Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, tome 11p. 443-451).



CHAPITRE XII.

dalgetty prisonnier.


Fait pour les projets cachés et les desseins tortueux, esprit hardi, sagace et turbulent, inquiet, changeant de plan et de principes ; mécontent dans le pouvoir, impatient dans la disgrâce.
Dryden, Absalon et Archilophel.


Le village d’Inverary, aujourd’hui jolie ville de province, participait alors à la rudesse du dix-septième siècle par le misérable aspect de ses maisons et l’irrégularité de ses rues non pavées. Mais ce qui caractérisait ce siècle d’une manière plus forte et plus terrible, c’était le spectacle qu’offrait la place du marché, espace d’une largeur irrégulière qui s’étendait entre le havre ou môle et la porte du sombre château dont le portique, la herse et les murailles terminaient de ce côté la perspective. Au milieu de cette place on avait élevé un gibet grossier où étaient suspendu cinq malheureux ; deux d’entre eux semblaient, par leurs habits, être des Lowlanders ; les trois autres, enveloppés dans leurs plaids, des Highlanders ; deux ou trois femmes assises sous la potence paraissaient pleurer et chanter à voix basse leur coronach[1]. Mais ce spectacle était probablement trop ordinaire pour attirer l’attention des habitants en général ; car, tandis qu’ils se pressaient pour regarder la tournure militaire de Dalgetty, son cheval, d’une taille extraordinaire et son armure polie, ils semblaient ne faire aucune attention au spectacle pitoyable qui était sous leurs yeux.

L’envoyé de Montrose ne se montra pas aussi indifférent que cette foule curieuse, et entendant deux ou trois mots d’anglais sortir de la bouche d’un Highlander d’un extérieur décent, il arrêta son cheval, et s’adressant à lui : « Le grand-prévôt a eu bien de la besogne ici, l’ami ; puis-je vous demander de quel crime ces malheureux se sont rendus coupables ? »

En parlant ainsi, il montra le gibet ; et le Gaël, comprenant plutôt son geste que ses paroles, lui répondit aussitôt : « Ce sont trois gentilshommes catérans. Dieu ait leurs âmes ! et deux pauvres diables de Sassenachs[2] qui n’ont pas voulu faire quelque chose que Mac Callum More leur avait commandé. » Et tournant le dos avec indifférence, il s’éloigna sans attendre une autre question.

Dalgetty haussa les épaules et se remit en marche, car le cousin au dixième ou douzième degré de sir Duncan Campbell avait déjà donné quelques signes d’impatience.

À la porte du château, un autre exemple du pouvoir féodal l’attendait. Au milieu d’un petit enclos renfermé par une estacade ou palissade qui semblait nouvellement élevée pour la défense de la porte, et qui était protégée par deux pièces d’artillerie légère, se trouvait un grand billot sur lequel était une hache. Ces deux objets étaient teints d’un sang fraîchement répandu, et une quantité de sciure indiquait plutôt qu’elle ne cachait les marques d’une exécution récente.

Comme Dalgetty regardait ces nouveaux objets de terreur, son guide le tira tout-à-coup par le par de son jerkin, et ayant ainsi fixé son attention, il lui fit signe d’un clin d’œil et lui indiqua du doigt un poteau fixé dans l’estacade, et qui supportait une tête humaine, sans doute celle du malheureux qui venait d’être mis à mort. Un sourire moqueur erra sur la figure du Highlander, sourire qui sembla de mauvais augure au brave major.

Dalgetty descendit de cheval à la porte, et Gustave fut emmené sans qu’il lui fût permis de l’accompagner à l’écurie, suivant son habitude ; et cette circonstance fit éprouver au vétéran une angoisse qu’il n’avait pas ressentie même à l’aspect de cet appareil de mort. « Pauvre Gustave ! se dit-il à lui-même ; s’il m’arrive quelque malheur, j’aurais mieux fait de le laisser à Darnlinvarach, que de l’avoir amené ici parmi ces sauvages Highlanders, qui savent à peine distinguer la tête d’un cheval de sa queue. Mais le devoir doit parler à un homme plus haut que tout ce qu’il a de plus cher.


