Une horrible aventure/Partie II/Chapitre XVII

Journal L’Événement (p. 116-119).

XVII.


Arrivé chez lui, George s’enferma à double tour et ouvrit anxieusement son poulet — le premier qu’il eût reçu de sa vie.

Il s’en exhala de suaves émanations, de ces senteurs délicates et subtiles qui font penser aux jolies femmes.

Mais Georges était trop pressé pour s’arrêter à ces considérations érotiques. Il prit de suite connaissance de la lettre, qui se lisait ainsi :


« Cher voisin,


La princesse, touchée de votre amour et craignant que vous ne cédiez à vos funestes idées de suicide, consent à vous recevoir. Elle n’y met que deux conditions : la première, c’est que d’ici là, vous ne cherchiez pas à la voir ; la seconde, que vous veniez sans armes d’aucune espèce.

La princesse a le sang en horreur, et elle espère que son affirmation que vous ne courrez aucun danger suffira pour que vous lui obéissiez sur ce point.

Aussitôt que nous aurons réussi à mettre nos gardiens sous l’influence du narcotisme, je vous ferai signal.

Toutes nos mesures sont prises pour que la chose ait lieu ce soir même, entre onze heures et minuit.

Ainsi, tenez-vous prêt.

Quand vous verrez la lumière s’élever trois fois derrière la fenêtre que vous savez, descendez à petit bruit et traversez la rue…

Ce sera le signal !

Je serai à la porte pour vous recevoir.

Votre petite amie
« Pauline »


Sitôt que cela !

Labrosse croyait rêver et dut relire plusieurs fois le billet de Pauline pour se convaincre de la réalité de sa bonne fortune.

Quoi ! dans quelques heures, il allait voir sa divine princesse, contempler à loisir ses traits si beaux, prendre dans la sienne sa main de fée, pouvoir lui dire à deux genoux qu’il l’aimait à en mourir… et — qui sait ? — peut-être recevoir de sa bouche émue un tendre aveu !…

Oh ! c’était trop de bonheur à la fois, et une moins forte tête que celle de notre héros eût certainement fait explosion !

Heureusement le crâne de Georges était un solide crâne canadien. Il résista.

Mais qu’elles furent donc longues, grand saint Cupidon, les heures qui séparaient l’amoureux Labrosse de ce moment trois fois fortuné !

Comme elles glissaient donc lentement sur leur cadran, pourtant si petit, les paresseuses aiguilles de sa montre !

Tout de même, le temps passa. Neuf heures sonnèrent… Dix heures sonnèrent… puis, ma foi ! soixante minutes plus tard, onze heures sonnèrent aussi !

Georges se trouvait à sa fenêtre depuis longtemps, épiant le signal convenu.

Inutile d’ajouter qu’il était vêtu, frisé, pommadé, ganté et cravaté comme il convenait dans une circonstance aussi solennelle.

Enfin, vers onze heures et quart, un mouvement se fit dans la chambre de la princesse et une main mystérieuse leva trois fois la petite lampe derrière les rideaux soigneusement fermées.

Georges ne se le fit pas répéter : et, comme un pieux chevalier des antiques ballades, il descendit bravement les escaliers de maman Cocquard, traversa la rue non moins bravement, et finalement s’engouffra dans une porte entr’ouverte à son intention.