Vénus en rut, 1880.djvu/06

Texte établi par Sur l’imprimé à Luxurville : chez Hercule Tapefort, imprimeur des dames, 1771, À Interlaken : chez William Tell, l’an 999 de l’indépendance suisse (p. 173-199).
Ch. VI. La Foutromanèse

CHAPITRE VI

LA FOUTROMANÈSE


Tu es exigeante à l’excès, Folleville, tu es une seconde moi ; il te faut de tout encore. Je ne t’avais promis que cinq chapitres, et tu me persécutes pour un sixième, parce que ce nombre te plaît ; belle raison pour forcer un auteur à reprendre la plume ! tu prétends que je n’ai pas donné assez de force à mes crayons, que mes tableaux n’ont pas le faire que tu leur désires, que mes portraits manquent d’énergie, et, qu’enfin, je n’ai pas offert des leçons aussi complètes que tu les attendais ; j’ai cru que, m’appuyant sur des exemples, pris dans ma galante conduite, tu devais être satisfaite : tu veux que je guide par les sens, et surtout par le tact, mes élèves à la suprématie du savoir ; tu seras obéie ; je vais te révéler ce que j’ai vu, fait, ordonné à ma rentrée dans cette ville, où les extrêmes se rapprochent, où la vertu et les vices sont déifiés, où l’on trouve autant de femmes respectables que je me pique peu de l’être.

Dès qu’on a disparu quelque temps de Paris, on est oublié ; un nouveau nom, une maison dans un quartier opposé à celui qu’on habitait, une voiture qui n’a point encore paru, une physionomie qui ne ressemble plus à celle de l’année précédente, étant variée par la mode du jour, tous ces riens, très essentiels, assurent des conquêtes ou des plaisirs.

Voulant jouer la femme demi importante, je pris un hôtel au faubourg Saint-Germain ; n’osant pas ordonner une livrée à galons surchargés d’écusson écartelés, j’en fis une lilas, galonnée d’argent : elle annonçait l’élégance d’une femme de qualité, qui ne veut point s’afficher. J’achetai une charmante voiture anglaise, à ressorts élastiques, je fis peindre mon chiffre sur ses portières, modestement couronné de fleurs et soutenu par deux amours. Mon cocher, qui n’avait que six pieds, portait une moustache qui aurait fait honneur à un Traban des gardes suisses ; deux laquais assortis, mais d’une figure moins prononcée, se tenaient cramponnés à mon char, qui volait avec la rapidité de celui d’Apollon, et m’offraient le bras quand je mettais pied à terre, avec une intelligence qui prouvait qu’ils avaient servi des femmes du haut parage. Mes meubles étaient recherchés ; Fanchette présidait à ma toilette, j’avais pris une de ses parentes pour seconde ; Honoré était valet de chambre, et l’or du bourgmestre, employé avec art, me faisait espérer de détourner, non seulement les métaux des financiers et des magistrats, mais du corps diplomatique, toujours excellent pour une petite maîtresse qui sait, en bonne citoyenne, faire contribuer les nations étrangères.

Mes arrangements préliminaires fixés, il me parut intéressant de me montrer avec l’éclat que ma fraîcheur renouvelée par un repos nécessaire, avait rendue à mes charmes : pour les placer dans un jour favorable, et ce n’est pas celui qu’éclaire le soleil dans son plus brillant apogée, il fut décidé, par mes petites réflexions, de commencer par l’Opéra. J’y fus seule, chargée de diamants, et mise avec une élégance recherchée : ce procédé annonçait aux amateurs mon état et mes vues. Dans un entr’acte, après avoir essuyé la canonnade de cent lorgnettes braquées sur moi, un charmant polisson, le marquis de Florival, entra dans ma loge, un bouquet énorme à la main. Le parfum de ses fleurs me fit tourner la tête ; je regardais ce faisceau avec désir ; le marquis s’en aperçut, et me dit :

— Madame, si j’avais le bonheur de vous être connu, j’oserais vous offrir cette bagatelle ; vous ne la refuseriez peut-être pas.

Tout en parlant, ses regards me pénétraient ; il se disait : « Est-ce elle ? ne l’est-ce pas ? » Puis, croyant être assuré de sa découverte, il poursuivit :

— Vous ressemblez si heureusement, madame, à une personne charmante que j’ai rencontrée dans un de mes voyages, que je voudrais pour tous les dons de Flore, la retrouver ; elle accepterait.

— Comment nommez-vous cette femme dont vous avez, sans doute, créé l’idée pour me dire une chose agréable ?

— La jolie Rosine.

— La comparaison me flatte ; mais, monsieur, c’est un nom de fille, et je suis la baronne de Bellefontaine.