« Quand l’airain vomit le trépas,
Et que les drapeaux de la gloire
Sont déployés, de vrais soldats,
Ambitieux de la victoire,
Devant la mort ne tremblent pas.
Allons, guerriers, suivez mes pas ;
Marchez et combattez en braves
Pour l’Évangile et ses prélats.
Et le grand roi des Scandinaves. »


Imposant silence à ses craintes par le refrain de cette ballade militaire, il suivit son guide dans une sorte de corps-de-garde qui était rempli de soldats highlanders. On lui annonça qu’il devait y rester jusqu’à ce que son arrivée fût annoncée au marquis. Pour rendre cette annonce plus agréable, il remit le paquet de sir Duncan Campbell au Dunniewassel, désirant, comme il le lui fit entendre de son mieux par signes, qu’il fût remis en mains propres au marquis. Son guide lui fit un signe affirmatif de tête, et sortit.

Le major resta environ une demi-heure dans cet endroit ; il supporta avec indifférence ou rendit avec mépris les regards curieux et même hostiles des soldats, pour lesquels son armure et son équipement étaient autant un sujet de curiosité que sa personne et son pays un objet d’aversion. Enfin un homme vêtu de velours noir, et portant une chaîne d’or comme un magistrat moderne d’Édimbourg, mais qui n’était que l’intendant de la maison du marquis d’Argyle, entra dans le corps-de-garde, et invita le major, avec une gravité solennelle, à le suivre en présence de son maître.

Les appartements à travers lesquels ils passèrent étaient remplis de domestiques ou d’employés de différents grades, disposés peut-être avec quelque ostentation pour faire impression sur l’envoyé de Montrose, et lui donner une idée du pouvoir supérieur et de la magnificence de la maison de son rival le marquis d’Argyle. Une antichambre était remplie de laquais vêtus de livrées brunes et jaunes, couleurs de la famille ; ils étaient rangés sur deux lignes, et ils regardèrent en silence le major Dalgetty lorsqu’il passa au milieu d’eux. Une autre était occupée par des gentilshommes et des chefs highlanders, d’un rang inférieur, qui jouaient aux échecs, aux backgammon[3] et à d’autres jeux qu’ils interrompirent à peine pour jeter un regard de curiosité sur l’étranger. Une troisième était remplie de gentilshommes et d’officiers lowlanders, qui semblaient aussi faire partie de la maison du marquis. Enfin ils arrivèrent dans la salle d’audience, où le marquis était entouré d’une cour dont la splendeur indiquait sa haute puissance.

Cette salle, dont la porte à deux battants fut ouverte pour recevoir le major Dalgetty, était une longue galerie, décorée de tapisseries et de portraits de famille. Le plafond voûté était en bois travaillé à jour, et les extrémités des poutres étaient sculptées et richement dorées. De hautes fenêtres gothiques en forme de fers de lance, divisées par des traverses massives en pierre, et garnies de vitraux colorés, y laissaient à peine pénétrer l’éclat des rayons du soleil à travers les têtes de sanglier, les galères, les bâtons et les épées, armoiries de la puissante maison d’Argile, et emblèmes des hautes charges héréditaires de justicier d’Écosse et de maître de la maison royale, dont cette famille était en possession depuis long-temps. Au bout de cette magnifique galerie, était le marquis, au milieu d’un cercle de gentilshommes des Highlands et des Lowlands, tous splendidement vêtus, parmi lesquels on voyait deux ou trois membres du clergé, appelés peut-être pour être témoins de son zèle pour le Covenant.

Le marquis était habillé suivant la mode du temps, que Van-Dyck a si souvent peinte ; mais son habit était d’une couleur grave et uniforme, et plus riche qu’élégant ; son teint brun, son front ridé, ses yeux fixés à terre, lui donnaient l’air d’un homme fréquemment engagé dans la méditation d’affaires importantes, et qui avait pris, par suite d’une longue habitude, un air de gravité et de mystère dont il ne pouvait se dépouiller même lorsqu’il n’avait rien à cacher. L’expression de son regard, qui lui avait fait donner dans les Highlands le sobriquet de Gillespie Grumach, ou l’austère, était moins sensible lorsqu’il tenait ses yeux baissés ; c’était peut-être aussi la raison qui lui avait fait prendre cette habitude. Il était grand et maigre ; mais il avait dans le maintien la dignité qui convenait à son rang. Il y avait quelque chose de froid dans son extérieur, et de sinistre dans son regard, quoique sa parole et son geste conservassent toujours la grâce ordinaire chez un homme de haut rang. Il était adoré de son clan, à l’élévation duquel il avait puissamment contribué ; mais, en revanche, il était haï par les autres tribus des Highlands, dont il avait déjà chassé, les unes de leurs possessions, tandis que les autres se voyaient en danger d’éprouver par la suite le même sort, et ne voyaient qu’avec crainte le pouvoir auquel il s’était élevé.

