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LIVRE PREMIER


CHAPITRE PREMIER

Du jugement des ouvrages d’esprit ; de la méthode à suivre en histoire naturelle : il faut étudier les fonctions communes plutôt que chaque espèce en particulier ; de la recherche des causes et spécialement de la cause finale ; nécessité absolue, nécessité hypothétique ; citations de divers ouvrages de l’auteur ; il faut d’abord recueillir les faits pour en expliquer ensuite les causes ; erreur d’Empédocle ; l’être précède le germe qu’il produit ; la cause matérielle est subordonnée à la cause finale, dans la nature aussi bien que dans l’art ; erreur de Démocrite sur la figure et la couleur ; supériorité de l’âme sur la matière ; supériorité de l’homme sur les animaux ; ordre admirable de l’univers ; désordre relatif de notre monde ; définition de la nature ; la nécessité n’y a qu’une place très-limitée ; citation des livres Sur la philosophie ; Empédocle ; mérite de Démocrite et de Socrate ; résumé sur la méthode en histoire naturelle.

§ 1[1]. Toute étude intellectuelle, toute exposition méthodique, la plus humble aussi bien que la plus

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haute, peut être considérée sous deux faces différentes. L’une de ces faces peut s’appeler proprement la science même de la chose ; l’autre n’exige qu’une sorte d’instruction générale. § 2[2]. En effet, quand on a reçu une éducation convenable, on doit être en état de juger pertinemment, quant à la forme, si celui qui

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parle d’un sujet l’expose bien, ou s’il l’expose mal. C’est même à ce signe que nous reconnaissons l’homme instruit ; et c’est là ce qui nous fait penser de quelqu’un qu’il a été généralement bien élevé, l’instruction consistant surtout à pouvoir faire une distinction de ce genre. La seule différence qui reste alors entre ces deux personnes, c’est que l’une, bien qu’elle ne soit toujours qu’un seul et même individu, numériquement parlant, nous semble capable de prononcer sur toutes choses, tandis que l’autre ne nous paraît compétente que sur une matière définie et limitée ; ce qui n’empêche pas que cet autre individu ne puisse, tout en s’occupant d’un objet particulier, avoir aussi l’instruction dont on vient de parler.

§ 3[3]. De ces considérations, il résulte évidemment que, pour l’histoire de la nature, il est bon de poser également certains principes supérieurs, auxquels on devra se reporter pour juger de la forme adoptée dans l’exposition qu’on en fait, indépendamment de la question de savoir si c’est bien la vérité, et si la chose est réellement de telle façon ou de telle autre.

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Par exemple j’entends que pour cette étude il s’agit de savoir s’il faut, en prenant chaque être substantiel à part, ne le considérer absolument qu’en lui-même, que ce soit d’ailleurs la nature de l’homme, celle du lion, celle du bœuf, ou celle de tel autre être étudié isolément ; ou bien, s’il ne faut pas plutôt réunir en une exposition commune les phénomènes communs que présentent tous ces animaux. § 4[4]. Il est en effet beaucoup de fonctions qui sont identiquement les mêmes pour des genres d’êtres qui sont fort différents les uns des autres ; telles sont les fonctions qu’on nomme le sommeil, la respiration, la croissance, le dépérissement, la mort ; et, à côté de celles-là, une foule d’autres fonctions et d’autres phénomènes organiques,

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que nous croyons devoir omettre pour le moment, parce que nous ne pourrions en parler à cette heure que d’une façon obscure et indécise. § 5[5]. Il est bien clair en effet que, si nous parlions successivement de chaque animal en particulier, nous aurions à répéter à tout instant les mêmes choses dans bon nombre de cas, puisque chacune des fonctions que nous venons d’énumérer se retrouve, et dans le cheval, et dans le chien, et dans l’homme. Par conséquent, si l’on allait pour chacun de ces animaux parler de toutes ces fonctions successivement, on serait exposé à des redites sans fin, toutes les fois que l’on traite de fonctions qui sont identiques dans des êtres de genres très-divers, et qui n’offrent entre elles aucune différence appréciable pour chacun d’eux. § 6[6]. Il se peut aussi

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fort bien que telle fonction, qui a reçu une dénomination toute pareille, présente néanmoins une énorme différence sous le rapport de l’espèce et de la forme. Telle est la locomotion dont les animaux sont doués. Formellement et spécifiquement, la locomotion n’est point une, puisqu’il y a une différence évidente entre le vol, la natation, la marche, et la reptation.

§ 7[7]. Il importe donc de se bien rendre compte du procédé qu’on doit adopter dans cet examen ; et ce que je veux dire, c’est qu’on doit bien savoir s’il faut tout d’abord étudier par genre les fonctions communes, et analyser ensuite toutes les fonctions propres et particulières à chaque espèce d’animal, ou bien s’il faut étudier sur-le-champ chaque animal considéré isolément. C’est là un point qui n’est pas encore fixé, non plus que cet autre point que nous devons également

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indiquer : A l’exemple des mathématiciens, dans leurs démonstrations d’astronomie, ne faut-il pas, dans l’étude de la nature, constater d’abord tous les faits relatifs aux animaux, et en expliquer ensuite le pourquoi et les causes ? Ou bien est-il par hasard quelque autre méthode qu’on doive adopter ?

§ 8[8]. De plus, comme il y a, ainsi que nous pouvons le voir, bien des causes diverses pour tout ce qui se produit

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dans la nature entière, et par exemple, la cause du pourquoi, la cause initiale du mouvement, etc., faut-il s’occuper aussi de ces causes, et examiner quelle est la première d’entre elles, quelle est la seconde, etc. ? On peut croire que la première de toutes les causes est celle que nous nommons la cause du pourquoi, la cause finale ; car elle est la raison dernière des choses ; et la raison est un principe. Sous ce rapport, il en est tout à fait de même des productions de l’art et de celles de la nature. C’est après avoir déterminé les choses, ou par la réflexion ou par la simple observation sensible, que le médecin, pour la santé, l’architecte pour la maison, expliquent l’un et l’autre les raisons et les causes de ce qu’ils ont fait pour chacune, et pourquoi ils devaient faire les choses ainsi qu’ils les ont faites.

§ 9[9]. Mais la cause finale, le bien de la chose, se manifeste dans les œuvres de la nature bien plus encore

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que dans celles de l’art. C’est que, même dans les choses naturelles, la nécessité ne s’applique pas identiquement à toutes sans exception ; et ceux qui cherchent à ramener toutes les raisons des choses à la raison unique de la Nécessité, ne se sont pas donné la peine d’analyser toutes les acceptions où peut se prendre le mot de Nécessaire. Absolument parlant, Nécessaire ne s’applique qu’aux choses éternelles ; mais le nécessaire résultant d’une hypothèse se montre dans toutes les choses qui sont sujettes à naître et à devenir, comme le sont les produits de l’art, tels que la maison, ou tout autre objet de cette sorte, indistinctement. § 10[10]. Ainsi, il y a nécessité qu’on emploie une matière d’une certaine espèce, si l’on veut bâtir une maison, ou si l’on se propose tel autre objet analogue ; il y a nécessité que là tout d’abord telle chose existe préalablement, ou qu’elle soit mise en mouvement de telle ou telle façon, pour qu’à la suite, il se produise telle autre chose ; et pour que, de cette manière on atteigne sans interruption la fin

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qu’on poursuit, et le résultat pour lequel a lieu et existe chacune des choses que l’on fait.

§ 11[11]. Il en est absolument de même pour les phénomènes naturels ; seulement la forme de la démonstration et de la nécessité change pour la science de la nature, et elle est autre que pour les sciences purement théoriques. Mais c’est là une question que nous avons traitée dans d’autres ouvrages. Ainsi, le principe, le point de départ pour l’étude de la nature, c’est ce qui est, tandis que pour l’art, c’est ce qui doit être. Par exemple, la santé, ou l’homme, étant telle ou telle chose, il y a nécessité que préalablement telle autre chose existe ou se soit réalisée ; mais de ce que cette autre chose existe ou a été produite, il ne s’ensuit pas qu’elle soit ou qu’elle doive être de toute nécessité. § 12[12]. Or il n’est pas possible non plus de

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rattacher à l’éternel la nécessité que suppose une démonstration de ce genre, de manière à pouvoir dire : Puisque telle chose est, telle autre chose est aussi. Du reste, ce sont là des questions que nous avons également approfondies ailleurs ; nous y avons indiqué les choses auxquelles la nécessité s’applique et celles auxquelles elle est inapplicable ; et nous avons montré la cause de cette différence.

§ 13[13]. Mais un point qu’il ne faut jamais perdre de vue, c’est de savoir s’il faut procéder comme les philosophes antérieurs l’ont fait dans leurs théories, et s’il convient de rechercher avec eux comment les choses se sont naturellement produites au début, plutôt que d’observer comment elles sont maintenant. Ces méthodes ne diffèrent pas médiocrement l’une de l’autre.

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Quant à nous, il nous semble, ainsi que nous l’avons déjà dit, qu’il faut d’abord recueillir les faits dans chaque genre de choses, et que c’est seulement ensuite qu’on peut en dire les causes et remonter à leur origine. § 14[14]. Cet ordre, il est vrai, se montre encore plus clairement dans certaines choses, par exemple dans la construction d’une maison. La forme essentielle de la maison étant telle chose, ou la maison elle-même étant telle chose aussi d’un certain genre, il est clair qu’elle doit être construite dans telles conditions, puisque la production des choses dépend de ce que ces choses sont essentiellement, et que leur essence ne dépend pas du tout de leur production.

§ 15[15]. Aussi, Empédocle s’est-il bien trompé quand il a

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prétendu qu’une foule de choses dans les animaux sont par cette seule raison qu’elles ont été comme elles sont dès leur origine : par exemple, que les animaux ont la colonne vertébrale faite telle que nous la voyons en eux, parce qu’en se tournant sur elle-même il lui est arrivé de se briser. En ceci, Empédocle a oublié et méconnu deux choses : d’abord qu’il faut que le germe constitutif existe avec une puissance relative à son objet ; et en second lieu, il a oublié que l’agent qui a fait la chose devait exister antérieurement au produit, non pas seulement au point de vue de la pure raison, mais aussi dans le temps. Car c’est l’homme qui engendre l’homme ; et c’est parce que l’homme est constitué de telle manière qu’il en résulte que l’être qu’il produit est constitué également de

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telle manière déterminée. § 16[16]. On peut penser que, pour les choses qui semblent se produire d’une façon toute spontanée, il en est identiquement de même que pour les productions de l’art, puisqu’il y a certaines choses qui se produisent spontanément, toutes pareilles à celles que l’art produit, la santé, par exemple ; mais pour les productions naturelles, il y a préalablement un producteur semblable à l’être produit, comme il y en a un dans la sculpture ; car il n’y a dans la sculpture rien de spontané. L’art y est la raison de l’œuvre sans la matière ; et il en est de même pour les choses que le hasard produit, puisque tel est l’art, telle est l’œuvre produite. § 17[17]. Il faut donc affirmer à plus forte raison que, l’essence de l’homme devant être ce

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qu’elle est, c’est là ce qui fait que les choses aussi sont ce qu’elles sont, puisqu’il n’est pas possible que l’homme existe sans ces organes et ces conditions. Si toutes ces conditions ne sont pas remplies, c’est du moins celles qui s’en rapprochent le plus qui doivent l’être ; elles sont, ou absolues parce qu’il est impossible qu’il en soit autrement, ou tout au moins elles sont ce qu’elles sont, parce qu’il est bien qu’il en soit comme il en est. Ce sont là des conséquences inévitables. Du moment qu’un être quelconque est ce qu’il est, il y a nécessité que sa production ait lieu de telle ou telle manière, et qu’elle soit ce qu’elle est. Même c’est là ce qui explique que telle partie de l’animal se produit la première de toutes, et que telle autre ne peut venir qu’à la suite.

§ 18[18]. Voilà donc bien ce qui se passe uniformément pour tous les êtres que la nature organise. Les anciens philosophes qui, les premiers, ont étudié la nature, n’ont regardé qu’au principe de la matière et s’en sont

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tenus à la cause matérielle ; ils ont recherché ce que cette cause est en elle-même, quelles qualités elle a, comment l’univers entier en est sorti, et ils ont recherché ensuite quel en a été le principe moteur. Ils ont supposé que c’est la Discorde, par exemple, ou l’Amour, ou l’Intelligence, ou le Hasard. Mais ils admettaient toujours que cette matière, fond de tout le reste, a, de toute nécessité, telle ou telle nature définie : par exemple, la nature chaude du feu, ou la nature froide de la terre, légère avec l’un, pesante avec l’autre. § 19[19]. Du moment que ces philosophes forment de cette façon le monde lui-même, ils expliquent semblablement la production des animaux et la production des plantes. Ainsi, ils prétendent que l’eau, venant à couler dans le corps, il s’y est produit une cavité destinée à être le réceptacle commun de la nourriture et des excrétions ; que le souffle traversant

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le corps, les narines se sont formées par rupture ; ils en concluent que l’air et l’eau sont la matière de tous les corps sans exception ; car c’est de corps ainsi formés que tous ces philosophes entendent composer la nature entière.

§ 20[20]. Mais si l’homme et les animaux existent dans la nature, les parties dont ils sont formés n’existent pas moins ; et dès lors, il convient de parler de la chair, des os, du sang et de toutes les parties similaires. Il faut également parler des parties qui ne sont pas similaires, telles que le visage, la main, le pied, et expliquer ce que sont chacune de ces parties en elles-mêmes et la fonction que remplit chacune d’elles. Il ne suffirait pas de nous dire de quels éléments ces parties sont formées, et si, par exemple, elles sont formées de feu ou de terre ; car en supposant que nous ayons à parler d’un lit ou de tel autre meuble semblable, nous nous attacherions à en définir l’idée

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et la forme bien plutôt que la matière, que cette matière soit de l’airain ou du bois ; et si nous ne donnions pas cette définition même, nous donnerions au moins la définition du tout et de l’ensemble qui compose le lit. C’est qu’en effet le lit est essentiellement telle chose dans telle chose, ou une chose faite de telle ou telle façon ; et, par conséquent, il faudrait toujours parler de sa forme et dire quelle en est la figure idéale.

§ 21[21]. Cela tient à ce que la nature résultant de la forme est bien supérieure à la nature matérielle. Si donc chaque animal, comme toutes ses parties, ne consistait que dans sa figure et sa couleur, Démocrite aurait pleine raison ; car il semble que voici sa

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doctrine : « Il est clair pour tout le monde, dit-il, que l’homme est ce qu’il est par la forme dont il est doué, comme si l’on ne reconnaissait l’homme qu’à sa figure et à sa couleur. » On peut répondre qu’un cadavre a aussi la même forme apparente, et que pourtant le cadavre n’est pas un homme. § 22[22]. On peut répondre encore qu’il n’est pas moins impossible qu’une main soit réellement une main dans une combinaison quelconque, par exemple si elle est en airain ou en bois. Il n’y a là qu’une homonymie, comme serait celle d’un médecin en peinture. La main ne pourrait pas alors accomplir son œuvre propre, pas plus que des flûtes en pierre n’accompliraient la leur, non plus que le médecin peint dans un tableau n’accomplirait la sienne. Semblablement à tous ces cas, il n’est pas une des parties du cadavre qui soit encore une partie véritable du corps, par exemple, l’œil, la main, etc., etc.