— Je le crois assurément, mais… mais, la taille, le son de voix, l’ensemble, tout est égal, et Rosine était si jolie, qu’on peut, madame, lui ressembler, quant aux charmes, sans rougir. Il est dans la nature des métamorphoses ; je crois ce que vous voulez ; prenez garde de sourire, sans quoi les deux petites fossettes de ma Rosine détermineraient mon incrédulité.

Je fis plus que sourire, j’éclatai, et mon Florival retrouvant Rosine, lui donna le bouquet, lui disant :

— Prends en attendant mieux, ma chère amie ; il est présentable ; ta main en est pleine, mets-le où tu voudras, pourvu que tu le mettes.

La conversation fut soutenue sur le ton le plus familier.

— Après le spectacle, où veux-tu aller ? me dit-il.

— Chez moi, il faut se faire désirer.

— Quelle folie ! quoi, tu comptes souper sans société ? Tu as donc quelqu’un ? Un triste tête-à-tête.

— Oui, mon épagneul.

— Parbleu, Rosine, je vaux bien un lexicon, et tu me permettras de disputer la préférence à ton toutou. Je sais bien ce que nous ferons ensemble, mais je sais mieux que si nous n’avons un tiers, la partie ne sera pas aussi vive qu’elle peut l’être ; permets que j’appelle le duc de Montbrillant ; il sera délicieusement affecté de la bonne fortune que je lui procure.

Je me défendis, et je cédai ; on ne change point son caractère.

Un signe fait au duc l’amena près de nous ; il entra dans ma voiture, la sienne et celle du marquis suivirent. Ces messieurs me firent le compliment le plus flatteur sur mon retour à Paris, et le goût qui régnait chez moi, ils me louèrent ensuite en gens de l’art, et me prodiguèrent mille caresses ingénieuses. Accoutumés à partager leurs bonnes fortunes, nulle rivalité ne s’y opposait ; ils présidèrent à mon déshabiller, et y mirent une maladresse éternelle, je fus aussi longtemps à obtenir un caraco qu’à une toilette complète : dès que mes femmes me présentaient un mouchoir, un corset, ces lutins s’en emparaient, et encore plus de mes charmes dévoilés ; au point qu’il fallut une capitulation, ou nous n’aurions jamais soupé ; tu sais que ce fut, pour chacun d’eux, un petit coup ; seulement, disaient-ils, pour retrouver Rosine.

Nous fûmes à table aussi fous qu’on doit l’être, et après le dessert, aussi fous qu’on peut l’être. Mes jeunes amis voulaient passer la nuit entière dans mes bras, et que je leur fisse la chouette : mais baronne, de nouvelle création, je crus qu’il n’était pas de ma dignité d’y consentir, à cause de leurs gens, qui auraient trouvé indigeste mon procédé, qui les aurait privés du plaisir de joindre aussi leurs maîtresses. J’accordai jusqu’à deux heures ; et nous employâmes à une joyeuse alternative, le temps qui nous en approchait. Le marquis est d’une vigueur singulière, le duc d’une invention inépuisable.

Florival, s’étant aperçu que je regardais ma gorge, avec plaisir, dans le trumeau qui sépare les fenêtres de ma chambre à coucher, s’en empara, et m’éleva avec tant de force que, croyant qu’il voulait me faire sauter, j’appuyai mes pieds sur la table qui était devant moi : dans cette position, le marquis me voyait toute entière, et je portais sur lui qui avait mes reins sur sa poitrine : mes cuisses se trouvaient écartées et formaient, avec leurs jolis accessoires, un voluptueux tableau, répété dans la glace. Le duc ne put y résister ; il se coule entre la table et moi, son vit à la main, et dit au marquis :

— Tiens bon, mon cher.

À l’instant, me trouvant bien placée, assuré de la force de son ami et de sa complaisance, il me le met et pousse sur ce point d’appui élastique, comme sur un lit de fer. Florival soutenait à merveille, et repoussait les coups portés ; je m’accrochais des pieds ; le duc avait ses mains sous mes fesses, pour diminuer la fatigue de son obligeant ami : ce coup fut ravissant ; livrée à la rage du plaisir, je tombai dans les bras de mes amants, qui avaient réuni leurs puissances, et je trouvai que cette manière vaut encore mieux que celle que les Italiens appellent : La forza d’Hercole.

Deux heures sonnèrent à mes pendules ; nous n’y aurions pas pris garde si Fanchette, à qui j’avais donné ordre de m’en faire apercevoir, ne fût entrée, et ne m’eût dit :

— Madame, vous devriez bien nous laisser dormir, et renvoyer ces messieurs.