Nous avons déjà dit qu’en déployant cette magnificence et en se montrant entouré de ses conseillers, des officiers de sa maison, de sa suite de vassaux, d’alliés et de feudataires, le marquis d’Argyle désirait probablement faire impression sur le système nerveux de l’envoyé de son rival ; mais l’intrépide Dalgetty avait fait son chemin les armes à la main, tantôt dans un parti, tantôt dans l’autre, pendant la plus grande partie de la guerre de trente ans en Allemagne, période durant laquelle un brave et heureux soldat était le compagnon des princes. Le roi de Suède, et, à son exemple, les princes de l’Empire eux-mêmes, s’étaient trouvés fréquemment obligés de transiger avec leur dignité, et lorsqu’ils ne pouvaient payer les soldats, d’étouffer leurs plaintes en leur accordant des privilèges extraordinaires et en les admettant dans leur familiarité. Le capitaine Dalgetty, qui pouvait se vanter de s’être trouvé avec des princes à des festins préparés par des monarques, n’était pas homme à se laisser intimider par la magnificence qui entourait Mac Callum More. Il est vrai que naturellement il n’était point l’homme le plus modeste du monde, au contraire, il avait une si bonne opinion de lui-même que, dans quelque compagnie que le hasard pût le placer, il se mettait toujours en idée au niveau des autres, de sorte qu’il se trouvait aussi à son aise dans la plus haute société qu’au milieu de ses compagnons ordinaires. Ce qui le fortifiait grandement dans la haute opinion qu’il avait de son mérite, c’étaient ses idées sur la profession militaire, qui, comme il le disait, rendait un brave cavalier le camarado d’un empereur.

Dalgetty entra donc dans la salle d’audience et en parcourut toute la longueur d’un air plus confiant que gracieux ; il serait même arrivé jusqu’auprès d’Argyle avant de parler, si le marquis ne lui eût fait un signe de main qui l’arrêta court. Ayant fait son salut militaire avec une confiance aisée, le major s’adressa au marquis en ces termes : « Je vous souhaite le bonjour, milord, ou plutôt je devrais dire le bonsoir ; beso a usted las manos[4], comme dit l’Espagnol. — Qui êtes-vous, monsieur, et quelle affaire vous amène ici ? » demanda le marquis d’un ton qu’il croyait propre à réprimer la familiarité offensante du soldat.

« Cette demande est juste, milord, et j’y répondrai à l’instant comme il convient à un cavalier, et cela peremptoriè, comme nous avions coutume de dire au collège Mareschal. — Voyez qui est cet homme, Real, et ce qu’il veut, » dit le marquis d’un ton ferme à un gentilhomme qui se tenait près de lui.

« J’épargnerai à l’honorable gentilhomme la peine de me faire subir un interrogatoire. Je suis Dungald Dalgetty de Drumthwacket, ancien ritt-master au service de plusieurs puissances, et maintenant major de je ne sais quel régiment irlandais. Je viens en qualité de parlementaire de la part de haut et puissant lord James comte de Montrose, et d’autres nobles personnes maintenant en armes pour Sa Majesté ; et ainsi, Vive le roi Charles[5] ! — Savez-vous où vous êtes, monsieur, et le danger que vous courez en plaisantant avec nous, demanda une seconde fois le marquis, pour me répondre comme si j’étais un enfant ou un insensé ? Le comte de Montrose est avec les mécontents anglais, et je vous soupçonne d’être un de ces vagabonds irlandais qui sont venus dans cette contrée pour massacrer et brûler, comme ils ont fait sous sir Phelim O’Neale. — Milord, répliqua Dalgetty, quoique je ne sois pas un renégat[6], et j’ai pour garants l’invincible Gustave-Adolphe, le lion du Nord, Bannier, Oxenstiern, le valeureux duc de Saxe-Weimar, Tilly, Wallenstein, Piccolomini, et d’autres grands capitaines tant morts que vivants. Quant à ce qui regarde le noble comte de Montrose, je prie Votre Seigneurie de jeter un coup d’œil sur les pleins pouvoirs qui m’ont été donnés pour traiter avec vous au nom de cet honorable commandant. »