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§ 23[23]. Toutes ces explications des philosophes antérieurs sont par trop simples ; et elles ressemblent beaucoup à celle que nous donnerait un maçon qui nous dirait que, pour son travail, il se sert d’une main de bois. Ce n’est pas autrement que nos naturalistes nous entretiennent des origines et des causes de la figure des êtres. Il est bien vrai que les origines et les causes ont dû être le résultat de l’action de certaines forces ; mais l’ouvrier pourrait nous parler de sa hache et de sa vrille, tout comme le philosophe nous parle d’air et de terre. Seulement l’ouvrier expliquerait encore mieux les choses ; car il ne se contenterait pas de nous dire qu’avec son outil dirigé et tombant de telle ou telle façon, il se produit tantôt un trou, et tantôt une surface plane. Il nous dirait de plus pourquoi il a donné tel coup de son instrument, et quel a été son but ; enfin, il ajouterait l’explication de la

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cause qui fait que son ouvrage prend telle forme, ou bien telle autre forme, à son gré. § 24[24]. Il est donc certain que nos philosophes se trompent, et qu’il faut dire d’abord que c’est de tel animal qu’on entend parler ; et ensuite, après l’avoir indiqué, il faut expliquer ce qu’il est en lui-même et quelles sont ses qualités ; il faut en faire autant pour chacune de ses parties, comme on le faisait pour expliquer la forme du lit. § 25[25]. Si donc c’est l’âme ou une partie de l’âme qui constitue réellement l’animal, ou que du moins l’animal ne puisse pas exister sans l’âme, puisque l’âme une fois disparue, il n’y a plus d’animal, et qu’aucune de ses parties ne demeure plus la même, si non en apparence, comme dans la mythologie certains êtres sont changés en pierres ; si, dis-je, la chose est bien ainsi,

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le naturaliste doit parler de l’âme et bien savoir ce qu’elle est. S’il n’a pas à étudier l’âme tout entière, il doit l’étudier tout au moins dans ce point de vue spécial qui sert à expliquer ce qu’est précisément l’animal ; il doit connaître ce qu’est l’âme ou cette partie spéciale, avec toutes les conditions, qui à cet égard, constituent son essence. Le philosophe doit prendre ce soin avec d’autant plus d’attention que le mot de Nature se présente sous deux aspects, et qu’elle peut être considérée, soit comme matière, soit comme essence, de même qu’elle peut encore être étudiée, et comme cause initiale du mouvement, ou comme but final. C’est bien là le rapport de l’âme tout entière à l’animal, ou du moins le rapport d’une partie de l’âme.

§ 26[26]. Il faut donc que le philosophe qui observe et contemple la nature se préoccupe de l’âme plus que de la matière ; et il y est tenu d’autant plus étroitement que la matière ne peut devenir la nature d’un

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être que grâce à l’âme, bien plutôt qu’à l’inverse l’âme ne deviendrait nature que grâce à la matière, puisqu’en effet le bois n’est le lit ou le trépied qu’autant qu’il est l’un et l’autre en puissance.

§ 27[27]. Il est vrai qu’on peut se demander, à l’encontre de ce que nous venons de dire, si c’est le devoir de l’histoire naturelle d’étudier l’âme dans toute sa généralité, ou seulement d’étudier une certaine partie de l’âme. Si c’est de l’âme dans sa totalité, alors il ne reste plus aucune place à la philosophie en dehors de la science de la nature. Comme l’intelligence fait partie des intelligibles, le domaine de la science naturelle s’étendrait à tout sans exception ; car c’est à une seule et même science qu’il appartient de considérer l’intelligence et les intelligibles. L’intelligence

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et les intelligibles sont réciproquement en rapport ; et ce doit être une seule et même étude qui s’applique à toutes les choses qui ont ce rapport de réciprocité. Ainsi, par exemple, c’est une seule et même étude qui s’applique à la sensation et aux choses sensibles. § 28[28]. Ou bien, ne doit-on pas dire que ce n’est pas toute l’âme qui est le principe du mouvement, non plus que ne le sont toutes ses parties, sans distinction ; mais que tantôt c’est une de ses parties qui est le principe de la croissance, et c’est celle qui agit aussi dans les plantes ; que telle autre est le principe de l’altération, et que c’est la partie sensible de l’âme ; que le principe de la locomotion est encore une autre partie, mais que ce n’est pas la partie intellectuelle qui cause ce phénomène, puisque la locomotion se voit dans bien d’autres animaux que l’homme, tandis que la pensée et l’intelligence ne se trouvent dans aucun autre être que lui ?

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§ 29[29]. Il est donc bien clair que le naturaliste n’a point à étudier l’âme tout entière ; car ce n’est pas l’âme entière qui constitue la nature de l’animal ; c’est une de ses parties uniquement, ou peut-être plusieurs de ses parties. Ce qui est tout aussi certain, c’est que l’histoire naturelle n’a jamais à étudier des choses abstraites, puisque la nature fait tout ce qu’elle fait en vue d’une fin spéciale. Il semble en effet que de même qu’au fond des productions de l’art, il y a toujours l’art, de même aussi dans les choses mêmes de la nature, il doit y avoir quelque autre cause, quelque autre principe de même genre que nous tirons du Tout, par abstraction, comme nous en tirons la chaleur et le froid. § 30[30]. Ce serait donc à une telle cause qu’il faudrait vraisemblablement rapporter l’origine du monde, s’il a toutefois une origine, bien plutôt que

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lui rapporter l’origine des êtres mortels. L’ordre et la stabilité immuablement définis éclatent dans les choses du ciel beaucoup plus fortement que dans ce qui nous entoure. Pour les choses mortelles, ce qui se manifeste surtout, c’est le changement perpétuel des choses, qui fait qu’elles sont tantôt d’une façon, tantôt d’une autre, et qu’elles vont au hasard. Nos philosophes disent bien que chaque animal existe ou naît grâce à la nature ; mais ils soutiennent que le monde s’est constitué tel que nous le voyons au hasard et spontanément, le monde, où rien cependant ne semble être jamais dû au hasard et où rien n’est sujet au désordre.

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§ 31[31]. Quant à nous, nous affirmons qu’une chose a lieu en vue d’une autre chose partout et toutes les fois que se montre une fin vers laquelle se dirige et s’accomplit le mouvement, si aucun obstacle ne vient l’arrêter. Il est donc de toute évidence que c’est bien quelque chose de ce genre que nous appelons la Nature. Certes, ce n’est pas un être quelconque que le hasard fait sortir de chacun des germes ; mais toujours de telle chose, c’est précisément telle autre chose qui sort ; pas plus que ce n’est au hasard que de tel corps il sort tel germe indifféremment. § 32[32]. Sans doute, le germe est un principe, et c’est bien lui qui fait l’être

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qui vient de lui. Tout cela est dans la nature, puisque c’est du germe que cela sort. Pourtant, il n’en faut pas moins avouer que ce dont vient le germe est encore antérieur au germe même ; le germe n’est qu’un produit qui se développe, et c’est l’être substantiel qui est le but et la fin. Bien plus, ce dont vient le germe lui-même existe antérieurement aux deux, c’est-à-dire d’abord au germe, et ensuite à l’être que le germe produit ; car le germe peut être considéré en deux sens, en premier lieu, dans l’être d’où il vient lui-même, et en second lieu, dans l’être dont il est le germe. C’est qu’en effet le germe est à la fois le germe de l’être d’où il vient, par exemple, le germe qui vient d’un cheval ; mais il est aussi le germe de l’être qui viendra de lui, par exemple, du mulet. Ce n’est pas, si l’on veut, de la même manière ; mais l’expression de Germe s’applique également à l’un et à l’autre. § 33[33]. Ajoutons que le germe n’est qu’en simple puissance, et nous savons quel est le rapport de la puissance à la réalité complète, à l’entéléchie.

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§ 34[34]. Nous devons aussi savoir qu’il y a deux causes qu’il faut distinguer : l’une qui a une fin en vue, et l’autre qui vient de la nécessité ; car il y a beaucoup de choses qui arrivent uniquement parce qu’elles sont nécessaires. Mais quand les philosophes parlent de nécessité, on peut se demander de quelle nécessité ils entendent parler positivement. Des deux faces de la nécessité qui ont été définies par nous dans nos livres sur la Philosophie, aucune en histoire naturelle n’est possible. § 35[35]. Mais il y a une troisième espèce de nécessité qui se trouve dans les choses sujettes à naître

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et à devenir. En ce sens nous disons de la nourriture qu’elle est nécessaire, sans que ce soit dans aucun de ces deux premiers sens, mais uniquement parce que, sans elle, il ne serait pas possible de vivre. Cette nécessité-là est donc comme une nécessité hypothétique ; car, de même que pour couper quelque chose avec une hache, il faut que la matière de la hache soit dure et qu’en tant que dure, elle peut être en airain ou en fer ; de même aussi, le corps n’étant qu’un instrument, attendu que chacune de ses parties comme le corps entier lui-même a un certain but, il y a nécessité que le corps soit fait de telle façon, et qu’il soit composé de tels éléments, pour que cet instrument puisse remplir son office particulier. § 36 La notion de cause a donc deux nuances diverses ; et quand on parle de cause, on doit tenir le plus grand compte de toutes les deux. Si l’on ne prend pas ce soin, il faut au moins essayer de les mettre en évidence ;

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et tous ceux qui n’éclaircissent pas ce point ne nous apprennent rien, pour ainsi dire, sur la nature des choses, quoique la nature soit un principe bien plus que ne l’est la matière. Parfois, Empédocle lui-même, entraîné par la force de la vérité, est obligé de retomber sur ce principe et contraint de dire que la substance et la nature des êtres sont le rapport des éléments entre eux. C’est ce qu’il fait, par exemple, dans sa définition de l’os ; car il ne dit pas que l’os soit un des éléments, ni deux, ni trois, ni la réunion de tous les éléments ; mais il dit précisément que c’est le rapport de leur mélange. Il est clair que la même explication s’appliquerait également à la chair et à chacune des autres parties du corps analogues à celle-là. § 37[36]. Ce qui a pu empêcher nos prédécesseurs

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d’arriver à la découverte de la vérité, c’est qu’ils n’étaient pas en état de définir l’essence et la substance qui font que la chose est ce qu’elle est. Ce fut Démocrite qui, le premier, l’essaya, bien qu’on ne crût pas que ce fût nécessaire à l’étude de la nature ; mais il fut arraché à cette erreur par la réalité même. Grâce à Socrate, cette direction nouvelle se développa ; mais, du même coup, l’étude de la nature se ralentit, et ceux qui faisaient alors de la philosophie penchèrent vers l’étude des vertus utiles et de la politique.

§ 38[37]. En résumé, le mode de démonstration qu’il faut adopter est celui-ci : en supposant, par exemple, qu’il s’agisse de la fonction de la respiration, il faut démontrer que, la respiration ayant lieu en vue de telle fin, cette fonction a besoin, pour s’exercer, de telles conditions, qui sont indispensablement nécessaires.

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Tantôt, donc, Nécessité veut dire que, si le pourquoi de la chose est de telle façon, il y a nécessité que certaines conditions se réalisent ; et tantôt Nécessité signifie simplement que les choses sont de telle manière et que telle est leur nature. Ainsi, l’on voit que, pour la respiration, il est nécessaire que la chaleur sorte du corps et qu’elle y rentre de nouveau par répercussion, pour que l’air puisse s’introduire et circuler. C’est là une nécessité évidente ; grâce à la chaleur intérieure qui résiste au refroidissement et qui le compense, l’air venu du dehors peut entrer et sortir.

§ 39[38]. Tel est donc le procédé de la méthode que nous suivrons ; tel est le nombre et la nature des objets dont nous aurons à rechercher les causes.

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CHAPITRE II

De la méthode de division ; son insuffisance ; elle disloque tous les genres et sépare les animaux les plus semblables pour les réunir aux plus dissemblables.

§ 1[39]. Quelques naturalistes prétendent arriver à la connaissance de l’individu en divisant toujours le genre en deux différences. Mais c’est là un procédé qui tantôt n’est pas très facile, et qui tantôt est impraticable. Certains cas ne présentent qu’une seule et unique différence, et alors tout le reste est parfaitement inutile. C’est, par exemple, quand on dit : Animal pourvu de pieds, animal pourvu de deux pieds, animal pourvu de pieds fendus, animal dépourvu de pieds ; il n’y a que cette dernière différence qui soit importante. Si l’on ne s’y tient pas, on se voit forcé de faire nécessairement bien des répétitions de la

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même chose. § 2[40]. De plus, il conviendrait de ne pas disloquer les genres, et, par exemple, celui des oiseaux, en plaçant ceux-ci dans telle division, et ceux-là dans telle autre. Or, c’est là ce que font les divisions qu’on en a tracées, où l’on voit tels oiseaux divisés et rangés parmi les animaux aquatiques, et tels autres oiseaux classés dans un genre tout différent. D’abord, d’après une ressemblance quelconque, on attribue à l’animal le nom d’oiseau ; puis, d’après une autre ressemblance, on en fait un poisson. § 3[41]. D’autres divisions sont restées sans nom, et l’on peut citer celle des animaux qui ont du sang et des animaux qui n’ont

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pas de sang, puisqu’il n’y a pas de nom unique et commun applicable à chacun des deux. Si donc c’est un principe de ne jamais séparer les êtres homogènes, la division par deux, la dichotomie, peut paraître absolument vaine ; car, en divisant les choses par ce procédé, on ne peut nécessairement que les séparer et les disloquer ; et c’est ainsi que, parmi les polypes, les uns se trouvent classés avec les animaux terrestres, tandis que les autres le sont avec les animaux aquatiques.


CHAPITRE III

Suite de la critique de la méthode de division ; cette méthode ne peut s’appliquer à la privation ; elle ne peut pas descendre jusqu’aux individus, ni les définir ; conditions générales de la classification des êtres selon leurs espèces ou selon leurs fonctions ; il est impossible de faire la division par deux, quand l’espèce possède à la fois les deux, qualités que l’on divise ; exemples divers ; il faut revenir aux anciennes méthodes et étudier les animaux par genres ; et alors les privations même peuvent fournir des différences ; condamnation absolue de la méthode de division.

§ 1[42]. On doit ajouter qu’on est nécessairement amené,

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avec cette méthode, à faire les divisions sous forme négative et par privation ; et c’est bien là, en effet, le procédé des partisans de la division par deux. Mais la privation, en tant que privation, ne présente plus de différences, puisqu’il est bien impossible de trouver des espèces dans ce qui n’existe pas ; par exemple, dans la classe des animaux sans pieds ou dans la classe des animaux sans ailes, comme on en trouve dans la classe des animaux qui ont des ailes ou dans la classe des animaux qui ont des pieds. Il n’y a qu’une différence générale qui puisse avoir des espèces. § 2[43]. S’il en était autrement, comment pourrait-il y avoir des espèces pour des universaux et n’y en aurait-il pas pour les individus ? Il y a des différences qui sont générales et universelles, et alors elles ont des espèces, comme, par exemple, la qualité d’être ailé ; car on peut diviser l’aile en aile fendue, en aile

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non fendue, de même, que pour la qualité d’avoir des pieds, on peut distinguer le pied qui a plus de deux divisions, le pied qui a deux divisions, comme l’ont les animaux à pied fourchu ; et aussi le pied non divisé et non fendu, comme l’ont les solipèdes. § 3[44]. Il est déjà assez difficile de bien diviser, même par celles des différences qui ont des espèces, de façon à ce que, après avoir classé un animal dans une de ces différences, on ne répète pas le même animal dans plusieurs autres classes, en le faisant tout à la fois ailé et sans ailes ; car le même animal peut avoir les deux qualités à la fois, comme la fourmi, la lampyre et quelques autres.

