Une voix du Père-Lachaise/Cimetière des israélites

Une voix du Père-Lachaise ou ses inscriptions jusqu’en 1853
Chez l’auteur, rue de la Roquette, 136, et chez les concierges et les conducteurs du cimetière (p. 217-230).

CIMETIÈRE DES ISRAÉLITES

Sur une pierre debout à gauche, en entrant :


Ici repose KILCHÉ TIRQUEME, épouse de Lion ISAAC, décédée le 15 juillet 1821, à l’âge de 38 ans 4 mois.


A la meilleure, la plus aimée des mères, à l’épouse la plus vertueuse, la plus chérie, nous élevons ce triste monument, juste tribut de notre douleur, offert par la tendresse d’un époux dont elle fit le bonheur, et la reconnaissance de sept enfants qui l’aiment au delà du tombeau.




Ici repose le corps de Sophie STEINBERGER, née Getz, de Francfort-sur-le-Mein, décédée à Paris le 25 juillet 1846, à l’âge de 32 ans.

Comme la tendre fleur que le printemps fait naître,
Et qui doit avec lui finir et disparaître.
D’un éclat vif et beau tu brillas quelques jours,
Et l’implacable mort vint en rompre le cours.
Toi que je chérissais, idole de ma vie,
Repos, plaisir, bonheur, tout en toi m’est ravi.
Il ne me reste plus dans mon Iriste avenir,
Que d’un bien doux passé le touchant souvenir.
Tu fus sans contredit des mères le modèle,
Ainsi que chaste épouse et bonne autant que belle,
Jamais tu ne pus voir un malheureux sans pain.
Il bénissait toujours ta secourable main ;
Ton grand mérite enfin surpasse ma louange,
Car pour le res embler il faudrait être un ange ;
Ton epoux, tes enfants pleurent sur ton cercueil
Et portent dans leurs cœurs à tout jamais ton deuil.




Theodora VERDOT, décédée le 24 mars 1835.


Son cœur, son noble cœur quitta trop tôt la terre
Pour le pauvre et sa fille ! elle était deux fois mère.




Ici repose à côté de son aïeul Sara-Lovely-Raphael RODRLGUES PERËIRA, née à Bordeaux en 1819, décédée à Paris en 1839.

O toi qui de bonheur enivrais notre vie !
Ange de pureté, de grâce et de candeur !
Toi qui chantais si bien sa puissance infinie,
Va, désormais ta place est aux pieds du Seigneur.




Non loin de celle-ci, dans le centre d’un entourage de bois placé depuis peu de jours et que nous croyons provisoire :

MARCHAND ENNERY, grand-rabbin.



Jeune fleur de sa tige en naissant séparée,
Éclose le matin, morte avant la soirée,
Théophile chéri, mon espoir, mon bonheur,
Les larmes du regret inondent mon visage.
Entant, ton front charmant s’est glacé sous l’orage,
Mais le bon Dieu t’a pris au printemps de ton âge,
Pour te mettre avec lui dans un monde meilleur.


Arthur-Théophile HALPHEN. 1831—1839.




Sépulture de la famille FOULD.


A vous, amours et douleurs de ma vie.


Sur l’entrée du caveau, entouré de fleurs et de plantations diverses :


Ici le repos, là haut le bonheur !




Les chapelles Oulmann, Salomon jeune ; les tombeaux Allegri, Lopes Henriquez de Saa, Diaz Carvalho ; le monument de marbre de David Singer.




Ici repose le corps de Bella-Abraham MAYER. 1847, dans sa 19me année.


Grâces, talents, vertus dont le ciel te combla,
L’orgueil de tes parents, leur bonheur… tout est là.



Dame BENSON. 1847, à l’âge de 25 ans.


Si ton âme si pure a par un sort étrange.
Sous l’aile de la mort si rapidement fui.
C’est que Dieu parcourant sa céleste phalange,
Voyant qu’il lui manquait un ange,
T’a vite rappelée à lui !




Grande chapelle toute en Château-Landon, avec des tablettes de marbre blanc assez nombreuses, attendant leurs inscriptions ; de chaque côté de la porte sont deux corbeilles de la même pierre, remplies de fleurs. Ce mausolée terminé depuis deux mois porte sur son fronton un R, qui nous indique que c’est la sépulture de la famille Rothschild.