Le marquis regarda légèrement le papier signé et scellé que Dalgetty lui présentait, et le jetant avec dédain sur une table, il demanda à ceux qui l’entouraient ce que méritait celui qui venait comme l’envoyé de l’agent avoué des traîtres et des mécontents qui avaient pris les armes contre l’État.

« Une haute potence et une courte confession, répondit à l’instant un de ses officiers. — Je prierai l’honorable gentilhomme qui vient de parler, dit Dalgetty, d’être moins prompt à prendre ses conclusions, et Votre Seigneurie de ne les accueillir qu’avec prudence, parce que de telles menaces ne doivent être faites qu’à des bisonos[7], et non à des hommes de courage et de cœur qui sont forcés de s’exposer eux-mêmes aussi aveuglément dans ces sortes de services, que dans les sièges, batailles ou attaques de toutes espèces. Et quoique je n’aie pas avec moi un trompette ou un drapeau blanc, notre armée n’étant pas encore équipée ni entièrement en ordre. Votre Seigneurie, ainsi que ces honorables cavaliers, doivent savoir que le caractère sacré d’un envoyé qui vient pour signer une trêve ou pour parlementer, ne consiste point dans les fanfares d’une trompette, qui n’est qu’un son, ou dans les ondulations d’un drapeau blanc, qui n’est lui-même qu’un vieux chiffon, mais dans la confiance que le parti qui envoie et celui qui est envoyé ont en l’honneur de ceux auxquels le message doit être porté, et dans l’entière conviction qu’ils respecteront le jus gentium ; aussi bien que les lois de la guerre, dans la personne du parlementaire. — Monsieur, vous n’êtes point ici, dit le marquis, pour nous faire une leçon sur les lois de la guerre, qui ne peuvent s’appliquer aux rebelles et aux insurgés, mais pour subir la peine que méritent votre insolence et votre folie en apportant le message d’un traître au lord justicier général d’Écosse, à qui ses devoirs imposent l’obligation de punir par la mort une telle offense. — Gentilshommes, » dit le major, qui commençait à trouver mauvaise la tournure que sa mission semblait vouloir prendre, « je vous prie de vous souvenir que le comte de Montrose rendra vos personnes et vos propriétés responsables de tout le mal qui pourrait m’être fait, à moi aussi bien qu’à mon cheval, par suite de procédés tellement inusités, et que sa justice fera tomber une vengeance rétributive[8] sur vos personnes et sur vos biens. »

Cette menace n’excita qu’un rire de mépris, et un des Campbells s’écria : « Il y a loin d’ici à Lochow ; » expression proverbiale de la tribu, qui signifiait que leurs anciens domaines héréditaires étaient à l’abri des insultes et des invasions de l’ennemi.

« Mais, messieurs, reprit l’infortuné major, qui ne voulait pas se laisser condamner sans avoir épuisé tous ses moyens de défense, « quoique ce ne soit point à moi à dire quelle est la distance d’ici à Lochow, attendu que je suis étranger en ce pays, cependant, et cela est plus dans la question, je pense que vous reconnaîtrez que j’ai un sauf-conduit d’un honorable gentilhomme de votre nom, sir Duncan Campbell d’Ardenvohr, et je vous ferai observer qu’en violant cette garantie dans ma personne, ce serait faire un grand tort à son honneur et à sa réputation. »

Ces paroles semblèrent exciter de nouvelles réflexions chez bon nombre des assistants : ils se parlèrent bas l’un l’autre à part, et le visage du marquis, malgré le pouvoir avec lequel il maîtrisait toutes ses émotions extérieures, donna des marques d’impatience et de dépit.