— Ah ! ah ! friponne, démon de mauvais conseil, tu nous le payeras, dit le marquis ; aussitôt il prend une poignée des renoncules qui étaient sur ma cheminée ; d’un bras nerveux il saisit ma petite Fanchette, la retourne, la renverse sur mon ottomane, et lui donne le fouet, avec ces verges peu dangereuses : il y mit tant de gentillesse, il baisa si joliment la mappemonde colorée, qu’il n’avait fait qu’effleurer, que Fanchette ne savait si elle devait rire ou se fâcher : elle se décida pour le premier parti, quand Florival lui donna un double louis, pour se souvenir du fouetteur. La retraite fixée, ces messieurs prirent congé ; j’entendis alors le bruit si flatteur pour l’oreille d’une femme galante, celui de l’or qu’ils glissaient sur ma toilette ; j’en approchai, et leur dis :

— De grâce, reprenez ce cadeau ; madame de Bellefontaine se donnera toujours à ses amis ; c’est à ceux qui ne le sont pas qu’elle permettra de lui offrir ; le plus précieux avantage de l’aisance est de ne point vendre ses faveurs.

Je les forçai de reprendre leur généreuse offrande ; ils en furent touchés, et me promirent de se venger, par quelque présent qui ménagerait ma délicatesse.

Je vis que je ne pouvais m’empêcher de me répandre et de faire de nouvelles connaissances, ou de renouer avec les anciennes ; je rappelai plusieurs de mes adorateurs ; je me liai avec quelques femmes, la galante Chloé, la voluptueuse Cydalise, l’infatigable Dorimène ; je donnai des soupers délicieux ; j’eus la crème des libertins de Paris. Il fallait avoir fait ses preuves pour être admis à mon lycée voluptueux : bientôt ma réputation s’étendit ; les hommes ne voulurent plus que des filles formées chez moi, et les femmes, que des amants qui eussent fait un cours sous ma dictée.

L’honneur qu’on me faisait de me croire capable d’ajouter à la nature les recherches de l’art, me valut la gloire de donner des leçons aux deux sexes. Un jour le chevalier de Mercœur nous dit qu’il était amoureux d’une jolie paysanne, qui avait son pucelage, mais qu’elle n’entendait rien à la manière de le perdre, ni lui à celle de le prendre ; il craignait, à mourir, tout ce qui sent la peine, la contrainte, la fatigue. Notre société résolut, sur son exposé, qu’il enlèverait la petite et me l’enverrait pour quelques jours ; il fit mieux, il me l’amena.

Je vis une charmante fille, à qui il recommanda, si elle voulait qu’il fût heureux par elle, de se soumettre à tout ce que je prescrirais pour le mieux. Je n’eus pas de peine à gagner la confiance de l’adolescente ; ce qu’elle voyait en estampes, tableaux, reliefs, chez moi ; ce qu’elle entendait, échauffait son imagination déjà très susceptible : j’eus, avec elle, une conversation sur les talents qu’une femme du monde doit acquérir, pour plaire, et être toujours nouvelle : pressée par le chevalier d’avancer sa jouissance, je crus ne pouvoir mieux réussir qu’en faisant répéter à la petite le rôle qu’elle devait jouer.

— Joséphine, lui dis-je, tu vas courir la carrière des plaisirs, tu dois être demain au chevalier ; mais l’inconstance des hommes, et la tienne propre, rendront ces engagements peu durables ; ton jeune cœur voudra de nouveaux biens ; tu pourrais mal juger des délices de l’amour par le premier sacrifice que tu lui dois ; ton amant craint de te voir dans ses bras y exprimer la douleur ou la maladresse ; passe dans mon boudoir, je t’apprendrai comment tu jouiras dès la première fois ; sois obéissante, et je suis assurée que, n’éprouvant pas aujourd’hui la volupté dans sa plénitude, tu en auras un avant-goût qui te fera désirer d’en recevoir le complément.

Joséphine promit ce que je voulais ; je la plaçai sur le bord du lit renfermé dans mon alcôve de glaces ; je fis mettre sous ses reins deux coussins pour les élever ; je voulus qu’elle fût en chemise ; sa tête était soutenue, afin qu’elle pût voir et sentir à la fois. Honoré, de qui j’étais sûre, devait la préparer, et lui faire éprouver des gradations qui lui étaient inconnues. La vue du plus joli corps possible l’avait fait bander comme un carme, et, certainement, il eût été plus loin que je ne le voulais, si je n’avais eu l’intention de l’arrêter. Je lui ordonnai de se déshabiller, il le fit ; je dis alors à la petite :

