Utilisateur:Zephyrus/bac1001/Réserve Agrippa d’Aubigné

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Théodore AGRIPPA D'AUBIGNE ( 1552 - 1630)

Complainte à sa dame


Ne lisez pas ces vers, si mieux vous n'aimez lire Les escrits de mon coeur, les feux de mon martyre : Non, ne les lisez pas, mais regardez aux Cieux, voyez comme ils ont joint leurs larmes à mes larmes, Oyez comme les vents pour moy levent les armes, A ce sacré papier ne refusez vos yeux.

Boute-feux dont l'ardeur incessamment me tuë, Plus n'est ma triste voix digne if estre entenduë : Amours, venez crier de vos piteuses voix Ô amours esperdus, causes de ma folie, Ô enfans insensés, prodigues de ma vie, Tordez vos petits bras, mordez vos petits doigts.

Vous accusez mon feu, vous en estes l'amorce, Vous m'accusez d'effort, et je n'ay point de force, Vous vous plaignez de moy, et de vous je me plains, Vous accusez la main, et le coeur luy commande, L'amour plus grand au coeur, et vous encor plus grande, Commandez à l'amour, et au coeur et aux mains.

Mon peché fut la cause , et non pas l'entreprendre; Vaincu, j'ay voulu vaincre, et pris j'ay voulu prendre. Telle fut la fureur de Scevole Romain : Il mit la main au feu qui faillit à l'ouvrage, Brave en son desespoir, et plus brave en sa rage, Brusloit bien plus son coeur qu'il ne brusloit sa main.

Mon coeur a trop voulu, o superbe entreprise, Ma bouche d'un baiser à la vostre s'est prise, Ma main a bien osé toucher à vostre sein, Qu'eust -il après laissé ce grand coeur d 'entreprendre, Ma bouche vouloit l'ame à vostre bouche rendre, Ma main sechoit mon coeur au lieu de vostre sein.


Théodore AGRIPPA D'AUBIGNE (1552-1630)

Contre la présence réelle


N'est-ce point sans raison que ces champis désirent Etre sur les humains respectés en tous lieux, Car ils sont demi-dieux, puisque leurs pères tirent Leur louable excrément de substance des Dieux.

Et si vous adorez un ciboire pour être Logis de votre Dieu, vous devez, sans mentir, Adorer ou le ventre ou bien le cul d'un Prêtre, Quand ce Dieu même y loge et est prêt d'en sortir.

Tout ce que tient le Prêtre en sa poche, en sa manche, En sa braguette est saint et de plus je vous dis Qu'en ayant déjeuné de son Dieu le dimanche, Vous devez adorer son étron du lundi.

Trouvez-vous cette phrase et dure et messéante ? Le prophète Esaïe en traitant de ce point En usait, appelant vos Dieux Dieux de fiente, Or digérez le tout et ne m'en laissez point.



Théodore AGRIPPA D'AUBIGNE (1552-1630)

L'hiver


Mes volages humeurs, plus stériles que belles, S'en vont, et je leur dis : " Vous sentez, hirondelles, S'éloigner la chaleur et le froid arriver. Allez nicher ailleurs pour ne fâcher, impures, Ma couche de babil et ma table d'ordures ; Laissez dormir en paix la nuit de mon hiver. "

D'un seul point le soleil n'éloigne l'hémisphère ; Il jette moins d'ardeur, mais autant de lumière. Je change sans regrets lorsque je me repens Des frivoles amours et de leur artifice. J'aime l'hiver, qui vient purger mon coeur du vice, Comme de peste l'air, la terre de serpents.

Mon chef blanchit dessous les neiges entassées Le soleil qui me luit les échauffe, glacées, Mais ne les peut dissoudre au plus court de ces mois. Fondez, neiges, venez dessus mon coeur descendre, Qu'encores il ne puisse allumer de ma cendre Du brasier, comme il fit des flammes autrefois.

Mais quoi, serai-je éteint devant ma vie éteinte ? Ne luira plus en moi la flamme vive et sainte, Le zèle flamboyant de ta sainte maison ? Je fais aux saints autels holocaustes des restes De glace aux feux impurs, et de naphte aux célestes, Clair et sacré flambeau, non funèbre tison.

Voici moins de plaisirs, mais voici moins de peines ! Le rossignol se tait, se taisent les sirènes ; Nous ne voyons cueillir ni les fruits ni les fleurs L'espérance n'est plus bien souvent tromperesse, L'hiver jouit de tout : bienheureuse vieillesse, La saison de l'usage et non plus des labeurs.