Autrefois les inscriptions étaient en langue hébraïque, il y en a encore, mais la plupart ont leur traduction dessous en français, de même que les sépultures qui n’offraient qu’une apparence uniforme ; ce n’est pas sans éprouver un certain plaisir que l’on remarque cette fusion qui existe déjà entre les tombeaux des protestants, des catholiques romains et des juifs. Nous avons lu quelques épitaphes, quoique pas aussi nombreuses, dans cette petite enceinte, résumant à elles seules de bien sincères regrets, des affections tendres, des parôles spirituelles dignes de l’Evangile, on ne saurait qu’ajouter à de si beaux sentiments ; tout d’abord l’on s’aperçoit que c’est la reconnaissance d’un être au-dessus de nous, auquel nous devons nous soumettre. La religion juive est sans contredit une des plus anciennes, je crois même antérieure à Pythagore, à Ptolémée, aux Chaldéens ; pour nous en assurer, nous n’avons qu’à lire l’Origine de tous les Cultes, par Dupuis. Il n’y a donc rien d’étonnant que l’on ait conservé jusqu’à ce jour quelque forme d’ancienne tradition. Le mur qui sépare ce cimetière du précédent, où sont réunies les autres croyances, n’est guère que nominal ; il faudrait croire, d’après le progrès qui se révèle depuis plus d’un demi-siècle, que les neveux de la présente génération seront plus conciliants en matières sacerdotales, que des anciens préjugés disparaîtront et feront place à la concorde ; on aura beau dire, beau faire, tant que l’on voudra le bien et qu’on soulagera les malheureux, on sera toujours de la meilleure des religions.

Il y a huit jours que c’était la Toussaint, le lendemain les Trépassés, comme tout le monde le sait ; mais ce que quelques-uns n’ont peut-être jamais vu, c’est la foule qui se dirige, se presse aux portes de cette demeure, pleine d’amis, de parents, que l’on ne rencontre qu’ici. Rien de plus édifiant que la contemplation de cet empressement, rien de plus instructif pour quiconque accuserait d’indifférence les survivants envers les leurs : on dit souvent que Paris est le foyer révolutionnaire de l’Europe ; il ne faut pas entreprendre de cacher ce que l’histoire publie, qu’il y a quelque chose de vrai dans cette allégation ; mais voyons : prenons une balance, mettons d’un côté les erreurs de ses habitants, et de l’autre, la perfection de ses institutions, le savoir de son Université, puis jugeons…

Avec quelle admiration n’avons-nous pas remarqué, la quinzaine qui vient de s’écouler, quelle unanimité dans l’ensemble desmilliers de personnes de toutes classes, de toutes conditions, ne se heurtant que pour arriver plus vite auprès de l’objet de leurs glorieuses démarches ! quel calme ! pas un geste, pas un sourire échangé ! Oui, ce sont des jours solennels, d’actes qui devraient améliorer les esprits pervers, des leçons pour tous ceux qui vivent dans un état d’incrédulité, enfin, qu’est-ce qui nous inspire, nous conseille, nous a dicté ces inscriptions, ces épitaphes, qui témoignent si hautement de notre crainte, de l’incertitude où nous sommes si nous recevrons le prix de notre communion ou le châtiment que le Créateur réserve à ceux qui n’auront rien fait de bien ou de charitable !…

Les étrangers qui auront eu l’occasion de voir ces nombreux équipages encombrant les rues adjacentes, ces files de voitures d’une longueur infinie, doivent emporter avec eux le souvenir de ce pèlerinage sans exemple ; on aura puisé à la source de l’évidence même, que les habitants de Paris, nonobstant leur légèreté, leur emportement, pourraient au besoin se passer des vertus et des qualités des autres…

Les sépultures sont couvertes, tapissées de couronnes ; quelle que soit la direction que vous preniez, vous ne pouvez qu’en voir de toutes neuves ; sur la tombe du Petit Manteau Bleu, j’en ai remarqué plusieurs ce matin, une avec : « Au Petit Manteau Bleu, la famille Rollet reconnaissante. »

A l’entrée de l’hiver, la bruyère remplace le fuschia, la giroflée la pervenche, le chrysanlhemum, la verveine, de sorte que les fleurs les plus robustes attendant la sévérité du froid, embellissent provisoirement, de concert avec les innombrables offrandes, cette incomparable Nécropolis que l’on nomme : Père Lachaise.




