L’OREILLER D’UNE JEUNE FILLE



CONTE





Ninette était la plus charmante petite fille du monde. Elle surpassait en beauté, en transparence, ces délicieux enfants anglais des peintures de Joshua Reynolds et de sir Thomas Lawrence, dont la chair semble faite avec des roses pétries dans du lait ; si elle n’avait eu un joli tablier noir découpé à dents de loup, on l’eût prise pour un chérubin, mais on sait que les chérubins ne portent pas de tablier noir. Ses beaux yeux limpides, naïvement étonnés, abritaient, sous des franges de cils, un ciel plus azuré que l’autre, car il n’y passait jamais de nuage. Vous dire que sa mère en était folle, c’est chose inutile : une mère trouverait Quasimodo supportable, et Ninette, c’était Esméralda blonde, et qui n’avait pas été élevée chez les truands.

Cette jolie tête renfermait un charmant esprit, esprit de sept ans, bien entendu, et cette douce petite poitrine blanche un bon petit cœur palpitant au récit des belles actions, et s’attendrissant aux malheurs vrais ou imaginaires ; car, si Ninette aimait bien les poupées, elle aimait encore plus les histoires, et surtout les contes de fées, qui sont peut-être les seules histoires vraies.

Ce qui la frappait surtout, c’étaient ces beaux contes où l’on voit des fées accourir pour douer une princesse nouvellement née : les unes dans une noix traînée par des scarabées verts, les autres dans un carrosse d’écorce de potiron attelé de rats harnachés en toile d’araignée ; celle-ci en aérostat dans une bulle d’eau savonneuse avec une barbe de chardon pour nacelle, celle-là à cheval sur un rayon de clair de lune soigneusement fourbi. Ninette regrettait fort ce temps-là, et se demandait pourquoi les bonnes fées ne s’empressaient plus autour du berceau des petites filles, comme si elle n’eût pas été aussi richement douée que toutes les princesses des contes de Perrault et de madame d’Aulnoy ; mais Ninette était modeste, et ne savait pas que les fées n’auraient pas un grand cadeau à lui faire.

Un jour, Ninette, assise à côté de sa maman, sur un coussin de tapisserie brodé par elle-même, feuilletait un livre plein de ses histoires favorites ; bientôt elle poussa un soupir comme une colombe étouffée, et jeta le volume avec un geste d’humeur et d’impatience.

— Oh ! que je voudrais, moi aussi, avoir quelque talisman merveilleux comme le miroir magnifique ou la bague du prince Chéri, qui m’avertisse quand je fais bien ou mal ; de cette façon, je serais toujours gentille, et maman ne me gronderait jamais.

Il y avait ce jour-là, chez la mère de Ninette, une dame jeune encore, mais étrangère, et, quoique parfaitement belle, d’un aspect assez bizarre. Sa figure pâle, d’un ovale un peu long, était éclairée par deux yeux d’une fixité insupportable. D’étroits sourcils d’un noir bleuâtre, qui se rejoignaient presque, donnaient à sa physionomie quelque chose d’inquiétant et qui aurait été dur sans le demi-sourire qui jouait mélancoliquement sur ses lèvres d’un incarnat très-vif. Elle était vêtue d’une robe de satin noir, et portait pour tout ornement un collier et des bracelets de corail. Le contraste de ces deux couleurs éminemment cabalistiques contribuait encore à rendre plus frappant le caractère surnaturel de sa figure. Dans une époque de superstition, on l’eût prise aisément pour une nonne ou pour une walkyrie. Ses mouvements majestueux et lents commandaient le respect, et, en présence de cette beauté calme et triste, les esprits les plus sceptiques recevaient une impression involontaire. Aussi n’est-il pas étonnant que Ninette eût pour la dame étrangère une vénération mêlée de terreur.

— Mais il n’y a plus de fées aujourd’hui, dit Ninette en reprenant son livre.

— Qui vous fait croire cela ? dit la dame de sa voix au timbre grave et résonnant des notes cuivrées, en laissant tomber d’aplomb son regard magnétique sur la petite fille, qui tressaillit malgré elle.

— Il faut bien qu’il n’y en ait plus, puisqu’on n’en voit jamais ; et pourtant j’aurais bien désiré en rencontrer une, au risque d’avoir un peu peur ! Une bonne fée vêtue d’une robe toute semée d’étoiles, tenant une baguette d’or fin, qui m’aurait accordé le don que je lui aurais demandé.

— Chère enfant, c’est peut-être qu’aujourd’hui les fées se font habiller chez Palmyre, comme de simples femmes du monde ; quoique fée, on aime à suivre la mode ; les robes constellées, les ceintures cabalistiques, cela était bon autrefois, et la baguette, pour s’être déguisée en manche d’ombrelle, n’en est pas moins puissante.

Pendant qu’elle parlait ainsi, les prunelles de la dame semblaient s’illuminer d’un jour intérieur et lancer des éclairs, sa haute taille se redressait, et Ninette crut voir trembler autour de la mystérieuse amie de sa mère comme une espèce d’auréole.

Des visiteurs qui survinrent firent changer la conversation, et la dame