— Tiens, enfant, regarde, voilà l’instrument de tes jouissances ; prends-le, touche-le ; examine cette forme, cette fermeté : ce sceptre de l’amour se nomme un vit ; c’est lui qui doit entrer et se loger tout entier dans ta fossette, et, par des chatouillements dont tu as quelques notions, si tu t’es branlée, te procurer une douce extase ou une fureur charmante, en raison de la sensibilité de tes nerfs : alors tu répands une liqueur amoureuse, tandis que ton fouteur t’en donnera beaucoup plus, et d’une chaleur plus vivifiante : les réservoirs de la tienne te sont cachés, reconnais ceux de l’homme, et vois leur forme arrondie, marque de jeunesse et de vigueur. La première approche est sensible, parce qu’il faut que ton amant élargisse le passage ou force quelquefois une membrane, qui se déchire et produit une douleur passagère.

Je continuais mes doctes avis, quand je m’aperçus que la néophyte était en feu ; le plus beau coloris couvrait ses joues ; d’abord un peu honteuse d’être nue devant trois femmes, un peu plus de l’être devant Honoré, elle bannissait toute pudeur et dévorait des yeux le jeune homme qu’elle caressait ; elle lui rendait, avec ardeur, les baisers qu’il lui donnait. Jugeant qu’un plus long retard épuiserait mon démonstrateur, je dis à Fanchette d’élever une des jambes de Joséphine, et à Sophie, sa camarade, de se charger de l’autre.

Alors je pris une fiole d’un balsame excellent ; j’en frottai la tête du vit de mon cher Honoré, car je lui conserverai toujours ce titre, et lui dis d’en glisser, avec le bout du doigt, dans la jolie fente de celle qu’il allait, à peu près, initier aux mystères de l’amour.

Son attouchement procura à cette aimable fille une sorte de délire, je vis qu’il fallait en profiter ; je conduisis le trait d’Honoré, et lui dis d’aller doucement, et de ne pas enfoncer plus de deux pouces ou que je le retirerais. Pour être assurée d’une obéissance si difficile et pour augmenter sa raideur, je saisis son vit de la main droite et je l’empoignai de manière qu’il ne pouvait aller plus avant, afin de ne pas manquer à ma promesse envers le chevalier, bien certaine que la petite et lui se raccrocheraient un jour. Aux premiers coups, Joséphine trouva la chose excellente, la nature lui apprit mieux que mes leçons à repousser l’assaillant ; elle s’impatientait de ne le pas sentir pénétrer plus avant ; je lui dis pourquoi je m’y opposais, elle en fut fâchée, cependant elle tira le meilleur parti possible de cette première attaque ; elle se pâma plusieurs fois, Honoré l’inonda deux, ce qu’elle sentit à merveille, et je fis baisser la toile. Les jeunes gens se comblèrent de caresses et se promirent de s’avoir sans réserve. La demi-savante attendit le lendemain, avec impatience, pour jouir en entier et se livrer à son goût naissant pour les hommes, qui venait de se manifester au point qu’elle est devenue une des plus célèbres libertines, et son nom est encore très connu à B…… où elle a combattu des chevaliers de toutes les nations de l’Europe.

Mercœur vint me demander à souper ; impatient d’apprendre si sa future maîtresse serait bientôt instruite, il ne pouvait différer. Je l’assurai que cette nuit même elle se prêterait au gré de ses désirs, si c’était son plan : il en fut enchanté, il me combla d’éloges sur la prodigieuse ardeur avec laquelle je l’avais servi ; et, pour la lui prouver complète, je lui dis que ce joli mariage se ferait chez moi, et que je lui donnerais un lit. Enflammé par de brûlants désirs, il renvoie son carrosse, soupe en poste, à chaque verre de champagne, il veut que la petite lui fasse raison, il prétend que Bacchus est maître des cérémonies chez la Cythérée, il la caresse, et, tout à coup, se levant de table, il prend un flambeau d’une main, sa Joséphine de l’autre, et se sauve comme un Romain enlevant une Sabine.

Je sonne. Fanchette paraît ; à peine ai-je la force de lui ordonner de porter aux amants ce qu’ils peuvent désirer, tant j’éclatais de rire ; un peu calmée, je voulus entendre, et voir, si je pouvais, comment la leçon d’Honoré réussirait ; je montai par un escalier dérobé, et me cachai dans une garde-robe, d’où je découvrais le lit en entier.