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§ 4[45]. Mais quand on fait une classe des animaux qui n’ont pas de sang, la division est bien autrement difficile ou même impossible ; car nécessairement chaque différence doit s’appliquer à une des espèces particulières ; et la différence opposée ne s’y applique pas moins. Mais s’il n’est pas possible qu’une seule espèce de substance, indivisible et une, appartienne à des êtres d’espèce différente, et s’il doit y avoir toujours entre eux une différence, comme il y en a une, par exemple, de l’oiseau à l’homme ; car la qualité d’être bipède est autre et toute différente pour ces deux genres d’animaux, on aura beau faire de l’homme et de l’oiseau des animaux qui ont du sang, c’est alors le sang qui devrait être la différence entre eux ; mais

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ne faut-il pas reconnaître que le sang n’a rien à faire dans l’essence des êtres ? § 5[46]. Si le sang ne peut être pris pour différence, il ne restera plus que la seule et même différence pour les deux. Il faut donc conclure de ceci qu’il ne se peut pas que la privation constitue une différence. Les différences seront au même nombre que les individus-animaux ; et s’ils sont indivisibles, et que les différences le soient ainsi qu’eux, il n’y a plus de différence commune. § 6[47]. Mais s’il n’est pas possible qu’une différence commune soit en même temps indivisible, il est évident que, sous le rapport tout au moins de cette différence commune, certains animaux, tout en étant d’espèce différente, seront compris dans la même classe. Une conséquence nécessaire, si les différences sous lesquelles tombent toutes

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les espèces individuelles leur étaient particulièrement applicables, c’est qu’aucune de ces différences ne pourrait être commune. Sinon des animaux, tout en étant autres, rentreraient dans la même différence. Or, il ne faut ni qu’un être qui reste le même et qui est indivisible puisse aller d’une différence à une autre différence dans les divisions que l’on fait, ni que des êtres différents rentrent dans la même division ; mais il faut que tous soient compris dans ces différences sans distinction.

§ 7[48]. On voit donc clairement qu’on ne peut atteindre les espèces indivisibles avec la méthode qui consiste à diviser toujours par deux les animaux, ou tout autre genre d’objets ; car selon cette méthode, il faut nécessairement que les dernières différences soient en un nombre égal à celui de tous les animaux qui sont

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spécifiquement indivisibles. Ainsi, un certain genre étant donné dont les différences premières seraient la blancheur de certains êtres, l’un et l’autre membre de la division ayant encore d’autres différences, et ce procédé étant poussé ainsi jusqu’aux individus eux-mêmes, les dernières différences seront au nombre de quatre, Ou en tel autre nombre, en doublant toujours à partir de l’unité. Les espèces aussi seraient donc également nombreuses. § 8[49]. Mais la différence n’est que l’espèce dans la matière, puisque aucune partie de l’animal ne peut exister sans matière, pas plus que la matière ne peut exister toute seule. Un animal ne peut pas exister en ayant un corps fait au hasard et d’une façon quelconque, non plus qu’aucun de ses organes ne peut existera cette condition, ainsi que nous l’avons répété bien souvent. § 9[50]. Il faut encore que la division porte sur les éléments compris dans l’essence

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même et non pas sur de simples attributs de la chose en soi ; et par exemple, si ce sont les figures géométriques qu’on divise, il faut dire que les unes ont leurs angles égaux à deux droits, et que les autres les ont égaux à plus de deux ; car ce n’est qu’un attribut accidentel du triangle d’avoir ses angles égaux à deux angles droits. § 10[51]. On peut encore diviser par les opposés ; car les opposés sont différents les uns des autres, comme le sont le blanc et le noir, le droit et le courbe. Si tous les deux sont différents, l’opposé peut servir à la division ; mais l’on ne pourrait pas diviser si l’un des opposés était, par exemple, la natation, et que l’autre fût la couleur.

§ 11[52]. Il faut dire en outre que les êtres animés ne peuvent pas être classés selon les fonctions qui sont communes

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au corps et à l’âme, ainsi qu’on le fait dans les divisions qui viennent d’être indiquées, quand on les classe en êtres qui marchent sur le sol et en êtres qui volent ; car il y a des genres où ces deux organisations se réunissent, et qui sont à la fois pourvus d’ailes et privés d’ailes, comme l’est le genre des fourmis. § 12[53]. Mais on peut encore moins diviser les animaux en animaux sauvages et en animaux privés ; car ici encore on semblerait séparer et diviser des espèces qui pourtant sont les mêmes, puisque tous les animaux privés peuvent tous à peu près se trouver aussi à l’état sauvage : hommes, chevaux, bœufs, chiens de l’Inde, porcs, chèvres, moutons. Chacun d’eux a beau recevoir un nom homonyme, il n’a pas cependant été classé séparément, et s’ils ne forment

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réellement qu’une seule espèce, le sauvage et le privé ne peuvent constituer une différence.

§ 13[54]. Voilà les conséquences où l’on aboutit nécessairement en ne divisant une différence quelconque qu’une seule fois. Ce qu’il faut essayer de faire au contraire, c’est de prendre les animaux genre à genre, comme le fait le vulgaire, qui se contente de distinguer, par exemple, le genre de l’oiseau et le genre du poisson. On reconnaît alors dans l’un et dans l’autre des différences nombreuses, sans recourir à la dichotomie. En suivant cette méthode, ou l’on ne pourra pas du tout arriver à classer les êtres, parce que le même animal se trouvera rangé dans plusieurs divisions, et que les contraires rentreront dans la même division ; ou bien, il n’y aura plus qu’une seule et unique différence ; et cette différence elle-même, qu’elle soit simple ou qu’elle soit complexe, formera

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l’espèce dernière. Comme l’on ne peut pas faire une différence de différence, il y aura une autre nécessité : à savoir, que de même que, dans une phrase on constitue l’unité par une conjonction qui enjoint les parties, de même ici il faudra rendre la division continue par un procédé analogue. § 14[55]. Je veux dire que c’est là ce qu’on fait, quand après avoir divisé un genre en non-ailé et en ailé, on divise ensuite le genre ailé en sauvage et en domestique, ou bien encore en blanc et en noir. La différence du genre ailé n’est pas le genre domestique, pas plus que ce n’est le Blanc ; c’est le principe d’une tout autre différence, et ici ce n’est qu’un pur accident. Aussi est-ce par plusieurs différences qu’il faut distinguer tout d’abord, ainsi que nous le prétendons, l’être unique dont il s’agit, parce qu’alors les privations mêmes peuvent fournir une différence, tandis qu’elles n’en fournissent pas dans la division par deux, dans la dichotomie.

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§ 15[56]. Qu’il soit impossible d’atteindre aucune espèce individuelle quand on ne fait que diviser le genre en deux, comme se le sont imaginé quelques philosophes, c’est ce que prouvent encore d’autres arguments. D’abord, il ne se peut pas qu’il n’y ait qu’une seule différence pour les espèces ainsi divisées, soit qu’on les prenne séparément, soit qu’on les prenne réunies. Par Séparément, j’entends qu’elles n’aient point de différences, par exemple les fissipèdes ; et par Réunies, j’entends qu’elles ont une différence comme celle qui distingue l’animal dont le pied a plusieurs divisions de l’animal dont le pied n’en a

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qu’une seule. § 16[57]. C’est là ce qu’exige en effet la continuité des différences sorties du genre par voie de division, de manière à ce que le tout forme une unité véritable. Mais en dépit de ce que l’on énonce, il semble bien qu’il ne reste plus absolument que la dernière différence toute seule, par exemple, celle d’animal dont le pied a plusieurs divisions, ou celle de bipède ; et alors, les distinctions d’animal Pourvu de pieds et d’animal à plusieurs pieds deviennent tout à fait inutiles. Il est évident qu’il ne peut pas y avoir plusieurs différences de ce genre ; car en avançant toujours sur cette route, on arrivera bien à une différence extrême, mais ce n’est pas encore, ni la différence dernière, ni l’espèce. Cette différence dernière est la seule distinction d’animal à Pieds divisés ; ou la complexité totale, s’il s’agit de la division relative à

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l’homme, comme, par exemple, si l’on faisait cette accumulation : Pourvu de pieds, Pourvu de deux pieds, Pourvu de pieds divisés. § 17[58]. Si l’on disait simplement : L’homme est un animal dont les pieds sont divisés, ce serait bien alors la différence unique de l’homme, et ce serait ce qu’on cherche. Mais comme ce n’est pas ce qu’on fait ici, il faut nécessairement qu’il y ait plusieurs différences, mais qui ne rentrent plus sous une seule division ; or, il n’est pas possible que sous une seule division par deux, il y ait plusieurs différences pour une seule et même chose ; mais il ne peut y en avoir qu’une pour une.

§ 18[59]. Ainsi, en résumé, il est de toute impossibilité, avec la division par deux, d’atteindre un être particulier quelconque.

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CHAPITRE IV

De la véritable méthode en histoire naturelle ; les genres se constituent par les simples différences en plus et en moins ; les différences de simple analogie séparent et isolent les genres ; exemples divers ; la classification ne peut pas descendre jusqu’aux individus ; importance de la configuration des parties et du corps entier ; importance relative des dimensions plus ou moins grandes. — Résumé sur la méthode à suivre en histoire naturelle.

§ 1[60]. On peut se demander comment il se fait que les hommes n’aient pas tout d’abord, et dès longtemps, renfermé et compris sous un seul nom, tout un genre qui aurait embrassé à la fois les animaux aquatiques et les animaux volatiles ; c’eût été possible, parce que ces deux ordres d’animaux ont entre eux quelques propriétés communes, comme en ont aussi tous les autres animaux. § 2[61]. Néanmoins, la division ordinaire

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est bien faite, et elle est régulière telle qu’elle est ; car tous les genres qui ne diffèrent entre eux que par une certaine quantité, c’est-à-dire en plus et en moins, sont réunis sous un seul genre supérieur ; mais ceux qui n’ont que des rapports d’analogie sont essentiellement séparés. Je veux dire, par exemple, qu’un oiseau ne diffère d’un autre oiseau que du plus au moins, ou par une supériorité de grosseur, puisque l’un peut en effet avoir des ailes plus larges et que l’autre peut les avoir plus courtes. Au contraire, les poissons diffèrent des oiseaux par des rapports d’analogie ; et par exemple ce qui est la plume pour l’un est l’écaille pour l’autre. § 3[62]. Mais il n’est pas toujours facile de faire cette distinction, parce que l’analogie se trouve être la même pour un très-grand nombre

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d’animaux. En effet, comme les espèces dernières sont des substances individuelles, et que ces substances ne présentent plus entre elles de différences spécifiques, par exemple, Socrate, Coriscus, etc., il devient nécessaire d’exprimer en premier lieu leurs attributs universels ; ou bien, l’on s’exposerait à des répétitions sans fin, ainsi que nous l’avons déjà dit. Les termes universels sont des termes communs, puisque nous appelons du nom d’universaux les attributs applicables à plusieurs objets. § 4[63]. Le seul doute en ceci, c’est de savoir comment il convient de procéder. Comme c’est l’être qui est indivisible spécifiquement qui est substance, le mieux serait de pouvoir étudier à part chacun des êtres particuliers et des êtres indivisibles spécifiquement, aussi bien pour le genre oiseau, par exemple, que pour le genre homme ; car le genre oiseau a de nombreuses espèces. § 5[64]. Mais étudier à part une individualité spécifique d’oiseau quelconque, le

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moineau, la grue ou tel autre oiseau, ce serait s’exposer à se répéter bien souvent en étudiant la même fonction, parce qu’elle peut être l’attribut commun de plusieurs espèces d’animaux. Il est donc assez peu raisonnable et bien long de traiter séparément ce qui concerne chaque espèce d’animaux. Peut-être, la méthode la meilleure c’est de traiter les propriétés communes de chaque genre, en acceptant tout ce que les hommes en ont pu en dire d’exact, et de réunir les êtres qui ont une seule et unique nature commune, et qui ont des espèces où les êtres sont peu distants entre eux, comme en ont l’oiseau et le poisson. On appliquerait la même méthode à telle autre propriété qui serait encore anonyme, mais qui en genre comprendrait également des espèces. Tout ce qui n’est

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pas cela est individuel et isolé, comme l’est un individu, l’homme, ou tel autre être pris individuellement..

§ 6[65]. C’est presque uniquement d’après la configuration des parties et d’après celle du corps entier, du moment qu’il y a ressemblance, qu’on peut classifier les genres, comme par exemple le genre des oiseaux les uns par rapport aux autres, ou le genre des poissons, des mollusques et des crustacés. Dans chacun de ces genres, les parties ne diffèrent pas parce que la ressemblance n’y est que de l’analogie, comme, dans l’homme comparé au poisson, l’os diffère de l’arête ; mais la différence ne porte bien plutôt que sur de simples modifications corporelles, la grandeur et la petitesse, la mollesse et la dureté, la surface lisse ou rugueuse, et telles autres qualités de cet ordre ; en un mot, la différence n’est qu’entre le plus et le moins.

§ 7[66]. On doit donc voir maintenant quelle est la méthode

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qu’il convient d’adopter pour l’étude de la nature, et quelle est la marche à la fois la plus directe et la plus facile pour observer les phénomènes. Nous avons montré aussi, pour la méthode de division, qu’on peut en tirer un parti utile, en sachant l’appliquer ; mais nous avons prouvé comment la dichotomie, ou la division par deux, est, tantôt impossible, tantôt absolument vaine. Ces points une fois fixés, passons à d’autres considérations qui sont la suite de ce qui précède, et remontons pour les exposer à un principe que nous allons indiquer.

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CHAPITRE V

Des choses éternelles et des choses passagères ; difficulté et grandeur des premières ; facilité et intérêt des secondes ; ces deux études sont également admirables ; de l’étude de l’histoire naturelle ; il y a toujours à admirer dans la nature ; mot d’Héraclite sur la présence des dieux partout ; rien n’est à dédaigner dans l’étude de la nature, toujours prévoyante et toujours intelligente ; de la méthode à suivre dans l’histoire naturelle ; constater d’abord les faits et essayer ensuite de remonter à leurs causes ; qualités communes à tous les animaux ; qualités spéciales à quelques-uns ; définition de quelques expressions dont l’emploi devra être fréquent en histoire naturelle. — Résumé de cette introduction.

