s. é. (p. 164-169).

CHAPITRE XIV

Il faut des protecteurs aux colons



SI un bon nombre de parents peuvent établir leurs enfants sur des terres nouvelles, il y en a beaucoup qui ne peuvent les aider en aucune manière. Les enfants de ceux-ci, dès qu’ils peuvent travailler, prennent le large, ou, ce qui est pis, vont « aux chantiers », où ils bûchent pour enrichir souvent des ennemis de notre race et s’appauvrir eux-mêmes. Si l’on pouvait trouver un système pour les faire bûcher pour eux-mêmes, se tailler un domaine et devenir un seigneur sur leur terre. Ne riez pas, mes chers amis ; tout habitant qui foule de son pied une terre qui est à lui, est un seigneur, un vrai seigneur. La vraie signification du seigneur est celle-ci : le propriétaire d’une terre. L’Angleterre, qui est remarquable pour conserver les anciennes traditions, a gardé la signification primitive du mot : le landlord. Qui est le landlord de cette terre, demandera le percepteur des impôts. Voilà pourquoi en Europe on tient tant au domaine familial. Voilà pourquoi les Anglais sont les premiers immigrants du monde. Le bien paternel appartient en héritage au plus vieux, à l’aîné de la famille. On dit au cadet : Il ne tient qu’à toi de devenir seigneur comme ton aîné ; va en Australie ou en Canada t’acquérir une seigneurie, un chez-toi où tu seras roi et maître. Dans notre pays, il n’est pas nécessaire de s’expatrier pour devenir seigneur, il suffit de s’éloigner de quelques jours de marche, tout en demeurant dans les limites de notre patrie.

Cette coutume d’accorder le bien patrimonial à l’aîné de la famille est bien ancienne : elle remonte aux premiers habitants-seigneurs de la terre. Rappelons la belle histoire de l’habitant Abraham, le père des croyants en Dieu, créateur du ciel et de la terre.

Un jour Dieu dit à Abraham, comme il a dit à notre premier ancêtre du Canada : Viens t’établir sur la terre que je te montrerai. Abraham, l’habitant, écouta ; il s’établit sur une terre appelée Mésopotamie. Isaac lui succéda. Celui-ci eut deux fils jumeaux, Esaü et Jacob. Esaü était le plus vieux de quelques minutes. À lui devait revenir le patrimoine. Par miséricorde pour nous, Jacob lui fut substitué et reçut la bénédiction de son père. La bénédiction d’alors équivalait au testament d’aujourd’hui. Que fit Esaü ? Il s’éloigna et alla s’établir sur une seigneurie à lui.

La coutume se perpétua chez les Hébreux ; le premier-né avait le patrimoine paternel, auquel ne touchait pas les cadets. Ceux-ci allaient s’établir sur le patrimoine familial réservé à chaque tribu. Le patrimoine familial de notre race s’étend de l’Atlantique au Pacifique. Quel dommage que les cadets ne se soient pas emparé des prairies du Nord-Ouest, égales en fertilité à la vallée du Saint-Laurent et de défrichement plus facile. La grande majorité des Canadiens seraient catholiques comme ceux de notre province de Québec et nous commanderions dans la Confédération du Canada ; il n’y aurait pas eu de question des écoles. Mais Dieu ne l’a pas voulu dans ses desseins impénétrables à notre courte vue.

Nous disons ceci pour montrer que nous nous sommes trompés en ne voulant pas sortir de la province de Québec. Un Canadien dans la province de Québec ne vaut qu’un, mais dans une autre province il en vaut deux maintenant ; dans vingt ans il en vaudra quatre et dans quarante ans seize. Dire que la question des écoles n’a été causée que par le manque de 10,000 Canadiens catholiques de plus dans le Manitoba ! Mais laissons de côté les récriminations, occupons-nous de l’avenir et disons que nos compatriotes peuvent émigrer partout dans le Canada où ils trouvent plus d’avantages pour établir leurs enfants seigneurs propriétaires d’une terre, mais à la condition de se fixer par groupe paroissial, notre plus grande force sociale, que des ennemis rugissants n’ont pu vaincre après plus de deux siècles d’un combat qui n’a pas connu de trêve.