Mercœur, en deux minutes, dépouilla sa proie ; épingles, rubans, étoffe, tout sauta ; il en mit moins encore à se préparer au combat : il porta comme une plume la petite dans son lit et y sauta comme un écureuil. Heureusement pour moi, point de rideaux tirés, et deux bougies placées sur la table de nuit, me donnaient le plus joli spectacle. Joséphine, bien instruite, s’écarta d’elle-même, souleva ses cuisses, et s’offrit de bonne grâce ; son amant, qui voulait la ménager, entra avec précaution ; mais la rusée n’eut pas plutôt senti son approche, que, n’étant plus gênée par ma main importune, elle fit un mouvement qui invitait le chevalier à pénétrer ; aussi le fit-il si fort, que deux coups de cul que je vis très bien, le logèrent à fond, et arrachèrent un cri perçant à la victime ; mais, sourd à ses plaintes, il poursuivit sa carrière, et les reproches, changés en louanges, m’apprirent que la défunte pucelle avait été aussi magnifiquement foutue qu’on peut l’être.

Enflammée par la vue de ces exploits amoureux, j’avais un besoin irrésistible de les parodier ; il n’était pas tard ; j’étais assurée de trouver chez la marquise de Rosesèche, un acteur qui passerait avec moi le reste de la nuit. Cette antique douairière avait chez elle un grand pharaon : les trois ordres, réunis autour de son tapis fatidique, plus attachés à suivre les variations de la fortune qu’à rendre hommage à quelques jolies femmes qui formaient la bordure, étaient cependant tirés, parfois, de leur léthargie par des appels ou des emprunts ; je ne voulais emprunter que ce que j’étais sûre de rendre avec avantage, et je n’étais inquiète que du choix ; car j’avais à mes ordres quatre élégants qui n’attendaient que le jour de mon caprice. Je me décidai pour le vicomte de Fortelance ; c’était précisément celui à qui en voulait la maîtresse de la maison ; et je crus devoir me venger de la perte que je venais de faire dans son illustre tripot, en lui enlevant un amant qui lui aurait fait tourner, sans profit, le peu de cervelle qui lui restait.

Je te dois, Folleville, le portrait de la marquise ; elle est vieille comme le temps, laide comme l’avarice, plate comme l’adulation ; elle a peau de chien marin, taille de manche à balai ; bouche doublement mignonne, c’est-à-dire grande comme deux ; son caractère est assorti ; elle conduisit au tombeau, par ses vues, un mari galant homme ; elle enfunesta sa vie. Je reviens.

Il était deux heures, je me levai ; le vicomte s’étant aperçu que je ne pontais plus, me demanda poliment pourquoi. Je lui répondis, chantant à demi-voix :

— J’ai tout perdu, je n’ai plus rien, etc.

Il m’offrit sa bourse ; je le remerciai ; je lui dis que je n’empruntais jamais, que je n’en aimais pas moins à prendre ma revanche ; que je ne lui demandais qu’un plaisir, celui de m’accompagner chez moi, où je voulais aller prendre de l’or : on parlait de voleurs, mon prétexte n’étant pas maladroit, ils avaient arrêté plusieurs voitures, je pouvais avoir peur. Le vicomte accepta, après s’être plaint de mon refus obstiné. Nous partons, nous arrivons ; à peine assise, je lui dis qu’il faisait si chaud chez la marquise, que j’y avais pris un mal de tête assez fort pour n’y pas retourner, et que le plus prudent était de rester chez moi ; il fut de mon avis et me demanda permission de rester une demi-heure, pour être certain que ma migraine n’aurait pas de suite.

Je ne te dirai point par quelles nuances nous passâmes pour arriver à satisfaire nos doubles désirs, tu sais la marche de ces aventures ; il te suffit d’apprendre que mon Fortelance coucha tout uniment avec moi, et que, si je n’eus pas un pucelage à lui offrir, je lui fis sentir tous les avantages de l’expérience, et le forçai d’avouer qu’il n’avait point eu de femme aussi variée dans ses attitudes, ses propos, ses caresses ; et qu’on ne pouvait regretter dans mes bras que l’impossibilité d’y rester sans cesse.

Le vicomte avait des ménagements à garder chez son oncle, le bailli d’Orval ; il me quitta au jour et me promit d’être à moi aussi longtemps que je le permettrais et plus encore.

Mon nouvel amant parti, je me livrai au dieu du sommeil qui m’envoya des songes couleur de rose : je ne m’éveillai qu’au bruit que faisait le chevalier et sa petite femme ; ils oubliaient les lois de l’hospitalité, et, sans penser qu’ils étaient sur ma tête, ils dansaient comme des fous ; je sonnai, je me levai, et le pas de deux en devint un de trois ; les jeunes gens étaient encore dans l’ivresse du plaisir, lorsque je fis paraître un déjeuner que nous avions tous gagné à bon titre.