Lorsque l’on a été maintes fois témoin de cette fusion de sentiments honorables, pourrait-on jamais s’imaginer que dans cette ville même, d’où l’on sort, là se sont passées des scènes de toute autre nature, révoltantes ? enfin, croirait-on que cela a été, existé une seconde, que ce sont les mêmes habitants que nous voyons venir dans ce lieu lugubre, révéré, où la haine doit rester à la porte ? Je me trompe, non, ce ne sont pas les mêmes ; si c’étaient eux, ils ne pourraient s’en retourner qu’avec le cœur plein d’amertume, d’avoir été les disciples du mal, les apôtres d’une attaque anti-chrétienne. Et pourtant, il n’y a que peu de jours que les rues de cette brillante capitale rougissaient de sang précieux, que le tocsin sonnait, le canon grondait pendant quatre jours et quatre nuits, renversant à chaque coup des hommes égarés ; des Français s’entr’égorgeant au centre de la civilisation ! D’où partent les missionnaires pour éclairer les habitants des régions sauvages, les conseils de sagesse, de philanthropie, de chrétienneté !… Faut-il que l’on soit assez faible pour se laisser entraîner jusqu’à commettre ces atrocités horribles, inouïes, que ma plume refuse à reproduire, à qui l’on a donné des millions de lieues carrées pour s’occuper, se distraire, se promener et s’entretenir ! Infamie de notre époque. Le temps ne vient-il pas assez tôt nous enlever…

Quel mauvais usage nous faisons de ce grand privilège de la parole ! ne devrions-nous pas craindre que celui qui nous l’a donnée nous la retire ! Insensés que nous sommes, confondre ce qu’il y a de plus sacré avec des actes de barbarie ! Prenons garde, nous ne sommes pour disposer ni du ciel ni de la terre… Ce ne sont, malheureusement, pas toujours ceux qui prennent les armes les seuls coupables, ce sont ceux qui excitent par des voies détournées, par la corruption, semant la zizanie, répandant jusqu’à de l’argent pour faire égorger leurs semblables, ceux-là même qui ont dû recevoir une éducation pour toute autre pratique ; d’autres n’allaient-ils pas jusqu’à prêcher le partage, le communisme pour prime d’encouragement ! Ah ! pour le coup, on pourrait se flatter et des bienfaits d’un chaos et de la honte de nos principes.

Quelqu’un a dit que le Public avait plus d’esprit que personne ; je crois, moi, que le Bon Sens en a encore davantage que lui, qu’il ne se laissera pas prendre aux pièges des utopies et des chimères. Ne serait-ce pas l’anéantissement des gloires de nos ancêtres, violer, méconnaître, dis-je, tout ce qu’il y a de plus respectable : La morale, la religion, la famille, la propriété, dignes supports d’un état civilisé ! nous oserions ensuite nous appeler membres de l’Espèce humaine !… Autant vaudrait alors déchirer les codes qui nous régissent, fermer l’Institut, sanctuaire des arts, de toutes les sciences, abolir les chaires, supprimer les bibliothèques, collections d’ouvrages immortels, nous résigner à vivre comme ceux qui n’ont pas la raison d’être, idéal absurde, confusion affreuse, conception horrible !… Vouloir entreprendre de changer l’ordre de la nature, que des milliers de siècles ont admis, consacré, n’est-ce pas assez d’avoir perdu un Archevêque et sept Généraux en quelques heures !…

Nous sommes vraiment une singulière race, puisque les sermons qui font retentir les voûtes de nos temples ne s’entendent pas, que les paroles évangéliques prononcées par les ministres de Dieu, remplissent nos églises, nous préviennent, nous avertissent journellement que nous faisons fausse route. Y a-t-il rien de plus beau que la paix, qui permet aux peuples du globe de se visiter, aux relations commerciales de se multiplier, aux sciences de s’instruire ! La guerre, fléau dévastateur, calamité des calamités, la meilleure est une désolation générale. Voyez les révolutions Romaines avec leur loi agraire, celles de Pologne, de Suède, de Portugal par l’abbé de Vertot, sans parler de celles d’Angleterre, n’ont-elles pas été toutes suivies, accompagnées d’abominations ? qu’ont-elles produit dans l’intérêt commun ? rien de bon, absolument rien. Les pauvres sont toujours pauvres, il y en a dans tous les pays : l’expression n’est pas la même dans toutes les langues, mais la signification est absolument la même. Voilà quarante ans bientôt que l’Europe, à quelques événements près, a joui de la tranquillité qui suffit au sort des nations, qui développe la richesse, rintelligencedes peuples, l’on croirait presque qu’il serait impossible d’avoir un motif d’hostilité, si ce n’est celle des ultra, qui trament, ourdissent dans l’ombre un tissu d’exécrations composé de fiel et de désastres ; ceux-là qui soufflent le feu de la discorde, attisent la vengeance avec la jalousie, invoquent la guerre, sontils sûrs que le lendemain d’une victoire ils seront exempts de la mort, quand la défaite pourrait également les atteindre, malheureux qu’ils sont ; attirer la foudre sur leur propre tête ! sont-ce là les commandements que vos père et vos mère vous ont appris… Les peuples ne se sont jamais battus sans que les chefs des états en aient donné le premier signal ; ces ignorants des temps passés ne savaient pas combien ils agissaient contre l’intérêt des masses. S’il arrivait maintenant, qu’ils sont plus instruits, que la veille d’une sanglante bataille, les antagonistes que l’on a animés, armés d’une haine factice, se pressent la main et s’embrassent et ne veuillent pas en venir aux armes ! Où se trouveraient, dites-moi, tous ces agitateurs anti-chrétiens, qui se partageaient d’avance la gloire qui ne leur appartenait point ? confondus par l’humanité, ils s’enfuiraient cacher leur poltronnerie et la faiblesse de leur misérable caractère. Vous auriez bonne grâce en venant nous prêcher la miséricorde, invoquer la Providence pour racheter vos péchés, et vous-mêmes, quelserail celui qui voudrait assumer la responsabilité de tant de crimes ?…Vous osez encore nous parler de religion… mépriser les athées… lorsque vous-mêmes ne travaillez que pour conseiller la révolte, et profiter du carnage et des pertes de vos semblables ! Encore une fois, vous êtes indignes de compter parmi les enfants de ce Dieu de paix, de conciliation universelle.

