Utilisateur:SyB~Anicium/Pline/II/6

Traduction par Émile Littré.
Dubochet, Le Chevalier et Cie (p. 103-105).
◄  Livre II§ 5
Livre II§ 7  ►
Livre II — § 6

VI.

1(VIII.) Revenons aux astres, que nous avons dits fixés au monde (II, 4, no 3). Il ne s’agit pas de ces étoiles auxquelles a foi le vulgaire, attribuées à chacun de nous, brillantes pour les riches, moindres pour les pauvres, obscures pour les vies qui s’éteignent, d’un éclat proportionné à la condition des mortels à qui elles sont assignées. Ils ne naissent ni ne meurent avec un individu humain ; et quand ils tombent ils n’indiquent la mort de personne. Nous ne sommes pas tellement associés aux choses du ciel, qu’à notre destinée soit attachée l’éclipse de brillantes étoiles. 2Lorsqu’on croit voir tomber ces astres, c’est que, trop alimentés par les liquides qu’ils aspirent, ils les rendent en abondance par l’effet du feu ; c’est aussi ce que nous voyons l’huile produire dans une lampe allumée. Du reste, les corps célestes sont d’une nature éternelle ; ils forment le tissu du monde, et sont engagés dans ce tissu ; l’influence s’en fait sentir puissamment sur la terre. Ce que les effets qu’ils produisent, leur clarté et leur grandeur ont pu, malgré la difficulté du sujet, faire connaître de cette influence, sera (7) démontré en lieu et place (XVII, XVIII). 3Quant à la théorie des cercles célestes, elle sera plus convenablement expliquée quand il sera question de la terre, à laquelle cette théorie appartient complètement. Seulement je ne renverrai pas plus loin la mention de ceux (8) qui ont découvert le zodiaque. L’obliquité en fut, dit-on, comprise ; c’est-à-dire que la porte des choses fut ouverte par Anaximandre de Milet, dans la 58e olympiade. Cléostrate y signala ensuite les constellations, et d’abord celle du Bélier et du Sagittaire. Longtemps auparavant la sphère elle-même avait été trouvée par Atlas. Maintenant laissons le corps même du monde, et occupons-nous de ce qui est entre le ciel et la terre.

4Il est certain que l’astre le plus élevé est celui de Saturne ; aussi paraît-il être le plus petit, et décrit-il la plus longue révolution ; ce n’est qu’au bout de trente ans qu’il revient à son point de départ. La marche de toutes les planètes, du soleil et de la lune, est contraire à celle du monde, c’est-à-dire qu’elle est dirigée à gauche (9), tandis que celle du monde est dirigée à droite ; et quoique la rotation quotidienne, dont la rapidité est extrême, les enlève et les précipite vers le couchant, ils n’en ont pas moins un mouvement annuel et contraire, qu’ils accomplissent pas à pas. C’est afin que l’air, au lieu d’être roulé dans la même partie par la révolution éternelle du monde, et d’y former une masse sans mouvement, soit atténué (10) par le choc opposé des astres qui le divisent et l’étendent. 5Saturne est un astre d’une nature froide et glaciale. Beaucoup au-dessous est le cercle de Jupiter, dont la révolution, par conséquent plus rapide, s’accomplit en douze ans. En troisième est Mars, appelé par quelques-uns Hercule : cette planète, d’une couleur de feu, est ardente à cause du voisinage du soleil ; sa révolution est d’environ deux ans. Aussi Jupiter, placé entre la trop grande chaleur de Mars et le froid de Saturne, participe de la nature de l’un et de l’autre, et est salutaire. 6Suit le soleil ; son orbite est, il est vrai, de 360 degrés ; mais pour que l’ombre qu’il projette revienne au point qui a été marqué au départ, il faut ajouter à l’année, outre les cinq jours, un quart en sus : c’est en raison de ce quart que tous les cinq ans on place un jour intercalaire, afin que l’ordre des saisons soit conforme à la marche du soleil.

7 Au-dessous du soleil tourne une grande planète appelée Vénus, qui a un mouvement alternatif, et qui, par ses surnoms, est la rivale du soleil et de la lune. Car, prévenant l’aurore et paraissant dès le matin, elle reçoit le nom de Lucifer, et, comme un autre soleil, hâte l’arrivée du jour ; d’autre part, brillant après le soir, elle est appelée Hespérus, prolonge la durée du jour, et remplace la lune. Pythagore de Samos est le premier qui ait reconnu cette particularité vers la 42e olympiade, qui répond à la 142e année de Rome (11) : 8par sa grandeur elle dépasse tous les autres astres, et l’éclat en est tel, qu’elle est la seule des étoiles qui produise de l’ombre ; aussi lui a-t-on à l’envi donné des noms, appelée par les uns Junon, par les autres Isis, par d’autres Mère des dieux. 9C’est par son influence que tout s’engendre sur la terre : répandant, à son lever du matin comme à son lever du soir, une rosée féconde, non seulement elle fertilise la terre, mais encore elle stimule la fécondation des animaux. Elle parcourt le zodiaque en 348 jours, et ne s’écarte jamais du soleil de plus de 46 degrés, suivant Timée.