Le chevalier voulut que sa maîtresse parût avec élégance, qu’il ne manquât rien à sa toilette ; je me chargeai de tout. Je commençai par la conduire dans ma salle de bains ; elle n’en avait point encore vu ; elle fut étonnée du jour agréable et doux que procuraient les glaces dépolies des fenêtres et de la répétition des autres, dont les murs étaient couverts. Quand elle fut prête à entrer dans l’eau, et conséquemment en état de pure nature, elle ne put résister au plaisir de voir son joli corps répété à l’infini.

J’avais fait tresser ses cheveux, ils étaient noués par un ruban, elle était charmante. Elle trouva les eaux parfumées, je la fis frotter avec des pâtes onctueuses, un balsame oriental, un lait préparé ; sa peau avait alors le velouté de la rose. Quand je jugeai à propos de la faire passer à ma toilette, j’y employai l’art que tu me connais. Joséphine n’est ni brune ni blonde, j’en pouvais donc faire ce que je voulais ; avec le liège brûlé, ses sourcils devenaient deux arcs d’ébène ; le carmin ajoutait à la vivacité de ses couleurs et donnait de l’expression à ses yeux ; un corail, savamment préparé, rendait ses dents d’une blancheur éblouissante ; je n’avais presque rien à ajouter aux dons de la nature : je voyais sur son sein des veines errantes d’un azur charmant ; je n’avais pas besoin du pastel des coquettes surannées, encore moins pour le bout de ses jolis tétons de ce vinaigre qui, n’ayant ni la légèreté, ni même la nuance du carmin, trompe l’œil par la vérité de son rouge, et la main par son adhérence. En vingt-quatre heures elle fut mise avec goût, et partit de là pour entrer dans la lice et mériter des couronnes sans nombre.

Le président de Grave me demanda, un soir au Panthéon, si je voulais venir à la campagne d’un de ses amis, où M. de l’Aigle, élève du fameux Blanchard, devait s’élever dans les airs avec un ballon de nouvelle forme et déployer toutes les ressources de l’art aérostatique. J’acceptai, avec d’autant plus de plaisir, que je savais de l’Aigle joli homme. Nous partîmes le lendemain et trouvâmes au château de Rosemonde la plus agréable compagnie : je ne te peindrai ni les appartements, ni les jardins de ce séjour enchanteur ; je les crois de la main d’une puissance supérieure du Ginistan : des plaisirs variés et successifs nous amenèrent au jour indiqué pour l’expérience.

De l’Aigle voulait avoir un compagnon de voyage ; un jeune officier de dragons s’offrit et fut accepté : mais je dis au galant aéronaute que je demandais la préférence ; que rien n’était si simple que de trouver de l’audace chez un militaire, et que je briguais l’honneur de monter avec lui dans les régions les plus élevées : on me loua, on me blâma ; l’approbation du physicien me détermina ; je lus dans ses yeux sa joie de me porter au séjour du tonnerre et de n’avoir pour témoins de ce qu’il se promettait que les Sylphes.

Tout étant préparé, notre ascension fut rapide, perpendiculaire, superbe. Quand on nous eut perdu de vue, tout allant à merveille, l’aimable artiste me dit :

— Charmante baronne, nous sommes seuls dans l’univers, celui que nous apercevons sous nos pieds vous regrette sans doute, je saurai vous y ramener ; mais refuseriez-vous d’accorder quelque prix à l’amour que vous m’avez inspiré à la première vue ? Je suis maître de planer dans cette douce température ; si nous nous élevons davantage, le froid, sans ralentir mon ardeur, pourrait diminuer celle que je lis dans vos yeux. Depuis que je parcours les airs, je n’ai pu réaliser le désir brûlant d’y jouir de la suprême félicité ; de grâce, accordez.

— Oui, mon ami, je suis à toi, il est superflu de te dissimuler que le même désir m’a fait exposer à cette dangereuse entreprise des jours que je ne voudrais pas encore terminer, si ce n’est dans l’ivresse de l’amour.

À ces mots, il fit une manœuvre nécessaire pour rester au même lieu, et, me couchant mollement sur ses habits, il s’élança sur moi, prenant de la main gauche son drapeau dont il salua la terre, pour apprendre à ses habitants qu’il allait se couvrir de gloire ; et, de la droite soutenant ma tête, il me le mit avec une vigueur accrue par la pureté de l’air que nous aspirions : je me sentais des forces inconnues, si la machine n’eût été excellente, elle devait se briser sous nos coups. Mon guide céleste ne me quitta qu’après vingt minutes de séjour dans ma nacelle, et trois libations dignes de ces dieux de la fable, dont nous étions si voisins.