Mais la mort n'est pas loin ; cette mort est suivie D'un vivre sans mourir, fin d'une fausse vie Vie de notre vie et mort de notre mort. Qui hait la sûreté pour aimer le naufrage ? Qui a jamais été si friand du voyage Que la longueur en soit plus douce que le port ?



Théodore AGRIPPA D'AUBIGNE (1552-1630)

Pressé de désespoir ...


Pressé de désespoir, mes yeux flambants je dresse À ma beauté cruelle, et baisant par trois fois Mon poignard nu, je l'offre aux mains de ma déesse, Et lâchant mes soupirs en ma tremblante voix, Ces mots coupés je presse :

" Belle, pour étancher les flambeaux de ton ire, Prends ce fer en tes mains pour m'en ouvrir le sein, Puis mon coeur haletant hors de son lieu retire, Et le pressant tout chaud, étouffe en l'autre main Sa vie et son martyre.

Ah dieu ! si pour la fin de ton ire ennemie Ta main l'ensevelit, un sépulcre si beau Sera le paradis de son âme ravie, Le fera vivre heureux au milieu du tombeau D'une plus belle vie ! "

Mais elle fait sécher de fièvre continue Ma vie en languissant, et ne veut toutefois, De peur d'avoir pitié de celui qu'elle tue, Rougir de mon sang chaud l'ivoire de ses doigts, Et en troubler sa vue.



Théodore AGRIPPA D'AUBIGNE ( 1552 - 1630)

(Recueil : Poésies religieuses, l'Hiver)

Prière du matin


Le Soleil couronné de rayons et de flammes Redore nostre aube à son tour : Ô sainct Soleil des Saincts, Soleil du sainct amour, Perce de flesches d'or les tenebres des ames En y rallumant le beau jour.

Le Soleil radieux jamais ne se courrouce, Quelque fois il cache ses yeux : C'est quand la terre exhalle en amas odieux Un voile de vapeurs qu'au devant elle pousse, En se troublant, et non les Cieux.

Jesus est toujours clair, mais lors son beau visage Nous cache ses rayons si doux, Quand nos pechez fumans entre le Ciel et nous, De vices redoublez enlevent un nuage Qui noircit le Ciel de courroux.

Enfin ce noir rempart se dissout et s'esgare Par la force du grand flambeau. Fuyez, pechez, fuyez : le Soleil clair et beau Vostre amas vicieux et dissipe et separe, Pour nous oster nostre bandeau.

Nous ressusciterons des sepulchres funebres, Comme le jour de la nuict sort Si la premiere mort de la vie est le port, Le beau jour est la fin des espaisses tenebres, Et la vie est fin de la mort.



Théodore AGRIPPA D'AUBIGNE ( 1552 - 1630)

Prière du soir


Dans l'espais des ombres funebres, Parmi l'obscure nuit, image de la mort, Astre de nos esprits, sois l'estoile du Nort, Flambeau de nos tenebres.

Delivre nous des vains mensonges, Et des illusions des foibles en la foi : Que le corps dorme en paix, que l'esprit veille à toi, Pour ne veiller à songes.

Le coeur repose en patience, Dorme la froide crainte et le pressant ennui : Si l'oeil est clos en paix, soit clos ainsi que lui L'oeil de la conscience.

Ne souffre pas en nos poictrines Les sursauts des meschants sommeillans en frayeur, Qui sont couverts de plomb, et se courbent en peur Sur un chevet d'espines.

A ceux qui chantent tes loüanges Ton visage est leur ciel, leur chevet ton giron, Abriez de tes mains, les rideaux d'environ Sont le camp de tes Anges.



Théodore AGRIPPA D'AUBIGNE ( 1552 - 1630)

(Recueil : Poésies religieuses, vers mesurés)

Pseaume troisième


Dieu quel amas herissé de mutins, quel peuple ramassé ! Ô que de folles rumeurs, et que de vaines fureurs ! Ils ont dit : Cet homme est misérable, le pauvre ne sent prest Rien de secours de ce lieu, rien de la force de Dieu. Mais c'est mentir à eux : Dieu des miens contre mes haineux Est le pavois seur et fort, contre le coup de la mort. Par lui je hausse le front, lui qui m'entend, lui qui du S. mont Tant eslevé, chaque fois preste l'oreille à ma voix. Dont dormir m'en irai ; de tressauts, ni de crainte je n'aurai. Puis resveillé ne m'assaut crainte, frayeur, ni tressaut : J'ai de sa main seurté, de sa main n'ont sans peine presté L'ombre du son le sommeil, l'aube du jour le resveil. Vienne la tourbe approcher, courir, enceindre, ou se retrancher, Quand ils m'assiegeront, mille de file et de front, Dieu qui a veu le dedans du Malin, lui brisera les dents, D'ire le coeur escuniant, langue, palais blasphémant Dieu sçaura le salut de Sion bien conduire à son but, Mesme le coeur des siens remplir et croistre de biens. Gloire soit au Pere, et Fils et à l'Esprit, source des esprits Tel qu'il soit et sera-t-il, aux siècles, ainsi soit-il.