§ 1[67]. Ce principe nouveau, c’est que, parmi les substances dont la nature se compose, les unes, étant incréées et impérissables, existent de toute éternité, tandis que les autres sont sujettes à naître et à périr. Quelque admirables et quelque divines que soient

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les choses impérissables, nos observations se trouvent, en ce qui les regarde, être bien incomplètes. Pour elles, nos sens nous révèlent excessivement peu de choses qui puissent nous les faire connaître, et répondre à notre ardent désir de les comprendre. § 2[68]. Au contraire, pour les substances mortelles, plantes et animaux, nous avons bien plus de moyens d’information, parce que nous vivons au milieu d’elles ; et que, si l’on veut appliquer à ces observations le travail indispensable qu’elles exigent, on peut en apprendre fort long sur les réalités de tout genre. § 3[69]. D’ailleurs

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ces deux études, bien que différentes, ont chacune leur attrait. Pour les choses éternelles, dans quelque faible mesure que nous puissions les atteindre et y toucher, le peu que nous en apprenons nous cause, grâce à la sublimité de ce savoir, bien plus de plaisir que tout ce qui nous environne, de même que, pour les choses que nous aimons, la vue du plus insignifiant et du moindre objet nous est mille fois plus douce que la vue prolongée des objets les plus variés et les plus beaux. Quant à l’étude des substances périssables, comme elle nous permet tout ensemble de connaître mieux les choses et d’en connaître un plus grand nombre, elle passe pour être le comble de la science ;

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et comme, d’autre part, les choses mortelles sont plus conformes à notre nature et nous sont plus familières, cette dernière étude devient presque la rivale de la philosophie des choses divines. Mais, ayant déjà traité de ce grand sujet et ayant exposé ce que nous en pensons, il ne nous reste plus ici qu’à parler de la nature animée, en ne négligeant, autant qu’il dépendra de nous, aucun détail, quelque bas ou quelque relevé qu’il soit. § 4[70]. C’est qu’en effet, même dans ceux de ces détails qui peuvent ne pas flatter nos sens, la nature a si bien organisé les êtres qu’elle nous procure, à les contempler, d’inexprimables jouissances, pour peu qu’on sache remonter aux causes et

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qu’on soit réellement philosophe. Quelle contradiction et quelle folie ne serait-ce donc pas de se complaire à regarder de simples copies de ces êtres, en admirant l’art ingénieux qui les produit, en peinture ou en sculpture, et de ne point se passionner encore plus vivement pour la réalité de ces êtres que crée la nature, et dont il nous est donné de pouvoir comprendre le but !

§ 5[71]. Aussi, ce serait une vraie puérilité que de reculer devant l’étude des êtres les plus infimes. Car dans toutes les œuvres de la nature, il y a toujours place pour l’admiration, et l’on peut leur appliquer à toutes sans exception le mot qu’on prête à Héraclite, répondant aux étrangers qui étaient venus pour le voir et s’entretenir avec lui. Comme en l’abordant, ils le trouvèrent qui se chauffait au feu de la cuisine : « Entrez sans crainte, entrez toujours, » leur dit le philosophe, « les Dieux sont ici comme partout. » § 6[72]. De même, dans l’étude des animaux, quels qu’ils

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soient, nous ne devons jamais détourner nos regards dédaigneux, parce que, dans tous indistinctement, il y a quelque chose de la puissance de la nature et de sa beauté. Il n’y a jamais de hasard dans les œuvres qu’elle nous présente. Toujours ces œuvres ont en vue une certaine fin ; et il n’y a rien au monde où le caractère de cause finale éclate plus éminemment qu’en elles. Or la fin en vue de laquelle une chose subsiste ou se produit, est précisément ce qui constitue pour cette chose sa beauté et sa perfection.

§ 7[73]. Que si quelqu’un était porté à mépriser comme au-dessous de lui l’étude des autres animaux, qu’il sache que ce serait aussi se mépriser soi-même ; car ce n’est pas sans la plus grande répugnance qu’on parvient à connaître l’organisation de l’homme, sang, chairs, os, veines et tant d’autres parties du genre de celles-là. De même il faut encore penser, quand on

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s’occupe d’une partie du corps ou d’un organe quelconque, qu’on ne doit pas seulement faire mention de la matière et ne songer qu’à elle, mais qu’on doit s’attacher à la forme totale de l’être qu’on étudie, de même qu’à l’occasion on parle de la maison tout entière, et non pas uniquement des moellons, du ciment et des bois qui la composent. C’est ainsi qu’en étudiant la nature, il faut s’occuper de la composition totale des êtres et de toute leur substance, et non pas uniquement de ces attributs qui ne sauraient subsister séparément de leur substance même. § 8[74]. Le premier soin doit donc être de discerner et d’exposer pour chaque genre d’animaux les conditions qui s’appliquent en soi et essentiellement à tous les animaux en général, et de ne songer qu’ensuite à scruter les causes de tous ces faits. Antérieurement, nous avons dit que beaucoup de choses sont communes à une foule d’animaux, tantôt d’une manière absolue comme les pieds, les ailes, les écailles, ainsi que tant d’autres modifications semblables ; et tantôt les choses communes ne le sont que par simple analogie. § 9[75]. J’entends

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par Analogie que certains animaux ont, par exemple, un poumon, tandis que certains autres animaux n’en ont pas, mais qu’ils ont un autre organe à la place du poumon qu’ont les premiers. De même encore, ceux-ci ont du sang ; ceux-là ont un liquide analogue, qui remplit le même rôle que le sang chez les animaux qui en ont. Nous devons dire encore de nouveau qu’on s’exposerait à de fréquentes répétitions, si l’on traitait séparément de chaque phénomène dans chaque genre particulier, puisque nous avons à parler de tous les organes essentiels, et que les mêmes organes se retrouvent chez un grand nombre d’animaux.

§ 10[76]. Voici donc comment on peut résoudre cette difficulté. Comme tout organe a certain but, et que chacune des parties du corps a son but également, lequel but est une fonction d’un certain genre, il en résulte évidemment que le corps tout entier a été constitué en vue d’une certaine fonction qui comprend

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toutes les autres. En effet le sciage, par exemple, n’est pas fait en vue de la scie qui l’opère ; mais tout au contraire c’est la scie qui est faite en vue du sciage, puisque le sciage n’est que l’emploi pratique de la scie. § 11[77]. De même, le corps a été fait on peut dire en vue de l’âme, et les parties sont faites pour les fonctions qu’elles remplissent d’après la règle que la nature a établie pour chacune d’elles. Il s’ensuit qu’en premier lieu il faut parler des fonctions qui sont communes à tous les animaux, puis des fonctions propres au genre, et enfin des fonctions propres à l’espèce. Par fonctions communes, j’entends celles qu’accomplissent tous les animaux sans exception ; les fonctions propres au genre sont toutes celles où nous n’observons que des différences plus marquées chez les uns, moins marquées chez les autres ; et par exemple, je prends l’oiseau considéré dans son genre, et l’homme considéré dans son espèce, avec tout ce

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qui ne présente plus la moindre différence, sous le rapport de la définition générale de l’être.

§ 12[78]. Puis, tels animaux n’ont rien de commun entre eux que par analogie ; d’autres sont communs en genre ; d’autres le sont en espèce. Lors donc que les fonctions ont un autre but, il est clair que les êtres qui accomplissent ces fonctions sont éloignés les uns des autres de la même distance que le sont les fonctions elles-mêmes. Pareillement encore, si certaines fonctions sont antérieures à certaines autres, et si elles ont d’autres fonctions pour objet, les parties diverses dont ces fonctions relèvent doivent être dans le même rapport entre elles ; et toutes ces conditions étant réalisées, il en sort nécessairement ce troisième résultat, que l’animal peut vivre. § 13[79]. J’entends par les modifications et les fonctions de l’animal celles-ci par exemple : la naissance, le développement, l’accouplement, la veille, le sommeil, la locomotion, et tant d’autres phénomènes de cet ordre qui se retrouvent chez les animaux. Par parties, j’entends le nez, l’œil, le visage entier, chacune pouvant d’ailleurs recevoir

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le nom de membre. Mêmes remarques sur tout le reste.

§ 14[80]. Tel est l’exposé de la méthode que nous comptons suivre ; avec elle, nous allons essayer d’expliquer les causes de tous ces faits, soit en traitant des propriétés communes, soit en traitant des propriétés spéciales ; et nous commencerons tout d’abord par les premières, ainsi que nous l’avons indiqué déjà.

