Une voix dans la fouleMercure de France (p. 9-12).

VITA

À A.-Ferdinand Hérold.

J’ai jadis crié mon orgueil
Bien haut, par la rue et la route,
Et je riais devant le deuil
Et je chantais devant le doute.

Et s’il m’arrivait de pleurer
Comme on pleure parmi les roses,
J’étais fier de me comparer
Aux rois qu’ont lassés trop de choses.


Oui, les femmes, je les aimai,
Et je fus peut-être aimé d’elles.
Las moi ! les fleurs mortes de mai !
Ô vous, les lèvres infidèles !

J’étais tel un jeune soudard
Qui tient sa main droite crispée
À la hampe de l’étendard
Ou sur le pommeau de l’épée.

Mais voici doucement venir
Sur le pas des lentes années,
Avec la peur de l’avenir,
La vieillesse aux lèvres fanées.

Muets sont les grands clairons d’or
Qui m’annonçaient au crépuscule.
Devant tout ce silence, ô Mort,
Je sens que ma valeur recule.

Ne croyant plus aux lendemains,
Dépossédé de mon royaume,
Je regarde pâlir mes mains
Dont la paix amollit la paume.


Je voudrais me vêtir de blanc
Et dire de saintes paroles
Au frère qui suit en tremblant
La route des fous et des folles.

Mais pourquoi déplorer le sort
De nous tous que la mort dénombre
Et plaindre l’inutile effort
De ceux dont s’effacera l’ombre ?

Je sais par mes deuils et mes pleurs
Que l’aveugle Destin nous mène
Tôt ou tard, par neiges ou fleurs,
Aux portes d’ivoire et d’ébène.

Je reprendrai donc mes chemins
Vers la bataille coutumière,
Sans peur, et levant haut les mains
Hors de l’ombre, vers la lumière.

Je poursuivrai l’œuvre de Dieu
Ici, sur la terre éphémère ;
J’irai, guerrier sans feu ni lieu,
Vers où me leurre la chimère.


Je chanterai, malgré la nuit,
Sous les bois hantés de fantômes,
Au fond du val où l’ombre bruit
Et dans la caverne des gnomes.

Et lorsque, courbé sur mes pas,
Je sentirai sur moi l’haleine
De Celle qu’on ne nomme pas,
Je chanterai, mordant la plaine.

Du ciel noir entendrai-je enfin,
Au moment de l’affre suprême,
Crier vers moi le séraphin
Qui me ceindra du diadème ?

Hélas t j’ai brisé trop de croix !
Ce cri de gloire que j’annonce
Ne sera que ma propre voix,
Et non pas, ô Dieu, ta réponse.