N’oublions pas que l’Union Législative s’en vient à grands pas pour engloutir notre chère province de Québec et par elle le catholicisme dans les autres provinces, car c’est au catholicisme que l’on en veut. Ce n’est pas à nous personnellement. Nos ennemis nous aiment beaucoup, comme disait naguère un chef orangiste ; et c’est parce qu’ils nous aiment qu’ils veulent nous soustraire à la tyrannie de l’Église catholique. Comme l’Église catholique est immortelle, tant que nous resterons attachés à elle, nous participerons à son immortalité ; on ne pourra jamais tuer la race française et catholique.

Mais il sera facile de tuer une race française non catholique. Voyez nos quelques suisses canadiens. Qu’ils ont honte d’être Canadiens-français ! Ils désirent que les orangistes aient la victoire sur nous, et que l’instruction soit enlevée des mains de l’Église catholique, et qu’un ministre de l’instruction publique soit nommé à la place des évêques auxquels Jésus-Christ a dit : « Allez et enseignez toutes les nations », le Canada y compris. Un ministre d’un gouvernement aussi protestant que catholique, en tant que gouvernement, aura le contrôle des livres d’instruction… et c’en sera fait de l’instruction catholique dans les écoles après dix ou quinze ans. Mais, mes chers compatriotes, tant que l’Église catholique sera maîtresse dans les écoles et dans la maison comme à l’église, la race canadienne-française sera immortelle.

Voilà pourquoi nous vous disons d’essaimer comme les abeilles par groupes pour continuer les travaux qui ont sauvé nos pères.

Maintenant, continuons notre sujet. Je dis : continuons, car je n’en suis pas sorti : faire de la colonisation sans le Seigneur des seigneurs, il vaut mieux ne pas en faire.

Nous disions donc qu’il y a des pères de famille qui ont quitté leur terre par nécessité, qui vivent dans les villes et qui voudraient faire des Seigneurs de leurs fils, mais ils sont trop pauvres pour y songer.

Il y en a d’autres qui sont encore sur leurs terres. Maintenant qu’ils voient que la culture faite d’après la science agricole est payante, ils voudraient établir leurs enfants sur la terre, mais ils ne le peuvent pas.

Va-t-on laisser partir ces jeunes gens pour la terre étrangère ?

Non, dites-vous.

Mais alors il faut leur trouver un protecteur puisque leur père ne peut pas les protéger.

Un homme assez haut placé dans la politique répondait ainsi à ma demande de procurer une situation à un jeune garçon instruit, mais de parents très pauvres. « Si son père ne peut le faire vivre, qu’il lui achète une hache et que son fils s’enfonce dans le bois. » Je répondis : « Il va tellement s’enfoncer dans le bois avec sa hache qu’il faudra un bon coin de fer pour l’en sortir. » Parler comme ça, mes bons amis, c’est parler en bébé. Voyons les choses qui sont de première nécessité, au colon, outre sa hache. Il lui faut un sac de farine et cent livres de lard pour commencer, un chantier, un puits, un poêle, un chaudron, une poêle, tasses, couteaux, fourchettes, seau ou chaudière, petite chaudière à thé, outils propres au déboisement ou au défrichement de la terre. Deux bœufs ou chevaux, une voiture de charge. Toutes ces choses sont de première nécessité, on ne les a pas pour rien. Envoyer dans les bois avec une hache un jeune homme qui n’a rien, est un songe-creux. Autant vaudrait lui acheter une verge à mesurer et lui dire d’aller prendre magasin à Québec ou à Montréal. Il faut absolument l’aider, il lui faut un protecteur, un autre ange gardien. Le colon qui a un protecteur devient fondateur d’une paroisse. Une paroisse ! la plus grande force sociale et religieuse que nous ayons à notre disposition : ces mots, social et religieux, sont inséparables pour un Canadien catholique, comme on nous l’a enseigné à notre première communion.