10 Semblable par la marche, mais non par la grandeur ou par l’influence, Mercure, appelé par quelques-uns Apollon, vient après Vénus, et parcourt un cercle inférieur dans une révolution plus courte de neuf jours ; il brille tantôt avant le lever du soleil, tantôt après le coucher, et ne s’en éloigne jamais de plus de 23 degrés, comme l’enseignent le même Timée (11*) et Sosigène. 11Aussi la théorie de ces deux planètes est spéciale, et n’a rien de commun avec celle des planètes précédentes ; car ces dernières s’éloignent du soleil de quart et même du tiers du ciel, et souvent on les voit en opposition. Au reste, toutes les planètes ont de plus grandes révolutions, dont il doit être traité dans la théorie de la grande année.

12(IX.) Mais le plus admirable de tous est l’astre dont il me reste à parler, celui qui est le plus familier aux habitants de la terre, celui que la nature a créé pour remédier aux ténèbres, la lune. Elle a mis à la torture, par sa révolution compliquée, l’esprit de ceux qui la contemplaient, et qui s’indignaient d’ignorer le plus l’astre le plus voisin. Croissant toujours ou décroissant, tantôt recourbée en arc, tantôt divisée par moitié, tantôt arrondie en cercle lumineux ; pleine de taches, puis brillant d’un éclat subit ; immense dans la plénitude de son disque, et tout à coup disparaissant ; tantôt veillant toute la nuit, tantôt paresseuse, et aidant pendant une partie de la journée la lumière du soleil ; s’éclipsant, et cependant visible dans l’éclipse ; puis invisible à la fin du mois, sans toutefois être éclipsée. 13Ce n’est pas tout : tantôt elle s’abaisse et tantôt elle s’élève, sans uniformité même en cela, car parfois elle touche au ciel, parfois aux montagnes, parfois au haut dans le nord, parfois au bas dans le midi. Le premier qui reconnut ces différents mouvements fut Endymion ; et aussi dit-on qu’il en était épris. Certes, nous ne sommes pas assez reconnaissants envers ceux qui, par leurs travaux et leurs efforts, ont jeté de la lumière sur cette source de lumière : par un singulier travers de l’esprit humain, on se plaît à consigner dans les annales les meurtres et le carnage, afin que les crimes des hommes soient connus de ceux qui ne connaissent pas le monde qu’ils habitent.

14 La plus voisine du centre, et ayant par conséquent le moins d’espace à parcourir, elle accomplit en vingt-sept jours et un tiers la même révolution que Saturne, la plus élevée des planètes, accomplit, comme nous avons dit, en trente années ; puis demeurant en conjonction avec le soleil pendant deux jours au plus, ce n’est qu’au bout du trentième qu’elle recommence la série de ses mouvements. Je ne sais si ce n’est pas elle qui a enseigné tout ce qu’on connaît sur le ciel. Elle a conduit à diviser l’année en douze mois, elle-même atteignant douze fois le soleil avant son retour au point de départ ; elle est, comme les autres astres, régie par la lumière du soleil, puisque elle-même emprunte à cet astre toute la lumière dont elle brille, et qui est semblable à celle que l’eau renvoie par réflexion : n’ayant qu’une lumière d’emprunt, elle n’a aussi qu’une influence faible et imparfaite, qui résout seulement et même augmente les humidités destinées à être consumées par le soleil ; 15par la même raison, elle est vue sous des aspects différents, car, pleine lorsqu’elle est en opposition, les autres jours elle ne montre de son globe que ce que le soleil en illumine ; et en conjonction elle est invisible, parce que, nous tournant le dos, elle renvoie tout le flot de lumière à la source d’où il lui vient. Elle a appris encore que les astres sont alimentés par les humidités terrestres, car à demi-pleine elle paraît couverte de taches, n’ayant pas encore toutes les forces qu’il lui faut pour les faire disparaître en les absorbant ; or, ces taches ne sont que des souillures enlevées à la terre en même temps que les humidités. Quant à ses éclipses et à celles du soleil, le phénomène le plus merveilleux qu’offre la contemplation de la nature entière et qui a quelque chose de miraculeux, elles sont les indices de la grandeur de ces astres et de l’ombre projetée.