières, sur un air d’une exquise suavité qui m’est resté dans la mémoire comme un souffle de printemps. Voici le sens des paroles qu’elles répétèrent alternativement plusieurs fois :

« Rose des roses, ma belle patronne, tu n’as ni trône dans le ciel, ni robe étoilée ; mais tu es reine sur la terre, reine sans égale dans mon jardin, reine dans l’air et le soleil, dans le paradis de ma gaieté. Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/262 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/263 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/264 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/265 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/266 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/267 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/268 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/269 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/270 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/271 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/272 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/273 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/274 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/275 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/276 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/277 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/278 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/279 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/280 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/281 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/282 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/283 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/284 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/285 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/286 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/287 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/288 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/289 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/290 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/291 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/292 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/293 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/294 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/295 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/296 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/297 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/298 Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/299 avait pas fait opposition ; mais il était parti pour un long voyage, disait-on, sans présenter sa propre demande au tribunal compétent. Évidemment il voulait forcer sa femme à réfléchir longtemps avant de se lier à moi, et son absence pouvant se prolonger indéfiniment, l’épreuve du temps exigé par la législation étrangère menaçait ma passion d’une attente au-dessus de mes forces. Est-ce là ce que voulait cet homme étrange, ce mystérieux philosophe ? Comptait-il sur la chasteté de sa femme au point de lui laisser courir les dangers de mon impatience, ou préférait-il la savoir complètement infidèle, et par là préservée de la durée de ma passion ? Évidemment il me dédaignait fort, et j’étais forcé de le lui pardonner, en reconnaissant qu’il n’avait d’autre préoccupation que celle d’adoucir la mauvaise destinée d’Alida.

Cette pauvre femme, voyant des retards infinis à notre union, vainquit tous ses scrupules et se montra magnanime. Elle m’offrit son amour sans restrictions, et, vaincu par mes transports, je faillis l’accepter ; mais je vis quel sacrifice elle s’imposait et avec quelle terreur elle bravait ce qu’elle croyait être le dernier mot de l’amour. Je savais les fantômes que pouvaient lui créer sa sombre imagination et la pensée de sa déchéance, car elle était fière de n’avoir jamais trahi la lettre de ses sermens ; c’est ainsi qu’elle s’exprimait quand mon inquiète et jalouse curiosité l’interrogeait sur le passé. Elle croyait aussi que le désir est chez l’homme le seul aliment de l’amour, et par le fait elle craignait le mariage autant que l’adultère.

— Si Valvèdre n’eût pas été mon mari, disait-elle souvent, il n’eût pas songé à me négliger pour la science : il serait encore à mes pieds ! Cette fausse notion , aussi fausse à l’égard de Valvèdre qu’au mien, était difficile à détruire chez une femme de trente ans, indocile à toute modification, et je ne voulus pas d’un bonheur trempé de ses larmes. Je la connaissais assez désormais pour savoir qu’elle ne subissait aucune influence, qu’aucune persuasion n’avait prise sur elle, et que, pour la trouver toujours enthousiaste, il fallait la laisser à sa propre initiative. Il était en son pouvoir de se sacrifier, mais non de ne pas regretter le sacrifice, peut-être, hélas ! à toutes les heures de sa vie.

J’étais là dans le vrai, et quand je repoussai le bonheur, fier de pouvoir dire que j’avais une force surhumaine, je vis, au redoublement de son affection, que je l’avais bien comprise. J’ignore si j’eusse remporté longtemps cette victoire sur moi-même ; des circonstances alarmantes me forcèrent à changer de préoccupations.

George Sand.

(La dernière partie au prochain numéro.)

  1. Voyez les livraisons du 15 mars, 1er  et 15 avril, 1er  mai.