Valérie (1803)
Librairie des bibliophiles (p. 54-56).


LETTRE XVII

Venise, le…

Nous voilà depuis un mois à Venise, cher Ernest. J’ai été très occupé avec le comte, et c’est ainsi qu’il m’a fallu passer tant de temps sans t’écrire ; et puis, je suis si mécontent de moi-même que cela me décourage souvent. Je sens qu’il m’est aussi impossible de te tromper que de guérir de cette cruelle maladie qui trouble et ma conscience et ma raison… J’étois honteux de te parler de moi ; vingt fois j’ai voulu me jeter aux pieds du comte, lui tout avouer, le quitter après : c’est bien là mon devoir, je le sens clairement, tout m’avertit que je devrois suivre cette voix intérieure qui ne nous trompe pas, et qui me crie sans cesse : « Pars, retourne sur tes pas, il te reste encore une autre amitié, et deux patries à retrouver, dont l’une est dans le cœur d’Ernest, où tu comptas tes premiers jours de bonheur. Tu déposeras dans ce cœur noble et grand l’image de Valérie, que tu n’oses garder dans le tien ; tu l’y retrouveras, non telle que ta coupable imagination te la peint, mais comme l’amie qui doit travailler au bonheur du comte. » Et, malgré tout cela, je ne pars pas, et lâchement je cherche à m’abuser, et je crois encore que je pourrois guérir. Il y a quelques jours que j’étois décidé à prier le comte de me faire aller à l’ambassade de Florence pour y passer un an. J’avois trouvé une raison plausible pour cela, je me disois : « Du moins, je serai sous le même ciel que Valérie. » Mais je la revis, elle me parla d’un voyage que le comte lui feroit faire dans huit mois, et je résolus de ne partir que deux mois avant elle, pour me déshabituer ainsi peu à peu de sa présence, espérant la revoir à son passage à Florence.

Ernest, plus que jamais j’ai besoin de ton indulgence. Je relis tes lettres, j’entends ta voix me rappeler à la vertu, et je suis le plus foible des hommes.