Jamais, Folleville, je n’ai été si délicieusement foutue ; un vent frais ayant produit un léger courant, nous fûmes portés à quelques lieues de notre point de départ ; il se calma, alors de l’Aigle mit en usage ses moyens de direction, et, après un second essai voluptueux, nous nous arrêtâmes sur une pelouse qui est en face du château de Rosemonde, et nous descendîmes lentement, au milieu d’une foule de spectateurs, qui nous comblèrent d’éloges. Je crois qu’ils soupçonnèrent ce qui m’était arrivé ; le président ne put s’empêcher de me dire :

— Comment vous en trouvez-vous, belle dame ? Avouez que la chose est rare.

Je sus me tirer d’affaire : d’ailleurs nous n’avions ni prudes ni bégueules, et toutes les femmes auraient voulu en avoir fait autant que moi, sans courir les mêmes dangers. De l’Aigle m’a priée souvent de tenter de nouveaux voyages ; moi je l’ai prié d’en faire dans mon boudoir ; ma curiosité était satisfaite, ce sont des tours de force qu’il ne faut pas recommencer.

Je revins à Paris, l’aventure du chevalier de Mercœur et de Joséphine avait fait du bruit, on me proposa de me charger de l’instruction d’un jeune chevalier de Malte qui devait partir incessamment pour ses caravanes et qui n’avait jamais vu que les fossés, les créneaux, les ponts du château de ses pères et quelques femmes de chambre ou paysannes agrestes.

L’adolescent était d’une figure heureuse, il avait de l’esprit sans culture, de la douceur, de la naïveté, des forces singulières ; son cœur était neuf comme ses sens ; il était courageux, son âme s’élevait au récit d’une action héroïque, il ne craignait point les hommes, il tremblait devant une femme. Un ami commun me le présenta ; sa timidité me gênait ; mais, réfléchissant qu’il fallait l’en défaire, je n’épargnai rien pour la lui faire abjurer.

— Chevalier, lui dis-je, voulez-vous que je sois votre amie ?

— Assurément, madame, j’en serais comblé.

— Voilà un compliment flatteur, mais il sent la province ; dites-moi uniment : « Avec plaisir ; » le plaisir est le grand moteur de l’univers ; venez à l’Opéra ce soir avec moi, nous reviendrons ensemble et puis, selon que vous aurez confiance en moi, le sort arrangera le reste.

En disant ces mots, je lui tenais les mains ; nous étions debout et si près l’un de l’autre, que je sentais sa respiration devenue rapide et de feu ; j’ajoutais des regards qui portaient l’incendie dans tout son être ; j’en eusse triomphé si je n’avais cru nécessaire de lui ménager des gradations. L’heure du spectacle arrivée, je le fis monter dans ma voiture, nous parûmes dans la même loge. Une foule de petits-maîtres me demandaient, tout bas, quel est ce chevalier que nous n’avons encore vu dans aucun galant tournoi ?

— Tu vas lui faire rompre sa première lance.

— Femme charmante, disait un autre, ménage cet adolescent, ne le ruine pas, de manière que les honnêtes femmes ne puissent avoir leur tour.

Un troisième, du même ordre, me dit :

— Le novice est heureux de te combattre, cette campagne contre toi lui sera comptée, j’en écrirai au Grand Maître.

— Avez-vous tout dit, messieurs ? Est-ce que je prétends masquer ma conduite ? Ne vaut-il pas autant que le chevalier de Mirebelle fasse avec moi ses premières armes qu’avec une douairière ? Ces dames sont en possession de former ou de déformer les jeunes gens ; je ne le tromperai point, s’il veut du plaisir, je suis assez bien en fonds ; une vieille coquette, assurée de n’avoir de longtemps pareille aubaine, l’épuisera ; je vous le conserverai, parce que je n’ai pas besoin de m’acharner à une proie unique ; ainsi convenez que j’ai raison, que vous avez tort, et que vous eussiez tous voulu commencer vos courses avec moi.

On rit, et on fit compliment au beau chevalier, à qui le commandeur de Montsurmont dit :

— Monsieur, vous êtes fortuné de plaire à madame, écoutez ses douces leçons, profitez-en, et surtout, pendant votre séjour ici, n’ayez point d’autre maîtresse, dans toute la force du terme.

Mirebelle, enchanté de figurer avec des hommes et de se voir assuré d’une bonne fortune, qu’il avait regardée comme douteuse, se mêla à la conversation et la soutint avec cet esprit qui prouve un bon cœur.

Je le ramenai chez moi ; nous abrégeâmes les préliminaires ; pour le mettre plus à son aise, je renvoyai mes femmes et le chargeai seul de mon coucher.