  1. Toute étude….. toute exposition méthodique… La règle que donne ici Aristote est tout à fait générale ; elle s’applique à tout ouvrage d’esprit, quel qu’il soit ; et elle est aussi pratique aujourd’hui qu’elle pouvait l’être chez les Grecs. Il est toujours possible de juger la forme indépendamment du fond ; et l’on peut très-bien ne rien savoir en histoire naturelle et apprécier cependant à coup sûr la valeur d’un ouvrage de zoologie, si l’on se borne à rechercher s’il est bien ou mal composé. Il suffit alors, comme le dit Aristote, d’avoir reçu une bonne éducation, qui vous a inculqué les règles essentielles de la logique et du goût.— Deux faces différentes. C’est le fond et la forme ; cette dernière est justiciable de tout esprit éclairé ; l’autre, c’est-à-dire le fond, ne l’est que des juges compétents et des savants spéciaux. — La science même de la chose. C’est le fond. — D’instruction générale. J’ai ajouté ce dernier mot pour rendre toute la force du mot grec, qui se rapporte plus particulièrement à l’instruction donnée à la jeunesse.
  2. Quant à la forme. Cette idée est implicitement comprise dans l’expression dont se sert le texte ; il m’a semblé indispensable de la préciser. — C’est même à ce signe. Aujourd’hui encore, nous n’avons pas imaginé de meilleur critérium pour juger si quelqu’un est instruit, on s’il ne l’est pas. — Numériquement parlant. C’est la traduction exacte du texte ; mais l’expression peut paraître un peu singulière ; il n’était pas besoin de la préciser autant. — Avoir aussi l’instruction dont on vient de parler. Cette pensée est juste ; mais elle n’est peut-être pas dans le texte aussi nette que j’ai dû la faire dans ma traduction.
  3. Si c’est bien la vérité. C’est la question de fond, à côté de la question de forme. — De telle façon ou de telle autre, l’expression peut paraître un peu De telle façon ou de telle autre. Ceci est spécialement le devoir du naturaliste. — Par exemple. En effet la question posée ici par Aristote est fort claire et peut servir d’exemple. — Chaque être substantiel. Le texte dit : « Chaque substance ». — Absolument qu’en lui-même. Sans tenir compte de ce que cet être peut avoir de commun avec les êtres dont l’organisation est semblable à la sienne, ou du moins est très-voisine de la sienne. — En une exposition commune. C’est à cette méthode que se sont arrêtés tous les grands naturalistes, Cuvier tout le premier, comme on peut le voir dans son Anatomie comparée. Il se décide pour l’exposition générale et commune des organes et de leurs fonctions, étudiant successivement les organes du mouvement, os et muscles, les nerfs, les sens, la digestion, la circulation, la respiration, la voix, et enfin la génération. On peut dire, sans rien exagérer, que l’ordre suivi par Cuvier et par tant d’autres est l’ordre même que traçait Aristote deux mille deux cents ans avant lui. Cuvier n’a pas consulté le naturaliste grec sans doute ; mais en face de la réalité, il a résolu le problème agrandi, comme Aristote le résolvait dans des limites plus étroites.
  4. . Beaucoup de fonctions. C’est là un fait de toute évidence ; les fonctions qu’Aristote énumère sont en effet communes à tous les animaux. — Une foule d’autres fonctions. L’étude de ces autres fonctions remplira les trois livres suivants du Traité des Parties ; Aristote a même consacré à quelques-unes d’entre elles des ouvrages spéciaux ; voir les Parva naturalia, Opuscules psychologiques, dans ma traduction, où se trouvent les traités du Mouvement dans les Animaux, de la Veille et du Sommeil, de la Vieillesse et de la Mort, de la Respiration, etc., etc. — Omettre pour le moment. Comme étrangers au présent traité, mais auxquels Aristote a pris soin de revenir plus tard. — D’une façon obscure et indécise. Nouvelle preuve, après tant d’autres, de l’excellente méthode qu’Aristote s’était tracée, et qu’il a toujours rigoureusement suivie.
  5. . Répéter à tout moment les mêmes choses. Ce serait en réalité un inconvénient insupportable, et la science proprement dite ne serait pas possible, parce que la science ne se constitue que par la généralité de ses observations. Voir le début de la Métaphysique, sur les conditions de la science et de l’art. Voir aussi Cuvier, Ire Leçon d’Anatomie comparée, page 10, édit. de l’an VIII ; et l’Introduction au Règne animal, pages 17 et 47, édit. de 1829. — Entre elles. Le texte n’est pas tout à fait aussi précis.
  6. La locomotion. Toute la première partie de l’Anatomie comparée de Cuvier est consacrée à l’étude du mouvement et des organes par lesquels le mouvement se produit dans toute la série animale. — Entre le vol. Ce sont les oiseaux. — La natation. Ce sont les poissons. — La marche. Ce sont les quadrupèdes. — La reptation. Ce sont les reptiles. Mais d’une manière générale ce n’est que la fonction du mouvement, variant selon les milieux et les organisations. Voir Cuvier, Anatomie comparée, vue leçon.
  7. Étudier par genre les fonctions communes. C’est la méthode qu’Aristote adopte ; et c’est aussi celle de Cuvier, qui, après avoir décrit la fonction générale, la considère ensuite dans l’homme, dans les mammifères, dans les oiseaux, dans les reptiles, dans les poissons, mollusques, crustacés, insectes, zoophytes, etc., etc. — Chaque animal considéré isolément. Voir plus haut, § 5, où cette méthode est déjà repoussée. Un point qui n’est pas encore fixé. Au § 5, ce point de théorie paraît entièrement décidé. — Que cet autre point… Le texte n’est pas aussi précis ; mais le sens n’est pas douteux. — Dans leurs démonstrations d’astronomie. Au temps d’Aristote, l’astronomie avait déjà fait de grands progrès ; et le XIIe livre de la Métaphysique, chap. VIII, §§ 10 et 12, de ma traduction, suffirait seul à le prouver. Quant à la méthode des mathématiciens, dont Aristote paraît faire si grand cas, on doit s’en rapporter à lui, excellent juge en ces matières. Il paraît d’ailleurs que la méthode vantée ici par lui n’est au fond que la sienne ; et c’est la vraie : Observer d’abord les faits le plus complètement possible, et fonder la théorie sur l’observation. — Constater d’abord tous les faits. Aristote n’a jamais fait autre chose ; et les Modernes, qui ont cru découvrir la méthode d’observation, se sont trompés. Elle avait été comprise et pratiquée admirablement deux mille ans avant Bâcon, son inventeur soi-disant. — Expliquer ensuite le pourquoi et les causes. La science qui ne va pas jusque-là manque son véritable but, qui est de comprendre les choses ; elle se réduit alors à n’être qu’un savant recueil de faits curieux ou de faits matériellement utiles ; elle n’est plus qu’une recherche industrielle ou puérile. Aujourd’hui, il est de mode de proscrire les causes finales ; on reviendra de cette profonde erreur, que les grands esprits de notre temps n’ont pas partagée. Cuvier a cru toujours aux causes finales aussi fermement qu’Aristote lui-même ; il n’est pas une page de son Anatomie comparée, où il ne revienne à ce grand et infaillible principe : « La Nature ne fait rien en vain ». Voir aussi l’ouvrage de M. Paul Janet, sur les Causes finales.
  8. Bien des causes. Il y a selon Aristote quatre causes, bien qu’ici il n’en énumère que deux ; voir la Métaphysique, livre I, ch. VII, § 67, de ma traduction. — Faut-il s’occuper aussi de ces causes. Aristote répond affirmativement à cette question. — La première de toutes les causes… la cause finale. Ceci ne fait pas de doute, puisque la fin des choses est ce pour quoi tout le reste est fait. — La raison est un principe. Cette proposition est aussi évidente que l’autre. — Des productions de l’art… celles de la nature. Le rapprochement est fort juste ; et dans l’art, qui est l’œuvre de l’homme, c’est à la cause finale que tout le reste est subordonné, aussi bien que dans les œuvres de la nature. — La réflexion… la simple observation sensible. C’est toujours l’opposition de la théorie et de la réalité matérielle. — Le médecin….. l’architecte. Ce sont des exemples fort clairs, auxquels Aristote se plaît à revenir souvent.
  9. Se manifeste….. bien plus encore. La remarque est profonde, et il y a ici toute la différence entre les ouvriers : d’une part, l’homme ; et d’autre part, le fini et l’infini. — La nécessité ne s’applique pas… le mot de Nécessaire. Voir, dans la Métaphysique surtout, la distinction qu’Aristote fait toujours des deux nuances du Nécessaire : le Nécessaire absolu et le Nécessaire hypothétique, Métaphysique, liv. V, ch. V, p. 108, de ma traduction. — Résultant d’une hypothèse. Une fin étant posée, il est nécessaire de remplir certaines conditions pour l’atteindre. Pour arriver à construire une maison, il est nécessaire d’avoir des matériaux d’une certaine espèce ; sans quoi, la maison ne peut se réaliser ; mais si les matériaux sont nécessaires pour construire la maison, on ne peut pas dire que la maison elle-même soit nécessaire.
  10. La fin qu’on poursuit… le résultat. Il n’y a rien d’absolument nécessaire dans l’un ni dans l’autre ; mais les moyens à employer sont nécessaires pour atteindre le but qu’on se propose.
  11. Pour les phénomènes naturels. Pour les faits de la nature, il y a également une nécessité hypothétique, c’est-à-dire que, la nature se proposant une certaine fin, il faut qu’elle emploie nécessairement certains organes et certains procédés, pour l’atteindre ; c’est ce que Cuvier a si bien appelé les Conditions d’existence ; voir ma Préface à l’Histoire des Animaux, tome I, p. CXXIV. — Dans d’autres ouvrages. C’est sans doute la Métaphysique que l’auteur veut désigner, loc. cit., et aussi la Physique, liv. II, ch. VIII, p. 58 de ma traduction. Mais l’indication est bien vague, et on aurait pu préciser davantage. — Ce qui est. En d’autres termes, l’observation de la réalité. Dans l’art, au contraire, l’homme est le créateur secondaire, et il lui est donné de produire quelque chose en sous-ordre. — Il ne s’ensuit pas… La pensée n’est pas aussi nette qu’on pourrait le désirer.
  12. De rattacher à l’éternel. Ici encore la pensée n’est pas assez développée ; il est vrai que l’auteur renvoie à d’autres ouvrages, où elle l’était peut-être davantage ; voir plus haut § 9. Les choses éternelles sont nécessaires aussi d’une manière absolue, tandis que, dans les choses périssables, la nécessité n’est qu’hypothétique. — Ailleurs. Voir le § précédent. — Nous y avons indiqué… Ceci peut se rapporter a la Métaphysique, et a la Physique également ; mais c’est surtout à ce dernier ouvrage, liv. II, ch. IX, p. 61 et suiv. de ma traduction.
  13. Les philosophes antérieurs. C’est donc une réforme qu’Aristote veut recommander ; et en histoire naturelle, il a tenu le plus grand compte des opinions de ses devanciers, aussi bien que dans tout le reste. — Au début… maintenant. Le texte n’est pas tout à fait aussi précis ; mais le sens des mots que j’ai ajoutés est impliqué dans l’expression grecque. Comment elles sont. Ce sont là des faits qu’on peut observer, tandis que l’origine des choses, accessible à notre raison en une certaine mesure, échappe absolument à notre observation, puisqu’elle est à jamais disparue. — Ces méthodes ne diffèrent pas médiocrement. Il y a entre elles toute la distance de la théorie à la réalité, de l’esprit de l’homme à l’œuvre actuelle de la nature. — Ainsi que nous l’avons déjà dit. Voir plus haut § 7, où cette pensée est déjà exprimée, et dans une foule de passages d’autres traités d’Aristote. — D’abord recueillir les faits. Il est impossible de s’exprimer plus nettement sur ce point capital ; et aujourd’hui nous ne saurions dire mieux. — En dire les causes. Ou en d’autres termes : En faire la théorie et en donner l’explication.
  14. Dans la construction d’une maison. Voir plus haut, § 10. — La production des choses. L’exemple de la maison est de la dernière évidence. L’idée de la maison, conçue par l’esprit de l’architecte, ne peut être réalisée qu’à certaines conditions, qui sont dès lors nécessaires. — De ce que ces choses sont essentiellement. Au fond, cette théorie se rapproche beaucoup de la théorie des Idées platoniciennes. — Leur essence ne dépend pas du tout de leur production. L’idée de la maison n’en subsiste pas moins, que la maison soit faite, ou qu’elle ne soit pas faite réellement.
  15. Empédocle. Ce passage est le seul où Aristote parle de cette opinion d’Empédocle sur la formation des vertèbres. Il faisait d’ailleurs assez grand cas du philosophe sicilien, comme on peut le voir dans la Physique, liv. II, ch. VIII, pages 52 et suiv. de ma traduction, et dans la Métaphysique, liv. I, ch. VII, et suiv. Plus loin, Empédocle est encore cité deux fois dans le premier livre du Traité des Parties, et dans le premier chapitre § 36, et liv. II, ch. II, § 8. Empédocle est très fréquemment nommé dans le Traité de la Génération, notamment dans le second et le quatrième livres. — Dès leur origine. Cette théorie générale d’Empédocle est rappelée et critiquée dans la Physique, liv. I, ch. V, § 8, et liv. II, ch. VIII, § 3. — Parce qu’en se tournant sur elle-même. On pourrait comprendre encore que c’est l’animal qui aurait tourné sur lui-même, et non la colonne vertébrale, ou râchis. — Oublié et méconnu. Il n’y a qu’un mot dans le texte. — Avec une puissance relative à son objet. C’est là encore l’objection qu’on pourrait faire de nos jours aux partisans de l’évolutionnisme, et de la cellule ou Monère. Voir la Préface à l’Histoire des Animaux, p. CXXX. — Dans le temps. C’est-à-dire substantiellement et matériellement. — C’est l’homme qui engendre l’homme. Formule fréquemment employée par Aristote, pour affirmer que l’être complet existe avant le germe qu’il produit, et qui doit donner plus tard un être semblable et aussi développé. Voir l’Histoire des Animaux, liv. V, ch. XII, § 16.
  16. D’une façon toute spontanée… les productions de l’art. Voir, sur cette opposition, la Physique, liv. II, ch. VIII, pages 52 et suiv. de ma traduction. La pensée de l’auteur n’est pas d’ailleurs très-claire ; elle n’est pas assez développée. La comparaison entre les produits de l’art, et les accidents même heureux que le hasard peut amener, ne semble pas très-juste. — Un producteur semblable à l’être produit. C’est là un principe que la zoologie moderne admet généralement, aussi bien que l’admettait Aristote ; la vie, dans l’état actuel des choses, vient toujours de la vie ; c’est un être vivant qui la transmet à un autre. Voir la Préface à l’Histoire des Animaux, page CIV. Voir aussi Cuvier, Anatomie comparée, première leçon, page 6, édit. de l’an VIII, et Règne animal, tome I, page 15, deuxième édit. — Comme dans la sculpture. Où l’artiste précède nécessairement l’œuvre qu’il produit. — De même pour les choses que le hasard produit. Ceci ne se comprend pas, et il semble qu’il y a là quelque contradiction avec ce qui précède, à moins que l’on ne suppose, sous le hasard apparent, l’action cachée, mais toujours intelligente, de la nature.
  17. L’essence de l’homme. Il y a encore dans cette théorie aristotélique quelque chose de la théorie Platonicienne des Idées. — Sans ces organes et ces conditions. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte. On peut comparer, à ces considérations d’Aristote, celles de Cuvier saur le principe des conditions d’existence ; voir le Règne animal, t. I, p. 5, 20 édit. Voir la Préface à l’Histoire des Animaux, p. CXXIV. — Ait lieu de telle… Voir un peu plus haut la fin du § 15. — La première de toutes. Selon Aristote, c’est le cœur, qui est le premier de tous les organes à se montrer, et l’embryologie contemporaine est, à cet égard, d’accord avec lui.
  18. . Les anciens philosophes… au principe de la matière. La même critique se retrouve avec beaucoup plus de développements dans la Métaphysique, liv. I, ch. VII, p. 70 et suiv. de ma traduction. — La Discorde… l’Amour. C’est Empédocle. — L’intelligence. C’est Anaxagore. — Le Hasard. C’est peut-être Démocrite. Voir la Métaphysique, liv. I, ch. IV, p. 37 et suiv. de ma traduction.
  19. . Ces philosophes. Il est regrettable que ces philosophes ne soient pas ici désignés plus précisément. — Le monde lui-même. Dans cette théorie, la matière des êtres animés est la même que celle de l’univers. C’est la combinaison des quatre éléments qui forme tout ce qui est. — La production des animaux et des plantes. La chimie contemporaine retrouve à peu près les mêmes éléments, ou plutôt les mêmes corps simples, dans l’organisation des animaux et des plantes. Il n’y a que les rapports qui varient entre le carbone, l’hydrogène, l’oxygène et l’azote et quelques autres corps simples analogues. — L’eau, venant à couler. Ces théories nous semblent sans doute bien grossières ; mais une partie de la science de nos jours y revient ; et elle s’efforce de prouver que la vie est née du concours fortuit de molécules chimiques, agissant mécaniquement les unes sur les autres. — L’air et l’eau… Ce sont les deux systèmes de Diogène d’Apollonie, d’Anaximène, et de Thalès ; voir la Métaphysique, liv. I, ch. III, §§ 14 et 17 de ma traduction.
