Une horrible aventure/Partie II/Chapitre III

Journal L’Événement (p. 58-60).

III


Ce n’était pas sans raisons que Labrosse s’était ainsi perché sous les combles et avait mis cinq étages entre le sol et lui.

Outre qu’il jugeait infiniment poétique de loger, lui qui avait des rentes, dans une mansarde, il voulait, de sa chambrette, dominer tout le voisinage et flairer à son aise la crême des aventures qui s’y trameraient.

C’est pourquoi nous venons de le voir — au sortir de son premier sommeil sous le toit hospitalier de la mère Cocquard — penché sur l’appui de sa lucarne et à l’affut de tout ce qui allait se passer dans ce petit coin de Paris.

Pendant une couple d’heures, il promena son regard investigateur sur cette multitude de toits ardoisés, s’étageant à l’infini sous son rayon visuel et ressemblant à une mer agitée qui se confondait, dans le lointain, avec l’horizon brumeux. Le palais du Luxembourg étincelait à sa droite, et les grands arbres du jardin balançaient mélancoliquement leurs cimes encore vertes par-dessus les combles de la rue de la Harpe. Une rumeur grandissante s’élevait du quartier ; les voix humaines se mêlaient au bruit sourd des roues sur le macadam ; des cloches sonnaient ci et là ; les portes s’ouvraient et se fermaient avec retentissement ; le pavé résonnait sous des pas précipités…

Enfin le Pays-Latin s’éveillait !

Piétons affairés, ouvriers en blouse, muscadins en gants jaunes ; femmes du peuple se rendant au marché, dévotes gagnant les églises, servantes et couturières allant en commission ou se hâtant vers l’atelier… Georges dévisagea tout, et pas une figure humaine ne se montra, ce matin-là, rue des Grès, sans avoir été audacieusement inspectée par le jeune aventurier.

Aucune ne parut à Georges plus mystérieuse que de raison, et, de guerre lasse, il abandonna sa fenêtre pour se mettre à sa toilette.

D’ailleurs, la cloche du déjeuner n’allait pas tarder à se faire entendre, et notre héros brûlait trop du désir de connaître tous les pensionnaires de l’établissement, pour manquer cette occasion.

En effet, un quart-d’heure ne s’était pas écoulé, qu’une effroyable sonnerie réveilla tous les échos de la maison et qu’une voix éraillée, montant des étages intérieurs, répétait fébrilement :

Voyons, messieurs, voyons, messieurs ; le déjeuner va froidir… Ça, dégringolez un peu !

C’était la mère Cocquart — femme au poignet solide et à la voix haute, mais, au demeurant, bonne comme la vie ― qui débitait son boniment ordinaire.

Notre ami ne se le fit pas dire deux fois et dégringola bravement jusqu’à la salle à manger.