Théodore AGRIPPA D'AUBIGNE (1552-1630)

Quiconque sur les os...


Quiconque sur les os des tombeaux effroyables Verra le triste amant, les restes misérables D'un coeur séché d'amour, et l'immobile corps Qui par son âme morte est mis entre les morts,

Qu'il déplore le sort d'une âme à soi contraire, Qui pour un autre corps à son corps adversaire Me laisse examiné sans vie et sans mourir, Me fait aux noirs tombeaux après elle courir.

Démons qui fréquentez des sépulcres la lame, Aidez-moi, dites-moi nouvelles de mon âme, Ou montrez-moi les os qu'elle suit adorant De la morte amitié qui n'est morte en mourant.

Diane, où sont les traits de cette belle face ? Pourquoi mon oeil ne voit comme il voyait ta grâce, Ou pourquoi l'oeil de l'âme, et plus vif et plus fort, Te voit et n'a voulu se mourir en ta mort ?

Elle n'est plus ici, ô mon âme aveuglée, Le corps vola au ciel quand l'âme y est allée; Mon coeur, mon sang, mes yeux, verraient entre les morts Son coeur, son sang, ses yeux, si c'était là son corps.

Si tu brûle à jamais d'une éternelle flamme, A jamais je serai un corps sans toi, mon âme, Les tombeaux me verront effrayé de mes cris, Compagnons amoureux des amoureux esprits.



Théodore AGRIPPA D'AUBIGNE (1552-1630)

Sonnet pour Diane


Un clairvoyant faucon en volant par rivière Planait dedans le ciel, à se fondre apprêté Sur son gibier blotti. Mais voyant à côté Une corneille, il quitte une pointe première.

Ainsi de ses attraits une maîtresse fière S'élevant jusqu'au ciel m'abat sous sa beauté, Mais son vouloir volage est soudain transporté En l'amour d'un corbeau pour me laisser arrière.

Ha! beaux yeux obscurcis qui avez pris le pire, Plus propres à blesser que discrets à élire, Je vous crains abattu, ainsi que fait l'oiseau

Qui n'attend que la mort de la serre ennemie Fors que le changement lui redonne la vie, Et c'est le changement qui me traîne au tombeau.



Théodore AGRIPPA D'AUBIGNE ( 1552 - 1630)

(Recueil : Le Printemps)

Stance


Puisque le cors blessé, mollement estendu Sur un lit qui se courbe aux malheurs qu'il suporte Me faict venir au ronge et gouster mes douleurs, Mes membres, jouissez du repos pretendu, Tandis l'esprit lassé d'une douleur plus forte Esgalle au corps bruslant ses ardentes chaleurs.

Le corps vaincu se rend, et lassé de souffrir Ouvre au dard de la mort sa tremblante poitrine, Estallant sur un lit ses misérables os, Et l'esprit, qui ne peut pour endurer mourir, Dont le feu violent jamais ne se termine, N'a moyen de trouver un lit pour son repos.

Les medecins fascheux jugent diversement De la fin de ma vie et de l'ardente flamme Qui mesme fait le cors pour mon ame souffrir, Mais qui pourroit juger de l'eternel torment Qui me presse d'ailleurs ? Je sçay bien que mon ame N'a point de medecins qui la peussent guerir.

Mes yeux enflez de pleurs regardent mes rideaux Cramoisis, esclatans du jour d'une fenestre Qui m'offusque la veuë, et faict cliner les yeux, Et je me resouviens des celestes flambeaux, Comme le lis vermeil de ma dame faict naistre Un vermeillon pareil à l'aurore des Cieux.

Je voy mon lict qui tremble ainsi comme je fais, Je voy trembler mon ciel, le chaslit et la frange Et les soupirs des vents passer en tremblottant; Mon esprit temble ainsi et gemist soubs le fais D'un amour plein de vent qui, muable, se change Aux vouloirs d'un cerveau plus que l'air inconstant.

Puis quant je ne voy' rien que mes yeux peussent voir, Sans bastir là dessus les loix de mon martyre, Je coulle dans le lict ma pensée et mes yeux ; Ainsi puisque mon ame essaie à concevoir Ma fin par tous moyens, j'attens et je desire Mon corps en un tombeau, et mon esprit es Cieux.