  20. Les parties similaires. Voir sur cette expression l’Histoire des Animaux, liv. I, ch. I, § 1. — Qui ne sont pas similaires. Id., ibid. — De quels éléments. Purement matériels ; s’en tenir à cette combinaison des éléments, ce serait ne rien expliquer, pas plus que de nos jours on n’expliquerait ce que sont les animaux, chacun en particulier, si l’on se bornait à énumérer les éléments chimiques dont ils sont composés. — De feu ou de terre. L’analyse nécessairement imparfaite des Anciens n’allait pas plus loin que ces distinctions superficielles. — L’idée et la forme. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte ; mais il a les deux sens. — Bien plutôt que la matière. La pensée est fort juste ; et la manière dont elle est exprimée est d’une clarté parfaite. — Du tout et de l’ensemble. Il n’y a encore ici qu’un seul mot dans le grec. On pourrait définir le lit en joignant à l’indication de son idée celle de la matière dont il est fait ; mais cette seconde indication n’est pas du tout nécessaire ; car le lit est toujours un lit, qu’il soit en bois, en airain, ou même en pierre. — Le lit est essentiellement. C’est à cela que doit se borner en effet la définition du lit lui-même. — Dans telle chose. Ou peut-être aussi : « Dans telle matière ». — Sa forme… la figure idéale. J’ai dû ajouter cet adjectif pour rendre toute la force du texte. Cuvier, Règne animal, t. I, p. 11, éd. de 1829, établit aussi que dans le corps vivant la forme est plus essentielle que la matière. Voir plus loin, § 37.
  21. La nature résultant de la forme. J’ai conservé la tournure même du texte, qui est très-claire et qui a l’avantage d’être concise. La forme se confond ici avec la figure idéale, en d’autres termes, avec l’idée essentielle que la définition essaie de réaliser dans ses formules. — La nature matérielle. A laquelle seule s’étaient arrêtés presque tous les philosophes antérieurs. — Il semble que voici sa doctrine. Il faut remarquer cette réserve et cette hésitation d’Aristote ; il n’est pas très-sûr que ce soit bien là l’opinion de Démocrite ; il l’induit sans doute de quelques théories peu précises. — Dit-il… on peut répondre. Le texte n’est pas aussi net ; mais le sens ne peut être douteux.
  22. On peut répondre encore. Même remarque. — Une main soit réellement une main. Exemple dont Aristote se sert très-souvent, et qu’il paraît affectionner. Cet exemple est d’ailleurs décisif. Il n’y a là qu’une homonymie. Voir le début des Catégories, ch. II, § 1. — Une des parties du cadavre. Voir plus haut, § 21, où ce qui est dit de l’animal entier doit s’appliquer également à chacune de ses parties. On peut voir dans Cuvier, première leçon de son Anatomie comparée, des idées analogues à celles-ci, exprimées dans un langage admirable, pour faire comprendre et définir ce que c’est que la vie. Quelques physiologistes ont cru devoir critiquer, mais bien à tort, ce morceau digne de tout éloge.
  23. Par trop simple.. Il y a dans le mot du texte comme une nuance de dédain, que j’ai conservée sans vouloir l’accentuer davantage. Ceci est tout à fait conforme à ce que l’auteur a dit de la philosophie antérieure à Anaxagore, quand il en trace l’histoire dans les premiers chapitres de la Métaphysique. — Pour son travail. Le texte n’est pas aussi explicite. On pourrait le comprendre encore en ce sens que l’ouvrier ferait une main de bois, et nous en parlerait comme d’une main véritable. Les deux sens sont également acceptables. Le texte dit simplement : « Comme l’ouvrier parlerait d’une main en bois ». — Il est bien vrai. Le texte est moins précis. — Le philosophe. Le texte n’a qu’un simple article ; il est probable que ceci s’adresse à Démocrite. — Quel a été son but. De même qu’en étudiant la nature, le philosophe doit arriver, non sans peine, à comprendre quel a été son but dans tout ce qu’elle fait.
  24. Nos philosophes. Le texte n’a qu’une expression tout à fait vague. — De tel animal… chacune de ses parties. Voir plus haut, § 21 et 22. La même méthode s’applique au corps entier de l’animal d’abord, et ensuite à chacune de ses parties, les unes après les autres.
  25. Si donc c’est l’âme. Ici le mot d’âme doit être compris dans le sens de principe vital, de vie, comme il l’est dans le Traité de l’Arne, qu’Aristote a spécialement consacré à cette grande question. Voir le début de l’Anatomie comparée de Cuvier, sur l’idée qu’il faut se faire de la vie, et sur les conditions nombreuses qui la rendent possible et la manifestent actuellement. — Ou une partie de l’âme. Puisque l’animal consiste surtout dans la sensibilité, qui le distingue des plantes. — L’âme une fois disparue. C’est bien la vie dont il s’agit ici. — Aucune de ses parties ne demeure plus la même. Voir la description frappante des transformations hideuses que subit le corps dès que la vie l’a quitté ; Cuvier, loc. cit.Certains êtres. Niobé, par exemple. — Si, dis-je. J’ai conservé cette longue période telle qu’elle est dans le texte, tout en m’efforçant de la faire aussi claire que possible.— Le naturaliste doit parler de l’âme. En d’autres termes : « de la vie ». — Ce point de vue spécial. C’est-à-dire la sensibilité, qui constitue essentiellement l’animal, et qui est la première de toutes ses qualités. — Cette partie toute spéciale. A savoir la sensibilité, qui constitue en effet l’essence de l’animal. — Le mot de Nature. Voir dans la Métaphysique, liv. V, ch. IV, la définition du mot de Nature, p. 102 de ma traduction. — Matière… essence.., mouvement.., but final. Les quatre causes, ou les quatre principes que reconnaît Aristote.
  26. Qui observe et contemple, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — De l’âme plus que de la matière. Ce principe est excellent dans sa généralité, et la science zoologique l’a trop souvent négligé. — Bien plutôt qu’à l’inverse. Le texte s’arrête là, et j’ai cru devoir ajouter ce qui suit, comme développement nécessaire d’une expression trop concise. — L’un et l’autre en puissance. D’où il suit que la matière n’est l’animal qu’en puissance, et que l’âme seule réalise et complète l’animal, qu’elle constitue essentiellement.
  27. Il est vrai qu’on peut se demander. La forme du texte n’est peut-être pas aussi déterminée, — A l’encontre. Le texte dit simplement : « En regardant à ce qu’on vient de dire ». — Dans toute sa généralité. C’est l’objet de la psychologie, et spécialement du Traité de l’Ame, parmi les ouvrages d’Aristote. — Une certaine partie. La sensibilité, à l’exclusion des autres parties. — Comme l’intelligence fait partie des intelligibles. C’est-à-dire que l’intelligence peut se prendre elle-même pour objet de ses études, comme elle peut prendre aussi à cette fin tous les objets extérieurs à elle. — De la science naturelle. En d’autres termes, l’étude de la nature. — L’intelligence et les choses intelligibles. Voir le Traité de l’Ame, liv. III, ch. IV, § 3, pp. 291 et suiv. de ma traduction.
  28. Ce n’est pas toute l’âme. Mais simplement une partie de l’âme, celle qui répond à la volonté, et qui, mettant les muscles en mouvement par l’intermédiaire des nerfs, détermine les mouvements du corps. — Qui est le principe de la croissance. C’est l’âme nutritive, qui se manifeste dans les plantes elles-mêmes. — La partie intellectuelle. Qui est la partie supérieure de l’âme, la faculté de la pensée et, de la réflexion, dont Aristote fait le privilège de l’homme. — La locomotion. Qui appartient indistinctement à la plupart des animaux. Toute la première partie de l’Anatomie comparée de Cuvier est consacrée aux organes du mouvement, comme la seconde l’est aux organes des sensations. — Dans aucun autre être que lui. Voir le début de l’Histoire des Animaux, liv. I, ch. I, § 26, p. 49, de ma traduction.
  29. Qui constitue la nature de l’animal. Le texte dit simplement : « qui est nature ». J’ai cru devoir préciser davantage les choses, et rapporter ceci au sujet même de ce Traité des Parties, c’est-à-dire, la nature spéciale et propre de l’animal. La suite de la pensée semble exiger cette interprétation. — Des choses abstraites. Cette théorie est parfaitement vraie, et la science de l’histoire naturelle se fonde avant tout et exclusivement sur l’observation ; voir la Préface à l’Histoire des Animaux, p. CXIV. — La nature… en vue d’une fin spéciale. Aristote n’a jamais hésité sur ce grand principe des causes finales ; et il l’a répété sous toutes les formes. Cuvier l’a soutenu non moins constamment ; voir encore la Préface à l’Histoire des Animaux, p. CLIX. — Il y a toujours l’art. Plus haut, § 16, Aristote a dit que l’art est la raison de l’œuvre sans la matière. — Quelque autre cause. La cause même de l’univers, que nous induisons de l’observation des choses prises et étudiées dans leur totalité.
  30. L’origine du monde. Voir dans la Métaphysique, liv. XII, ch. VII, § 5, p. 184, et ch. X, p. 209, de ma traduction. — L’origine des êtres mortels. On peut ici n’être pas d’accord avec Aristote ; et il semble en outre qu’il n’est pas tout à fait d’accord avec lui-même, puisque dans la Métaphysique, liv. XII, ch. X, § 2, p. 210, il déclare que tout dans l’univers est soumis à un seul et unique principe, et que tous les êtres mortels, poissons, volatiles et plantes, font partie d’un seul et même ordre. — C’est le changement. Opinion profondément vraie ; elle n’a plus rien de neuf pour nous ; mais du temps d’Aristote, elle devait paraître très-nouvelle et très-frappante. — Nos philosophes. Le texte est un peu plus vague. — Grâce à la nature. C’est prêter à la nature une indépendance qu’elle n’a pas. Dans les animaux aussi bien que dans tout le reste, la nature est soumise à une loi supérieure. — Le monde s’est constitué… au hasard. Aristote a toujours combattu cette explication de l’origine des choses ; et voilà pourquoi il a tant admiré Anaxagore, plaçant l’Intelligence au-dessus de tous les principes purement matériels que les philosophes invoquaient avant lui. — Rien n’est sujet au désordre. Sous une autre forme, c’est le « Cœli enarrnnt gloriam Dei ». Le sens commun est en ceci d’accord avec la philosophie ; et la science est bien aveugle quand elle se met en opposition avec cette unanimité du genre humain et des sages. Voir la Préface à l’Histoire des Animaux, p. CLXVII
  31. Quant à nous. Le texte est un peu moins formel. — Quelque chose de ce genre. Il est difficile de définir la nature mieux qu’elle n’est définie dans ce passage. Soit dans le règne animal, soit dans le règne végétal, l’organisme présente toujours un but qui est atteint par des moyens qui varient, mais qui sont toujours également ingénieux. Il est impossible de méconnaître une intention intelligente, arrivant presque toujours infailliblement à la fin qu’elle se propose. L’œil est fait pour voir ; l’oreille est faite pour entendre ; et ainsi du reste. Supposer que tant de merveilles sont dues au hasard, et qu’elles se produisent fortuitement, c’est sacrifier la raison humaine tout entière et s’insurger follement contre la vérité. Voir l’admirable ouvrage d’Agassiz : De l’espèce et des classifications. — De chacun des germes… de tel corps il sort tel germe. C’est le fondement même de la perpétuité des espèces, si légèrement niée de nos jours. De tel corps, il provient toujours tel germe ; et de ce germe, provient toujours tel être parfaitement déterminé ; autrement, c’est revenir au chaos, imaginé par les premiers philosophes, qui croyaient à la confusion primordiale de toutes choses.
  32. Sans doute, le germe en principe Aujourd’hui nous ne saurions mieux dire ; et les deux aspects sous lesquels on peut envisager le germe sont parfaitement exacts. Le germe produit un certain être ; mais lui-même a été produit par un être antérieur. — Pourtant, il n’en faut pas moins avouer. Le texte n’est pas aussi explicite. — N’est qu’un produit. Peut-être faudrait-il traduire : « N’est qu’un devenir », par opposition au but final, qui répond à un être complet et parfaitement développé. — Aux deux. Le texte ne va pas plus loin. J’ai ajouté la paraphrase qui suit, pour que la pensée fût aussi claire que possible. — Le but et la fin. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — En deux sens. La remarque est très-juste ; et elle est très-nettement exprimée.
  33. N’est qu’en simple puissance. Relativement à l’être qui sort de lui, et qui se développe ensuite complètement, selon son essence. — Nous savons. Voir la Métaphysique, liv. V, ch. XI, § 19. Aristote a d’ailleurs traité très-fréquemment ce sujet ; voir spécialement dans la Métaphysique, liv. IX, ch. III, § 7 et aussi, ch. VI, § 2, et ch. IX, § 5. — La réalité complète. C’est à peu près la paraphrase du mot d’Entéléchie, qui a toujours pour nous quelque chose d’assez étrange.
  34. L’une qui a une fin en vue. C’est une cause intelligente et libre. — Qui vient de la nécessité. Dans le sens, indiqué plus bas, d’une nécessité résultant d’une hypothèse, laquelle n’est pas elle-même nécessaire, mais dont les conséquences le sont. — Dans nos livres sur la Philosophie. Aristote mentionne encore cet important ouvrage dans la Physique, liv. II, ch. II, § 13, p. 16 de ma traduction. Selon Diogène de Laërte, cet ouvrage était en trois livres, liv. V, ch. I, p. 118, édit. Didot. Quelles sont les deux faces de la nécessité dont Aristote y parlait ? C’est à la Métaphysique, loc. cit., qu’il faut demander une réponse, d’ailleurs plus ou moins directe, à cette intéressante question.
  35. . Une troisième espèce de nécessité. C’est la nécessité qu’Aristote appelle très-justement Hypothétique, ou en d’autres termes. Conditionnelle. Cette nécessité résulte de l’hypothèse qu’on s’est posée, et qui exige certaines conditions pour être remplie. Ainsi quand on veut construire une maison, il y a certaines conditions absolument nécessaires pour qu’elle puisse être construite ; mais la maison elle-même n’est pas nécessaire, et l’on peut ne pas la construire. — De la nourriture. On peut dire de la même façon que la nourriture est nécessaire à l’animal, puisqu’il ne peut pas vivre sans elle ; mais l’animal n’est pas plus nécessaire que la maison. L’exemple de la hache et de la vrille donné un peu plus bas s’explique de la même manière. Il n’est pas nécessaire de couper du bois ; mais si l’on se propose d’en couper, il faut nécessairement un instrument de matière dure. — Il y a nécessité que le corps soit fait… C’est la théorie de Cuvier sur les conditions d’existence ; voir la Préface à l’Histoire des Animaux, p. CXXIV. 36. Deux nuances diverses. Ces deux nuances sont celles qui viennent d’être indiquées : telle cause est nécessaire d’une manière absolue ; telle autre ne l’est qu’hypothétiquement. — On doit tenir le plus grand compte. Excellent conseil de méthode, que l’auteur a, pour sa part, toujours essayé d’appliquer. — Sur la nature des choses. Le texte dit simplement : « Sur la nature ». Peut-être serait-il encore mieux de traduire : « Sur la nature des êtres », puisqu’il s’agit d’histoire naturelle. — La nature… la matière. Il est clair que ceci se rapporte plus particulièrement aux animaux. — Empédocle. Voir plus haut, § 15. — Entraîné par la force de la vérité. C’est une expression qui paraît plaire beaucoup à Aristote, et qu’il a employée plus d’une fois ; elle montre bien toute l’importance qu’il attachait à l’observation, méthode recommandée sans cesse par lui. — Le rapport des éléments. Et non plus la matière même de ces éléments. Le rapport proportionnel suppose toujours l’intervention d’une intelligence se proposant un but et réglant le rapport. — Sa définition de l’os. Aristote cite les vers d’Empédocle sur la composition des os dans le Traité de l’Ame, liv. I, ch. V, § 6, p. 150 de ma traduction. — Le rapport de leur mélange. Au lieu de Rapport, on pourrait traduire aussi : « La Raison de leur mélange ». Quelques commentateurs ont même compris qu’il s’agissait ici de l’Idée, qui préside au mélange et qui en mesure la proportion. — À la chair. Aussi bien qu’à l’os, dans les théories d’Empédocle.
  36. Démocrite. Voir dans la Métaphysique, liv. 1, ch. IV et suiv., ce qu’Aristote dit de Démocrite, à qui il ne fait pas une part aussi belle qu’ici. — Grâce à Socrate. Voir la Métaphysique, liv. I, ch. VI, § 3, p. 59 de ma traduction. Dans ce passage, Aristote dit de Socrate à peu près ce qu’il en dit ici, bien que sous une autre forme. Il fait une gloire à Socrate de s’être occupé surtout des définitions. Cette préoccupation se retrouve en effet et éclate dans la plupart des Dialogues platoniciens. D’ailleurs, cette importance supérieure de la forme comparée à la matière est reconnue après Aristote par Cuvier, s’exprimant dans les mêmes termes : « La forme du corps vivant lui est plus essentielle que sa matière » ; Règne animal, tome I, p. 11, 1829. Voir plus haut, § 20.
  37. Qu’il faut adopter. Sous-entendu : « En histoire naturelle ». — Qui sont indispensablement nécessaires. Il n’y a donc ici, comme on l’indiquait un peu plus haut, qu’une nécessité hypothétique. La respiration en elle-même n’est pas nécessaire plus que l’animal qu’elle fait vivre ; mais du moment qu’elle existe, elle ne peut exister qu’avec des conditions qui sont nécessaires absolument, puisque sans elles la respiration ne serait pas possible. — Tantôt… tantôt. Voilà les deux nuances de nécessité dont il est parlé plus haut, § 36. L’une est simplement hypothétique ; l’autre est absolue. — Pour la respiration. Il faut se rappeler qu’Aristote a fait un traité fort curieux sur la Respiration ; voir les Opuscules, pages 349 et suiv. de ma traduction. Il y réfute tout au long les théories antérieures à la sienne ; et les principes qu’il y expose sont tout à fait d’accord avec ceux qu’il résume ici.