Devez-vous ignorer ce qu’ont produit ces carnages des anciens temps ? A quoi ont servi les dépouilles des vaincus : A la vanité de quelques-uns et au mépris… Magnanime Russie, puissante Angleterre, répondez ? et vous, descendants du grand Frédéric, héritiers de Charles-Quint, qu’avez-vous fait de vos gloires ? où sont vos bienfaits envers l’humanité ? Mère des premiers auteurs classique ; toi, berceau des arts, ou sont, que sont devenues les richesses de votre ancienne indépendance ? et toi, fière et opulente Espagne, montre-nous les trésors de tes possessions, jadis florissantes ?…

Travaillez, je vous en supplie, à l’amélioration des classes souffrantes, au lieu de vous occuper à forger des armes, lesquelles peuvent être tournées contre vous-mêmes. Qui est-ce qui fait fortune dans ces cas ? Les manufacturiers qui les font, et la postérité supporte le poids de toutes les horreurs qu’elles ont causées. Croyez-moi, destinez vos sacrifices à une plus noble cause, elle a grandement besoin que l’on s’occupe d’elle, elle mérite votre attention, elle y a même quelque droit, comme membre de votre famille. Dois-je vous répéter : Aimez vos voisins comme vous-mêmes ! Si vous eussiez été ici hier 18 janvier, vous auriez vu plus de quatre cents personnes suivre un très-modeste corbillard, se dirigeant vers une fosse concédée temporairement ; et si les fonds n’avaient pas été prêts d’avance, la générosité des nombreux amis n’aurait pas fait défaut, chacun aurait souscrit avec empressement.

Oui, la position que j’occupe, quelque humble qu’elle soit, me fournit constamment des preuves de cette nature ; non-seulement, l’on paye les frais du convoi, mais l’on assure quelques secours à la veuve, aux enfants. J’ajoute, avec toute l’indépendance de la vérité, que sans cette belle institution d’assistance mutuelle, qui est le palladium de beaucoup de corporations, de corps d’état, la paix de ce monde aurait été impossible à maintenir.

Pourquoi n’en créerait-on pas une autre sur une plus vaste échelle ? Pourquoi ne destinerait-on point les frais, les impôts qu’une guerre exige, au soulagement de ceux qui sont complètement déshérités par la fortune ? l’on pourrait bien se passer de ce moyen atroce, qui a quelque connexité avec la barbarie !… Faites la guerre à la misère, elle paraît vous défier tous, quelques hardis que vous soyez, et si jamais vous parvenez à la vaincre, à la terrasser, à la détruire, oh ! alors, vous aurez remporté la plus grande des victoires, celle que le christianisme permet, commande… peut-être, vous récompenserait il en vous remerciant. « Lorsque Alexandre le Grand était à la veille de passer de ce monde dans l’autre, il voulut qu’on lui fît un cercueil avec deux trous, par lesquels on lui passerait les bras, et qu’en le portant à travers les rues, le peuple put voir combien les gloires et les richesses de ce monde étaient vaines, puisqu’il s’en allait les mains vides.. » (Histoire de la Grèce.)