« Sir Duncan a-t-il engagé son honneur pour la sûreté de cet homme, milord ? » dit un des Campbells en s’adressant au marquis. « Je ne le crois pas, mais je n’ai pas encore eu le temps de lire sa lettre. — Nous prierons noire Seigneurie de la lire, » dit un autre des Campbells ; « l’honneur de notre tribu ne doit point être souillé pour un tel compagnon. — Une mouche morte, dit un prêtre, donne une mauvaise odeur au baume de l’apothicaire. — Révérend ministre, dit le major Dalgetty, je vous pardonne le mauvais goût de votre comparaison, en raison de l’application que vous en avez faite, et de même je pardonne au gentilhomme en bonnet rouge l’épithète méprisante de compagnon, qu’il m’a appliquée si malhonnêtement, et que je ne mérite nullement, si ce n’est dans le sens de compagnon d’armes, comme je l’ai reçue du grand Gustave-Adolphe, le lion du Nord, et d’autres grands généraux, soit en Allemagne, soit dans les Pays-Bas. Quant à la garantie que sir Duncan m’a donnée de ma sûreté, j’engage ma vie qu’il confirmera mes paroles lorsqu’il arrivera ici demain. — Puisque sir Duncan est attendu sitôt, dit l’un des intercesseurs, ce serait une cruauté d’en finir trop vite avec ce pauvre homme. — D’autant plus, dit un autre, que Votre Seigneurie devrait au moins consulter la lettre du chevalier d’Ardenvohr, afin d’apprendre les motifs pour lesquels ce major Dalgetty, comme il s’appelle lui-même, a été envoyé ici par lui. »

Les Campbells se réunirent autour du marquis et conversèrent à voix basse, en gaélique et en anglais. Le pouvoir patriarcal des chefs de clan était très-grand, et celui du marquis d’Argyle, armé de tous ses privilèges de juridiction héréditaire, était des plus absolus ; mais il y a toujours un frein quelconque dans le gouvernement même le plus despotique. Celui qui modérait le pouvoir des chefs celtiques était la nécessité où ils étaient de se concilier leurs parents, qui sous leurs ordres conduisaient les guerriers au combat, et qui formaient une espèce de conseil de la tribu durant la paix. Le marquis, en cette occasion se vit dans la nécessité de condescendre aux remontrances de ce sénat, ou, mieux, couroultai de la tribu des Campbells, et sortant du groupe, il donna des ordres pour éloigner le prisonnier et le conduire en lieu de sûreté.

« Prisonnier ! » s’écria Dalgetty se débattant avec une telle force qu’il manqua de renverser deux Highlanders qui, depuis quelques minutes, attendaient le signal de le saisir et se tenaient à cet effet derrière lui. Il fut si près de recouvrer sa liberté, que le marquis changea de couleur, fit deux pas en arrière, porta la main sur son épée, tandis que quelques hommes de son clan, avec un dévouement empressé, se jetèrent entre lui et le prisonnier dont ils redoutaient la vengeance.

Mais les deux Highlanders étaient trop vigoureux pour céder, et le malheureux major, après qu’on lui eut retiré ses armes offensives, fut entraîné hors de la salle. On lui fit traverser plusieurs passages obscurs, et il arriva devant une petite porte engagée dans un des murs latéraux et fermée par une grille de fer, après laquelle il s’en trouvait une autre en bois. Ces deux portes furent ouvertes par un vieux Highlander à l’air farouche, portant une longue barbe blanche, et un escalier composé de marches étroites et rapides, qui conduisait à une espèce de souterrain, s’offrit aux yeux du major Dalgetty. Ses gardes le poussèrent pour lui faire descendre deux ou trois marches ; puis, lui lâchant les bras, ils le laissèrent gagner à tâtons, comme il put, le bas de l’escalier, entreprise difficile et même dangereuse ; car les deux portes, fermées l’une après l’autre, laissèrent le prisonnier dans une obscurité complète.

  1. Chant funèbre des montagnes d’Écosse. a. m.
  2. Corruption du mot Saxon, terme dont se servent les Highlanders. a. m.
  3. Espèce de trictrac. a. m.
  4. Je vous baise les mains. a. m.
  5. God save the king ! Dieu sauve le roi ! phrase qui répond à notre vive le roi ! a. m.
  6. Il y a ici un jeu de mots intraduisible dans le texte. Le marquis dit à Dalgetty qu’il est un vagabond, renegate ; le capitaine répond renegade, renégat. a. m.
  7. a. m.
  8. Néologisme, pour « une vengeance exercée par récompense, salaire ou tribut ».