  38. De la méthode que nous suivrons. Peut-être le sens du texte n’est-il pas tout à fait aussi général ; et peut-être faut-il le borner à l’étude des deux nuances de la nécessité. La méthode de l’histoire naturelle n’est pas exposée tout entière dans ce premier chapitre ; et elle sera complétée dans les chapitres suivants, jusqu’à la fin de ce livre.
  39. De l’individu. C’est l’expression même du texte ; on doit entendre par là les espèces dans lesquelles le genre se divise. — En deux différences. La première, qui est positive ; la seconde, qui est toujours une négation. Cette méthode de division par deux, la Dichotomie, est essentiellement Platonicienne, et l’on en peut voir des spécimens dans le Sophiste, et dans le Politique. — Tantôt…. tantôt. Voilà les deux objections principales qu’Aristote oppose à la méthode de division, sans compter d’autres objections, moins importantes, qui trouveront place au chapitre suivant. — Tout le reste… L’exemple qui suit éclaircit bien le sens de ces mots. — Cette dernière différence Ceci doit se rapporter à : « Dépourvu de pieds » ; il y a des commentateurs qui ont supprimé cette petite phrase ; elle me semble indispensable ; car c’est le contraire de Pourvu de pieds ; et sans elle, l’opposition serait incomplète. Tous les intermédiaires : Pourvu de deux pieds. Pourvu de pieds fendus, etc., sont inutiles.
  40. De ne pas disloquer les genres. Cette objection est très-grave ; et la méthode de division ne peut pas éviter cet inconvénient. — Par exemple, celui des oiseaux. Il semble bien, d’après ce passage, qu’Aristote avait directement en vue certaines classifications où le genre des oiseaux se trouvait entièrement disloqué ; mais nous ne savons pas précisément si ces classifications appartenaient à l’Ecole Platonicienne, ou à toute autre. — Parmi les animaux aquatiques. Parce qu’en effet il y a des oiseaux qui vivent dans l’eau, ou sur le bord de l’eau ; et cependant, on ne saurait les classer parmi les poissons, comme le faisaient sans doute, ou tendaient à le faire, les classifications critiquées par Aristote. — On en fait un poisson. Il est donc probable que les nomenclatures obtenues par la Dichotomie conduisaient à ce résultat bizarre, qui était en contradiction flagrante avec la réalité.
  41. Sont restées sans nom. Cette objection n’est pas fort grave ; car il serait toujours possible de trouver des noms nouveaux pour des divisions nouvelles ; mais il semblerait que cette critique d’Aristote se rapporte à des lacunes dans les classifications tentées avant lui. Si, en effet, ces classifications, quoique très-imparfaites, ont existé, ce serait un détail fort curieux pour l’histoire de la zoologie. — Qui ont du sang… qui n’ont pas de sang. Cette division suffisait à la Dichotomie ; et l’unité de désignation résultait de ce que les uns et les autres sont des animaux. — La division par deux. C’est la traduction du mot grec, que j’ai reproduit sous sa forme même, en guise de paraphrase. — Les uns se trouvent classés… Nouvel indice d’essais de classification avant celle d’Aristote.
  42. Sous forme négative et par privation. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte grec ; celui de Privation ne m’a pas semblé pouvoir suffire par lui seul. — Et c’est bien là, en effet… Dans la division par deux, le premier membre affirme ; et le second nie ce que le premier a affirmé : « Animal qui a des ailes : Animal qui n’a pas d’ailes », etc., etc. — Des espèces dans ce qui n’existe pas. Dans la négation qui constitue toujours le second membre de la division. — Une différence générale. Et affirmative.
  43. . Comment pourrait-il y avoir des espèces… Le texte est plus vague, et j’ai cru devoir le préciser. Si en effet il y avait des espèces pour une différence qui ne serait pas générale, on finirait par trouver des espèces même dans une différence purement individuelle. Le contexte qui suit semble confirmer cette interprétation. — Générales et universelles. Il n’y a qu’un seul mot dans le grec. — Être ailé. C’est là une différence générique, qui s’applique à toutes les espèces d’oiseaux, et qui les distingue de tout autre genre. — On peut diviser l’aile. C’est en effet le procédé de la zoologie ; et sans que les ailes soient le seul caractère qui distingue l’oiseau, on en tire cependant des distinctions très réelles entre les espèces d’oiseaux. — L’aile non fendue. C’est par exemple celle des chauve-souris, qui est une membrane et non une plume. Sur les plumes, voir Cuvier, Anatomie comparée, XIVe leçon, p. 604 et suiv, édit. de 1800. — Pied fourchu… solipèdes. Voir Cuvier, id. ibid, Ve leçon, p. 388 et suiv.
  44. Il est déjà assez difficile. La remarque est parfaitement juste, et les zoologistes de nos jours sentent cette difficulté tout autant que pouvait la sentir Aristote. La nature est si diverse et si féconde dans ses œuvres qu’il est impossible à l’homme de les classer toutes sans exception dans un ordre systématique. — La fourmi… L’observation est exacte ; dans la première famille des Hétérogynes, les fourmis neutres n’ont point d’ailes, tandis que les mâles en ont, ainsi que les femelles ; voir Cuvier, Règne animal, tome V, pp. 306 et 308, édit. 1829. — La lampyre… C’est le ver-luisant. Dans cette espèce des Malacodermes, il y a des femelles qui n’ont point d’ailes ; voir Cuvier, id. ibid., tome IV, p. 463. Les mâles en général sont ailés. Au lieu d’ailes, les femelles ont deux petites écailles ; voir la Zoologie descriptive de M. Claus, p. 637.
  45. Des animaux qui n’ont pas de sang. C’est le second membre de la dichotomie, où la division ne repose que sur une privation, ou négation. — Même impossible. Par la raison qui a été dite plus haut, § 1. La privation ne peut pas contenir de différences. — à une des espèces particulières. Contenues dans cette division générique d’Animaux qui n’ont pas de sang. — La différence opposée ne s’y applique pas moins. La pensée reste obscure à force de concision ; et la suite ne sert pas davantage à Péclaircir. Ce que l’auteur veut prouver, c’est que la division par deux ne peut pas donner une classification qui réponde à la réalité des choses ; mais les arguments dont il se sert pour cette réfutation sont bien difficiles à saisir. — S’il n’est pas possible… La phrase grecque est fort longue ; et j’ai dû en conserver l’allure dans ma traduction. — Une seule espèce de substance, indivisible et une. Par exemple, d’avoir du sang, comme pour l’homme et l’oiseau, cités un peu plus bas. L’homme et l’oiseau n’en sont pas moins d’espèces différentes, bien qu’on les classe tous deux parmi les animaux bipèdes. — Des animaux qui ont du sang. C’est exact ; mais ce caractère qui les unit ne suffit pas pour distinguer leurs espèces, qui sont pourtant fort différentes. — Qui devrait être la différence. Le texte n’est pas aussi net.
  46. La seule et même différence. C’est d’être l’un et l’autre des animaux qui ont du sang. — Il faut donc conclure… C’est bien là en effet le but que l’auteur se propose, et l’on voit qu’il repousse formellement et avec toute raison la dichotomie, qui ne mène pas à une classification vraie ; mais la force des objections nous échappe. — Au même nombre… Le texte ne peut pas offrir un autre sens ; et cependant on ne voit pas bien comment les différences se réduisent à être purement individuelles. — Que les individus-animaux. C’est la traduction littérale ; mais elle exigerait une explication, que l’auteur ne donne pas.
  47. En même temps. J’ai ajouté ces mots, dont le sens me semble implicitement compris dans l’expression du texte. — Indivisible. Il est clair que du moment que la différence est commune, elle se divise nécessairement entre toutes les espèces auxquelles elle s’applique. — De cette différence commune. Présentée sous forme négative. — Tout en étant d’espèce différente. Par exemple, dans la classe des animaux sans pieds, il pourra se trouver tout à la fois des reptiles et des poissons. — Une conséquence nécessaire. Ceci est en partie la répétition de la fin du § 5. — Puisse aller d’une différence à une autre différence. C’est la traduction mot à mot du grec. La théorie est juste ; mais il faudrait prouver en outre que, dans la méthode de division par deux, cet inconvénient est inévitable et qu’elle arrive à faire figurer le même animal dans plusieurs classes. Ce qui est certain, c’est qu’elle confond dans une même classe des animaux d’espèces fort différentes.
  48. Atteindre les espèces indivisibles. Il est difficile de comprendre ce que l’auteur entend par cette expression ; les espèces indivisibles se réduisent aux individus, au delà desquels il n’y a plus rien. — Ou tout autre genre d’objets. On peut voir en effet, par les dialogues de Platon, le Sophiste et le Politique, que la dichotomie peut s’appliquer à tout autre chose que l’histoire naturelle, bien qu’elle s’y applique mieux que partout ailleurs. Les dernières différences. Celles qui caractérisent les individus et qui dès lors n’ont plus rien de commun ; elles sont purement individuelles. — La blancheur de certains êtres. Le texte ne va pas plus loin ; mais il semble, d’après ce qui suit, qu’il faudrait ajouter le Noir au Blanc, de manière que, dans chaque membre de la division première, il y eût encore une grande division par deux, et de manière à ce qu’en effet les dernières divisions fussent au nombre de quatre.
  49. . La différence n’est que l’espèce dans la matière. Définition ingénieuse et profonde. — Sans matière. Puisque le corps de l’animal est toujours nécessairement matériel. — Ne peut exister toute seule. Il faut que l’âme se joigne à la matière pour former l’Entéléchie du corps. — Au hasard et d’une façon quelconque. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte ; j’ai cru devoir préciser davantage les choses dans ma traduction. — Nous l’avons répété bien souvent. La nature se proposant toujours un but dans tout ce qu’elle fait, il s’ensuit qu’il y a certaines conditions indispensables pour atteindre ce but ; c’est la nécessité hypothétique.
  50. Sur des éléments compris dans l’essence même. Il aurait fallu citer des exemples pour rendre ceci plus clair. — De simples attributs. Le texte dit précisément : « Des attributs en soi », des attributs essentiels. — Les unes… les autres. Ceci est exact évidemment ; mais c’est retomber dans la méthode dichotomique, critiquée plus haut. — Un attribut accidentel du triangle. Il semble au contraire que ce soit l’essence même du triangle, comme son nom l’indique ; mais on peut dire aussi que l’essence du triangle c’est d’avoir trois côtés, l’égalité des angles à deux droits n’étant qu’une conséquence nécessaire de la première propriété.
  51. Par les opposés. Voir dans les Catégories, ch. X, p. 109 de ma traduction, la différence des Opposés et des Contraires, ch. XI, p. 121. — Le blanc et le noir. Voir plus haut, § 7. — Si tous les deux sont différents. Il faut sous-entendre : « Dans le même genre », comme le prouve l’exemple qui suit. — La natation… la couleur. Ce ne sont pas de vrais opposés ; ce sont simplement des choses différentes.
  52. Selon les fonctions qui sont communes… Comme les exemples cités plus bas, où l’on divise les animaux en animaux sauvages et animaux privés. Le caractère des animaux tient en partie à leur organisation ; et comme il varie d’un individu à un autre, il ne peut servir à les classifier. — Qui viennent d’être indiquées. Le texte est moins formel. — Où ces deux organisations se réunissent… le genre des fourmis. Ceci a déjà été dit un peu plus haut, § 3.
  53. Mais on peut encore moins. Quelques commentateurs ont voulu introduire ici une négation dans le texte ; elle est en effet indispensable ; mais elle est dans la phrase précédente, et elle agit également sur celle-ci, sans qu’il soit nécessaire de l’y intercaler de nouveau. — Séparer et diviser. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Se trouver aussi à l’état sauvage. Ceci est vrai, mais n’empêche pas l’histoire naturelle de pouvoir faire une distinction très-réelle entre les animaux sauvages et les animaux domestiques, comme l’a particulièrement fait Buffon. Il y a bien quelques espèces, comme celles que cite Aristote, qui peuvent présenter les deux caractères, et, selon les individus, être sauvages ou privées. Mais il y a, en outre, des espèces qui ne sont jamais que sauvages et qui ne peuvent pas être autrement, quels que soient les efforts de l’homme pour les modifier à son usage. — Le sauvage et le privé… Ceci est exact d’une manière générale, et ce caractère ne sert pas en effet à former des classifications en histoire naturelle.
  54. Qu’une seule fois. C’est-à-dire, par une affirmation et une négation : « Pourvu de pieds, sans pieds ». — Comme le fait le vulgaire. C’est en effet la méthode que doit adopter l’histoire naturelle, en essayant de classifier tous les genres le plus systématiquement possible. — Sans recourir à la dichotomie. On peut sentir dans cette objection une sorte d’ironie contre la méthode de division. — L’on ne pourra pas du tout… L’objection est très-forte, et la dichotomie n’a qu’une rigueur apparente ; au fond, elle confond une foule d’êtres sous une négation, qui peut faire connaître ce qu’ils ne sont pas, mais non ce qu’ils sont. — L’espèce dernière. C’est-à-dire qu’elle ne peut se subdiviser en d’autres espèces. — Comme l’on ne peut pas faire… Cette phrase entière peut sembler n’être qu’une interpolation, et arrêter quelque peu la suite des pensées ; mais elle est nécessaire, comme le prouve le contexte, puisque l’auteur l’explique en détail. Il veut prouver que les différents éléments que donne la dichotomie ne forment pas un tout régulier, et qu’on est obligé de les joindre par un rapprochement factice, comme on joint les diverses parties d’une proposition par une conjonction, qui unit les mots sans unir les pensées.
  55. Je veux dire… C’est là ce qui justifie la phrase précédente. — Non-ailé et en ailé. C’est la dichotomie ordinaire. — Sauvage… privé… blanc… noir. Divisions qui n’ont plus aucun rapport avec la première, et qui ne peuvent y être jointes qu’arbitrairement, et par un lien de pure forme. — Le principe d’une tout autre différence. Soit une différence de caractère, soit une différence de couleur.
  56. Quelques philosophes… C’est évidemment l’École de Platon qu’Aristote veut désigner ici. — Encore d’autres arguments. Ces nouveaux arguments pour repousser la dichotomie ne sont pas plus clairs que les précédents ; et il est toujours fort difficile de suivre la pensée de l’auteur. — Soit qu’on les prenne séparément. C’est-à-dire, soit qu’on prenne chacune des espèces comprises sous la négation générale en la considérant seule, soit en la réunissant à toutes les autres espèces que comprend également la négation. — J’entends. L’explication que prétend donner Aristote n’éclaircit pas davantage sa pensée. — Par exemple les fissipèdes. On considère que les fissipèdes forment un genre en opposition aux animaux qui sont solipèdes ; il n’y a entre les fissipèdes pris dans leur ensemble aucune différence, puisqu’ils ont tous le pied fendu ; mais il y a dans ce genre bien des nuances ; car les divisions du pied peuvent être plus ou moins nombreuses, et outre ce caractère général, il peut y en avoir une foule d’autres qui suffisent à constituer des espèces particulières, dont la dichotomie ne tient aucun compte. — Par réunies. L’exemple qui suit est suffisamment clair. Au lieu d’indiquer un seul caractère, on en énoncerait plusieurs qui se compléteraient mutuellement par leur opposition même ; les solipèdes seraient opposés aux fissipèdes.
  57. C’est là ce qu’exige en effet… Pour faire de chacune des parties de la dichotomie une sorte de tout, qui embrasse de part et d’autre toutes les espèces comprises dans l’affirmation, et toutes celles qui le sont dans la négation. — En dépit de ce que l’on énonce. Le texte n’est pas aussi précis ; mais le sens ne peut être douteux. — La dernière différence. C’est à cela que tend toujours la dichotomie ; mais elle parcourt diverses nuances inutiles avant d’arriver au caractère essentiel, qui sépare les espèces les unes des autres. — Pourvu de pieds… à plusieurs pieds. Nuances intermédiaires, qui ne servent à rien, et qui ne font qu’embarrasser la classification ; voir le chapitre n, § I, où se trouve la même critique. — Une différence extrême… différence dernière. La nuance n’est pas assez marquée dans le texte ; et ma traduction n’a pas pu la marquer davantage. — À pieds divisés. C’est la seule différence qui s’applique alors dans sa généralité aux espèces les plus dissemblables, depuis l’homme jusqu’aux oiseaux, en passant par tous les ordres de mammifères et de fissipèdes. — Pourvu de pieds… de deux pieds… de pieds divisés. Il n’y a que cette dernière division qui ait réellement de l’importance.
  58. Si l’on disait simplement. Pour définir l’homme. — Et ce serait ce qu’on cherche. Le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — Ce n’est pas ce qu’on fait ici. Puisque chaque degré de la dichotomie ajoute toujours une différence de plus, il faut ensuite réunir toutes ces différences par un lien factice, pour en constituer la définition totale que l’on cherche.
