Une horrible aventure/Partie II/Chapitre XVIII

Journal L’Événement (p. 120-122).

XVIII


Derrière cette porte, il y avait Pauline, qui prit aussitôt la main de Georges et lui dit rapidement, à voix basse :

— Laissez-vous guider par moi et soyez sans inquiétude : nos trois gardiens voyagent maintenant dans le pays des songes.

— Bonne, excellente Pauline !… voulut commencer notre héros…

— Oui, oui… une autre fois, interrompit la fillette. Gardez votre éloquence pour la princesse qui vous attend, beau ténébreux.

— C’est donc bien vrai ?… Je la tiens donc, l’aventure de mes rêves ?

— Vous pataugez dedans jusqu’au cou… mais, ne perdons point de temps à discourir, et grimpons lentement.

— C’est cela : en avant !… Je ne vous laisse pas d’une semelle.

Nos deux conspirateurs, la main dans la main et assourdissant le bruit de leurs pas, eurent bientôt gravi tous les escaliers de la maison. Lorsqu’ils furent arrivés sur le palier du dernier étage, Pauline ouvrit une porte et pénétra, toujours remorquant son compagnon, dans une espèce d’antichambre où l’obscurité et la lumière d’une veilleuse se livraient un rude combat.

La soubrette s’y arrêta un instant.

— Voyez-vous cette porte ? dit-elle à Georges, en montrant un fond de la pièce.

— Oui.

— Eh bien !… c’est là !

— Mon Dieu !

— Venez, beau prince Camaralzaman : l’aimable Badoure est anxieuse de votre arrivée.

— Une minute, s’il vous plaît ! je suis tout essoufflé… et l’émotion m’empêcherait de parler, d’ailleurs.

— En effet, vous êtes pâle !…

— Que voulez-vous ?… Le bonheur ne vient pas comme ça, se jeter dans les bras d’un homme sans lui faire une certaine impression.

— Sur ma parole !… vous tremblez ?…

— Oh !… de toutes petites horripilations qui se passeront vite… Une aventure aussi charmante et aussi imprévue vaut bien quelques secousses nerveuses !

— Je ne dis pas non. Mais remettez-vous, mon ami, et hâtez-vous de morigéner un peu ces vilains nerfs.

— Dans une minute, ce sera fait.

— Très-bien. Moi, je cours annoncer votre présence à ma maîtresse.

— Allez, mademoiselle.

Mais Pauline n’avait pas fait trois pas, que Georges dressa subitement l’oreille et la rappela.

— Entendez-vous ? fit-il mystérieusement, en tournant la tête de tous côtés.

— Quoi !

— Ce bruit étrange…

— Ce n’est rien.

— On dirait le vent qui s’engouffre dans de vieux tuyaux d’orgues.

— Oh ! n’y faites pas attention.

— Cependant…

— Ce sont les esclaves du seigneur Ahmed qui ronflent.

— Ah !… mais ces moricauds ne doivent pas être loin, si j’en juge par le tapage qu’ils font.

— Ils sont ici même. Voyez plutôt.

Et Pauline dirigeant la lumière vers l’extrémité de la pièce, fit voir à notre héros deux grands nègres, armés de cimeterres et dormant avec enthousiasme, à demi-couchés sur un vieux canapé.

Cette constatation rassura Georges.

— Tout est pour le mieux, dit-il. Vous pouvez m’annoncer maintenant.

La soubrette disparut et revint au bout d’un instant.

— Donnez-vous la peine d’entrer, monsieur, murmura-t-elle, en tenant la porte entr’ouverte.

Labrosse son cœur à deux mains, invoqua Cupidon et franchit audacieusement le seuil.

La porte se referma sans bruit.