— Allons, chevalier, apprenez à servir vos maîtresses, aidez-moi à me déshabiller.

— Bien volontiers, charmante amie ; que faut-il faire ?

— Détachez ma ceinture, ôtez mon mouchoir, enlevez mon chapeau, prenez ma robe, dénouez le premier jupon.

Bien, il obéissait avec légèreté.

— Avancez un fauteuil, donnez-moi un baiser… un autre… dites donc quelque chose à ma gorge.

Il la dévorait des yeux, il y imprima ses lèvres.

— Allons, mes jarretières, mes bas, passons dans ma garde-robe ; prenez de l’eau de ces deux flacons, et mettez-en dans celle de ce bidet et aidez-moi.

Je me mis à cheval, soutenue sur lui.

— Et mon éponge, où est-elle ? Chevalier, il faut tout vous apprendre ; à son défaut, une jolie femme se sert, avec avantage, de la main de son amant ; ôtez votre habit (nous étions en juillet.)

Il montre le bras le plus blanc, mais le plus nerveux, et le plongeant dans ma cuvette, je conduis son expérience et lui procure des sensations que je partage ; ses attouchements me jetèrent dans une espèce de convulsion qui l’effraya ; un regard enflammé le rassura.

Cette toilette finie, je montai sur mon lit ; il m’y suivit aussitôt ; quatre bougies placées avec intelligence donnaient un jour égal et ne formaient point d’ombres, afin qu’il pût découvrir tout à la fois : le chevalier, dans mes bras, dévorait tout, et ne jouissait de rien ; je lui dis alors :

— Mon ami, les forces de l’homme, quoique proportionnées aux désirs, s’énervent par une trop longue attente, comme elles augmentent par d’heureux accroissements ; de plus, les femmes à tempérament n’aiment pas à languir ; sachez donc connaître quand l’ivresse de leurs sens est parvenue à vous céder la victoire ; dès qu’une maîtresse est livrée sans réserve telle que je la suis, il ne vous est plus permis de différer vos plaisirs communs ; mais puisque vous aimez à parcourir ce qu’on nomme des charmes, répandez quelques baisers sur ce que vous préférez, et, sans plus attendre, trouvez dans mes bras le comble de la volupté.

Aussitôt dit, aussitôt fait ; Mirebelle, après avoir baisé dix fois l’autel ténébreux où il allait sacrifier, s’étendit sur moi, et je le plaçai si bien, qu’il entra triomphant.

— Arrêtez, cher ami, lui dis-je, ceci est une leçon ; je dois vous apprendre, d’après le goût assez général, qu’il faut commencer lentement, pour bien mettre d’accord une femme avec vous ; les mouvements bien pris, vous irez plus vite, et quand votre amante sentira les approches du dernier des plaisirs, vous employerez toutes vos forces et votre rapidité, jusqu’au moment où, anéantie, absorbée dans sa jouissance, elle ne demande plus que des coups lents, profonds, la serrant dans vos bras, lui exprimant votre reconnaissance et votre amour ; on les appelle coups d’adieu. Je suivrai avec vous, à peu près la même marche ; lorsque vous aurez plus d’expérience, je vous apprendrai à ménager votre course, pour arriver au terme, en même temps que votre maîtresse. Décharger avec elle c’est le complément du plaisir ; commençons.

Le chevalier, animé par ma voix, mes yeux, mes mouvements, me foutait en maître, et, ne pouvant se retenir, oublia ma leçon ; je le lui pardonnai, il m’inonda trois fois, sans quitter la place.

Après cet heureux essai, je lui permis un examen plus exact de ce qui avait mérité son hommage ; à chaque détail, il était dans le ravissement ; il était enchanté des proportions de mon con ; mais ce qui le mettait hors de lui, c’était la rondeur et l’élasticité de mes tétons ; j’ai vu, il est vrai, beaucoup d’hommes préférer une belle gorge à toutes les autres parties du corps le mieux dessiné ; sans doute c’est un goût inné ; le chevalier n’était pas encore corrompu par les caprices honteux de nos libertins.

Nous doublâmes, triplâmes et plus encore, en sorte que, tout bien compté, il me le mit dix fois, ce qui est très honnête pour un novice ; ce que beaucoup de profès n’eussent pas exécuté. Je gardai Mirebelle tant qu’il fut à Paris ; il emporta mon portrait à Malte ; nous entretînmes correspondance, il me procura l’éducation de plusieurs de ses amis ; je m’en chargeai, je réussis, le jeu me plut ; ma réputation augmenta ; et, chère Folleville, on ne me connaît plus que par ma dignité de maîtresse émérite en foutromanie.


FIN