  59. Il est de toute impossibilité… C’est la conclusion définitive de la discussion précédente contre la méthode de dichotomie. — Un être particulier quelconque. Ou bien encore : « Aucune espèce particulière ». L’expression du texte est indéterminée. Dans la science actuelle, on fait deux grandes classes d’animaux, les vertébrés et les invertébrés ; c’est encore de la dichotomie.
  60. On peut se demander. La question ne laisse pas que d’être curieuse ; mais il ne semble pas qu’elle soit ici bien à sa place, ni qu’elle soit suffisamment amenée. — Les animaux aquatiques. Peut-être il ne s’agit ici que des oiseaux qui vivent sur l’eau, et non pas d’une manière générale des animaux qui vivent dans l’élément liquide ; ce qui comprendrait évidemment les poissons. La question alors ne pourrait plus guère se poser ainsi, puisqu’il est impossible d’appliquer une dénomination unique aux oiseaux et aux poissons simultanément, ni de les confondre, comme on peut confondre toutes les espèces de poissons, ou toutes les espèces d’oiseaux, sous les dénominations génériques de poissons et d’oiseaux. — Ces deux ordres d’animaux. Les oiseaux aquatiques et les oiseaux de terre.
  61. La division ordinaire. C’est-à-dite la division vulgairement reçue, qui distingue les poissons des oiseaux, malgré les analogies que peuvent présenter à certains égards ces deux ordres d’animaux. — Est bien faite, et elle est régulière. Le texte est moins développé. — Par une certaine quantité. Ce caractère est fort bien choisi ; et cette différence dans la masse du corps ne constitue pas un genre, quand d’ailleurs toutes les autres conditions restent semblables. — Des rapports d’analogie. On en citera des exemples à la fin du §. — Des ailes plus larges… plus courtes. C’est une simple différence de grosseur ; ce n’est pas une différence d’espèce. — La plume pour l’un… l’écaille pour l’autre. Ce rapprochement est aussi exact qu’ingénieux ; et Cuvier l’a reproduit dans son Anatomie comparée, XIVe leç., art. 7, où il traite successivement, en décrivant la peau, des poils, des plumes, des cornes, des ongles et des écailles. « Les écailles, dit-il, ont avec les poils, les plumes, les cornes et les ongles, les plus grands rapports », p. 618, édit. de l’an VIII.
  62. De faire cette distinction. Le texte n’est pas aussi précis, et l’expression qu’il emploie est plus vague. — L’analogie se trouve être la même. Il eût été bon de citer quelques exemples. — Des substances individuelles. Le texte dit simplement : « Des substances »; mais la suite prouve qu’il s’agit des individus, qui sont en effet les substances dernières, c’est-à-dire les moins étendues. — Nous l’avons déjà dit. Voir plus haut, ch. I, § 7. — Universels… communs. Au fond, c’est la même chose. — À plusieurs objets. Ou, « A plusieurs êtres ».
  63. . Comment il convient de procéder. Voir plus haut, ch. I, § 7, cette question déjà traitée. — Indivisible spécifiquement. C’est l’individu ; et d’après l’exemple cité un peu plus haut, Socrate, Coriscus, etc. — De pouvoir étudier à part. Mais alors on serait conduit à des répétitions interminables ; et par conséquent, ce n’est pas le meilleur procédé. — Pour le genre homme. Puisqu’on vient de parler un peu plus haut d’individus de l’espèce humaine.
  64. Une individualité spécifique. Ou « Une espèce particulière », comme l’indiquent les exemples qui suivent. — Ce serait s’exposer. Ceci a été déjà dit ; mais la remarque n’en est pas moins juste. — La même fonction. Dans chaque espèce étudiée séparément ; voir plus haut, ch. I, § 5. — Chaque espèce d’animaux. L’expression du texte est plus vague ; mais le sens ne peut être douteux. — Les propriétés communes de chaque genre. C’est la méthode que Cuvier a suivie dans son Anatomie comparée ; et c’est la seule qui puisse convenir à la science ; voir la Préface à l’Histoire des Animaux, p. CXXIII voir aussi le Manuel d’Anatomie comparée de M. Gegenbauer, et d’autres ouvrages de même composition. — Tout ce que les hommes. Voir plus haut, § 1. Il est certain qu’avant toute science et toute observation méthodique, l’instinct de l’humanité a su distinguer quelques-unes des différentes classes d’êtres dont s’occupe l’Histoire naturelle. Les grandes divisions frappent les regards les moins attentifs ; et les êtres se classent immédiatement selon leurs affinités ou leurs dissemblances ; voir la Préface à l’Histoire des Animaux, p. CIXX. — Individuel et isolé. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte.
  65. La configuration des parties… C’est en effet le caractère le plus général, qui rapproche ou éloigne les animaux les uns des autres. — Et celle du corps entier. Même remarque. Qu’on peut classifier les genres. La zoologie moderne a pu aller plus loin ; et sans négliger les ressemblances de formes partielles ou totales, elle s’est attachée plus particulièrement à l’anatomie et à l’organisation générale ; voir Cuvier, Règne animal, t. I, pp. 48 et suiv., édit. de 1829 ; voir aussi la Préface à l’Histoire des Animaux, p. CXV. — La ressemblance n’y est que de l’analogie. On voit nettement la différence de l’analogie et de la ressemblance. — Sur de simples modifications corporelles. Dans une même espèce, il n’y a guère que des modifications de peu d’importance. — La grandeur et la petitesse. L’espèce canine offre des exemples frappants de ces différences considérables.
  66. La méthode qu’il convient d’adopter. Quelques commentateurs se sont plaints qu’Aristote n’eût pas de méthode ; on peut voir que cette critique est sans fondement. Sa méthode est bien claire : Accepter d’abord les grandes divisions que l’instinct de l’humanité a établies à première vue, entre les animaux ; puis, étudier les fonctions communes aux diverses espèces, et ne pas descendre aux individus, parce qu’alors il faudrait se répéter sans cesse. — Observer les phénomènes. C’est une règle qu’Aristote n’a jamais négligée pour sa part, et qu’il a toujours recommandée à ses successeurs. — La méthode de division. Prise dans toute sa généralité, et non pas seulement la division par deux, la dichotomie, qu’Aristote proscrit absolument. — Tantôt impossible, tantôt absolument vaine. Voir plus haut, ch. II, § 1. — Que nous allons indiquer. Dans le chapitre qui suit, un des plus importants de toute la zoologie Aristotélique, et l’on pourrait dire, dans toute l’histoire de la science, par la grandeur et la vérité des aperçus.
  67. Ce principe nouveau. Le texte n’est pas aussi formel. — Incréées et impérissables. L’expression est très-noble ; mais elle n’est peut-être pas très-juste. Il n’y a d’incréé que le Créateur ; il n’y a d’impérissable que ce qui n’est pas né. Sans doute, Aristote veut appliquer ces deux épithètes solennelles aux grands corps célestes ; mais ils ne sont pas plus impérissables que tout le reste ; et il n’y a que l’Eternel qui le soit, c’est-à-dire, Dieu. — Sujettes à naître et à périr. Ce sont les substances qui sont le plus à notre portée. — Nos observations… beaucoup moins complètes. Ou, Moins nombreuses. Ceci est parfaitement exact ; et quoique nous en sachions sur les mondes beaucoup plus que n’en pouvaient savoir les Anciens, notre science est surtout étendue et précise en ce qui regarde notre terre et le monde particulier où nous sommes placés. — Nos sens nous révèlent… La puissance merveilleuse des instruments dont la science se sert aujourd’hui n’a pas beaucoup changé l’état des choses ; et quelques progrès que l’homme puisse faire dans l’étude de l’infini, son savoir se réduira toujours à bien peu de chose en comparaison de ce qui lui restera à connaître.
  68. Plantes et animaux. Aristote avait essayé d’embrasser la nature entière ; et s’il n’a pas fondé lui-même la botanique, il est certain que c’est lui qui l’a fait faire par son disciple Théophraste ; voir la Préf. à l’Histoire des Animaux, p. Clxxiv. Il faut se rappeler qu’il n’a jamais isolé l’étude des plantes de l’étude des êtres vivants, les plantes ayant comme les animaux la faculté nutritive. Il a insisté souvent sur ce point de ressemblance, notamment dans le Traité de l’Ame, liv. II, ch. III, § 2, p. 181 de ma traduction. — Bien plus de moyens d’information. Ceci est de toute évidence. — Le travail indispensable qu’elles exigent. C’est ce que font les siècles en accumulant sans cesse les observations et les faits. — On peut en apprendre fort long. C’est là ce qui constitue le progrès de la science ; et Aristote le pressentait, aussi bien que personne a pu le sentir après lui.
  69. Ces deux études. Le texte est plus vague. — Ont chacune leur attrait. On ne saurait mieux dire ; et les raisons qu’en donne l’auteur sont d’une solidité inébranlable. — Les atteindre et y toucher. Il n’y a qu’un seul mot dans le grec. — Grâce à la sublimité de ce savoir. Voilà la vraie raison ; et de là, vient la solennité particulière du Timée de Platon, malgré les imperfections qui le déparent. — Pour les choses que nous aimons. On pourrait entendre aussi les « personnes » au lieu des choses ; l’expression du texte se prêterait également à cette interprétation. — Du plus insignifiant et du moindre objet. L’idée est gracieuse, et elle n’en est pas moins juste. Aristote ne cherche jamais ces éclats de style ; mais il ne les repousse pas, quand ils sortent du fond même du sujet. — De connaître mieux les choses. L’observation est directe ; et si elle est suffisamment attentive, elle peut être très-féconde. — Un plus grand nombre. Ceci était déjà vrai du temps d’Aristote ; ce l’est de jour en jour davantage ; aujourd’hui le nombre des faits bien connus est prodigieux, et l’avenir ne peut que l’accroître sans limite. — Pour être le comble de la science. C’est surtout de nos jours que cette remarque est exacte ; mais elle l’était dès le temps d’Aristote, qui ne semble pas partager cette prédilection peu fondée pour les sciences naturelles. — La rivale de la philosophie des choses divines. Dans notre siècle, ce sont les sciences physiques et mathématiques qui tiennent la première place ; et la Métaphysique, ou philosophie première, est accablée de dédain ; ce qui ne l’émeut guère et ne la diminue pas, si ce n’est aux yeux de la foule, qui la juge sans la connaître. — Ayant déjà traité de ce grand sujet. Sans doute ceci fait allusion à la Météorologie, au Traité du Ciel, et aussi à la Métaphysique. — De la nature animée. C’est-à-dire des animaux particulièrement, bien que les plantes soient comprises aussi dans la nature animée. — Aucun détail. Précepte excellent et très-pratique. Aristote n’a pas cessé de l’appliquer dans toutes ses recherches zoologiques.
  70. Qui peuvent ne pas flatter nos sens. Ceci est vrai ; et parmi les animaux, s’il y en a beaucoup qui nous plaisent, il y en a aussi beaucoup qui nous répugnent, par leurs formes souvent hideuses, par leurs odeurs insupportables, ou par telles autres conditions également repoussantes. La dissection même des plus beaux êtres a quelque chose qui révolte nos sens et notre instinct. Il faut que le naturaliste brave tous ces inconvénients. — D’inexprimables jouissances. — Il est clair qu’Aristote ne fait que traduire ici ses impressions personnelles ; mais tous les vrais naturalistes éprouvent des impressions de même genre ; voir la Préface à l’Histoire des Animaux, p. LXXVIII. — Quelle contradiction… Cette forme d’exclamation n’est pas dans le texte ; mais l’expression qu’il emploie n’est pas moins vive. — De simples copies. L’idée est très juste, quelque différence qu’il y ait entre l’art et la nature, l’un où l’homme se reconnaît, et l’autre où il n’est pour rien. — De comprendre le but. Le texte dit précisément : « Les causes ».
  71. Le mot qu’on prête à Héraclite. Le mot qu’Aristote nous a conservé est superbe, et l’application en est d’une justesse parfaite. Sur Héraclite, voir M. Zeller, Philosophie des Grecs, tome 1, pp. 550 et suiv. 3e édit., et trad. franç., tome II, pp. 149 et suiv. L’empreinte divine est et se retrouve dans la nature entière, et elle éclate dans les moindres détails. La nature, comme Aristote l’a dit, est quelque chose de divin. C’est le « Coeli enarrant » du Psalmiste ; c’est même le mot du malheureux Vanini devant ses bourreaux.
  72. . Il n’y a jamais de hasard. C’est un principe qu’Aristote a formulé le premier, et qui inspire toute sa science zoologique. La science contemporaine ferait bien d’imiter le philosophe grec, dans la mesure où ces idées générales peuvent intervenir et être utiles. — Où le caractère de cause finale. Le texte n’est pas aussi développé. Sa beauté et sa perfection. Ceci est incontestable ; mais c’est revenir, en partie et sous une autre forme, à la théorie des Idées Platoniciennes, qu’Aristote a toujours combattue, et qu’il approuve ici sans peut-être s’en apercevoir.
  73. Que si quelqu’un… L’argument est très-fort, et il aurait aujourd’hui autant de valeur qu’au temps d’Aristote. — La plus grande répugnance… Le mot grec peut signifier simplement aussi : « difficulté » ; mais la nuance que j’ai préférée donne encore plus de force à l’argumentation, et elle est plus d’accord avec le contexte. — De la matière… C’était ce qu’avait fait surtout l’École Ionienne. — À la forme totale. Principe très-bon, et que Cuvier appliquait en grand dans ses classifications du Règne animal. — De l’être qu’on étudie. Le texte n’est pas aussi formel.
  74. Les conditions… en soi et essentiellement. C’est aussi ce que fait la science moderne, quand elle est méthodique et qu’elle se rend compte de ses procédés ; voir Cuvier, Règne animal, Introduction, pp. 111 et suiv. — À scruter les causes. La vraie méthode est en effet de recueillir d’abord les faits, et de les expliquer ensuite. Voir plus haut, ch. I, § 7. — Antérieurement. Voir plus haut, ch. II, § 3. — Par simple analogie. Voir l’Histoire des Animaux, liv. I, ch. I, § 8, p. 6 de ma traduction.
  75. J’entends par Analogie. L’analogie consiste surtout dans la ressemblance plus ou moins complète des organes remplissant les mêmes fonctions, quoique sous des formes diverses. C’est une sorte d’équivalence ; les branchies dans les poissons remplissent, on peut dire, le rôle du poumon chez les Mammifères. — Un liquide analogue. Les animaux à sang blanc au lieu de sang rouge. — De fréquentes répétitions. C’est ce que l’auteur a déjà dit en effet, plus haut, ch. I, § 5.
  76. Le corps tout entier a été constitué. Sous une autre forme, c’est la théorie de Cuvier sur les conditions d’existence. Tout dans l’organisation de l’animal concourt à un but unique, qui est l’entretien de la vie, dans tous les détails que la vie comporte et suppose. — Le sciage. En d’autres termes, l’action pratique de scier, et le résultat que cette action produit. L’exemple n’est peut-être pas très-bien choisi.
  77. . Le corps… en vue de l’âme. Sans ce principe fondamental, il est impossible de rien comprendre à la nature de l’homme, à sa nature intellectuelle, aussi bien qu’à sa nature morale ; ce principe est essentiellement Platonicien. — Des fonctions qui sont communes… C’est le début nécessaire de la science zoologique ; et aucun des grands naturalistes n’y a manqué, Buffon et Cuvier entre autres. Il faut définir ce qu’on entend par animal, avant de traiter des animaux particuliers, et de leurs espèces. — Plus marquées… moins marquées. Par les différences de plus et de moins, ou par des différences plus importantes et moins matérielles.
  78. Que par analogie. Voir plus haut, §§ 8 et 9. — Les fonctions ont un autre but. Par exemple, on ne peut pas confondre le mouvement et ses organes avec la digestion et tous les organes préparatoires, ou successifs, qui la rendent possible et qui la complètent. — Que l’animal peut vivre. C’est le résultat dernier auquel tendent toutes les opérations ultérieures.
  79. La naissance, le développement… Ce sont là des fonctions communes à tous les animaux. Aristote a consacré des études spéciales à quelques-unes d’entre elles, notamment la veille, le sommeil, le mouvement, etc., etc. Voir les Opuscules psychologiques, complétant le traité de l’Ame. — Le nom de membre. Voir l’Histoire des Animaux, liv. I, ch. I, § 2 de ma traduction.
  80. . L’exposé de la méthode… On ne conçoit pas qu’en présence de telles déclarations, on ait pu soutenir qu’Aristote n’avait pas de méthode. Dans ces assertions tranchantes, qui sont tout au moins inexactes, il entre beaucoup d’orgueil ; et si des savants modernes nient que les Anciens aient appliqué la méthode d’observation, c’est pour se parer eux-mêmes de cette gloire, qu’ils font remonter à Bacon, et qu’ils croient partager avec lui. Rien n’est plus faux. Voir la Préface à l’Histoire des Animaux, pp. XIII et CXIV, et aussi la Préface à la Logique, p. 111 et suiv. de ma traduction. — Des propriétés communes. A toute l’animalité. — Des propriétés spéciales… A quelques genres d’animaux, à l’exclusion de certains autres. — Par les premières. Ce serait alors les fonctions communes ; mais je ne suis pas très-sûr de ce sens ; et il est bien possible qu’Aristote veuille dire simplement qu’il commencera par les premiers principes ; formule qui lui est assez habituelle et qui rend bien sa pensée.